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comme un serpent, sous les fleurs. Craignez ce poison caché. Défiez-vous de vous – même, el attendez toujours mes conseils.

Ensuite, ils retournèrent auprès de Calypso, qui les attendoit. Les Nymphes, avec leurs cheveux tressés et des habits blancs, servirent d'abord un repas simple, mais exquis pour le goût et pour la propreté. On n'y voyoit aucune autre viande que celle des oiseaux qu'elles avoient pris dans des filets, ou des bêtes qu'elles avoient percées de leurs flèches à la chasse. Un vin plus doux que le nectar, couloit des grands vases d'argent dans les tasses d'or couronnées de fleurs. On apporta dans des corbeilles tous les fruits que le printemps promet, et que l'automne répand sur la terre. En même temps, quatre jeunes Nymphes se mirent à chanter. D'abord, elles chantèrent les combats des Dieux contre les géans, puis les amours de Jupiter et de Sémélé, la naissance de Bacchus, et son éducation conduite par le vieux Silène ; la course d'Atalante et d'Hippomène, qui fut vainqueur par le moyen des pommes d'or cueillies dans le jardin des Hesperides. Enfin, la guerre de Troie fut aussi chantée; les combats d'Ulysse et sa sagesse furent élevés jusqu'aux cieux. La première des Nymphes, qui s'appeloit Leucothoé, joignit les accords de sa fyre aux douces voix de toutes les autres. Quand Télémaque entendit le nom de son père, les larmes qui coulèrent le long de ses joues, donnèrent un nouveau lustre à sa beauté. Mais comme Calypso aperçut qu'il ne pouvoit manger, et qu'il étoit saisi de douleur, elle hit signe aux Nymphes. A l'instant, on chanta le combat des Centaures avec les Lapithes, et la descente d'Orphée aux Enfers, pour en retirer sa chère Eurydice.

Quand le repas fut fini, la Déesse prit Téléma que, et lui parla ainsi : Vous voyez, fils du grand Ulysse, avec quelle faveur je vous reçois. Je suis immortelle. Nul mortel ne peut entrer dans celte ile, sans être puni de sa témérité; et votre naufrage même ne vous garantiroit pas de mon indigna

tion, si d'ailleurs je ne vous aimois. Votre père a eu le même bonheur que vous; mais, hélas ! il n'a pas su en profiter. Je l'ai gardé long-temps dans cette île il n'a tenu qu'à lui d'y vivre avec moi dans un état immortel. Mais l'aveugle passion de retourner dans sa misérable patrie, lui fit rejeter tous ces avantages (e). Vous voyez tout ce qu'il a perdu pour Ithaque, qu'il ne reverra jamais. Il voulut me quitter, il partit, et je fus vengée par la tempête. Son vaisseau, après avoir été longtemps le jouet des vents, fut enseveli dans les ondes. Profitez d'un si triste exemple. Après son naufrage, vous n'avez plus rien à espérer, ni pour le revoir, ni pour régner jamais dans l'ile d'Ithaque après lui. Consolez-vous de l'avoir perdu, puisque vous trouvez une Divinité prête à vous rendre heureux, et un royaume qu'elle vous offre. La Déesse ajouta à ces paroles de longs discours, pour montrer combien Ulysse avoit été heureux auprès d'elle. Elle raconta ses aventures dans la caverne du Cyclope Polyphème (f), et chez Antiphatès, roi des Lestrigons (g). Elle n'oublia pas ce qui lui étoit arrivé dans l'île de Circé, fille du Soleil (h), et

(e) La cause de son impatience étoit son amour pour sa femme Pénélope, dont l'image l'occupoit nuit et jour. 11 l'aimoit si éperdument, qu'il contretit l'insensé pour ne pas aller au siége de Troie; mais sa ruse fut découverte.

(f) On peut voir dans le Livre IX de l'Odyssée la description de cette caverne qui étoit dans la Sicile; comment Ulysse et ses compagnons s'y trouvèrent enfermés ; de quelle manière ils crevèrent l'œil au géant Polyphème, après avoir lié ses forces par le vin ; et comme ils en sortirent, en se liant eux-mêmes sous le ventre des plus forts beliers de son troupeau. Odyssée, Liv. IX.

(g) Les Lestrigons faisoient leur demeure dans la ville de Camus, anciennement Formies, sur la côte de la Campanie. On croit qu'ils avoient auparavant habité la Sicile. Leur Ho signine Dévorateur, étant tiré de lahama, qui veut dire dévorer. Ulysse perdit chez eux quelques-uns de ses compagnons qui furent dévorés par ces peuples. Ibid. Liv. X.

(h) L'ile de Circé s'appeloit aa, ou Circei, qui est nne montagne fort voisine de Formies. Homère l'appelle une île, parce que la mer et les marais qui l'environnent en font une presqu'îie. Les compagnons d'Ulysse y furent changés en pourceanx. Ibid. Liv. XII.

les dangers qu'il avoit courus entre Scylle et Charybde (i). Elle représenta la dernière tempête que Neptune avoit excitée contre lui, quand il partit d'auprès d'elle. Elle voulut faire entendre qu'il étoit péri dans ce naufrage, et elle supprima son arrivée dans l'île des Phéaciens (k).

Télémaque, qui s'étoit d'abord abandonné trop promptement à la joie d'être si bien traité de Calypso, reconnut enfin son artifice, et la sagesse des conseils que Mentor venoit de lui donner. Il répondit en peu de mots: 0 Déesse! pardonnez à ma douleur; maintenant je ne puis que m'affliger. Peutêtre que dans la suite j'aurai plus de force pour goûter la fortune que vous m'offrez, Laissez-moi en ce moment pleurer mon père. Vous savez mieux que moi, combien il mérite d'être pleuré.

Calypso n'osa d'abord le presser davantage; elle feignit même d'entrer dans sa douleur, et de s'attendrir pour Ulysse. Mais, pour mieux connoître les moyens de toucher le cœur du jeune homme, elle lui demanda comment il avoit fait naufrage, et par quelles aventures il étoit sur ses côtes. Le récit de mes malheurs, dit-il, seroit trop long. Non, non, répondit-elle, il me tarde de les savoir; hâtez-vous de me les raconter. Elle le pressa long-temps. Enfin il ne put lui résister, et il lui parla ainsi :

J'étois parti d'Ithaque pour aller demander aux autres rois, revenus du siége de Troie, des nouvelles de mon père. Les amans de ma mère Pénélope furent surpris de mon départ (1). J'avois

(i) Scylle et Charybde sont deux roches placées à l'entrée du détroit de la Sicile, du côté du Pélore: la première sur la cóte d'Italie, et la deuxième sur celle de Sicile. C'étoient anciennement des écueils fort dangereux, à cause de la qualité des vaisseaux qu'on avoit alors; mais on s'en moque aujour d'hui, que la navigation est beaucoup plus perfectionnée. Ulysse y perdit encore de ses compagnons. Ibid.

(k) L'ile des Phéaciens est Corcyre, ou Corfou, appelée anciennement Schérie. Elle est vis-à-vis du continent d'Epire. Les Pheniciens l'avoient nommée Schérie, de Schara, qui signifie lieu de négoce.

(1) L'extrême beaute de Pénélope avt attiré auprès d'elle

pris soin de le leur cacher, connoissant leur perfidie. Nestor (m), que je vis à Pylos, ni Ménélas (n), qui me reçut avec amitié dans Lacédémone, ne purent m'apprendre si mon père étoit encore en vie. Lassé de vivre toujours en suspens et dans l'incertitude, je me résolus d'aller dans la Sicile, où j'avois ouï dire que mon père avoit été jeté par les vents. Mais le sage Mentor, que vous voyez ici présent, s'opposoit à ce téméraire dessein. Il me représentoit, d'un côté, les Cyclopes, géans monstrueux, qui dévorent les hommes; de l'autre, la flotte d'Enée et des Troyens qui étoient sur ces côtes. Ces Troyens, disoit-il, sont animés contre tous les Grecs; mais sur-tout, ils répandroient avec plaisir le sang du fils d'Ulysse. Retournez, continuoit-il, en Ithaque, peut-être que votre père, aimé des Dieux, y ser a aussitôt que vous. Mais, si les Dieux ont résolu sa perte, s'il ne doit jamais revoir sa patrie, du moins il faut que vous alliez le venger, délivrer votre mère, montrer votre sagesse à tous les peuples, et faire voir en vous à toute la Grèce un roi aussi digne de régner, que le fut jamais Ulysse lui-même. Ces paroles étoient salutaires; mais je n'étois pas assez prudent pour les écouter: je n'écoutai que ma passion. Le sage Mentor m'aima jusqu'à me suivre dans un voyage téméraire que j'entreprenois contre ses conseils, et les Dieux permirent que je fisse une faute qui devoit servir à me guérir de ma présomption.

Pendant que Télémaque parloit, Calypso regardoit Mentor. Elle étoit étonnée; elle croyoit sentir en lui quelque chose de divin; mais elle ne pouvoit démêler ses pensées confuses. Ainsi, elle demeuroit pleine de crainte et de défiance à la vue

plusieurs princes, qui prétendoient l'épouser > croyant Ulysse mort.

(m) Nestor, fils de Nélée et de Chloride, fut un des rois qui allèrent au siége de Troie. Il y mena une flotte de quatre-vingt-dix vaisseaux.

(n) Ménélas étoit fils d'Atrée et d'Erope. Il avoit épousé Hélène, fille de Jupiter et de Léda, dont l'enlèvement fut cause de la guerre de Troie.

de cet inconnu. Alors, elle appréhenda de laisser voir son trouble. Continuez, dit-elle à Télémaque, et satisfaites ma curiosité. Télémaque reprit ainsi :

Nous eûmes assez long-temps un vent favorable pour aller en Sicile; mais ensuite une noire tempête déroba le ciel à nos yeux, et nous fûmes enveloppés dans une profonde nuit. A la lueur des éclairs, nous aperçumes d'autres vaisseaux exposés au même péril, et nous reconnûmes bientôt que c'étoient les vaisseaux d'Enée. Ils n'étoient pas moins à craindre pour nous que les rochers. Alors je compris, mais trop tard, ce que l'ardeur d'une jeu nesse imprudente n'avoit empêché de considérer attentivement. Mentor parut dans ce danger, nonseulement ferme et intrépide, mais encore plus gai qu'à l'ordinaire. C'étoit lui qui m'encourageoit. Je sentois qu'il m'inspiroit une force invincible. Il don noit tranquillement tous les ordres, pendant que pilote étoit troublé. Je lui disois : Mon cher Mentor, pourquoi ai-je refusé de suivre vos conseils? Ne suis-je pas malheureux d'avoir voulu me croire moi-même dans un âge où l'on n'a ni la prévoyance de l'avenir, ni l'expérience du passé, ni la modération pour ménager le présent? Oh! si jamais nous échappons de cette tempête, je me défierai de noimême comme de mon plus cruel ennemi. C'est vous, Mentor, que je croirai toujours.

le

Mentor, en souriant, me répondit: Je n'ai garde de vous reprocher la faute que vous avez faite. Il suffit que vous la sentiez, et qu'elle vous serve à être une autre fois plus modéré dans vos désirs; mais quand le péril sera passé, la présomption reviendra peut-être. Maintenant, il faut se soutenir par le courage. Avant que de se jeter dans le péril, il faut le prévoir et le craindre; mais quand on y est, il ne reste plus qu'à le mépriser. Soyez donc le digne fils d'Ulysse; montrez un cœur plus grand que tous les maux qui vous menacent.

La douceur et le courage du sage Mentor me charmèrent; mais je fus encore bien plus surpris,

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