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de Mahmoûd, révolte de Nepociano), ne se rencontrent qu'à de rares intervalles (ch. 3, 22 et 23); des récits vraiment détaillés (bataille de Covadonga, exploits de Moûsa), font exception et presque tache (ch. 9-10 et 25-26). En revanche, il arrive souvent que l'exposé soit si concis qu'il en devienne obscur pourquoi les Galiciens s'insurgèrent-ils contre Fruela, puis contre Silo (ch. 16 et 18), et où se trouvait, lors de la première révolte, le centre du mouvement? Pourquoi les Vascons tentèrent-ils de secouer le joug sous Fruela et Ordoño Ier (ch. 16 et 25), et qu'étaient au juste ces Vascons? Pourquoi Aurelio et Silo ont-ils vécu en paix avec les Arabes (ch. 17 et 18), alors que leurs prédécesseurs et successeurs ont bataillé contre les Infidèles ? Pourquoi, sous le règne d'Aurelio (ch. 17), les esclaves ont-ils pris les armes contre leurs maîtres, et quels étaient ces esclaves? Autant de questions que le narrateur laisse sans réponse. Ajoutez à cela que, par ailleurs, le Pseudo-Alphonse tait de propos délibéré tels détails qui nous seraient utiles: il écrit que Ramire Ier réprima de fréquentes rébellions', mais il en mentionne deux seulement; que Lope ben Moûsa combattit les Arabes aux côtés d'Ordoño Ier, mais il ne dit pas en quelles circonstances 2; qu'Ordoño Ier lutta à maintes reprises contre les Musulmans et s'empara de maintes villes 3, mais il ne note qu'une rencontre avec les Arabes et se borne à nommer deux des places reconquises.

Autre défaut, non moins grave. Comme Isidore de Séville, le Pseudo-Alphonse n'a cure de fixer dans le temps les

1. Pseudo-Alphonse, ch. 24: « Interim Ranimirus princeps bellis « civilibus saepe impulsus est. »>

2. Idem, ch. 26: «... postea vero cum eo [Ordonio] adversus Caldeos << praelia multa gessit. »

3. Idem, ch. 25 : « Adversus Caldeos saepissime praeliatus est, et « triumphavit in primordio regni sui »; ch. 26: « Multas et alias civi«tates iam saepe dictus Ordonius rex praeliando cepit. »

événements qu'il rapporte. Sauf exception, il marque la date finale de chaque règne 1, — encore ne précise-t-il ni le mois, ni le jour ; mais, à part ces dates finales, il n'en indique que deux autres, implicitement du reste et non sans faire erreur pour l'une d'elles (invasion de 794, et invasion de 816, placée ici en 821) 2. Est-on sûr, du moins, que l'ordre adopté dans le récit corresponde à la succession réelle des faits? Occasionnellement cet ordre sera reconnu exact: ainsi, il n'est pas douteux que la campagne de 816 soit antérieure au soulèvement de Mahmoûd 3. Mais, en maints endroits, l'incertitude ne peut être levée, et l'on ne sait, par exemple, si la rébellion d'Aldroito et de Piniolo suivit le débarquement des Normands à Gijon en 844, ou si la prise de Coria et Talamanca fut effectuée avant l'attaque de la Galice, en 859-860, par les bandes normandes.

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Pauvre de faits, dépourvu de dates, ou peu s'en faut, l'ouvrage est-il cependant digne de foi ? L'auteur a certainement utilisé quelques sources écrites : il cite lui-même Julien de Tolède, auquel il renvoie (ch. 2) 5 ; il a probablement connu la Continuativ hispana a. 7546; d'autre part, il avait sous les yeux des listes des rois wisigoths et asturiens, analogues à celles que nous rencontrons dans divers documents; peut

1. La date finale n'est pas donnée pour Wamba (ch. 3), Rodrigue (ch. 7), Fruela (ch. 16), Ordoño (ch. 26).

2. Pseudo-Alphonse, ch. 21: « Huius regni anno tertio Arabum << exercitus », etc. (c'est l'expédition de 794); ch. 22 : « Huius regni anno « XXX geminus Caldeorum exercitus», etc. (c'est l'expédition de 816). 3. La défaite et la mort de Mahmoûd se placent, d'après les sources arabes, en 840.

4. Il n'y a pas à tenir compte des indications contraires contenues dans la lettre-préface d'Alphonse III à Sébastien, cette lettre étant fort suspecte. Cf. Revue Hispanique, XLVI (1919), PP. 324-328. 5. Cf. García Villada, op. cit., p. 40.

6. García Villada, op. cit., pp. 41-43.

7. Sans le secours de ces mementos, jamais l'auteur n'aurait pu préciser la durée de chaque règne.

être même s'est-il servi d'autres textes, aujourd'hui perdus 1. Mais il a surtout utilisé des sources orales. C'est sur des traditions orales que sont fondés, du moins en grande partie, les chapitres relatifs à Wamba et aux successeurs de ce dernier, jusqu'à Rodrigue inclus (ch. 2-7) ; et telles de ces traditions étaient même corrompues et déformées, puisque le Witiza de l'histoire, prince clément et pieux, se transforme ici en un tyran débauché et cruel 2. Pareillement, ce sont des traditions orales qui constituent la trame des chapitres relatifs à Pélage et à la bataille de Covadonga, ainsi qu'aux successeurs de Pélage, jusqu'à Bermude Ier (ch. 8-20); et ce sont, principalement pour Pélage et Alphonse Ier, des traditions impures ou délibérément altérées, puisque deux faits, l'un essentiel, l'autre secondaire, soit la bataille de Covadonga et la mort d'Alphonse Ier, sont racontés l'un et l'autre avec un goût très prononcé pour le merveilleux et sans aucun souci de la vraisemblance 3.

A partir du règne d'Alphonse II (ch. 21), la qualité de l'information s'améliore. L'auteur a dû recueillir le témoignage de contemporains d'Alphonse II; lui-même avait peut-être

1. Le P. García Villada, op. cit., pp. 43-44, suppose qu'il s'est servi d'une source à laquelle aurait également puisé le rédacteur du Chronicon Albeldense. Sur ce point, qui nous paraît douteux, voir Revue Hispanique, XLVI (1919), pp. 342 et suiv.

2. Sur la façon dont s'est formée la légende de Witiza, consulter Dozy, Recherches, 3o éd. (Leyde, 1881, 2 vol. in-8o), I, pp. 15-19; sur la légende proprement dite,.voir Tailhan, Anonyme de Cordoue (Paris, 1885, in-fol.), pp. 159-166.

3. Cf. García Villada, op. cit., pp. 45-46. Dans les chapitres auxquels nous faisons allusion, le Pseudo-Alphonse accumule les citations de l'Écriture (ch. 9, 11 et 15), les souvenirs bibliques (ch. 10, in fine), et les protestations de bonne foi (ch. 10 et 15). Ces dernières sont même de nature à faire douter de la crédulité de l'auteur. Cf. au ch. 10, les mots : « Non istud miraculum inane aut fabulosum putetis », et, au ch. 15, la phrase : « Hoc verum esse prorsus cognoscite, nec fabu«losum dictum putetis, alioquin tacere magis eligerem, quam falsa « promere maluissem. »

atteint l'âge d'homme à l'époque de Ramire, et il l'avait sûrement atteint au temps d'Ordoño Ier. Aussi, en cette portion de la chronique, mérite-t-il plus de confiance. Entendons-nous : quand d'autres textes permettent de le contrôler, nous ne le trouvons pas en défaut ; nous constatons, au contraire, en dépit de quelques divergences, qu'il respecte la vérité 2; et nous regrettons uniquement qu'il donne une importance excessive à de simples épisodes, tels que la rébellion de Mahmoud, ou la défaite de Mousa.

Mais cela étant noté, on reconnaîtra que, même en ces chapitres où le détail paraît exact, l'ensemble est nettement tendancieux. A s'en tenir aux seules assertions du PseudoAlphonse, on se représenterait fort imparfaitement ce qu'a été l'Espagne wisigothique, de 672 à 711; or, si l'on ne disposait pas d'autres sources, une bonne partie de l'histoire du royaume asturien serait presque totalement ignorée. Il est en effet une catégorie d'événements que le chroniqueur passe sous silence, ou note à peine; savoir les rapports entre émirs de Cordoue et rois d'Oviedo. Il semblerait, à lire notre texte, que ces rapports eussent été assez rares; que les rencontres entre Chrétiens et Infidèles se fussent toujours terminées à l'avantage des premiers; que les pertes subies par les Musulmans eussent toujours été considérables 3. Mais,

1. García Villada, op. cit., p. 46.

2. Ainsi, il est certain qu'Alphonse II vainquit les Arabes dans les Asturies, à Lutos, et plus tard en Galice; que le rebelle Mahmoud de Mérida fut par lui mis à la raison ; que Ramire eut à deux reprises l'occasion de lutter contre les Infidèles, sinon de les battre; qu'en 844, les Normands, après avoir ravagé les côtes de la Galice, allèrent piller Séville, et qu'en 859-860, ils firent voile vers Nekour, en Mauritanie, etc.

3. L'auteur mentionne même les défaites de l'ennemi avec une joie mal contenue; cf. Herculano, Historia de Portugal, III (5o éd. Lisboa, 1891, in-8o), p. 167, qui remarque « um certo enthusiasmo feroz », et M. Gómez-Moreno, loc. cit., p. 55, qui note des traces de « jactan«cias de barbarie guerrera ».

ainsi présentée, l'histoire est fausse : l'époque d'Alphonse II, de Ramire et d'Ordoño est précisément celle où les émirs de Cordoue ont le plus guerroyé contre le royaume des Asturies et se sont le plus acharnés à le combattre, multipliant les expéditions et les entreprises; c'est également celle où, malgré quelques succès, les Asturiens ont essuyé les défaites les plus répétées et couru les plus graves périls. De ces défaites, de ces périls, de cette existence souvent troublée et parfois incertaine, le Pseudo-Alphonse ne souffle pas mot. Il omet tous ces événements, nous montre la royauté constamment victorieuse, et ne nous laisse même pas soupçonner les revers éprouvés par elle; bref, il fait œuvre de chroniqueur officieux, sinon officiel. Ainsi procéderont du reste ses continuateurs, Sampiro et Pélage, lesquels se modèleront sur lui à cet égard et à d'autres encore 2.

1. Telle n'était pas l'opinion de Tailhan, Bibliothèques, pp. 339-341, qui écrivait notamment, pp. 340-341: « Tous ces chroniqueurs... << aiment la vérité... ils la disent telle qu'ils la connaissent, sans réti«< cence, sans dissimulation, sans mensonge, qu'elle soit ou non favo«rable à la cause... [des chrétiens]. Si les chrétiens sont battus, ils « l'avouent franchement... Jamais aussi on ne les surprend... étran« glant entre deux lignes le narré d'une époque néfaște. » Cf. aussi P. 341, n. 4 : « A leurs yeux, les razzias ou même les ceiphas annuelles «< et bisannuelles, sur lesquelles l'habitude les avait blasés, tombent << au rang de ces faits secondaires dont ils ne parlent que par exception.» 2. De même que la chronique du Pseudo-Alphonse, celles de Sampiro et de Pélage ont pour caractéristiques, outre leur brièveté : 1o d'être très postérieures à la plupart des faits relatés (Sampiro, qui écrivait au plus tôt à la fin du xe siècle, commence en 866 ; Pélage, qui travaillait après 1109, remonte jusqu'en 982); 2o de reposer, en majeure partie, non sur des documents écrits, mais sur la tradition orale (ce qui explique à la fois l'indigence de l'information et l'absence presque complète de dates); 3o de cacher, autant que possible, les défaites et les humiliations infligées au souverain par les ennemis du dehors, et même du dedans. Noter aussi que l'ensemble de ces trois chroniques constitue une sorte de chronique « royale », de récit officieux, écrit sous l'inspiration directe du pouvoir central.

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