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velles, et le gouvernement bourguignon, et le peuple, s'étaient trompés. Le fléau qu'on s'attendait à voir fondre sur la vallée de la Saône ne se détourna pas de la ligne des Pyrénées.

En fait de souffrances causées par les gens-d'armes, le Haut-Languedoc n'avait rien vu encore qui fût comparable à ce qu'il endura au commencement de 1439, après que les corps expéditionnaires du Roussillon eurent renoncé à poursuivre plus loin leur entreprise; car le Haut-Languedoc fut la contrée sur laquelle toutes les bandes s'abattirent à la fois. Le roi étant attendu à Montpellier, d'où il devait se rendre au Puy pour tenir les États de la province, il n'aurait pas été prudent d'aller s'établir dans la sénéchaussée de Nîmes; et d'autre part Rodrigue, en vertu d'un traité récemment ménagé par le comte d'Armagnac entre lui et le consulat de Rodez, venait de s'interdire à tout jamais l'entrée du Rouergue 1. Telle est la cause du concert avec lequel fut entrepris le rançonnement des hautes terres du Languedoc.

Le soin des capitaines fut de se poster aussi près que possible des grandes villes.

Le comte Rodrigue, pour sa part, jeta son dévolu sur Toulouse. Maître de Villemur sur le Tarn, de Bouzelle

capellanos ecclesie, et alios familiares, qui petierunt arma portare et se deffendere contra excoriatores, si opus sit (16 mars 143 8/9). Hodie fuerunt deputati capitanei pro gentibus capituli, ad deffensionem ville contra excoriatores, Orlant et Gazel » (18 mars). Extraits du registre 2 des délibérations du chapitre métropolitain de Besançon, communiqués M. A. Castan.

par

1 Ci-après, Pièces justificatives, no Lxv.

sur la Garonne, et de plusieurs autres postes commandant les grandes voies de communication, il étreignit cette capitale au point que, pendant plusieurs semaines, elle ne reçut rien, ni vivres, ni marchandises, sur quoi les routiers n'eussent prélevé l'impôt1. Et cela eut lieu lorsque la disette durait encore, et sans préjudice des chevauchées qui foulaient la campagne, ni des feux qui la dévoraient, ni des ravages exercés autour d'Albi et de Carcassonne par les autres compagnies, ni des horreurs dont le Comminges n'avait pas cessé d'être le théâtre, ni enfin des pointes que faisaient continuellement sur le Languedoc les défenseurs des places frontières de la Guienne.

Le roi fut d'autant plus désespéré de cette universelle dévastation, qu'il avait cru la prévenir en se transportant lui-même en Languedoc pendant l'hiver, et qu'afin d'encourager les capitaines, Rodrigue avant tous les autres, à vivre sans opprimer le peuple, il venait de leur faire voter de l'argent par les États particuliers de toutes les provinces du midi 2. Ne sachant plus à quel parti recourir, il envoya à Toulouse les meilleures têtes de son conseil, avec charge de tout faire en vue d'une prompte pacification.

Ces commissaires commencèrent par ménager entre les capitouls et les chefs de routiers un accord qui rendit à Toulouse la liberté de ses communications. La retraite de Rodrigue était achetée deux mille écus d'or

1 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 492; Pièces justificatives, ci-après, no LxvI.

2

Ci-après, Pièces justificatives, no LXVIII et LXXIII.

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et celle du bâtard de Bourbon mille écus, outre les cadeaux offerts aux officiers de ces deux seigneurs, et les faux frais1. Mais ce traité ne rétablissait la sécurité publique qu'autant que la pacification s'étendrait au Comminges, car il y avait là, les choses restant en l'état où elles étaient, un champ de manoeuvres tout prêt pour les compagnies, qui n'auraient pas manqué de s'y transporter en masse, au grand péril de la sénéchaussée de Toulouse. C'est pourquoi les commissaires du roi employèrent une partie de leurs efforts à faire cesser la guerre qui désolait ce pays.

Ils y parvinrent en induisant les États du Comminges à déférer à l'arbitrage de Charles VII le différend si compliqué d'où cette guerre était sortie. Les hostilités une fois suspendues, il fut possible d'amener le comte de Ribadeo à s'entendre avec le comte de Comminges pour l'abandon des places dont les Rodrigais s'étaient rendus maîtres l'année d'avant. Ce fut, comme toujours, une affaire d'argent. On convint que les fonds seraient fournis par le comte de Foix, neveu du comte de Comminges. Comme la somme était forte, il n'en fut payé comptant qu'une partie, le reste devant être acquitté à diverses échéances.

L'oncle et le neveu ne s'en tinrent pas là. Leur maison avait contre le castillan de vieux griefs dont ils voulurent que la trace fût à jamais effacée, et à cette fin

1 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 492; ci-après, Pièces justificatives, n° LXVII, LXX, LXXI, LXXII.

2 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 493.

3 Miguel del Verms, Chroniques béarnaises, p. 596.

ils conclurent avec lui un pacte par lequel ils se promirent assistance mutuelle. Rodrigue se fit leur allié et leur serviteur moyennant une pension qu'il recevrait d'eux, et tous les trois validèrent par les serments les plus solennels les engagements qu'ils prenaient vis-à-vis l'un de l'autre1.

Restait la question de savoir ce que l'on ferait des gens-d'armes aussi bien que des capitaines mis en disponibilité par ces arrangements. Cette partie de la tâche revint au dauphin que le roi envoya sur les lieux, investi des pouvoirs de lieutenant-général et entouré d'une escorte de sages conseillers.

Le dauphin, qui fut plus tard Louis XI, n'avait encore que seize ans, mais il valait déjà mieux que bien des hommes mûrs pour décevoir les gens par des paroles artificieuses, pour dorer aux yeux des plus fins les marchés désavantageux, pour diviser les plus unis de manière à ne pas les laisser deux ensemble. Son habileté précoce, étonnamment secondée par l'imprévu des' évènements, le rendit maître en un clin d'œil de la situation.

Au moment de son arrivée à Toulouse, Rodrigue avait dans son camp l'archidiacre de Cuença, qui venait de par le roi don Juan pour l'emmener en Castille avec tout ce qu'il pourrait réunir de combattants; et cette injonction, rendue dans les termes les plus pressants, ne comportait ni excuse ni délai, attendu que l'opposition des grands avait dégénéré en guerre civile, et

1 Ci-après, Pièces justificatives, no LXIX.

que dix mille hommes demandaient, la lance au poing, la perte d'Alvaro de Luna'. Aussi le comte de Ribadeo se mit-il immédiatement à faire ses préparatifs de départ.

Par là se trouva levé le principal obstacle. On allait être délivré, au moins pour un temps, de la plus redoutable des bandes et du capitaine dont l'exemple était pour tous les autres un encouragement pernicieux. Le dauphin, en homme qui sait tirer parti des circonstances, profita du désarroi où la retraite de Rodrigue mettait ce monde de routiers pour agir sur les chefs des compagnies, faire renoncer les uns à leur commandement en les attachant à sa personne, enchaîner les autres au service du roi en les soumettant à une régularité qu'ils n'avaient jamais connue. Ainsi il fit Poton de Xaintrailles son premier écuyer de corps, et capitaines d'ordonnance le bâtard de Béarn et le bâtard d'Armagnac, deux des aventuriers qui étaient entrés en Guienne avec le bâtard de Bourbon. Quant à ce bâtard lui-même, il semble qu'il ait jugé à propos de disparaître pour quelque temps en faisant courir le bruit de sa mort; car sa compagnie, éconduite à prix d'argent, fut désignée, dans la répartition des fonds qu'elle reçut, comme « compagnie du feu bâtard de Bourbon3. » Il est prouvé cependant que Gui de Bourbon ne mourut qu'en 14413.

1 Fernan Perez de Guzman, Cronica del rey d. Juan el II, p. 396. 2 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 492 du texte, et 454 des preuves.

5 Histoire généalogique de la maison de France, t. I, p. 304; ciaprès, Pièces justificatives, n° xiv.

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