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un document de l'époque asturienne: Alphonse s'intitule Hispaniae rex, comme le feront les souverains castillans du xie et du XIIe siècle; l'évêque de Compostelle, Sisnando, est qualifié d'archevêque 2, alors que le premier archevêque, de Compostelle fut Diego Gelmirez (à partir du 25 juillet 11203); de plus, contrairement à l'usage, la date est exprimée, non d'après l'ère espagnole, mais d'après l'année de l'Incarnation,, l'indiction étant par surcroît mentionnée 4. En second lieu, tout à la fin du document, et en réponse à une double demande des chanoines de Saint-Martin, le roi identifie l'Apôtre dont le culte était célébré en Galice soit saint Jacques Zébédée, - et il détermine la position occupée par le tombeau du saint. Or, toute cette fin de lettre est apparentée de façon étroite non seulement avec la première rédaction de la lettre apocryphe, relative à saint Jacques et attribuée au pape saint Léon, mais encore avec la deuxième rédaction de ce dernier document 5. Comme l'auteur de la première rédaction, Alphonse III se sert des mots manu Domini gubernante

1. Est-il besoin de redire ce que nul n'ignore, à savoir qu'au temps d'Alphonse III, le terme Spania ou Hispania désigne l'Espagne musulmane ?

2. Noter que le terme d'archevêque se trouve une autre fois dans la lettre du roi Alphonse : « et veridicae nostrorum archiepiscoporum epistolae » (López Ferreiro, op. cit., II, app., p. 59).

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3. Cf. Florez, Esp. Sagr., XIX, p. 267; López Ferreiro, Hist. de la iglesia de Santiago, III (1900), p. 528.

4. In hoc anno qui est incarnatione Domini DCCCCVI, indictione VIIII. » Ces deux éléments chronologiques concordent d'ailleurs : l'indiction 9 correspond bien à l'année 906.

5. Sur les trois rédactions de la lettre du Pseudo-Léon, cf. L. Duchesne, Saint Jacques en Galice, dans Annales du Midi, XII (1900), pp. 167-172; voir aux pp. 168-169 le texte des deux premières rédactions disposé sur deux colonnes, les particularités de chaque rédaction étant imprimées en italiques.

6. Mgr Duchesne, loc. cit., p. 171, n. 1, a remarqué, à propos d'un autre document, que les termes : « navigio manu Domini gubernante » sont caractéristiques de la première rédaction..

et in locum qui dicitur Bioria; comme l'auteur de la deuxième, il dit Jacobus Zebedei, et non pas Jacobus tout court; il note que saint Jacques fut décapité sur l'ordre d'Hérode et cite nommément les deux rivières galiciennes appelées l'Ulla et le Sar 2.

De ces deux séries d'arguments, laquelle l'emportera?

Dans l'hypothèse de l'authenticité absolue, les formules insolites que nous avons relevées ne s'expliquent pas 3, et les rapports avec la lettre du Pseudo-Léon ne s'expliquent pas davantage. Dans l'hypothèse de la falsification totale, un point reste obscur. La Pancarte noire avait été compilée entre 1132 et 11375; le titre d'archevêque de Compostelle n'apparaît -nous l'avons vu qu'en 1120 peut-on légitimement admettre qu'au début du XIIe siècle, on se souvenait

I. L'expression ab Herode decollatus est est répétée deux fois, à quelques lignes d'intervalle. Or, dit Mgr Duchesne, loc. cit., p. 171, n. I, « le terme decollatus est propre à la deuxième rédaction ».

2. La deuxième rédaction de la lettre attribuée à saint Léon porte: <«< inter illa rathe et Sare », tandis que la lettre d'Alphonse porte: « Voliam et Sarem ». Mais il y a, de toute évidence, une erreur de graphie dans le premier de ces deux documents; cf. F. Fita et A. Fernández-Guerra, Recuerdos de un viage á Santiago de Galicia (Madrid, 1880, in-4°), p. 120, note b.

3. Cuypers, loc. cit., p. 18, supposait que le mot archevêque et la date avaient été interpolés; en ce cas, la formule Hispaniae rex serait, elle aussi, une interpolation, et il y aurait donc eu, à Saint-Martin, un scribe assez au courant des choses d'Espagne pour substituer tardivement aux leçons de l'original les leçons Hispaniae rex et archiepiscopus, mais assez maladroit pour changer la date. M. López

Ferreiro, op. cit., p. 205, n. 2, rejetant l'opinion de Cuypers, pense que la chancellerie asturienne, par une sorte de politesse diplomatique, aurait employé, au xe siècle, des formules alors en usage dans le pays des destinataires. Cela n'est pas défendable.

4. Le P. Fita et Fernández-Guerra, op. cit., p. 121, ont bien vu que la lettre d'Alphonse renferme deux passages qui sont en corrélation étroite avec la lettre du Pseudo-Léon (dont ils ne connaissaient que les deuxième et troisième rédactions); mais ils n'ont tiré aucun parti de cette remarque.

5. Cf. Mabille, La Pancarte noire, loc. cit., p. 334 (voir aussi p. 330).

encore en Espagne et de l'incendie de Saint-Martin en 903, et de la vente de la couronne impériale, et du comte de Bordeaux Amauguin ? Peut-on prétendre, d'autre part, que les chanoines de Saint-Martin auraient eu, au XIIe siècle, un intérêt quelconque à fabriquer pareil document, lequel ne comporte, semble-t-il, aucune allusion à un événement contemporain ?

Il paraît difficile de sortir de cet imbroglio. Un fait est hors de doute c'est que la lettre d'Alphonse III a été écrite postérieurement à la deuxième rédaction de la lettre attribuée à saint Léon, et n'a aucun point de contact avec la troisième 1. Un autre fait est probable : c'est que, sous sa forme actuelle, la lettre d'Alphonse est postérieure à 1120. Mais pour trancher définitivement la question, trois éléments de critique nous manquent. D'abord, nous n'avons pas l' « original » utilisé par le compilateur de la Pancarte noire, et nous n'avons même aucun renseignement à son sujet 2. Ensuite, nous ne pouvons, présentement, dater avec certitude la deuxième rédaction de la lettre du Pseudo-Léon 3. Enfin, nous connaissons très mal les relations de Saint-Martin avec Compostelle 4, et, par

1. Voir dans Florez, Esp. Sagr., III, pp. 407-408, le texte de cette troisième rédaction, laquelle « n'a vraiment de commun avec les pré« cédentes que l'intention, le plan général et le nom de l'auteur sup« posé» (Duchesne, loc. cit., p. 170).

2. Baluze ne l'avait pas vu, comme le croyait Cuypers, loc. cit., p. 18; il n'avait examiné que la copie de la Pancarte noire; cf. ses Miscellanea, VII, p. 61 : « Ego verò eas [litteras] vidi in chartulario « Ecclesiae sancti Martini Turonensis. >>

3. La première rédaction est de la fin du ixe siècle (Duchesne, loc. cit., p. 178); la troisième se place peut-être à la fin du xie (vers 1077); de toutes manières, elle est antérieure à 1139 (ibid., pp. 171-172).

4. L'abbé Vaucelle, op. cit., ne nous apprend presque rien à ce sujet; il dit simplement, pp. 220-221, que Saint-Martin était, au début du XIIIe siècle, en union de prières avec Saint-Jacques, et p. 222, que la fraternité de ces deux établissements « existait dès le xe siècle ». Cette dernière assertion, qui n'est pas accompagnée de référence, repose évidemment sur la lettre d'Alphonse III. Quant aux rela

suite, il nous faut renoncer à déterminer les mobiles auxquels aurait obéi un faussaire. Une conjecture cependant. Peutêtre s'était-il produit, entre Tours et Compostelle, des échanges et communications réciproques de documents 1. La collégiale de Saint-Martin fut ravagée en 1096 par un incendie 2. Ne serait-ce pas d'après des pièces conservées en Galice, que la lettre d'Alphonse III aurait été reconstituée, aux alentours de l'année 1120 ?

II. LES CONCILES D'OVIEDO 3.

On possède les actes de deux conciles qui se seraient tenus à Oviedo l'un sous le règne d'Alphonse II, en 821 ; l'autre

tions de Saint-Martin de Tours avec d'autres villes de Galice, Orense, par exemple, nous n'avons pas à nous en préoccuper ici, puisque la lettre d'Alphonse III n'intéresse pas d'autre église galicienne que Saint-Jacques. Remarquer, à ce propos, un lapsus de M. Murguía, Galicia (Barcelona, 1888, in-8o), p. 906, n. 3: cet auteur déclare que la lettre d'Alphonse mentionnerait la fraternité de Tours et d'Orense, et, de plus, affirmerait l'existence, à Orense, de reliques de saint Martin; malgré la citation produite, le document allégué ne contient rien de tel.

1. La lettre d'Alphonse III fait allusion à des échanges possibles ; le roi demande des textes sur saint Martin et offre en retour d'autres documents, dont les Vitae Patrum Emeritensium, « quae ut rememor « in archivis vestris non habentur » (López Ferreiro, op. cit., II, app., p. 59). La locution ut rememor est pour le moins singulière.

2. Voir les Annales de Vendôme, a. 1096, dans L. Halphen, Recueil d'annales angevines et vendômoises (Paris, 1903, in-8°), p. 67; cf. les autres textes cités ibid., n. 4.

3. Sur cette question si controversée, et que nous examinerons aussi brièvement que possible, voir notamment : Noguera, Ensayo cronológico, dans Mariana, Hist. de España, éd. de Valence, III (1787), PP. 449-459; Risco, Esp. Sagr., XXXVII (1789), pp. 166-193 et 227254, qui se prononce contre Noguera et en faveur de l'authenticité ; V. de la Fuente, Historia eclesiástica de España, 2o éd., III (1873), pp. 122-127 et 136-139, et Gams, Die Kirchengeschichte von Spanien, II, 2 (1874), PP. 347-349 et 397-399, qui se prononcent contre Risco et

sous le règne d'Alphonse III, onze mois après la dédicace de l'église de Compostelle, soit en l'an 900 1. Les actes du premier concile avaient été transcrits par les soins de l'évêque Pêlage 1o dans le recueil, aujourd'hui perdu, que l'on appelle l'Ovetensis; 2o dans le cartulaire dit Libro gótico 2. Les actes du second concile avaient été insérés, toujours par les soins de Pélage, dans la recension de la Chronique de Sampiro que nous ont transmise le Liber Chronicorum, et son dérivé, le Tumbo negro de Santiago 3.

A) Ces deux conciles présentent d'étranges ressemblances. Tous deux ont même objet: en 821, comme en l'an 900, les évêques du royaume se rassemblent pour ériger l'église d'Oviedo en métropole, et pour se voir assigner les rentes nécessaires à leur subsistance, en certaines circonstances bien détermi

l'authenticité; enfin F. Fita, Concilio Ovetense del año ¿ 900? Texto inédito, dans Bol. de la R. Acad. de la Hist., XXXVIII (1901), pp. 113133, lequel tente de réagir contre l'opinion de La Fuente et de Gams. 1. Pour le premier concile, que Risco, loc. cit., p. 176 (cf. p. 181), place en 811, nous adoptons la date du Libro gótico, cité plus bas; pour le second concile, la date qui s'impose d'elle-même, la dédicace de l'église de Compostelle étant du 6 mai 899 (Cat., nos 55 et 56). Au surplus, ces dates qui ont été fixées de maintes façons différentes, sont sans importance aucune.

2. Sur la copie de l'Ovetensis, cf. Revue des Bibliothèques, XXIV (1914), p. 213; sur celle du Libro gótico, fol. 3 v, voir Vigil, Asturias, p. 56, A 7a. A défaut d'une édition critique on consultera: 1o celle de Carvallo, Antigüedades... del principado de Asturias (Madrid, 1695, in-fol.), pp. 168-171, qui a le mérite de reproduire tant bien que mal le texte du Libro gótico; 2o celle d'Aguirre, Collectio maxima conciliorum Hispaniae, III (Romae, 1694, in-fol.), pp. 158-160, et 2o éd., IV (Romae, 1754), PP. 359-361, laquelle repose sur le Libro gótica et une copie conservée à Tolède ; 3o celle du P. Fita, loc. cit., pp. 114120, laquelle reproduit la copie tolédane qui se trouve au t. II de la collection Perez, cette copie étant d'ailleurs tronquée par rapport à celle du Libro gótico. Quant à l'édition de Risco, Esp. Sagr., XXXVII, pp. 295-301, elle procède directement de celle de Aguirre, comme d'ailleurs en procèdent toutes celles des grandes collections de conciles. 3. Voir Sampiro, éd. Florez, ch. 10-13 (Esp. Sagr., XIV, pp. 443′′

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