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L'intervention d'Ordoño avait sans nul doute irrité Mohammed. Celui-ci, pour châtier le roi asturien, envoya l'année suivante (855), des troupes destinées à ravager l'« Alava' » L'émir ne put d'ailleurs assouvir à ce moment sa vengeance: il eut à se préoccuper, entre autres choses, des Tolédans que la défaite n'avait pas abattus 2, et des Normands qui revinrent dévaster les côtes de l'Espagne (859-860) 3.

Utilisant cet armistice, Ordoño se prépara à la lutte et

« usque ad XII millia perierunt ». Ibn Adhari et Ibn el-Athîr ajoutent qu'on recueillit 8.000 têtes sur le champ de bataille, et qu'on envoya ces têtes « par tout le pays », dit Ibn el-Athîr, « à Cordoue, sur le lit<toral et aussi sur le littoral africain », précisent Ibn Adhari et Rodrigue de Tolède. D'après Ibn el-Khatîb, les Chrétiens, après leur défaite devant Tolède, auraient été pourchassés jusqu'en « Alava » et en « Castille ».

1. Ibn Adhari, à l'a. 241 (22 mai 855), trad. Fagnan, II, p. 156. Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, pp. 232-233; cf. Noweyri, éd. Gaspar Remiro, I, trad. pp. 46-47, Ibn Khaldoun, IV, p. 130 et Makkari, I, p. 225 (trad. Gayangos, Mohammedan dynasties, II, p. 127). D'après Ibn Adhari, l'armée aurait été conduite par Mohammed en personne; d'après Ibn el-Athîr et les autres auteurs, par Moûsa ben Mousa, que nous retrouverons un peu plus loin.

2. Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, II, pp. 164 et 169. Cette fois, Ordoño abandonna les Tolédans à eux-mêmes (858-859). De même, il n'intervint pas dans les persécutions dont furent victimes les Chrétiens de Cordoue, persécutions que marqua notamment la mort d'Euloge (11 mars 859).

3. Sur l'invasion normande de 859-860, voir Dozy, Recherches, 3o éd., II, pp. 279-286. Comme en 844, les Normands débarquèrent en Galice avant de poursuivre leur route vers le Sud. Ils furent battus par le comte Pedro (Chron. Albeldense, ch. 60), on ne sait d'ailleurs en quel lieu. M. López Ferreiro affirme, dans Galicia histórica, p. 694, que ce fut à l'entrée de la baie d'Arosa, mais son raisonnement est médiocrement valable. L'auteur se base sur un diplôme du 24 juin 886 (Cat., no 45) qui nous apprend qu'à la suite d'une révolte, un certain Hermenegildo Perez fut dépossédé par Alphonse III de ses biens sis à la Lanzada, c'est-à-dire aux bords de la baie d'Arosa. M. López Ferreiro estime, sans raison, que Hermenegildo Perez était fils du comte Pedro; d'où la localisation ci-dessus indiquée. Voir ci-dessous, ch. IV, § 3.

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redoubla d'activité. On remit en état diverses places fortes endommagées ou à demi-ruinées 1 : c'est ainsi, par exemple, que fut << repeuplée » en 856 la ville de Leon, brûlée et démantelée en partie dix ans auparavant 2; c'est ainsi également que le comte de Castille Rodrigue « repeupla » en 860 la place d,Amaya 3. Mais ce ne fut point tout. On fit des incursions

1. Pseudo-Alphonse, ch. 25: « Civitates desertas, ex quibus Ade<< fonsus maior Caldeos eiecerat, iste repopulavit, id est Tudem, << Astoricam, Legionem et Amagiam Patriciam. » Cf. Chron. Albeldense, ch. 60: « Legionem, Asturicam, simul cum Tude et Amagia po<< pulavit; multaque et alia castra munivit. » Nous connaissons la date du repeuplement de Leon et d'Amaya (voir les notes suivantes). Par contre, nous ignorons à quelle époque furent repeuplées Astorga et Tuy. Nous savons simplement que ce furent des habitants du Bierzo qui, sous la conduite de leur comte Gaton, — celui-là même qui avait été battu en 854 devant Tolède, - allèrent s'installer à Astorga. Cf. un jugement du 6 juin 878 (Cat., no37), où il est dit : « Quando populus « de Bergido cum illorum comite Gaton exierunt pro Astorica popu«< lare. » Remarquons incidemment qu'il n'y a aucune raison de faire de Gaton un Galicien, comme le veut M. López Ferreiro, dans Galicia histórica, p. 694.

2. Anales Castellanos I (ou Chron. S. Isidori Legionensis; GómezMoreno, Discursos, p. 23): « In era DCCCLXVIIII. populavit domnus « Ordonius Legione. » Cf. Anales Castellanos II (ou Annales Complutenses, ibid., p. 25) : « In era DCCCLXVIIII populavit rex Ordonius « Leionem. » Cf. Annales Compostellani, à l'a. 856 (Esp. Sagr., XXIII, 2e éd., p. 319); Chron. Burgense, à l'a. 855 (ibid., p. 308) et Anales Toledanos I, à l'a. 809 (ibid., p. 382).. Sur la nature de ce peuplement, qui doit « entenderse de aumento considerable de vecinos, << edificios y fortificaciones »>, voir Risco, Esp. Sagr., XXXIV, pp. 127128 (cf. XXXVII, p. 201) et Historia de Leon (Madrid, 1792, petit in-4°), p. 10. Voir aussi Dozy, Recherches, 3e éd., I, pp. 140-141.

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3. Anales Castellanos I (ou Chron. S. Isidori Legionensis; GómezMoreno, Discursos, p. 23): « In era DCCCLXVIII. populavit Rudericus <<< commes Amaya. » Cf. Anales Castellanos II (ou Annales Complutenses ibid., p. 25): « In era DCCCLXXVIII populavit Rudericus comes Amaia. » Cf. Annales Compostellani et Chron. Burgense, à 1860 (Esp. Sagr., XXIII, 2e éd., p. 319 et 308), qui indiquent que ce peuplement fut opéré « mandato Ordonii regis », ou « per mandatum <<< regis Ordonii ». Voir, pour mémoire Anales Toledanos I, à l'a. 882 (ibid., P. 383) et Cron. I de Cardeña, à l'a. 826 et à l'a. 882 (ibid., p 371).

en territoire ennemi : le comte Rodrigue s'empara de Talamanca, dont le gouverneur, Mourzouk, fut capturé avec sa femme, puis relâché, tandis que la garnison était massacrée et que le reste des habitants était réduit en esclavage (860) 1. De même, on enleva aux Arabes la ville de Coria, dont le gouverneur, Zeyd, fut fait prisonnier 2. Peut-être même est-ce à cette époque que l'on éleva des travaux de défense dans les régions montagneuses du Nord de la VieilleCastille 3. Bien plus, Ordoño Ier mit à profit l'intermède qui s'était produit pour porter un coup redoutable au chef d'une famille de renégats, les Benoû Moûsa, lesquels s'étaient taillé en Aragon et en basse Navarre une sorte

1. Anales Castellanos I (ou Chron. S. Isidori Legionensis; GómezMoreno, Discursos, p. 23): « In era DCCCLXVIII... Rudericus «< commes... et fregit Talamanka. » Pseudo-Alphonse, ch. 26 : « ...aliam « vero consimilem eius civitatem Talamancam cum rege suo, nomine « Mozror, et uxore sua; bellatores eorum omnes interfecit, reliquum « vero vulgus cum uxoribus et filiis sub corona vendidit ». Cf. Chron. Albeldense, ch. 60: « Talamancam civitatem praelio cepit; regem « ejus Mozeror ibi captum voluntarie cum sua uxore Balkaiz in Petra << sacra liberos abire permisit. » On notera que les sources sont en discordance sur un point important: qui enleva Talamanca ? Mieux vaut sans doute se fier aux Anales Castellanos qu'aux chroniques, lesquelles placent l'opération au compte d'Ordoño. A remarquer que, depuis Morales, Coronica, éd. Cano, VII, p. 407, maints auteurs ont changé Talamanca en Salamanque; rien n'autorise cette substitution.

2. Pseudo-Alphonse, ch. 26 : « [cepit Ordonius rex] civitatem Cau<< riensem cum rege suo nomine Zeith ». Le Pseudo-Alphonse note la prise de Coria avant celle de Talamanca; mais nous connaissons la date de la prise de Talamanca, tandis que nous ignorons celle de la prise de Coria. On peut supposer néanmoins qu'elle est antérieure à l'année 863, car, à partir de ce moment, les états d'Ordoño Ier furent constamment harcelés par les armées de Mohammed. · De même qu'on a changé Talamanca en Salamanque, de même on a changé sans motifs les mots «< civitatem Cauriensem » en « civitatem « Tauriensem »>, soit Coria en Toro (cf. Morales, Coronica, éd. Cano, VII, pp. 407-408, etc.).

3. Voir le passage d'Ibn Adhari cité p. 184, n..2.

de fief, et qui menaçaient les possessions du roi asturien 1. Moûsa ben Moûsa, avec qui Ordoño allait se mesurer 2, avait été, tout d'abord, gouverneur de Tudèle, et, pendant l'expédition d'Obeyd Allâh contre la Cerdagne et Narbonne (842), il avait montré une grande bravoure 3. A la suite d'une querelle avec un haut personnage de l'État, il se souleva contre Abd er-Rahmân II, repoussa l'armée que celui-ci envoya contre lui, s'allia avec un certain Garcia, battit les troupes de l'émir (843), puis fut battu à son tour, par l'armée régu

1. Sur les origines de cette famille, voir l'exposé très rapide de Dozy, Recherches, 3e éd., I, pp. 211-212 (cf. Hist. des Musulmans d'Espagne, II, pp. 182-183); voir aussi A. Fernández-Guerra, Caída y ruina del imperio visigótico español (Madrid, 1883, in-8°), pp. 30-32. Il semble que, dès le règne d'Alphonse II, le roi des Asturies et les Benoû Moûsa soient entrés en contact. Cf. Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, p. 211: « En la même année [224, 23 novembre 838], Loderîk tenta << avec son armée une incursion contre Medinaceli, en Espagne. For<< toûn ben Moûsa, à la tête de troupes nombreuses, s'avança contre << lui, le défit et lui tua beaucoup d'hommes ; puis il alla assiéger le châ«teau qu'avaient élevé les habitants d'Alava, vis-à-vis les places << frontières musulmanes, le prit et le détruisit. » Cf. Ibn Khaldoun, même année, IV, p. 129 et Makkari, I, p. 222 (trad. Gayangos, Mohammedan dynasties, II, p. 114). Fernández-Guerra, op. cit., p. 33, estime que le « Loderîk » des textes arabes doit être identifié avec Rodrigue, comte de Castille; mais à la date de 838, il n'y avait pas, que l'on sache, de comte de Castille ainsi nommé ; au surplus, Ibn Khaldoun et après lui Makkari qualifient « Loderîk » de « roi des Galiciens >>. Il est donc probable qu'il s'agit effectivement d'Alphonse II.

2. Sur ce personnage, voir Dozy, Recherches, 3o éd., I, pp. 212-213 et Fernández-Guerra, Caída y ruina, pp. 32-38 ; mais ne tenir aucun compte de ce que dit M. de Jaurgain, La Vasconie, I, pp. 152-153 et 155 c'est un tissu d'erreurs (cf. Codera, Estudios críticos [Col. de estudios árabes, VII], pp. 228-231).

3. Tel est le premier renseignement certain que l'on possède sur Mousa ben Moûsa. Tout ce que dit Fernández-Guerra, op. cit., pp. 3233, des débuts du personnage jusqu'en 842 est extrêmement douteux, ou est erroné.

4. Nous nous sommes occupé de ce Garcia dans Revue Hispanique, XV (1906), p. 639.

lière (mai-juin 844), que commandait Mohammed, fils d'Abd er-Rahmân II; finalement, il signa la paix avec son adversaire, qui lui rendit le gouvernement de Tudèle, et il prêta même à l'émir un concours efficace contre les Normands (844). Mais peu après il se révoltait de nouveau (846 ou 847), quitte d'ailleurs à se soumettre encore 1. En 854, nous retrouvons Moûsa dans les rangs de l'armée qui opère devant Tolède; en 855, c'est à lui que Mohammed confie le soin d'envahir l'Alava 3. Tout en passant ainsi par des alternatives de soumission et de révolte, il poursuivit d'ailleurs l'œuvre propre qu'il avait entreprise. Grâce à son habileté et à sa force, il réussit, dit-on, soit à conquérir par les armes, soit à gagner à sa cause, Tudèle, Saragosse, Huesca, enfin Tolède où il plaça son fils Lope en qualité de gouverneur 4. Maître de l'Aragon, étendant son influence jusqu'au centre de la Castille, il se tourna aussi contre les Francs, leur infligea des défaites, leur enleva du butin et s'empara, par ruse, de deux, comtes, Sanche et Emenon, qu'il incarcéra 5; nous savons

1. Sur la vie de Moûsa entre 842 et 847, voir Fernández-Guerra, op. cit., pp. 34-36 et Dozy, loc. cit., p. 213.

2. Voir les vers cités par Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne,II, pp. 163-164 : « Le fils de Jules, dit un poète de la cour, disait à Mousâ

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qui marchait devant lui : « Je vois la mort partout », etc. Dozy, loc. cit., p. 163, n. 3, remarque à propos de ce Jules : « C'était sans << doute le nom d'un chef chrétien, tandis que Mousâ était celui d'un «< chef de renégats. » Comment ne pas songer à l'identification que nous admettons ?

3. Cf. ci-dessus, p. 173, n. 1. 4. Pseudo-Alphonse, ch. 25. Fernández-Guerra, op. cit., p. 36, semble croire que c'est en 855, après la campagne d' « Alava », que Moûsa s'empara de Saragosse, de Huesca et de tout l'Aragon. Rien n'autorise cette hypothèse. Dozy, de son côté, a pensé, loc. cit., P. 213, que dès 852, Moûsa était en possession des villes et de la région susdites. Pour notre part, nous éviterons de proposer une date quelconque.

5. Pseudo-Alphonse, ch. 25. Le comte Sanche, nommé par le Pseudo-Alphonse, est Sanche-Sanchon, duc de Gascogne (Jaurgain,

REVUE HISPANIQUE.

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