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s'y passe, de la manière dont elle est gouvernée, du sort des habitans. On lui dit qu'il y a hors des murs un pouvoir qui les taxe comme il lui plaît, sans leur consentement; qui convoque leur milice et l'envoie à la guerre, leur aveu. On lui parle des magistrats, du maire, des échevins, et il entend dire que les bourgeois ne les nomment pas. Il apprend que les affaires de la commune ne se décident pas dans la commune même; un homme du roi, un intendant les administre seul et de loin. Bien plus, on lui dit que les habitans n'ont nul droit de s'assembler, de délibérer en commun sur ce qui les touche, que la cloche de leur église ne les appelle point sur la place publique. Le bourgeois du douzième siècle demeure confondu. Tout à l'heure il était stupéfait, épouvanté de la grandeur, de l'importance que la nation communale, que le tiers-état s'attribuait ; et voilà qu'il la trouve, au sein de ses propres foyers, dans un état de servitude, de faiblesse, de nullité bien pire que tout ce qu'il connaît de plus fâcheux. Il passe d'un spectale au spectacle contraire, de la vue d'une bourgeoisie souveraine à la vue d'une bourgeoisie impuissante: comment voulez-vous qu'il comprenne, qu'il

concilie, que son esprit ne soit pas bouleversé?

à

Messieurs, retournons à notre tour dans le douzième siècle, nous bourgeois du dix-neuvième; nous assisterons, en sens contraire, à un double spectacle absolument pareil. Toutes les fois que nous regarderons aux affaires générales, à l'État, au gouvernement du pays, l'ensemble de la société, nous ne verrons point de bourgeois, nous n'en entendons pas parler; ils ne sont de rien, ils n'ont aucune importance; et non-seulement ils n'ont dans l'Etat aucune importance, mais si nous voulons savoir ce qu'ils en pensent eux-mêmes.comment ils en parlent, quelle est à leurs propres yeux leur situation dans leurs rapports avec le gouvernement de la France en général, nous trouverons leur langage d'une timidité, d'une humilité extraordinaires. Leurs anciens maîtres, les seigneurs, auxquels ils ont arraché leurs franchises, les traitent, de paroles du moins, avec une hauteur qui nous confond; ils ne s'en étonnent, ils ne s'en irritent point.

Entrons dans la commune même; voyons ce qui s'y passe: la scène change; nous sommes dans une espèce de place forte défendue par des bourgeois armés; ces bourgeois se taxent,

élisent leurs magistrats, jugent, punissent, s'assemblent pour délibérer sur leurs affaires; tous viennent à ces assemblées; ils font la guerre pour leur compte, contre leur seigneur; ils ont une milice. En un mot, ils se gouvernent; ils sont souverains.

C'est le même contraste qui, dans la France du dix-huitième siècle, avait tant étonné le bourgeois du douzième; seulement les rôles sont déplacés. Ici, la nation bourgeoise est tout, la commune rien; là, la nation bourgeoise n'est rien, la commune tout.

Certes, Messieurs, il faut qu'entre le douzième et le dix-huitième siècle il se soit passé bien des choses, bien des événemens extraordinaires, qu'il se soit accompli bien des révolutions pour amener dans l'existence d'une classe sociale un changement si immense. Malgré ce changement, nul doute que le tiers-état de 1789 ne fût, politiquement parlant, le descendant et l'héritier des communes du douzième siècle. Cette nation française si hautaine, si ambitieuse, qui élève ses prétentions si haut, qui proclame sa souveraineté avec tant d'éclat, qui prétend non-seulement se régénérer, se gouverner elle-même, mais gouverner et régé

nérer le monde, descend incontestablement de ces communes qui se révoltaient au douzième siècle, assez obscurément, quoique avec beaucoup de courage, dans l'unique but d'échapper. dans quelques coins du territoire, à l'obscure tyrannie de quelques seigneurs.

A coup sûr, Messieurs, ce n'est pas dans l'état des communes au douzième siècle que nous trouverons l'explication d'une telle métamorphose; elle s'est accomplie, elle a ses causes dans les événemens qui se sont succédé du douzième au dix-huitième siècle; c'est là que nous les rencontrerons en avançant. Cependant, Messieurs, l'origine du tiers-état a joué un grand rôle dans son histoire; quoique nous n'y devions pas apprendre tout le secret de sa destinée, nous y en reconnaîtrons du moins le germe; ce qu'il a été d'abord se retrouve dans ce qu'il est devenu, beaucoup plus même peut-être que ne le feraient présumer les apparences. Un tableau, mêmeincomplet, de l'état des communes au douzième siècle vous en laissera,je crois,convaincus.

Pour bien connaître cet état, il faut considérer les communes sous deux points de vue principaux. Il y a là deux grandes questions à résoudre: la première, celle de l'affranchissement

mème des communes, la question de savoir comment la révolution s'est opérée, par quelles causes, quel changement elle a apporté dans la situation des bourgeois, ce qu'elle en a fait dans la société en général,au milieu des autres classes, dans l'Etat. La seconde question est relative au gouvernement même des communes, à l'état intérieur des villes affranchies, aux rapports des bourgeois entre eux, aux principes, aux formes, aux moeurs qui dominaient dans les cités.

C'est de ces deux sources, d'une part du changement apporté dans la situation sociale des bourgeois, et de l'autre de leur gouvernementintérieur, de leur état communal, qu'a découlé toute leur influence sur la civilisation moderne. Il n'y a aucun des faits que cette influence a produits qui ne doive être rapporté à l'une ou à l'autre de ces deux causes. Quand donc nous nous en serons bien rendu compte, quand nous comprendrons bien l'affranchissement des communes d'une part, et le gouvernement des communes de l'autre, nous serons en possession, pour ainsi dire, des deux clefs de leur histoire. Enfin je dirai un mot de la diversité de l'état des communes en Europe. Les faits que je vais mettre sous vos yeux ne s'appliquent point in

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