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Après avoir repoussé l'armée française de la frontière de Naples et fait lever au duc de Guise le siége de Civitella, le duc d'Albe avait reparu dans les États pontificaux à la tête de forces supérieures. Il s'était jeté dans la vallée d'Orvietto, et, passant par Banco et Sora, il avait joint, à Ponte di Sacco, Marcantonio, Colonna, qui avait enlevé le château de Pratica, s'était emparé de la ville de Palestrina, avait battu les troupes du pape entre Valmonte et Paliano, assiégé et pris Rocca di Massimo et pénétré de vive force dans Segni. La jonction opérée, il avait marché sur Rome, avec le dessein et l'espoir de la surprendre. Paul IV était réduit à l'impuissance. Le duc de Guise, irrité d'avoir été si mal soutenu par les Caraffa, s'était retiré à Macerata, où il restait cantonné avec son armée. Les Allemands que Paul IV avait pris à sa solde, et qui étaient presque tous luthériens 1, lui nuisaient plus auprès de ses sujets qu'ils n'étaient capables de le protéger contre ses ennemis. Ce fut sur ces entrefaites que le duc d'Albe s'avança, dans la nuit du 26 août, jusque sous les murs de Rome. Il lui aurait été assez facile d'y entrer; mais, soit qu'il craignît un échec en voyant la ville toute illuminée et en la croyant prête à se défendre, soit qu'il reculât devant l'horreur d'un nouveau sac de Rome, il ne poussa pas jusqu'au bout son entreprise. La menace n'en jeta pas moins la consternation dans la ville pontificale, et remplit le cœur de Paul IV de colère et d'épouvante. « C'était une chose horrible à voir, dit l'ambassadeur vénitien Navagero, <«< que les lumières placées pendant plusieurs nuits sur toutes les mai«sons, par crainte de ceux du dehors et de ceux du dedans. Il naissait « de là un très-grand mécontentement dans la cité de Rome, où les uns «< désiraient la mort du pape, les autres demandaient que le duc d'Albe « entrât au plus tôt dans Rome, et des citoyens romains s'entendirent << entre eux pour lui en ouvrir les portes s'il s'y présentait. Le pape, «l'ayant su, les appelait dégénérés de leur antique sang et de la valeur

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« romaine 2. »

Paul IV mettait ses dernières espérances dans les troupes françaises, qui étaient accourues de Macerata et qui campaient à Monte-Rotondo et à Tivoli; mais le duc de Guise fut soudainement rappelé par le roi son maître après la défaite de Saint-Quentin. Henri II, dans l'extrémité où le plaçait ce grand revers, considéra un aussi habile capitaine comme seul capable d'arrêter l'ennemi victorieux. L'instruisant des

1 Cette « gente tedesca, » comme dit Navagero, «era in tutto luterana, non voleva la messa, abborriva le immagini, non faceva in tutti i giorni differenza di cibo, etc. » Relatione di Roma, dans Alberi, série II, vol. III, p. 401. Navagero, Relatione di Roma, dans Alberi, série II, vol. III,

P. 408.

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mesures qu'il avait prises, des levées considérables qu'il avait ordonnées, il lui écrivit, dans un simple et noble langage: «Reste à avoir « bon cœur et à ne s'estonner de rien1. » Il l'invita à laisser d'assez fortes garnisons dans quelques bonnes places de l'État ecclésiastique, du Siennois, de la Toscane, et à partir tout de suite avec ses meilleures troupes. « Je ne seray point à mon aise, ajoutait-il, que je ne sache « que vous soyez en chemin 2. »>

Le duc de Guise quitta donc l'Italie et dit en partant: «<J'aime bien l'Église de Dieu; mais je ne feray jamais entreprises ni conquestes sur << la parole et la foy d'un prestre3.» Paul IV, qu'il laissa maître de s'arranger avec les Espagnols, s'y voyait contraint, à son grand déplaisir. Depuis quelque temps, il s'en montrait moins éloigné. Philippe II n'avait pas cessé de lui faire parvenir les plus humbles supplications, en lui offrant une obéissance qui touchait à l'abaissement. Il ne pouvait pas supporter la pensée d'être en guerre avec le souverain pontife: aussi ordonna-t-il au duc d'Albe « de négocier la paix à des conditions <<< qui n'eussent rien de dégradant, d'humiliant, pour Sa Sainteté3, car il <«< aimait mieux, disait-il, perdre les droits de sa couronne que de tou<«< cher même le plus légèrement à ceux du Saint-Siége. » Le fils de Charles-Quint, en cela si peu semblable à son père, étant prêt à subir la loi du pape en Italie, lorsqu'il pouvait la lui imposer, l'arrangement était facile et devait être prompt. Deux conventions, l'une publique, l'autre secrète, furent conclues, le 14 septembre, entre Paul IV et Philippe II. La première portait que le roi Catholique ferait ses soumissions au pape, qui renoncerait à l'alliance des Français; qu'il restituerait toutes les places qui avaient été prises sur lui, et dont les fortifications seraient abattues; que Paliano serait mis en séquestre entre les mains de Jean Bernardin Carbone, parent des Caraffa, jusqu'à ce que les parties en eussent décidé autrement. Par la seconde, il fut stipulé que Jean Caraffa recevrait, à titre de principauté, la ville de Rossano; qu'il céderait au roi d'Espagne Paliano, dont le séquestre cesserait alors, dont les fortifications seraient rasées, et que le roi d'Espagne pourrait donner à qui il lui conviendrait, pourvu que ce ne fût point à un excommunié ou à un ennemi du pape : c'était exclure de sa possession Marcantonio Colonna, qui en avait été dépouillé comme ami des Espagnols, qui s'était distingué

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Lettre de Henri II au duc de Guise, du 15 août 1557. Ribier, t. II, p. 701. Ibid. t. II, p. 700. 3 Brantôme, t. V, p. 310, Vie de Marie d'Autriche, reyne de Hongrie. Lettre de Selve à Henri II. Ribier, t. II, p. 696 à 698. 5 Lettre de Philippe II au duc d'Albe, citée par Adolfo de Castro. Historia de los protestantes españoles, etc., in-8°, Cadiz, 1851, p. 131. Retiro, estancia, etc., fol. 156, ro.

dans la dernière guerre comme leur allié, et qu'on sacrifiait à l'opiniâtre animosité du pape. Il fut, de plus, stipulé «que Sa Sainteté recevrait du roi Catholique, par l'organe de son plénipotentiaire le duc «d'Albe, toutes les soumissions nécessaires pour obtenir le pardon de uses offenses1.»

L'impérieux et altier Paul IV s'attacha à rendre éclatante, dans une cérémonie publique, l'humiliation du roi qui l'avait vaincu. Assis sur le tróne pontifical, entouré des cardinaux et au milieu de l'appareil le plus solennel, il admit auprès de lui le duc d'Albe, qui, tombant à ses genoux, le pria d'absoudre le roi et l'Empereur des censures qu'ils avaient encourues en lui faisant la guerre. Le pape donna alors cette absolution avec la majesté hautaine et l'indulgence généreuse d'un maître et d'un supérieur. Il dit ensuite en plein consistoire « qu'il avait rendu au siége apostolique le plus grand service qu'il eût jamais reçu, en apprenant "aux souverains pontifes, par l'exemple même du roi d'Espagne, à abaisser l'orgueil des princes qui méconnaîtraient toute l'étendue de «l'obéissance qu'ils doivent au chef visible de l'Église 2. » Le duc d'Albe, que Paul IV logea dans le palais du Vatican et qu'il fit manger à sa table, ne sentit pas moins la faiblesse du roi son maître : « Si j'avais été le roi « d'Espagne, dit-il, le cardinal Caraffa serait allé à Bruxelles implorer « aux pieds de Philippe II le pardon que je viens de demander aux pieds de Paul IV 3. »

La paix rétablie avec le Saint-Siége combla de joie la religieuse Espagne, où le souverain pontife conservait un parti puissant, dans le clergé surtout. Les cloches furent mises en branle dans toutes les villes, et il y eut à Valladolid deux processions d'actions de grâce auxquelles assis tèrent la gouvernante d'Espagne et le prince don Carlos". Charles-Quint fut loin de partager cette allégresse. Vasquez lui transmit les lettres du cardinal de Siguenza, qui rendait compte de la négociation du traité et de l'accueil fait au duc d'Albe dans le palais du Vatican. Restituer à l'ennemi invétéré de la domination espagnole en Italie tout ce qu'on avait pris sur lui sans l'obliger à rendre ce qu'il avait enlevé aux par

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'Historia de los protestantes españoles, p. 131. - Ibid. p. 131. Il disait à Selve, ambassadeur de Henri II, que personne n'était exempt de sa juridiction, fût-il empereur ou roy, et qu'il pouvait priver empereurs et rois de leurs empires et royaumes sans avoir à en rendre compte qu'à Dieu. » Lettre de Selve à Henri II, du 8 janvier 1558. Ribier, t. II, p. 716. —3«El rey mi amo ha incurrido en gran falta. Si cambiándose la suerte yo hubiese sido rey de España, el cardenal Carrafa hubiera ido á Bruselas á hacer de rodillas ante Felipe II lo que hoy he « ejecutado yo ante Paulo IV. Ibid. Lettre de Juan Vasquez à l'Empereur, du 18 novembre 1557, dans Retiro, estancia, etc., fol. 149, v.

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tisans ainsi sacrifiés de la maison d'Autriche, parut au politique et fier Empereur une faute et une honte. «Malgré sa goutte, écrivit Gastelú à Vasquez le 23 novembre, l'Empereur se fit lire hier toutes les dé« pêches que vous avez envoyées.... Il se mit en colère à propos de la paix, qu'il trouva très-déshonorante, et certes Sa Majesté ne se serait pas attendue à voir dans ce temps-ci une pareille chose 1. »

Charles-Quint ne put pas s'accoutumer à cette nouvelle, et, plus d'un mois après, il n'en parlait qu'avec un insurmontable courroux. Il n'y a pas de jour, écrivait Quijada le 26 décembre, que l'Empe«reur ne murmure entre les dents contre la paix avec le pape 2. » La connaissance des articles réservés ne l'apaisa point, et il dit : « Qu'il « trouvait la capitulation secrète aussi mauvaise que la convention pu<«blique3. » Le commandeur d'Alcantara fut témoin lui-même de son blâme et de son irritation. Il apporta à l'Empereur une lettre trèshumble du duc d'Albe, qui, l'instruisant de ce qu'il avait fait à Rome, lui annonçait qu'il s'embarquait pour la Lombardie, afin d'y mettre les affaires dans le bon état où elles étaient ailleurs, avec l'intention d'aller ensuite demander au roi la permission de se reposer de vingt-cinq années d'agitations et de fatigues et de venir en Espagne baiser les mains de Sa Majesté impériale. La faveur dont jouissait le messager ne suffit pas à faire bien accueillir le message. Charles-Quint ne répondit rien, et ne voulut pas même entendre une relation détaillée des événements, qui était jointe à la lettre du duc d'Albe. Il dit : «Qu'il en « savait assez 4. »>

L'issue de cette guerre ne fut sans doute pas étrangère au redoublement de ses maux sa santé dut en souffrir comme son orgueil. Les accès de goutte se succédèrent presque sans interruption; ils furent violents et longs. Le premier avait duré du 16 novembre au commencement de décembre dans toute son intensité, et Charles-Quint s'en relevait à peine le 12 décembre. Sa convalescence fut lente, le laissa faible, et fit place, le 4 janvier 1558, à une nouvelle et forte attaque, qui des bras descendit dans les genoux, lui causa de grands troubles d'es

1 Pusó se en coléra por lo de la paz pareciendole que es muy vergonzosa, etc. » Retiro, estancia, etc., fol. 149, v°. Ferdinand, son frère, ne la trouva pas moins désavantageuse; il écrivit à Philippe II: A mi me desplugo que la paz con el papa no se hiciese con medios mas aventajados, para V. A. como yo quisiera ó él ▪ merescia. » Lettre de Ferdinand Ia à Philippe II, du 27 novembre 1557. Coleccion de documentos ineditos, Madrid, in-8°, t. II, p. 50g. — Lettre de Quijada à Vasquez, du 26 décembre. Retiro, estancia, etc., fol. 156, ro. Dijo parecerle tan mal la capitulacion secreta como la publica. Lettre de Gastelu à Vasquez. Ibid. fol. ‍158, v°. — Ibid. fol. 160.

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tomac et le retint au lit jusqu'au 20. Dans les intervalles entre ces deux accès, ou même lorsque, durant l'accès, la douleur était moins vive, il s'occupa avec une active sollicitude des intérêts de son fils, et porta sa prévoyante attention sur la France, où tous les efforts allaient désormais se concentrer et de grands événements s'accomplir. Il manda à Yuste don Juan de Acuña, qui arrivait des Pays-Bas, « parce que, <«< disait-il à Vasquez, je veux entendre de lui certaines choses de Flan« dre, et vous ferez bien de m'aviser de tout ce qui vous parviendra. » Il avait reçu de sa fille une lettre du 14 décembre, dans laquelle, se montrant impatiente d'être débarrassée du fardeau de l'autorité, elle demandait que son frère Philippe II retournât en Espagne pour s'en charger lui-même et y prendre possession de la couronne d'Aragon. La princesse doña Juana avait, en outre, transmis à son père les délibérations du conseil d'État, qui faisait connaître l'épuisement financier du royaume, la difficulté croissante de continuer la guerre et dès lors l'opportunité qu'il y aurait à profiter des victoires obtenues pour conclure la paix à des conditions avantageuses. L'Empereur lui répondit le 26 décembre, en se prononçant contre de semblables pensées. «Certainement, lui dit-il, la paix est en tout temps excellente et souhaitable. Aussi n'ai-je jamais donné pour excuse des <«<maux grands et nombreux que la guerre fait souffrir à la chrétienté « que le peu de sûreté qu'il y a du côté des Français, comme l'a mon« tré l'expérience du passé, puisqu'ils n'ont jamais tenu et ne tiennent «jamais ce qu'ils promettent qu'autant que cela leur convient. Je ne « vois pas, d'ailleurs, quels moyens, bons pour lui, le roi aurait de trai«<ter de la paix, ses affaires étant au point où elles se trouvent. Bien « que je sache que sa venue dans ces royaumes serait aussi nécessaire <«< que vous le dites, il ne conviendrait cependant en aucune manière qu'il s'éloignât de la Flandre, surtout en cette conjoncture 1.»

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Comme le conseil d'État proposait, si la guerre continuait, d'attaquer la France par la frontière des Pyrénées, avec une armée composée de gens de pied fournis par les villes et les grands d'Espagne, des gardes à cheval, de quatre mille Allemands et de deux mille Espagnols de vieille troupe, il ajoutait : «Je reconnais qu'on pourrait opérer par <«<là une utile diversion; mais il se présente à mon esprit trop de diffi« cultés pour que pour que je croie au succès qu'on attend d'une pareille entre«prise. En entrant par la Navarre sans avoir de flotte et sans recevoir << d'assistances en vivres de Vendôme (roi de Navarre), je ne sais com

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Lettre de Charles-Quint à sa fille doña Juana. Retiro, estancia, etc., fol. 154, v°.

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