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existe aussi des divergences qui attestent l'originalité partielle du Kâmil.

1o Lors même que les deux textes s'accordent sur le fond, il est rare qu'ils donnent une version de tous points semblable; par contre, il est de règle, ou peu s'en faut, qu'ils se contredisent incidemment ou se complètent. Tantôt ils assignent à un même événement des dates différentes, et ce désaccord chronologique persiste jusque vers l'année 2001; tantôt ils attribuent à des chefs distincts le commandement d'une même armée ; presque toujours, à propos d'une même expédition ou d'une même révolte, soit le Kâmil, soit le Bayân consignent des noms de lieu, des noms de personne, des détails ou des dates qui manquent dans l'autre récit 3.

2o Quoique le Kâmil relate d'habitude les mêmes faits que le Bayân, le Kâmil mentionne, en plus, bon nombre d'événements dont le Bayân ne porte pas trace: c'est ainsi, par exemple, qu'il signale des expéditions chrétiennes en terre musulmane, que le Bayân ignore, volontairement ou non ;

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1. L'écart est d'ordinaire d'une année ou deux (avance ou retard). En raison de ces discordances, certaines lacunes de la série annalistique du Bayân sont comblées par le Kâmil avec des mentions que le Bayân renferme sous une autre date: telles les années 151, 158, 162, 166, 185, 191, 197, 198, qu'Ibn Adhari a laissées en blanc et auxquelles Ibn el-Athîr rapporte des faits qu'Ibn Adhari date de 152, 159, 163, 167-168, 184, 190, 199 et 202.

2. D'après Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, p. 211, 236 et 242, les expéditions des années 224 (23 novembre 838), 246 (28 mars 860) et 251 (2 février 865) furent respectivement commandées par Obeyd Allâh, dit Ibn el-Balensi, l'émir Mohammed et El-Mondhir, fils de l'émir Mohammed; or, d'après Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, pp. 139, 158 et 160, elles le furent par El-Hakam, fils d'Abd er-Rahmân II, un général non dénommé, et Abd er-Rahmân, fils de l'émir Mohammed et frère d'El-Mondhir. Cf. les notes de M. Fagnan aux pages citées.

3. Les faits de ce genre sont si fréquents qu'il n'y a pas lieu d'en fournir des exemples.

4. Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, a. 157, pp. 123-124 (expé

qu'il signale, d'autre part, des expéditions musulmanes en terre chrétienne, que le Bayân ne paraît pas connaître 1; qu'il note, à leur place respective, la mort ou l'avènement de tous les rois asturiens, depuis Alphonse Ier jusqu'à Alphonse III inclus 2. Disons encore que s'il accorde une place plus grande à l'histoire chrétienne, il raconte aussi quelques révoltes qu'omet Ibn Adhari 3, insiste sur telles autres qu'Ibn Adhari expose plus brièvement, etc. 4.

3o Enfin, il est des cas, trop rares à notre gré, où le Kâmil et le Bayân accusent eux-mêmes, plus nettement encore, leurs différences partielles de provenance, et vont jusqu'à énoncer des faits ou des jugements contradictoires 5. Ibn el-Athîr

dition de Charlemagne en Espagne); a. 185, p. 154 et p. 163 (conquête de Barcelone par les Francs); a. 187, pp. 164-165 (prise de Tudèle par les Francs); a. 224, p. 211 (prise de Medinaceli).

1. Ibid., a. 168, p. 133; a. 176, pp. 143-144; a. 178, p. 150; a. 210, pp. 200-201; a. 224, p. 211; a. 235, pp. 224-225; a. 236, p. 225; a. 237, p. 230; a. 245, p. 235; a. 247, p. 240; a. 248, p. 241 ; a. 270, P. 260.

2. Ibid., a. 140, p. 104 (mort d'Alphonse Ier et avènement de Fruela); a. 158, p. 124 (mort d'Aurelio et avènement de Silo) ; a. 168, p. 133 (mort de Silo et avènement de Mauregato); a. 173, PP. 141-142 (mort de Mauregato, et avènement de Bermude, puis d'Alphonse II) ; a. 227, p. 215 (mort d'Alphonse II); a. 235, p. 225 (mort de Ramire Ier); a. 254, p. 243 (mort d'Ordoño Ier). Ces données chronologiques sont manifestement empruntées à une source latine, très voisine du Pseudo-Alphonse.

3. Ibid., a. 143, p. 104; a. 144, p. 105; a. 148, p. 111; a. 150, pp. 111-112; a. 162, pp. 126-127; a. 164, p. 130; a. 165, p. 130; a. 175, p. 143; a. 184, p. 162, etc., etc.

4. Notamment sur la révolte de Châkya, a. 154 et suiv.

5. Sans aller jusqu'à la contradiction, il arrive parfois qu'Ibn Adhari et Ibn el-Athîr avouent eux-mêmes, implicitement, qu'ils ont consulté des versions divergentes. Ainsi, datant de 163 (17 septembre 779) la victoire de Bedr sur le rebelle Ibn Chedjera, Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, p. 89 ajoute : « D'autres placent cette victoire en 162. » Or, c'est en 162 (28 septembre 778) que la met Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, p. 126. De même, Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, p. 164, après avoir raconté à l'année 186 (10 janvier 802),

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rapporte en 140 la révolte de Yoûsof et dit qu'en 154 le rebelle Châkya « ne tint pas tête à l'armée que conduisit contre lui « Abd er-Rahmân en personne1». Or, d'après Ibn Adhari, Abd er-Rahmân n'aurait entrepris aucune expédition ni en 140, ni en 154 2. Au témoignage d'Ibn el-Athîr, c'est l'inconduite d'El-Hakam, prince débauché et frivole, occupé << à jouer, à chasser, à boire et à d'autres plaisirs de ce genre », qui aurait provoqué à deux reprises le soulèvement du peuple de Cordoue, «< cité studieuse, et où se trouvaient des savants << remarquables et des gens pieux ». Or, si Ibn el-Athîr manifeste de la sorte, à l'égard de l'Omeyyade El-Hakam, une hostilité non déguisée, Ibn Adhari affiche en revanche des sentiments de pur loyalisme, et s'applique à rejeter la faute sur les habitants de Cordoue, en leur prêtant «< un esprit de « discorde et un oubli des règles, tels que nous prions Dieu « de nous en préserver 3 ».

Les ouvrages d'Ibn Adhari et d'Ibn el-Athîr permettent de reconstituer, en son ensemble, l'histoire des guerres qui,

la réconciliation de l'émir El-Hakam avec son oncle Abd Allâh, termine par ces mots : « On dit aussi que les négociations eurent lieu « en cette année [186] et que la paix ne fut définitivement arrêtée • qu'en 187. » Or, Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, pp. 113-114, date les négociations de 186 et la conclusion de la paix de 187. De même encore, rapportant à l'année 198 (1er septembre 813) l'affaire dite du faubourg de Cordoue, Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, p. 179, avertit que : « Il y en a qui mettent cette affaire du faubourg en l'an• née 202. » C'est précisément ce que fait Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, p. 122, etc.

1. Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, pp. 102 et 119. 2. Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, pp. 75 et 87.

3. Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, pp. 177 et 165; Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, pp. 122 et 123. Les deux récits seraient à confronter de près, la thèse d'Ibn el-Athîr étant nettement combattue par Ibn Adhari.

de la fin du vIIIe au début du xe siècle, mirent aux prises Chrétiens et Infidèles. Néanmoins, ces deux compilations présentent des défauts qu'il serait puéril de vouloir cacher.

a) Les années de l'hégire chevauchant d'ordinaire sur deux années chrétiennes, il est impossible de dater certains faits avec une entière certitude; le doute est parfois d'autant plus grand que les Arabes opérèrent contre les Chrétiens non seulement au printemps ou en été, mais même à l'entrée de l'hiver1.

b) Soit que les sources originales aient été infidèlement transcrites, soit que les compilateurs successifs aient pratiqué des coupures malheureuses, Ibn Adhari et Ibn el-Athîr nous. ont transmis quelques mentions pratiquement inutilisables; dépouillées de toute indication de lieu, elles ne peuvent être localisées et s'appliqueraient à la marche d'Espagne, ou à la Navarre, aussi bien qu'au royaume des Asturies. Ces mentions vagues sont d'ailleurs peu nombreuses 2.

c) Pour désigner les territoires soumis aux rois asturiens, les Arabes n'ont guère employé que des termes très généraux; ils se servent soit de la double expression « Alava et Castille », soit du terme « Galice», suivant qu'ils ont en vue la partie. orientale ou la partie occidentale de ces territoires. Mais il est rare qu'ils indiquent plus exactement le théâtre des opérations et nomment les endroits où se produisirent les rencontres3.

1. Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, a. 208, p. 198, où il est question des mois d'octobre-novembre, et a. 210, pp. 200-201, où il est question de fin décembre.

2. Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, a. 180, pp. 110-111; a. 194, pp. 117118; a. 196, pp. 118-119; a. 224, p. 139 ; a. 247, p. 159. Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, a. 180, pp. 154-155; a. 194, PP. 174-175 (d'après cet auteur, les expéditions de 224 et 247 auraient été dirigées, l'une contre l'« Alava », l'autre contre Barcelone).

3. Voir cependant des précisions chez Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, a. 179, pp. 102-104 ; a. 200, pp. 121-122; a. 208, p. 133; a. 210, p. 135; a. 231, p. 144; a. 251, pp. 160-163; a. 253, p. 163; a. 264, p. 169; a. 268, p. 172. Comparer Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, a. 178, p. 150 ; a. 179, p. 151; a. 210, p. 200; a. 224, p. 211; a. 231,

Autant dire que, très souvent, nous ne savons pas sur quels points se porta l'effort ennemi. D'ailleurs, quand les textes arabes citent des noms de villes ou de villages, ils les déforment de telle sorte que toute identification devient précaire 1. -- Notons encore que si les historiens arabes s'inquiètent peu de la topographie des régions dévastées, ils n'ont pas davantage coutume de décrire les opérations: communément, ils se bornent à signaler, en quelques phrases monotones, des razzias, pillages, incendies ou massacres, sans apporter la moindre précision.

d) Enfin, quelle que soit la valeur du Bayân et du Kâmil, il n'en est pas moins vrai que les témoignages anciens sur lesquels reposent ces ouvrages, étaient à leur manière tout aussi incomplets et tout aussi partiaux que les témoignages mis en œuvre par les chroniqueurs chrétiens. Comment, du reste, en serait-il autrement puisque, à Cordoue comme à Oviedo, l'histoire était écrite sous les yeux du monarque ? Désireux de ne pas déplaire à leurs maîtres, les historiens arabes ont donc omis, par principe, certaines catégories de faits, et non les moins intéressants. Évitant, par exemple, de trop parler des rebelles qui, soit en Aragon, soit en Portugal, parvinrent à constituer de petits états autonomes, ils laissent dans l'ombre les relations que les rois asturiens entretinrent avec ces adversaires des Omeyyades 3. D'autre part, lorsqu'ils retracent les luttes des émirs contre les rois des Asturies, ils ont soin de ne pas dire toute la vérité 4. Ainsi, le Bayân et le Kâmil

p. 222; a. 237, p. 230; a. 248, p. 241; a. 251, p. 242; a. 252, PP. 242243; a. 253, p. 243; a. 268, pp. 258-259.

1. Tel est le cas pour les noms de lieu mentionnés par Ibn Adhari à l'année 251.

2. Quelques indications de ce genre chez Ibn Adhari, aux années 179, 180, 200, 231, 249, 251 ; cf. Ibn el-Athîr, mêmes années, sauf 249. 3. Voir ci-dessous, 2e Partie, ch. III.

4. Voir ci-dessous, 2o Partie, ch. II et III. Remarquer toutefois

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