Imágenes de página
PDF
ePub

buté les troupes du roi Rodrigue, l'armée d'invasion, que commandait le Berbère Târik ben Ziyâd, se porta sur Ecija, où s'étaient ralliés les débris des contingents chrétiens. Victorieux de nouveau, Târik résolut de frapper un coup décisif, et tandis qu'il envoyait des détachements à Cordoue, Malaga et Grenade, il marcha en personne sur Tolède. Mais les Tolédans, à l'approche de l'ennemi, quittèrent leur ville et se refugièrent fort loin au Nord, dans la petite forteresse d'Amaya. Târik ne se tint pas pour satisfait; Guadalajara prise, il franchit les monts, traversa la Vieille-Castille, alla piller Amaya, puis revint à Tolède, vers la fin de l'année 711. Cette incursion, poussée jusqu'aux pieds de la chaîne cantabrique, peut être considérée comme le prélude de la conquête du NordOuest, laquelle devait être accomplie par Moûsa.

Jaloux des succès de son lieutenant Târik, le gouverneur de l'Afrique, Moûsa ben Noçayr, débarquait à Algéziras au mois de juin 712. Il commença par enlever Medinasidonia, Carmona et Séville. Cela fait, il assiégea Mérida. Mérida s'étant enfin rendue le 30 juin 713, Moûsa songea à rejoindre Târik et se dirigea sur Tolède. La mauvaise saison approchant, Moûsa hiverna dans l'ancienne capitale des rois wisigoths et ne se remit en campagne qu'au printemps de 714. A cette époque, deux vastes contrées n'avaient pas encore été soumises c'étaient, d'une part, l'Aragon et la Catalogne ; d'autre part, le Leon, les Asturies, la Galice et le Portugal. Moûsa attaqua d'abord Saragosse et ravagea l'Aragon; puis, au lieu d'obéir à un ordre du khalife qui le rappelait auprès de lui, il se lança dans une dernière aventure, la conquête de la « Galice 1 ».

I

et Aug. Müller, Der Islam im Morgen-und Abendland, I (Berlin, 1885, in-8°), pp. 425-429. Cf. l'esquisse donnée par M. F. Codera, Estudios críticos de historia árabe española (Zaragoza, 1903, in-16. Colección de estudios árabes, VII), pp. 96-98.

I. Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, pp. 48-49: « Moûsa alla

Si les historiens arabes nous ont conté avec quelques détails certains épisodes, tels que les sièges de Cordoue et Mérida, par contre ils ont presque complètement passé sous silence les opérations militaires qui se déroulèrent dans le NordOuest, et le peu qu'ils en disent ne mérite pas grande créance 1. A s'en rapporter à la tradition la moins suspecte, Moûsa, semant sur son passage la mort et la ruine, aurait atteint le cœur même de la région asturienne, le « rocher de Pélage 2 » ; puis, quittant sans encombre ce pays escarpé, il serait entré à Lugo, mais, loin de pouvoir continuer sa route, se serait

2

« conquérir Saragosse et les villes qui en dépendent; puis il pénétra << dans le pays des Francs... Il revint alors sur ses pas, et rencontra << un messager que lui envoyait le khalife El-Welîd avec l'ordre de quit« ter l'Espagne et de venir le trouver; mais, mécontent de cet ordre, « il différa de répondre à l'envoyé et attaqua l'ennemi par un autre « point... » La suite du récit montre qu'il s'agit de la « Galice». Cf. Noweyri, trad. de Slane, dans Ibn Khaldoun, Hist. des Berbères, I (Alger, 1852, in-8°), pp. 351-352. Comparer Makkari, I, p. 174 (trad. Gayangos, Mohammedan dynasties, I, p. 291 et trad. Lafuente y Alcántara, Ajbar Machmuâ, pp. 192-193). D'après Makkari, Moûsa aurait su gagner à sa cause Moghîth, l'envoyé d'El-Welîd, et se serait fait accompagner par lui « en Galice » ; ce qu'attesterait indirectement le Fatho-l-Andaluçi, trad., p. 15, où l'on voit qu'en 713 Moghîth aurait conduit des expéditions en ces parages.

1. Sur les documents dont on dispose et la façon dont on s'en est servi, voir Appendice III.

2. Ibn el-Athîr, loc. cit. « ...tuant et pillant tout, détruisant les églises « et brisant les cloches. Il parvint ainsi jusqu'au rocher de Belây, << sur l'Océan, lieu élevé et dont la situation est forte. » Cf. Noweyri, loc. cit. Comparer Makkari, loc. cit., qui paraphrase Ibn el-Athîr : Moûsa, parvenu « á los ásperos pasajes del Norte » (nous citons d'après la traduction de Lafuente y Alcántara), aurait enlevé Vizeu (sic) et Lugo; de cette place, il aurait envoyé des soldats chargés d'explorer les Asturies, et ces soldats seraient arrivés jusqu'au rocher de Pélage. Toutes les églises auraient été brûlées, toutes les cloches brisées. Les Chrétiens auraient fait leur soumission : « prestaron obe« diencia, se avinieron á la paz y al pago del tributo personal. » Bien plus, les Arabes, non contents de s'installer dans les forteresses existantes, en auraient construit de nouvelles aux points stratégiques les plus importants.

vu soudain obligé de battre en retraite, sur un nouvel et impérieux rappel d'El-Welîd. Ainsi aurait pris fin la campagne de 714, au moment où Târik, qui arrivait d'Aragon, amenait à son chef des renforts 1.

Bien que les textes ne mentionnent pas d'autres expéditions, il est certain que les Musulmans ne s'en tinrent pas là. Au début du viIIe siècle, des contingents berbères et arabes occupèrent la ligne du Duero ; ils occupèrent aussi la voie romaine qui menait d'Astorga vers Bordeaux en passant par Leon et le Nord de la Castille, ainsi que les routes qui conduisaient d'Astorga dans la Galice proprement dite 2. Toutes les places

1. Ibn el-Athîr, loc. cit. « Alors un second messager d'El-Welîd «< vint insister sur l'urgence de son départ, et saisit même la bride « de sa mule pour le faire partir. Cela eut lieu dans la ville de Loukk, << en Galice, d'où il partit par le col dit Feddj Moûsa; il fut rejoint « par Târik, venant de la Frontière supérieure (Aragon); il se fit << accompagner de ce chef, et tous deux partirent ensemble. » Cf. Noweyri, loc. cit., et Makkari, I, p. 175 (trad. Gayangos, Mohammedan dynasties, I, pp. 291-292 et trad. Lafuente y Alcántara, Ajbar Machmuâ, p. 193). M. Saavedra, Estudio, p. 119, a bien montré que, selon toute apparence, Moûsa ne fut pas atteint par deux messagers du khalife, mais par un seul (qui serait Moghîth), lequel, à deux reprises, aurait signifié à Moûsa l'ordre de retourner en Orient.

-

2. Aux termes d'une note annalistique découverte, paraît-il, dans une traduction de Râzi et reproduite par Brito, Monarchia lusytana, II (Lisboa, 1609, in-fol.), fol. 283 v (cf. Sandoval, Cinco Obispos, Pamplona, 1615, in-fol., p. 85), Abd el-Azîz, fils de Moûsa et son successeur dans le gouvernement de l'Espagne arabe, aurait, en 716, occupé pacifiquement Lisbonne, pillé Coïmbre, et rasé les villes de Porto, Braga, Tuy, Lugo et Orense : « Era DCCLIIII. Abdelaziz « cepit Olixbonam pacifice, diripuit Colimbriam et totam regionem, << quam tradidit Mahameth Alhamar Ibentarif; deinde Portucale, « Bracham, Tudim, Luccum, Auriam vero depopulavit usque ad << solum. » Utilisée par maints auteurs, cette note est sans valeur aucune le personnage au nom étrange qu'Abd el-Azîz aurait mis en possession de Coïmbre, se retrouve dans une charte forgée au monastère de Lorvão; or, cette charte dont la suscription est ainsi rédigée : « Alboacem Iben Mahumet Alhamar Iben Tarif, bellator fortis, vin<«< citor Hispaniarum, dominator caballariae Gothorum et magnae

de ces diverses régions tombèrent aux mains des Infidèles, qui y mirent des garnisons; bien plus, bon nombre d'habitants, non contents de se soumettre aux vainqueurs, abjurèrent le Christianisme. Mais ces faits, nous ne les connaissons par aucun témoignage direct; nous les induisons d'événements postérieurs1; en sorte que nous ne savons ni à quelle date exacte, ni dans quelles circonstances les Musulmans établirent leur domination dans les différentes zones de la « Galice».

Presque au lendemain de la défaite de Rodrigue, il y eut des Wisigoths qui, fuyant devant les armées ennemies, gagnèrent les portions montagneuses du Nord et du NordOuest de la Péninsule. Nous avons vu incidemment que Târik, vers la fin de l'année 711, trouva Tolède abandonnée, ses habitants étant allés se concentrer dans Amaya 3. De mênie, scit avant, soit pendant le siège de Mérida (713), une partie de la population réussit à quitter la place et à se réfugier en « Galice 4 ». Et c'est également en « Galice » que se reti

" << litis Roderici ›, est une des supercheries les plus éhontées qui soient (voir le texte dans Brito, op. cit., fol. 287 v-288 r, Sandoval, op. cit., pp. 87-89, ou Huerta, Anales de Galicia, II, escr. VI, pp. 389-390).

1. A savoir des conquêtes effectuées par Alphonse Ier vers 741-754. 2. Sur l'attitude des Chrétiens au cours de l'invasion, voir A. Cotarelo y Valledor, Los Cristianos españoles ante la invasión musulmana. Santiago, 1919, in-16, 40 pp. (Extr. de El Eco Franciscano).

3. Ci-dessus, p. 108. Cf. Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, p. 18; Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, p. 45 et Noweyri, trad. de Slane, loc. cit., p. 349.

4. Akhbar madjmoûa, éd. Lafuente y Alcántara, trad. p. 30; trad. Dozy, Recherches, 3o éd., I, p. 55 : « Les habitants conclurent alors « un traité, en vertu duquel les propriétés des chrétiens qui avaient • péri le jour de l'embuscade et de ceux qui s'étaient réfugiés en Galice <appartiendraient aux musulmans », etc. Cf. Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, p. 23; Ibn el-Athîr, trad. Fagnan, Annales, p. 48; Mak

rèrent, dit-on, plusieurs gouverneurs de villes 1. Il serait toutefois bien téméraire d'affirmer que cet exode fut considérable : la masse, qu'elle fût urbaine ou rurale, n'avait rien à perdre à un changement de régimo 2; et ceux qui émigrèrent, ce furent, à n'en pas douter, des patriciens et dignitaires de la monarchie déchue, soit, au total, une minorité 3.

Constituées par d'étroites vallées transversales communiquant malaisément entre elles, peu accessibles du côté de la Galice, défendues à l'Est par l'épais massif des Pics d'Europe, séparées des plaines du Leon par une haute et compacte chaîne de montagnes, les Asturies d'Oviedo forment une sorte de citadelle naturelle. C'est là, et principalement dans les districts voisins de la Liébana, que se rassemblèrent la plupart des nobles wisigoths qui s'étaient volontairement exilés 5,

kari, I, p. 171 (trad. Gayangos, Mohammedan dynasties, I, p. 285 et trad. Lafuente y Alcántara, op. cit., pp. 188-189).

1. Akhbar madjmoûa, éd. Lafuente y Alcántara, trad. p. 27; trad. Dozy, Recherches, 3o éd., I, p., 51 : « Moghîth trouva le chrétien [le « gouverneur de Cordoue] étendu sur son bouclier. Ce fut le seul • prince chrétien qui fût fait prisonnier; tous les autres conclurent « des traités ou se retirèrent en Galice. » Cf. Ibn Adhari, trad. Fagnan, II, p. 16; Makkari, I, p. 166 (trad. Gayangos, Mohammedan dynasties, I, p. 280 et trad. Lafuente y Alcántara, op. cit., p. 182). Aux textes cités ici et dans les deux précédentes notes, joindre Ibn Khaldoun, IV, p. 118, qui signale de son côté cet exode vers la « Galice ». 2. Voir Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, II, pp. 22-30. 3. Herculano, Hist. de Portugal, III (5o éd.), p. 173; F. de Cárdenas, Ensayo sobre la historia de la propiedad territorialen España, I (Madrid, 1873, in-8°), pp. 185, 186, 204 et 205.

4. Voir M. Sainz, La cuna de la Reconquista española, dans Razón y Fé, LI (1918), pp. 141-149 et 292-305.

5. Pseudo-Alphonse, ch. 8: « Gothi vero partim gladio, partim « fame perierunt. Sed qui ex semine regio remanserunt, quidam «< ex illis Franciam petierunt; maxima vero pars in hanc patriam « Asturiensium intraverunt. » Le P. Tailhan, Anonyme de Cordoue, p. 190, n. 4, considérait les mots « ex semine regio » comme interpolés, parce qu'on les rencontre de nouveau, quelques lignes plus bas, accolés au nom de Fafila, père de Pélage; mais la tradition manuscrite ne confirme en aucune manière l'opinion du P. Tailhan.

« AnteriorContinuar »