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D) Mais l'œuvre ne s'arrête pas là; achevée en 881, elle a été continuée deux ans après, et, dans cette continuation, l'exposé acquiert une ampleur inattendue, tandis que le cadre s'élargit. L'auteur raconte tout au long les deux campagnes d'El-Mondhir en 882 et 883 (ch. 66-76); il note avec soin les étapes successives des envahisseurs, les échecs répétés de ces derniers, les négociations entamées par eux en vue de signer la paix avec Alphonse. De plus, au lieu de ne considérer que l'histoire propre du royaume asturien, il jette au loin ses regards, et nous révèle l'action du roi hors des frontières du royaume il nous montre Alphonse en relations d'amitié ou d'alliance avec une famille d'ambitieux roitelets installés en Aragon et en Navarre, les Benoû Moûsa; il s'attarde même à nous entretenir des querelles intestines de ces remuants personnages, et nous donne ainsi, à l'année 882 (ch. 71-73), un très curieux aperçu d'histoire musulmane. C'est donc d'après des impressions toutes fraîches qu'a été écrite, dans les premiers jours de novembre 883, la relation de ces deux dernières années, relation strictement contemporaine, délibérément étendue, et à ces deux égards unique dans toute l'historiographie latine du haut moyen âge espagnol 2.

ment et la tradition manuscrite et l'examen du contexte, à savoir que l'œuvre tout entière aurait été rédigée d'un seul jet, en 883 (cf. loc. cit., pp. 337-339).

I. La date terminale est donnée, non dans l'Ordo Gothorum Ovetensium Regum dont le dernier paragraphe (ch. 76) est ainsi libellé : << Supradictus quoque Ababdella legatos pro pace et gratia regis << nostri saepius dirigere non desinit; sed adhuc perfectum erit, quod << Domino placuerit », mais au ch. 80, où on lit : « Sub uno omnes << anni Arabum in Spaniam CLXVIIII et die III idus Novembris inci«piunt centesimum septuagesimum ; et de praedicatione iniquissimi << Mahomat in Africa sunt CCLXX, in era quae nunc discurrit « DCCCCXXI. »

2. L'auteur du Chron. Albeldense, qui a résumé aux ch. 2-12 et 14-38 de son œuvre la Chronique et l'Historia Gothorum d'Isidore de Séville (cf. Mommsen, op. cit., p. 373), a nécessairement retenu quelques expressions de son modèle. Exemples. Isidore, Hist. Goth., ch. 29:

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Faisant suite à l'œuvre du Pseudo-Alphonse, et communément attribuée à Sampiro, évêque d'Astorga, la Chronique qui s'étend de 866 (avènement d'Alphonse III) à 982 (mort de Ramire III), nous est parvenue comme suit 1 : le Moine de Silos l'a incorporée à sa propre chronique 2; Pélage d'Oviedo l'a insérée dans son Liber Chronicorum (d'où elle a passé dans le Tumbo negro de Santiago)3; enfin, le compilateur de la Chronique léonaise l'a également transcrite 4. Comparée à la rédaction du Moine de Silos, celle de Pélage apparaît comme notoirement interpolée: soupçonnées déjà par Contador de Argote, les interventions malencontreuses de l'évêque d'Oviedo ont été mises en lumière par Florez et Risco 5. Quant

«

« Virga enim furoris dei sunt »; Chron. Albeld., ch. 59: « Virga justitiae fuit. » Isidore, ch. 57 : « quem in primo flore adulescentiae » ; Chron. Albeld., ch. 61 : « Istum in primo flore adulescentiae ». Isidore, ch. 55 « tantam in animo benignitatem gessit » et ch. 64 : « ita ut... pater pauperum vocari sit dignus »; Chron. Albeld., ch. 60 : « Cui principi « tanta fuit animi benignitas... ut Pater gentium vocari sit dignus. » I. Sur cette chronique, voir principalement Florez, Esp. Sagr., XIV, pp. 419-430.

2. Moine de Silos, éd. Florez, ch. 48-67 (Esp. Sagr. XVII, pp. 297308); éd. Santos Coco (Madrid, 1919, in-8°), pp. 41-57. Se rattache à cette rédaction la copie partielle qui se trouve dans le ms. no 9880 (ancien Ee 92, XVIIe siècle), de la Bibliothèque Nationale de Madrid.

3. Cette rédaction est représentée par l'édition de Florez, Esp. Sagr., XIV (1758), PP. 438-457 (2e éd., 1786, pp. 452-472), le texte donné par Florez annulant ceux de Sandoval (1615), Ferreras (1727) et Berganza (1729).

4. Chronique léonaise, éd. G. Cirot, liv. II, ch. 39-46, 59-64, 66-73 et 75 (Bulletin Hispanique, XIII, 1911, pp. 403-407 et pp. 410-420). 5. Contador de Argote, Memorias para a historia ecclesiastica de Braga, III (Lisboa, 1744, in-4°), pp. 93 et suiv.; Florez, Esp. Sagr., XIV, pp. 428-430; Risco, Esp. Sagr., XXXVIII, p. 126. Cf. Tailhan, Bibliothèques, p. 311.

à la recension de la Chronique léonaise, c'est une sorte de compromis entre les deux rédactions précédentes 1.

Toutes réserves étant faites sur la personnalité de l'auteur 2, laquelle du reste importe assez peu, il n'est pas niable que notre chronique ait été écrite à la fin du xe ou au début du XIe siècle. Que vaut ce témoignage, pour le moins tardif, en ce qui touche le règne du dernier roi asturien?

A) Déduction faite des interpolations reconnues 3, une

1. Selon M. G. Cirot, dans Bulletin Hispanique, XVIII (1916), p. 142, la rédaction de la Chronique léonaise (B) serait intermédiaire entre celle du Moine de Silos (A) et celle de Sampiro (C). Mais le compilateur de la Chronique léonaise n'avait-il pas tout simplement devant lui un exemplaire du Liber Chronicorum auquel il aurait fait quelques emprunts?

2. C'est uniquement d'après le témoignage de Pélage d'Oviedo, dans la préface de son Liber Chronicorum que l'on attribue à Sampiro, évêque d'Astorga, la chronique qui va de 866 à 982 (cf. GómezMoreno, dans Bol. de la R. Acad. de la Hist., LXXIII, 1918, p. 57). Or, Pélage a tenté de tromper ses lecteurs sur l'étendue réelle de la Chronique, puisqu'il en fixe le début au règne d'Alphonse II (voir le texte de ladite préface dans Mommsen, Chronica minora, II, pp. 262263). N'aurait-il pas, en outre, confondu deux personnages distincts savoir: 1o un Sampiro, qui fut notaire sous Bermude II (982-999) et Alphonse V (999-1027), comme le montrent de nombreux documents; 2o un Sampiro, qui fut évêque d'Astorga de 1035 à 1041 ? Florez, Esp. Sagr., XIV, pp. 421-423 et XVI, pp. 168-172, a confondu lui aussi les deux personnages, car il a été influencé par la souscription suivante qu'on trouve dans un diplôme de Bermude II du 26 novembre 990 (Yepes, Coronica general de la orden de San Benito, V, escr. XXIX, fol. 448 r-449 r) : « Sanct Pirus qui dictavit (post Astori«< censis sedis episcopus) confir. » Or, il est bien évident que les mots placés entre parenthèses constituent une interpolation; et bien évident aussi qu'un temps très long s'est écoulé entre 990 et 1035, en sorte que Sampiro serait très tardivement parvenu à l'épiscopat (cf. sur ce point les doutes de Florez, Esp. Sagr., XVI, p. 172). Sans poursuivre la discussion, on observera que, d'après Florez, Esp. Sagr., XIV, p. 423, Sampiro aurait écrit sa chronique alors qu'il était encore notaire d'où le terminus ad quem adopté par l'auteur (avènement de Bermude II, son maître).

3. Florez a soit imprimé en italique, soit placé entre crochets carrés les passages interpolés. Ce sont, pour le règne d'Alphonse III; 1o l'énu

bonne partie des renseignements fournis dérive en droite ligne du Chronicon Albeldense; telles sont les mentions concernant la tentative de l'usurpateur Fruela, l'expédition d'El-Mondhir contre Leon, la conquête de Deza, Atienza et Coimbre, le repeuplement de Braga, Porto, Orense et Vizeu, la capture de Hichâm ben Abd el-Azîz et la deuxième campagne d'El-Mondhir en 878. Certes, Sampiro corrige son modèle, change certains vocables, abrège ou allonge certaines phrases; mais, en dépit de ces retouches, la provenance n'est pas douteuse de part et d'autre, le fond est identique, et les mêmes mots sont souvent employés 1. Exemples:

Chron. Albeld., ch. 61. Illius tempore praeterito jamque multo, Ismahelitica hostis ad Legionem venit, duce Abulmundar... Sed dum venit, sibi impediit; nam bi multis millibus amissis ceterus exercitus fugiens evasit.

Chron. Albeld., ch. 61. Multosque inimicorum terminos est sortitus. Dezam castrum

iste accepit. Antezam pace adquisivit.

Sampiro, ch. I.

Interea ipsis diebus Ismaelitica hostis urbem Legionensem attentavit cum duobus ducibus Immundar et Alcanatel, ibique multis militibus amissis, alius exercitus fugiens evasit.

Sampiro, ch. 2.

Multos inimicorum terminos sortitus est. Dezam urbem iste cepit... Atenzam pace acquisivit.

mération des enfants du roi (ch. 1; cf. Chronique léonaise, liv. II, ch. 40); 2o une note relative à l'édification de l'église de Compostelle et à la construction d'églises, de châteaux et de palais dans le Leon et les Asturies (ch. 2; cf. Chronique léonaise, liv. II, ch. 41); 3o les actes du concile d'Oviedo (ch. 6-13) ; 4o la double indication concernant la sépulture du roi et de la reine à Astorga et le transfert de leurs restes à Oviedo (ch. 15; cf., à quelques variantes près, Chronique léonaise, liv. II, ch. 59).

1. Cela n'a pas empêché Amador de los Ríos, Hist. crítica de la literatura española, II, p. 151, de déclarer que Sampiro ignorait le Chron. Albeldense : « Al paso que indicaba desconocer la Chronica Albeldense, con la qual no guarda entera concordancia. >>

Chron. Albeld., ch. 61-62. Conibriam, ab inimicis possessam, eremavit, et Gallaecis postea populavit; multaque alia castra sibi subjecit.

Ejus tempore Ecclesia crescit, et regnum ampliatur. Urbes quoque Bracharensis, Portucalensis, Aucensis [lire Auriensis], Eminensis, Vesensis atque Lamecensis a Christianis populantur...

Parvoque procedente tempore, era DCCCCXV, consule Spaniae et Mahomat regis consiliarius Abuhalit bello in fines Gallaeciae capitur, regique nostro in Oveto - perducitur. Qui dum se postea - redemit, duos fratres suos, filium atque subrinum obsides dedit, quousque centum millia auri solidos regi persolvit.

Chron. Albeld., ch. 63. Deinde, imperante Abuhalit, pro tribus annis par in utrosque reges fuit.

Sampiro, ch. 3-4.

Conimbriam quoque ab ini. micis obsessam defendit, suoque imperio subjugavit. Cesserunt etiam armis illius plurimae Hispaniae urbes.

Ejus quoque tempore Ecclesia ampliata est; urbes namque Portugalensis, Bracharensis. Vesensis, Flaviensis, Aucensis a Christianis populantur.

Sub cujus imperio dux quidam Hispaniae et proconsul nomine Abohalit, bello comprehensus, regis obtutibus est praesentatus, qui se redimens pretio, centum millia solidorum in redemptionem suam dedit,

Sampiro, ch. 6.

Post haec Agareni ad regem Adefonsum legatos pro pace miserunt; sed rex per triennium illis pacem accomodans...

B) De l'avènement à la mort d'Alphonse III, le récit de Sampiro semble marcher d'une allure régulière, sans interruption ni à-coup. Or, il présente en réalité une lacune habilement dissimulée. Nous savons par la Chronique d'Albelda, ch. 63-64, que la deuxième campagne d'El-Mondhir (celle que termina la déroute de Polvoraria) eut lieu en 878 et fut suivie d'une trêve de trois ans, au terme de laquelle Alphonse III envahit, en 881, la Lusitanie. Sans les dater, Sampiro, ch. 5-6, signale et ladite expédition d'El-Mondhir, et ladite trêve; mais aussitôt après, passant sous silence la campagne de 881,

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