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parmi les ames vulgaires, pour un faniôme, et que les gens d'imagination se sont déchaînés contre cette vérité sublime et solide par plusieurs pointes d'esprit frivoles et méprisables. C'est que ne trouvant rien au dedans d'eux qui soit comparable à ces grands sentiils concluent que l'humanité en est incapable. Ce sont des Nains qui jugent de la force des Geans par la leur. Les esprits qui rampent sans cesse dans les bornes de l'amour-propre, ne comprendront jamais le pouvoir et l'étendue d'une vertu qui élève l'homme au-dessus de lui-même. Quelques Philosophes, qui ont fait d'ailleurs de belles découvertes dans la Philosophie, se sont laissé entraîner par leurs préjugés, jusqu'à ne point distinguer assez entre l'amour de l'ordre et l'amour du plaisir, et nier que la volonté puisse être remuée aussi fortement par la vue claire de la vérité, que par le goût naturel du plaisir.

On ne peut lire attentivement Télémaque sans revenir de ces préjugés. L'on y voit les sentimens généreux d'une ame noble, qui ne conçoit rien que de grand; d'un cœur désintéressé, qui s'oublie sans cesse; d'un Philosophe qui ne se borne ni à soi, ni à sa nation ni à rien de particulier, mais qui rapporte tout au bien commun du genre humain, et tout le genre humain à [Etre-Suprême.

III. La Morale du Télémaque est universelle dans ses usages.

3.o La morale du Télémaque est universelle dans ses usages, étendue, féconde, proportionnée à tous les temps, à toutes les nations et à toutes les conditions. On y apprend les devoirs d'un prince qui est ensemble Roi, Guerrier, Philosophe et Législateur. On y voit art de conduire des nations différentes ; la manière de conserver la paix au dehors avec ses voisins, et cependant d'avoir toujours au dedans du Royaume une Jeunesse aguerrie, prête à le défendre; d'enrichir ses Etats sans tomber dans le luxe, de trouver le milieu entre les excès d'un pouvoir despotique et les désordres de l'anarchie. On y donne des préceptes pour l'agricul? pour commerce, pour les arts, pour la police,

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pour l'éducation des enfans. Notre Auteur fait entrer dans son Poëme, non-seulement les vertus héroïques et royales, mais celles qui sont propres à toutes sortes de conditions. En formant le cœur de son Prince, il n'instruit pas moins chaque Particulier de ses devoirs.

L'Iliade a pour but de montrer les funestes suites de la désunion parmi les Chefs d'une Armée. L'Odyssée nous fait voir ce que peut dans un Roi la prudence jointe avec la valeur. Dans l'Eneide on dépeint les actions d'un Héros pieux et vaillant. Mais toutes ces vertus particulières ne font pas le bonheur du genre humain. Télémaque va bien au delà de tous ces plans, par la grandeur, le nombre, et l'étendue de ses vues morales ; de sorte qu'on peut dire avec le Philosophe critique * d'Homère: Le don le plus utile que les Muses aient fait aux hommes, c'est le Télémaque; car si le bonheur du genre humain pouvoit naître d'un Poëme, il naîtroit de celui-là.

DE LA POÉSIE.

C'est une belle remarque du Chevalier Temple, que la Poesie doit réunir ce que la musique, la peinture et l'eloquence ont de force et de beauté. Mais, comme la Poésie ne diffère de l'eloquence qu'en ce qu'elle peint avec enthousiasme, on aime mieux dire que la Poésie emprunte son harmonie de la musique, la passion de la peinture, sa force et sa justesse de la Philosophie.

L'Harmonie du Style dans le Télémaque.

Le style du Télémaque est poli, net, coulant; magnifique ; il a toute la richesse d'Homère, sans avoir son abondance de paroles: il ne tombe jamais dans des redites; quand il parle des mêmes choses, il ne rappelle point les mêmes images. Toutes ses périodes remplissent l'oreille par leur nombre et leur cadence ; rien ne choque, point de mots durs, point de termes abstraits, ni de tours affectés. Il ne parle jamais pour parler, ni simplement pour plaire; toutes ses paroles

L'Abbé Terrasson.

font penser, et toutes ses pensées tendent à nous rendre bons.

Excellence des Peintures du Télémaque.

Les images de notre Poëte sont aussi parfaites que son style est harmonieux. Peindre, c'est non-seulement décrire les choses, mais en représenter les circonstances d'une manière si vive et si touchante, qu'on s'imagine les voir. L'auteur du Télémaque peint les passions avec art; il avoit étudié le cœur de l'homme, et en connoissoit tous les ressorts. En lisant son Poëme, on ne voit plus que ce qu'il fait voir, on n'entend plus que ce qu'il fait parler; il échauffe, il remue il entraîne; on sent

toutes les passions qu'il decrit.

Des Comparaisons et Descriptions du Télémaque.

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Les Poëtes se servent ordinairement de deux sortes de peintures, les comparaisons et les descriptions. Les comparaisons du Télémaque sont justes et nobles. L'auteur n'élève pas trop l'esprit au dessus de son sujet par des métaphores outrées; il ne l'embarrasse pas non plus par une trop grande foule d'images; il a imité tout ce qu'il y a de grand et de beau dans les descriptions des Anciens : les combats les jeux, les naufrages, les sacrifices, etc. sans s'étendre sur les minuties qui font languir la narration, sans rabaisser la majesté du Poëme Epique par la description des choses basses et au-dessous de la dignité de l'Ouvrage. Il descend quelquefois dans le détail, mais il ne dit rien qui ne mérite attention, et qui ne contribue à l'idée qu'il veut donner. Il suit la nature dans toutes ses variétés. Il savoit bien que tout discours doit avoir ses inégalités ; tantôt sublime, sans être guindé; tantôt naïf, sans être bas. C'est un faux goût de vouloir toujours embellir. Ses descriptions sont magnifiques, mais naturelles, simples, et cependant agréables. Il peint non-seulement d'après nature, mais ses tableaux sont toujours aimables. Il unit ensemble la variété du dessein, et la beauté du coloris, la vivacité d'Homère et la noblesse de Virgile, Ce n'est pas tout : les des

oriptions de ce Poëme sont non-seulement destinées plaire, mais elles sont toutes instructives. Si l'Auteur parle de vie pastorale, c'est pour recommander l'aimable simplicité des mœurs; s'il décrit des jeux et des combats, ce n'est pas seulement pour célébrer les funérailles d'un ami ou d'un père, c'est pour choisir un Roi qui surpasse tous les autres par la force de l'esprit et du corps, et qui soit également capable de soutenir les fatigues de l'un et de l'autre ; s'il nous présente les horreurs d'un naufrage, c'est pour inspirer à son Héros la fermeté de cœur et l'abandon aux Dieux dans les plus grands perils. Je pourrois parcourir toutes ces descriptions et y trouver de semblables beautés. Je me contenterai de remarquer que dans cette nouvelle édition, la peinture de la redoutable Egide que Minerve envoya à Télémaque est pleine d'art, et renferme cette morale sublime, que le bouclier d'un Prince et le soutien d'un Etat sont les bonnes mœurs, les sciences et l'agriculture; qu'un Roi armé par la sagesse cherche toujours la paix, et trouve des ressources fécondes contre tous les maux de la guerre dans un peuple instruit et laborieux, dont l'esprit et le corps sont également accoutumés au travail.

Philosophie du Télémaque.

La Poésie tire sa force et sa justesse de la Philosophie. Dans le Télémaque, on voit par-tout une imagination riche, vive, agréable, et néanmoins un esprit juste et profond. Ces deux qualités se rencontrent rarement dans un Auteur. Il faut que l'ame soit dans un mouvement presque continuel pour inventer , pour passionner, pour imiter, et en même temps dans une tranquillité parfaite pour juger en produisant, et choisir entre mille pensées qui se présentent, celle qui convient : il faut que l'imagination souffre une espèce de transport et d'enthousiasme, pendant que l'esprit paisible dans son empire, la retient et la tourne où il veut. Sans cette passion qui anime tout, les discours deviennent froids, languissans, abstraits, historiques. Sans ce jugement qui règle tout, ils sont sans justesse et sans vraie beauté.

Comparaison

Comparaison de la Poésie du Télémaque avec
Homère et Virgile.

Le feu d'Homère, sur-tout dans l'Iliade, est impétueux et ardent comme un tourbillon de flamme, qui embrase tout. Le feu de Virgile a plus de clarté que de chaleur ; il luit toujours uniment et également. Celui du Télémaque échauffe et éclaire tout ensemble, selon qu'il faut persuader ou passionner. Quand cette flamme éclaire, elle fait sentir une douce chaleur qui n'incommode point. Tels sont les discours de Mentor sur la politique, et de Télémaque, sur le sens des loix de Minos, etc. Ces idées pures remplissent l'esprit de leur paisible lumière. Là, l'enthousiasme et le feu poétique seroient nuisibles comme les rayons trop ardens du soleil qui éblouissent. Quand il n'est plus question de raisonner, mais d'agir; quand on a vu clairement la vérité ; quand les réflexions ne viennent que d'irrésolution, alors le Poëte excite un feu et une passion qui déterminent et qui emportent une ame affoiblie, qui n'a pas le courage de se rendre à la vérité. L'Episode des amours de Télémaque dans l'île de Calypso est plein de ce feu.

Ce mélange de lumière et d'ardeur distingue notre Poëte d'Homère et de Virgile. L'enthousiasme du premier lui fait quelquefois oublier l'art, négliger l'ordre, et passer les bornes de la nature. C'étoit la force et l'essor de son grand génie, qui l'entraînoient malgré lui. La pompeuse magnificence, le jugement et la conduite de Virgile, dégénérant quelquefois en une régularité trop compassée, où il semble plutôt Historien que Poëte, ce dernier plaît beaucoup plus aux Poëtes et Philosophes modernes, que le premier. N'est-ce pas parce qu'ils sentent qu'on peut imiter plus facilement par art le grand jugement du Poëte Latin, que le beau feu du Poëte Grec, que la Nature seule peut donner?

Notre Auteur doit plaire à toutes sortes de Poëtes, tant à ceux qui sont Philosophes, qu'à ceux qui n'admirent que l'enthousiasme. Il a uni les lumières de l'esprit avec les charmes de l'imagination; il prouve la vérité en Philosophe, il fait aimer la vérité prouvée par les sen

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