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jesté impériale, d'un pouvoir absolu, sacré, attaché au nom de l'empereur. Ce sont là les élémens que la civilisation romaine a transmis à la civilisation européenne ; d'une part, le régime municipal, ses habitudes, ses règles, ses exemples, principe de liberté; de l'autre, une législation civile commune, générale, et l'idée du pouvoir absolu, de la Majesté sacrée, du pouvoir de l'empereur, principe d'ordre et de servitude.

Mais, Messieurs, en même temps s'était formée dans le sein de la société romaine une société bien différente, fondée sur de tout autres principes, animée d'autres sentimens, et qui devait apporter à la civilisation européenne moderne des élémens d'une bien autre nature; je veux parler de l'Église chrétienne. Je dis l'Eglise chrétienne, et non pas le christianisme. A la fin du quatrième et au commencement du cinquième siècle, le christianisme n'était plus simplement une croyance individuelle, c'était une institution; il s'était constitué; il avait son gouvernement, un corps du clergé, une hiérarchie déterminée pour les différentes fonctions du clergé, des revenus, des moyens d'action indépendans, les points de ralliement qui peuvent convenir à une grande société, des conciles provinciaux, nationaux, généraux, l'habitude de traiter en commun les affaires. de la société. En un mot, à cette époque, le chris

tianisme n'était pas seulement une religion, c'était une église.

S'il n'eût pas été une église, je ne sais, Messieurs, ce qui en serait advenu au milieu de la chute de l'Empire romain. Je me renferme dans les considérations purement humaines; je mets de côté tout élément étranger aux conséquences naturelles des faits naturels; si le christianisme n'eût été, comme dans les premiers temps, qu'une croyance, un sentiment, une conviction individuelle, on peut croire qu'il aurait succombé au milieu de la dissolution de l'Empire et de l'inva→ sion des Barbares. Il a succombé plus tard, en Asie et dans tout le nord de l'Afrique, sous une invasion de même nature, sous l'invasion des Barbares musulmans; il a succombé alors quoiqu'il fût à l'état d'institution, d'église constituée. A bien plus forte raison le même fait aurait pu arriver au moment de la chute de l'Empire romain. Il n'y avait alors aucun des moyens par lesquels aujourd'hui les influences morales s'établissent ou résistent indépendamment des institutions, aucun des moyens par lesquels une pure vérité, une pure idée acquiert un grand empire sur les esprits, gouverne les actions, détermine des événemens. Rien de semblable n'existait au quatrième siècle, pour donner aux idées, aux sentimens personnels, une pareille

autorité. Il est clair qu'il fallait une société fortement organisée, fortement gouvernée, pour lutter contre un pareil désastre, pour sortir victorieuse d'un tel ouragan. Je ne crois pas trop dire en affirmant qu'à la fin du quatrième, et au commencement du cinquième siècle, c'est l'Église chrétienne qui a sauvé le christianisme; c'est l'Église avec ses institutions, ses magistrats, son pouvoir, qui s'est défendue vigoureusement contre la dissolution intérieure de l'Empire, contre la Barbarie, qui a conquis les Barbares, qui est devenue le lien, le moyen, le principe de civilisation entre le monde romain et le monde barbare. C'est donc l'état de l'Église plus que de celui la religion proprement dite qu'il faut considérer au cinquième siècle, pour rechercher ce que christianisme a dès-lors apporté à la civilisation moderne, quels élémens il y introduisait. Qu'était à cette époque l'Église chrétienne?

le

Quand on regarde, toujours sous un point de vue purement humain, aux diverses révolutions qui se sont accomplies dans le développement du christianisme, depuis son origine jusqu'au cinquième siècle, à le considérer uniquement comme société, je le répète, nullement comme croyance religieuse, on trouve qu'il a passé par trois états essentiellement différens.

Dans les premiers temps, tout-à-fait dans les

premiers temps, la société chrétienne se présente comme une pure association de croyances et de sentimens communs; les premiers chrétiens se réunissent pour jouir ensemble des mêmes émotions, des mêmes convictions religieuses. On n'y trouve aucun système de doctrine arrêté, aucun ensemble de règles, de discipline, aucun corps de magistrats.

Sans doute il n'existe pas de société, quelque naissante, quelque faiblement constituée qu'elle soit, il n'en existe aucune où ne se rencontre un pouvoir moral qui l'anime et la dirige. Il y avait, dans les diverses congrégations chrétiennes, des hommes qui prêchaient, qui enseignaient, qui gouvernaient moralement la congrégation; mais aucun magistrat institué, aucune discipline; la pure association dans des croyances et des sentimens communs, c'est l'état primitif de la société chrétienne.

A mesure qu'elle avance, et très-promptement, puisque la trace s'en laisse entrevoir dans les premiers monumens, on voit poindre un corps de doctrines, des règles de discipline et des magistrats : des magistrats appelés les uns πρεσβύτεροι, οιι anciens, qui sont devenus des prêtres; les autres εTOOTо ou inspecteurs, surveillans, qui sont devenus des évêques; les autres diaxovo, ou diacres

chargés du soin des pauvres et de la distribution des aumônes.

Il est à peu près impossible de déterminer quelles étaient les fonctions précises de ces divers magistrats; la ligne de démarcation était probablement très-vague et flottante; mais, enfin, les institutions commençaient. Cependant un caractère domine encore dans cette seconde époque: c'est que l'empire, la prépondérance dans la société, appartient au corps des fidèles. C'est le corps des fidèles qui prévaut quant au choix des magistrats, et quant à l'adoption, soit de la discipline, soit même de la doctrine. Il ne s'est point fait encore de séparation entre le gouvernement et le peuple chrétien. Ils n'existent pas l'un à part de l'autre, l'un indépendamment de l'autre; et c'est le peuple chrétien qui exerce la principale influence dans la société.

A la troisième époque, on trouve tout autre chose. Il existe un clergé séparé du peuple, un corps de prêtres qui à ses richesses, sa juridiction, sa constitution propre, en un mot, un gouvernement tout entier, qui est en lui-même une société complète, une société pourvue de tous les moyens d'existence, indépendamment de la société à laquelle elle s'applique et sur laquelle elle étend son influence. Telle est la troisième

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