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fin de la nuit, avant que l'aurore vînt chasser du cial, par ses feux naissans, les inconstantes étoiles, et de dessus la terre le doux sommeil suivi des songes voltigeans. Tantôt il croyoit voir Ulysse nu dans une île fortunée, sur la rive d'un fleuve, dans une prairie ornée de fleurs, et environné de Nymphes qui lui jetoient des habits pour se couvrir : tantôt il croyoit l'entendre parler dans un palais tout éclatant d'or et d'ivoire, où des hommes couronnés de fleurs, l'écoutoient avec plaisir et admiration. Souvent Ulysse lui apparoissoit tout-à-coup dans des festins où la joje é latoit parmi les délices et où l'on entendoit les tendres accords d'une voix avec une lyre plus douce que la lyre d'Apollon et que les voix de toutes les Muses.

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Télémaque en s'éveillant, s'attristoit de ces songes si agréables. O mon père ! ô mon cher père Ulysse s'écrioit-il, les songes les plus affreux me seroient plus doux ! Ces images de félicité me font comprendre que vous êtes déjà descendu dans le séjour des ames bienheureuses, que les Dieux récompensent de leur vertu par une éternelle tran quillité. Je crois voir les Champs Elysées. O qu'il est cruel de n'espérer plus! Quoi donc, & mon cher père ! je ne vous verrai jamais! jamais je n'em brasserai celui qui m'aimoit tant, et que je cherche avec tant de peine! jamais je n'entendrai parler cette bouche d'où sortoit la sagesse ! jamais je ne baiserai ces mains, ces chères mains, ces mains victorieuses qui ont abattu tant d'ennemis ! elles ne puniront point les insensés amans de Pénélope, et Ithaque ne se relèvera jamais de sa ruine!

O Dieux ennemis de mon père ! vous m'envoyez ces songes funestes pour arracher toute espérance de mon cœur c'est m'arracher la vie. Non, je ne puis plus vivre dans cette incertitude. Que dis je, hélas ! je ne suis que trop certain que mon père n'est plus. Je vais chercher son ombre jusques dans les Enfers. Thésée (a) y est bien descendu; Thé

(a) Thésée, fils d'Egée, roi d'Athènes, descendit aux Enfers avec Pirithoüs, pour enlever Proserpine. Ky fut en

sée, cet impie, qui vouloit outrager les Divinités infernales: et moi, j'y vais conduit par la piété. Hercule y descendit. Je ne suis pas Hercule; mais il est beau d'oser l'imiter. Orphée (b) a bien touché par le récit de ses malheurs le cœur de ce Dieu qu'on dépeint comme inexorable : il obtint de lui qu'Eurydice retourneroit parmi les vivans. Je suis plus digne de compassion qu'Orphée; car ma perte est plus grande. Qui pourra comparer une jeune fille semblable à tant d'autres, avec le sage Ulysse admiré de toute la Grèce ? Allons, mourons, s'il le faut pourquoi craindre la mort, quand on souffre tant dans la vie? O Pluton ! & Proserpine! j'éprou verai bientôt si vous êtes aussi impitoyables qu'on le dit. O mon père ! après avoir parcouru en vain les terres et les mers pour vous trouver, je vais voir si vous n'êtes point dans les sombres demeures des morts. Si les Dieux me refusent de vous posséd er sur la terre, et de jouir de la lumière du soleil, peut-être ne me refuseront-ils pas de voir au moins votre ombre dans le royaume de la Nuit. En disant ces paroles, Télémaque arrosoit son lit de ses larmes. Aussitôt il se levoit, et cherchoit par la lumière à soulager la douleur cuisante que ses songes lui avoient causée; mais c'étoit une flèche qui avoit percé son coeur, et qu'il portoit par-tout avec lui. Dans cette peine il entreprit de descendre aux Enfers par un lieu célèbre, qui n'étoit pas éloigné du camp. On l'appeloit Acherontia (c) à cause qu'il y avoit en ce lieu une caverne affreuse de laquelle on descendoit sur les rives de l'Achéron, par lequel les Dieux même craignent de jurer. Chaîné par l'ordre de Pluton, jusqu'à ce qu'Hercule le vînt délivrer.

(b) Orphée descendit aux Enfers pour enlever sa femme Eurydice il l'en auroit retirée, s'il ne l'eût regardée trop tôt, contre le commandement de Proserpine.

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(c) Acherontia etoit une ville de la Pouille, située sur une montagne à l'extrémité de l'Italie. Au pied de cette montagne est une caverne où le fleuve Acheron se précipite avec tant d'impétuosité, que les poêtes ont appelé ce lieu une entrée de l'Enfer. C'est par là qu'Heroule y descendit, et qu'il en tira le Cerbère,

La ville étoit sur un rocher, posée comme un nid sur le haut d'un arbre. Au pied de ce rocher on trouvoit la caverne de laquelle les timides mortels n'osoient approcher. Les bergers avoient soin d'en détourner leurs troupeaux. La vapeur soufrée du marais stygien, qui s'exhaloit sans cesse par cette ouverture, empestoit l'air. Tout autour il ne croissoit ni herbes ni fleurs; on n'y sentoit jamais les doux zéphirs, ni les grâces naissantes du printemps, ni les riches dons de l'automne : la terre aride y languissoit; on y voyoit seulement quelques arbustes dépouillés et quelques cyprès funestes. Au loin même, tout à l'entour, Cérès refusoit aux laboureurs ses moissons dorées. Bacchus sembloit en vain

y promettre ses doux fruits : les grappes de raisin

se desséchoient au lieu de mûrir. Les Naïades tristes ne faisoient point couler une onde pure: leurs Alots étoient toujours amers ettroubles. Les oiseaux ne chantoient jamais dans cette terre hérissée de ronces et d'épines, et n'y trouvoient aucun bocage pour se retirer : ils alloient chanter leurs amours sous un ciel plus doux. Là on n'entendoit que le croassement des corbeaux et la voix lugubre des. hiboux. L'herbe même y étoit amère, et les troupeaux qui la paissoient, ne sentoient point la douce joie qui les fait bondir. Le taureau fuyoit la gé nisse, et le berger tout abattu oublioit sa musette et sa flûte.

De cette caverne sortoit de temps en temps une fumée noire et épaisse, qui faisoit une espèce de nuit au milieu du jour. Les peuples voisins redoubloient alors leurs sacrifices pour apaiser les Di. vinités infernales; mais souvent les hommes à la fleur de leur âge et dès leur plus tendre jeunesse, étoient les seules victimes que ces Divinités cruelles prenoient plaisir à immoler par une funeste contagion

C'est là que Télémaque résolut de chercher le chemin de la sombre demeure de Pluton. Minerve qui veilloit sans cesse sur lui, et qui le couvroit de son égide, lui avoit rendu Pluton favorable. Jupi

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ter même, à la prière de Minerve, avoit ordonné à Mercure, qui descend chaque jour aux Enfers pour livrer à Caron un certain nombre de morts, de dire au roi des ombres qu'il laissât entrer le fils d'Ulysse dans son empire.

Télémaqué se dérobe du camp pendant la nuit ! if marche à la clarté de la lune, etil invoque cette puissante Divinité, qui étant dans le ciel Fastre brillant de la nuit, et sur la terre la chaste Diane, est aux Enfers la redoutable Hécate. Cette Divinité écouta favorablement ses vœux, parce que son cœur étoit pur, et qu'il étoit conduit par l'amour pieux qu'un fils doit à son père.

A peine fut-if auprès de l'entrée de la caverne, qu'il entendit l'empire souterrain mugir. Laterre frembloit sous ses pas; le ciel s'arma d'éclairs et de feux qui sembloient tomber sur la terre. Le jeune fils d'Ulysse sentit son cœur ému, et tout son corps étoit couvert d'une sueur glacée; mais son courage le soutint; il leva les yeux et les mains au ciel : Grands Dieux! s'écria-t-il, j'accepte ces présages que je crois heureux; achevez votre ouvrage. Il dit, et redoublant ses pas, il se présenta hardiment!

Aussitôt la fumée épaisse, qui rendoit l'entrée de la caverne funeste à tous les animaux des qu'ils en approchoient, se dissipa, l'odeur empoisonnée céssa pour un peu de temps. Télémaque entrà seul; car quel autre mortel eût osé le suivre? Deux Crétois qui l'avoient accompagné jusqu'à une certaine distance de la caverne, et auxquels il avoit confiéson dessein, demeurerent tremblans et à demi-morts assez loin de là, dans un temple, faisant des vœux, et n'espérant plus de revoir Télémaque.

Cependant le fils d'Ulysse, l'épée à la main, s'en fonce dans ces ténèbres horribles. Bientôt il aperçoit une foible et sombre lueur, telle qu'on la voit pendant la nuit sur la terre: il remarque les om bres légères qui voltigent autour de lui; il les écarte avec son épée; ensuite il voit les tristes bords du fleuve marécageux, dont les eaux bour beuses et dormantes ne font que tournoyer : il dé

couvre

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