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COURS

D'HISTOIRE

MODERNE.

MESSIEURS,

Je suis profondément touché de l'accueil que je reçois de vous. Je me permettrai de dire que je l'accepte comme un gage de la sympathie qui n'a pas cessé d'exister entre nous, malgré une si longue séparation. Je dis que la sympathie n'a pas cessé d'exister, comme si je retrouvais dans cette enceinte les mêmes personnes, la même génération qui avaient coutume d'y venir, il y a sept ans, s'associer à mes travaux. (M. Guizot paraît ému et s'arrête un moment.) Je vous demande pardon, Messieurs; votre accueil si bienveillant m'a un peu troublé.... Parce que je

reviens ici, il me semble que tout y doit revenir, que rien n'est changé tout est changé pourtant, Messieurs, et bien changé! (Mouvement.) Il y a sept ans, nous n'entrions ici qu'avec inquiétude, préoccupés d'un sentiment triste, pesant; nous nous savions entourés de difficultés, de périls; nous nous sentions entraînés vers un mal que vainement, à force de gravité, de tranquillité, de réserve, nous essayions de détourner. Aujourd'hui nous arrivons tous, vous comme moi, avec confiance et espérance, le cœur en paix et la pensée libre. Nous n'avons qu'une manière, Messieurs, d'en témoigner dignement notre reconnaissance: c'est d'apporter dans nos réunions, dans nos études, le même calme, la même réserve que nous y apportions quand nous redoutions chaque jour de les voir entravées ou suspendues. Je vous demande la permission de vous le dire : la bonne fortune est chanceuse, délicate, fragile; l'espérance a besoin d'être ménagée comme la crainte; la convalescence exige presque les mêmes soins, la même prudence que les approches de la maladie. Vous les aurez, Messieurs, j'en suis sûr. Cette même sympathie, cette correspondance intime et rapide d'opinions, de sentimens, d'idées, qui nous unissait dans les jours difficiles, et nous a du moins épargné les fautes, nous unira également dans les bons jours, et nous mettra en mesure

d'en recueillir tous les fruits. J'y compte, Messieurs, j'y compte de votre part, et n'ai besoin de rien de plus. (Applaudissemens.)

Nous avons bien peu de temps devant nous d'ici à la fin de l'année. J'en ai eu moi-même bien peu pour penser au cours que je devais vous présenter. J'ai cherché quel serait le sujet qui pourrait se renfermer le mieux, soit dans l'espace qui nous reste, soit dans le très-peu de jours qui m'ont été donnés pour me préparer. Il m'a paru qu'un tableau général de l'histoire moderne de l'Europe, considérée sous le rapport du développement de la civilisation, un coup-d'œil général sur l'histoire de la civilisation européenne, de ses origines, de sa marche, de son but, de son caractère; il m'a paru, dis-je, qu'un tel tableau se pouvait adapter au temps dont nous disposons. C'est le sujet dont je me suis déterminé à vous

entretenir.

Je dis de la civilisation européenne : il est évident qu'il y a une civilisation européenne ; qu'une certaine unité éclate dans la civilisation des divers Etats de l'Europe; qu'elle découle de faits

à

peu près semblables, malgré de grandes diversités de temps, de lieux, de circonstances; qu'elle se rattache aux mêmes principes, et tend à amener à peu près partout des résultats analogues. Il y a donc une civilisation européenne,

et c'est de son ensemble que je veux vous oc

cuper.

D'un autre côté, il est évident que cette civilisation ne peut être cherchée, que son histoire ne peut être puisée dans l'histoire d'un seul des Etats européens. Si elle a de l'unité, sa variété n'en est pas moins prodigieuse; elle ne s'est dé veloppée tout entière dans aucun pays spécial. Les traits de sa physionomie sont épars: il faut chercher, tantôt en France, tantôt en Angleterre, tantôt en Allemagne, tantôt en Espagne, les élémens de son histoire.

Nous sommes bien placés pour nous adonner à cette recherche et étudier la civilisation européenne. Il ne faut flatter personne, pas même son pays; cependant je crois qu'on peut dire sans flatterie que la France a été le centre, le foyer de la civilisation de l'Europe. Il serait excessif de prétendre qu'elle ait marché toujours, dans toutes les directions, à la tête des nations. Elle a été devancée, à diverses époques, dans les arts, par l'Italie; sous le point de vue des institutions politiques, par l'Angleterre. Peut-être, sous d'autres points de vue, à certains momens, trouverait-on d'autres pays de l'Europe qui lui ont été supérieurs; mais il est impossible de méconnaître que, toutes les fois que la France s'est vue devancée dans la carrière de la civilisation, elle

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a repris une nouvelle vigueur, s'est élancée et s'est retrouvée bientôt au niveau ou en avant de tous. Non-seulement il lui est arrivé ainsi; mais les idées, les institutions civilisantes, si je puis ainsi parler, qui ont pris naissance dans d'autres territoires, quand elles ont voulu se transplanter, devenir fécondes et générales, agir au profit commun de la civilisation européenne, on les a vues, en quelque sorte, obligées de subir en France une nouvelle préparation; et c'est de la France, comme d'une seconde patrie, plus féconde, plus riche, qu'elles se sont élancées à la conquête de l'Europe. Il n'est presque aucune grande idée, aucun grand principe de civilisation qui, pour se répandre partout, n'ait passé d'abord par la France.

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C'est qu'il y a dans le génie français quelque chose de sociable, de sympathique, quelque chose qui se répand avec plus de facilité et d'énergie que dans le génie de tout autre peuple: soit notre langue, soit le tour particulier de notre esprit, de nos meurs, nos idées sont plus populaires, se présentent plus clairement aux masses, y pénètrent plus facilement; en un mot, la clarté, la sociabilité, la sympathie sont le caractère particulier de la France, de sa civilisation, et ces qualités la rendaient éminemment propre à marcher à la tête de la civilisation européenne.

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