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compositions. Tel est le cas d'Ibn Hayyân, qui, en raison même du cadre chronologique dans lequel se meut son récit, n'a conté que quelques épisodes, d'ailleurs avec son abondance coutumière. Tel est également le cas d'Ibn Saîd et d'Ibn el-Khatîb` qui, sauf erreur de notre part, ne semblent guère prodigues de notices concernant les Chrétiens 2. Sans nous attarder davantage à ces considérations préliminaires, passons aux deux ouvrages susceptibles de nous servir de guides,

Dû à un compilateur dont on ignore tout, sauf qu'il se nommait Ibn Adhari, était originaire de Maroc et vivait au XIIIe siècle, le Bayân se partage en deux livres, consacrés l'un à l'Afrique, l'autre à l'Espagne 3. Débutant par une brève préface, où la légende domine, se poursuivant par un récit critique de la conquête et quelques pages relatives aux gouverneurs (714-756), le volume consacré à l'Espagne est avant tout une histoire des Omeyyades de Cordoue, « la plus détaillée... qui nous reste ». Cette histoire, inachevée d'ailleurs

1. Le tome III du Moctabis est uniquement consacré au règne d'Abd Allâh (888-912), lequel correspond en partie à celui d'Alphonse III (866-910); or, les historiens arabes, comme nous le verrons, ont été très sobres de renseignements sur cette époque, assez malheureuse pour les armes musulmanes.

2. Nous avons principalement utilisé, pour l'étude de ces deux auteurs, l'incomparable collection de fiches qu'avait formée feu M. Francisco Codera, et qu'il avait libéralement mise à notre disposition à l'été de 1904.

3. Sur Ibn Adhari et son œuvre, voir Dozy, Introduction au Bayân, pp. 77-107, mais remarquer que Dozy n'a pas cru devoir entrer « dans « un examen détaillé de la chronique d'Ibn Adhari » (cf. p. 106), et ne dit rien ni de sa composition, ni de ses sources, en dehors de la chronique d'Arîb.

4. Cette appréciation est de Dozy, loc. cit., p. 6.

(elle s'arrête en 997), se divise en dix grands chapitres, correspondant aux dix émirs qui se succédèrent d'Abd erRahmân Ier à Hichâm II, chaque chapitre, rédigé sur un plan uniforme, comportant à son tour : 1o des renseignements biographiques; 2o les annales du règne; 3o des anecdotes,

En lisant la partie annalistique du Bayân, laquelle se déroule régulièrement, avec un minimum de lacunes, de l'année 139 à l'année 387 de l'hégire 2, on constate qu'Ibn Adhari avait sous les yeux, outre quelques textes de moindre importance, les œuvres d'Ar-Râzi (mort en 937) 3, celles d'Ibn Hayyân + et deux ouvrages de plus basse époque, soit les Dorer elkalâid d'Aboû Amir Sâlimi (mort en 1163) 5 et le Behdjat en-nefs d'Aboû Mohammed Hichâm ben Abd Allâh Kortobi, lequel écrivait en 1184-1185 6. On sait, d'autre part, que pour

1. On sait que l'Anonyme de Copenhague (a. 1170-1263) n'est pas, comme Dozy, loc. cit., pp. 103-106, l'avait d'abord cru, la suite du Bayân. Cf. R. Besthorn, El Anónimo de Copenhague y de Madrid, dans Miscelánea de estudios y textos árabes (Madrid, 1915, in-8o), pp. 3-9.

2. Les lacunes portent sur les années de l'hégire 143-145, 148, 151, 158, 162, 166, 171 (règne d'Abd er-Rahmân Ier); 185, 188, 191, 192, 195, 197, 198, 203-205 (règne d'El-Hakam Ier); 215 et 233 (règne d'Abd er-Rahmân II); 289 et 290 (règne d'Abd Allâh); 326 et 328 (règne d'Abd er-Rahmân III); 358 et 359 (règne d'El-Hakam II). A partir de l'avènement d'Hichâm II, les lacunes deviennent proportionnellement plus nombreuses (a. 369, 373, 374, 376-378, 380, 382385); c'est qu'en réalité il se produit un changement d'allure dans le récit celui-ci présente alors, moins les annales du règne du khalife, que l'histoire de son tout-puissant vizir, El-Mançoûr.

3. Cité par Ibn Adhari, Bayân, trad. Fagnan, II, pp. 91, 101, 159, 171, 172, 189 (sur Ahmed ar-Râzi et son fils Isa ar-Râzi, voir Dozy, Introduction au Bayân, pp. 22-26). Nous faisons abstraction, tant pour Râzi que pour les autres historiens énumérés, des citations qui se rencontrent en dehors de la partie proprement annalistique. 4. Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, pp. 173, 391, 465.

5. Ibid., pp. 82, 142.

6. Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, pp. 80, 82, 90, 142, 203. Sur le Behdjat en-nefs et son auteur, voir E. Fagnan, Manuscritos árabesespañoles, dans Revista crítica de historia y literatura, I (1896), pp. 336

les années 291-320, Ibn Adhari a très largement utilisé, ou mieux plagié la chronique d'Arîb ben Sad (mort en 980), lequel avait écrit, en manière de supplément aux Annales de Tabari, une histoire de l'Espagne, de l'Afrique et des Abbasides. Or, tous les auteurs consultés étaient, semble-t-il, comme Ibn Adhari lui-même, de diligents compilateurs qui, au lieu de choisir quelques événements principaux et de les mettre en pleine lumière, s'étaient efforcés de recueillir le plus grand nombre de faits possible, de leur assigner une date précise, et de les ranger à leur place chronologique; bref, c'étaient des compilateurs qui concevaient l'histoire sous la forme fastidieuse d'annales 2. Mais étaient-ils en mesure de remplir leur tâche ? Ou ils n'ont disposé que de chroniques basées sur la tradition orale: dans ce cas, le travail qu'ils nous ont livré n'a qu'une décevante apparence de rigueur et d'exactitude; ou bien les plus anciens d'entre eux ont disposé de documents datés, de notes prises, sinon au jour le jour, du moins à peu de distance des événements, et en ce cas leurs ouvrages, malgré les inévitables déformations engendrées

337. La découverte de ce texte, considéré comme perdu, est due à M. Fagnan; l'ouvrage comprenait un volume consacré à l'Espagne, lequel n'a pas été retrouvé.

1. Les parties relatives à l'Afrique et à l'Espagne ont été publiées par Dozy, dans son édition d'Ibn Adhari, les passages propres à Arîb étant placés entre crochets carrés ; cf. Bayân, texte, I, p. 128, note b. Pour la partie concernant les Abbasides, voir : Arîb, Tabarî continuatus, quem edidit M. J. de Goeje. Lugduni Batavorum, 1897, in-8°. Sur Arîb et son ouvrage, qu'Ibn Adhari ne cite d'ailleurs que deux fois (trad. Fagnan, II, pp. 7 et 290), voir Dozy, Introduction au Bayân, pp. 31-63 et 107, et de Goeje, op. cit., pp. VII-VIII.

2. Le fait est certain pour Arîb, pour Râzi (dont plusieurs compilateurs ont conservé des fragments) et pour Ibn Hayyân; il est probable pour Aboû Amir Sâlimi, d'après les extraits que donne Ibn Adhari; il est à peu près sûr pour l'auteur du Behdjat en-nefs, si l'on tient compte, non seulement des morceaux reproduits par Ibn Adhari, mais encore de la manière dont est composé le volume qui traite de l'Afrique.

REVUE HISPANIQUE.

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par les transcriptions successives, méritaient la confiance qu'Ibn Adhari leur accordait.

Pour résoudre le problème ainsi posé, il convient de parcourir les fragments de la chronique d'Arîb. Ce dernier auteur raconte à la manière d'un contemporain. Dans le cercle étroit d'une année, il accumule d'habitude une foule de renseignements divers, sans lien entre eux et n'ayant de commun que leur simultanéité. Il multiplie à l'infini les dates précises de jour et de mois, qu'il mentionne le siège d'une forteresse, la soumission d'un rebelle, le départ des troupes musulmanes, leur rentrée victorieuse à Cordoue, etc. Fréquemment il connaît à merveille l'itinéraire des armées de l'émir, et fixe leurs étapes successives avec une grande sûreté d'information3; mais, quand il y a lieu, il signale aussi l'absence de campagne ou des préparatifs non suivis d'effet 5. D'autre part, il prend bien soin de noter des phénomènes qui, lors de leur apparition, avaient certainement frappé les esprits : inondations, éclipses, disettes, famines, prières dites pour implorer, au moment des famines, la clémence du ciel 6. Presque sous chaque année, il dresse la liste des morts les plus notoires, princes ou prin

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1. Se reporter à l'une quelconque des années dont Arîb relate les événements. On y trouve de tout, même la mention d'un fait-divers, soit le supplice d'un archer célèbre (Bayân, trad. Fagnan, II, a.313, P. 315).

2. Exemples: Bayân, trad. Fagnan, II, pp. 231, 233, 235, 236, 237, 238, 239, 240, 241, etc., etc.

3. Exemples: ibid., a.300, pp. 266-271 ; a. 301, pp. 273-275; a. 306, pp. 287-289; a. 308, pp. 291-298; a. 311, pp. 304-305 ; a. 312, pp. 307313; a. 315, pp. 319-321, etc.

4. Ibid., p. 279: « Les circonstances furent cette année-là [303] « trop difficiles, pour qu'on entreprît aucune incursion ou qu'on mît « des troupes en campagne. »>

5. Ibid., a. 319, p. 338.

6. Ibid., a. 297, p. 241 (inondation à la Mekke); a. 299, p. 247 (éclipse); a. 302, pp. 276-277, a. 303, pp. 278-279, a. 314, PP. 316 et 317-318, a. 317, p. 330 (disettes, famines et prières).

cesses, juristes, savants, fonctionnaires, etc. Enfin, très attentif aux événements de cour il était secrétaire d'ElHakam II il enregistre tant les naissances de princes 2 que les changements de toute sorte — nominations, disgrâces, transferts survenus dans le personnel qui gravitait autour du souverain 3.

Est-ce d'après ses propres souvenirs qu'Arîb a composé son récit? Le temps s'y oppose par rapport à l'auteur, qui écrivait entre 973 et 976, les faits relatés sont éloignés déjà de quarante à soixante-dix ans environ. Est-ce d'après la tradition orale? Si prodigieuse qu'ait pu être la mémoire des Arabes, cela paraît inadmissible: la narration est trop hachée et trop nette; les faits, les dates, les noms de lieu et de personne se pressent en trop grande abondance; les détails dépourvus d'intérêt durable sont trop nombreux 5. En bonne

1. Ces listes ne manquent que pour les années 294, 297, 312 et 317. A signaler, comme particulièrement abondantes ou précises, celles des années 298, p. 246; 302, p. 278; 303, pp. 279-280; 304, p. 282; 319, PP. 340-342 et 320, PP. 345-346.

2. Ibid., a. 302, p. 276; a. 304, p. 282; a. 306, p. 287. Les dates exactes sont toujours données pour les naissances; il n'en va pas de même pour les dates de mort.

3. Ces mentions, non moins caractéristiques que les précédentes, sont fort nombreuses; voir ibid., a. 300, pp. 263-264, 265, 266; a. 301, PP. 272-273 et 275; a. 302, pp. 277 et 278; a. 303, p. 279; a. 304, p. 281; a. 305, p. 284, etc., etc.

4. Dozy, Introduction au Bayân, pp. 33-34 et p. 43.

5. Comparer Dozy, loc. cit., pp. 8-9 : « ...l'histoire ne fut écrite que « rarement pendant les deux premiers siècles de la domination arabe « en Espagne... Les Arabes se fiaient à leur mémoire, prodigieuse « à la vérité, car aucun autre peuple n'a réussi à retenir un aussi < grand nombre de faits, de dates, de noms propres et de longues « généalogies. Les traditions de famille, de tribu, se transmettaient « de père en fils; elles subirent sans doute quelques altérations, mais « celles-ci furent en général plus légères que l'on ne s'y attendrait. « Le besoin de posséder une histoire écrite ne se faisait donc presque pas sentir; l'histoire était dans toutes les bouches; on était accoutumé à l'entendre raconter dans les châteaux, aux bivouacs, sur

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