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opiniâtre des Frondeurs, préludait à ce rôle en se mêlant aux intrigues des Importants. Il avait épousé une nièce du maréchal de Marillac que Richelieu avait fait monter sur un échafaud, et il demandait à grands cris la révision du procès du maréchal, la réhabilitation de sa mémoire, et bien entendu une suffisante réparation en faveur de sa famille; et, comme Mazarin ne pouvait se prêter à tout cela, le comte de Maure avait pris parti contre lui et s'était déclaré pour les Vendôme'.

On est frappé des soins qu'il prit pour entretenir la bienveillance du maréchal de Schomberg, homme de guerre distingué, étranger à tout parti et à toute intrigue, qui avait obtenu en récompense de ses services le gouvernement du Languedoc. Il fallut bien lui ôter ce gouvernement que demandait avec instance le duc d'Orléans; mais Mazarin en retint la lieutenance générale pour Schomberg, avec les mêmes honneurs, les mêmes droits et les mêmes avantages que les gouverneurs en chef. Il y ajouta le gouvernement de Metz, Toul et Verdun, que le maréchal garda jusqu'à la fin de sa vie. Il fit plus: servant ses amis dans leurs affections aussi bien que dans leurs intérêts et surtout dans les siens, il favorisa l'inclination de Schomberg pour la belle Marie de Hautefort, dame d'atours de la reine. Veuf depuis quelques années, le noble guerrier n'avait pu rencontrer cette charmante personne, parée de toutes les grâces et de toutes les vertus, sans en être épris, et il aspirait à sa main. Mazarin appuya fort ses poursuites, dans l'espérance que le mari enlèverait sa femme au parti des Importants, avec lequel elle était trop liée, ou au moins l'éloignerait de la cour et l'emmènerait dans son gouvernement de Metz. De leur côté, les Importants s'opposaient à ce mariage dont ils apercevaient bien les conséquences. Il est curieux de voir le premier ministre de France, qui avait sur les bras l'Europe entière, entrer vivement dans les vœux de Schomberg et s'occuper de ses affaires d'amour 2. C'est qu'il savait bien que, dans les choses humaines, les hommes, leur caractère et leurs passions, sont les ressorts de tous les événements. Il prenait donc les hommes par toutes les prises qu'ils lui offraient, et s'appliquait d'autant plus à se faire des amis, qu'il voyait l'orage formé sur sa tête grossir de jour en jour.

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III' carnet, p. 82: «Il conte di Mora è andato otte volte a Aneto. » Anet était le séjour des Vendôme et le foyer de toutes les intrigues contre Mazarin. Sur le comte de Maure, voyez madame de Motteville, t. III, p. 228-241. - 2 II carnet, 5 p. : Schomberg, matrimonio, che avantaggio farà la regina, etc. III carnet, p. 4: Marchesa di S. Luis travaglia dalla parte di Otfort e si oppone al matrimonio di Chomberg, perche è amico mio. Ce mariage eut lieu un peu plus tard dans l'année 1646.

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Les mémoires contemporains sont unanimes pour représenter le comte de Béthune, le comte de Montrésor, le comte de Fontrailles, le comte de Brion, le comte de Fiesque, le comte d'Aubijoux, le comte de Beaupuis, Saint-Ibar, Varicarville, Campion, Barrière et bien d'autres, comme formant dans le parti des Importants une sorte de cabale particulière qui professait un culte pour de Thou, ne parlait que de dévouement et de sacrifices, et se faisait un point d'honneur des maximes et des conduites les plus extrêmes1. Quelques-uns d'eux s'étaient offerts au duc d'Orléans et au comte de Soissons pour les délivrer de Richelieu. Ils pouvaient offrir encore leurs services aux Vendôme et à madame de Chevreuse, qui auraient aussi fort bien pu les accepter. Ils comptaient dans leurs rangs des gens très-peu scrupuleux, entre autres le comte de Manicamp, homme dissolu et militaire intrépide, qui depuis se rendit aux conditions accoutumées, se battit fort bien pour Mazarin à la bataille de Rethel, et fut un des héros des orgies honteuses inventées ou décrites par Bussy. Mazarin en fait le portrait suivant :

IV carnet, p. 34: « Manicam, violento, artificioso, parlatore, parente di Vendomo, pericoloso. » Et en français, VII' carnet, p. 67: «Manicam est un mauvais garnement. Ne s'en faut pas fier. Est léger, intéressé, vagliant (vaillant), mais capable de toutes sortes de pensées noires. »

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Si le comte de Cramail s'était mis à la tête de cette bande résolue, avec ses habitudes de conspirateur et sa vieille réputation dans le

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Retz, t. I, p. 63, et La Rochefoucauld, coll. Petitot, LI, p. 378, ont parfaitement peint cette petite cabale. « C'étaient, dit Retz, des gens tous morts fous et qui, dès ce temps-là, ne me paraissaient guère sages. La Rochefoucauld: Bien que cette cabale fût composée de personnes différentes d'intérêts, de qualités et de profes«sions, tous convenaient d'être ennemis du cardinal Mazarin, de publier les vertus imaginaires du duc de Beaufort, et d'affecter un faux honneur dont Saint-Ibal, << Montrésor, le comte de Béthune et quelques autres, s'étaient érigés en dispensateurs. Nous avons déjà parlé de Montrésor et de Fontrailles, 3° article, cahier d'octobre, p. 614. Sur Hippolyte, comte de Béthune, mort en 1665 âgé de 62 ans, voyez ce que dit madame de Motteville, t. II, p. 310, et surtout t. V, p. 253. Le comte de Brion est celui qui s'appela depuis le duc d'Anville. Le comte de Beaupuis était fils unique du comte de Maillé, et guidon des gendarmes du roi. Le comte de Fiesque était le frère aîné du vertueux chevalier de Fiesque tué au siége de Mardick, et aimé de mademoiselle d'Épernon. C'était un ami de Beaufort. Il partagea sa disgrâce et fut exilé avec lui. Mazarin le rappela bientôt, mais sans pouvoir le gagner. Il avait de l'honneur, comme la plupart des Importants, mais un honneur mal entendu : il se piquait toujours d'être contre les favoris et les puissants. Il était dans la noblesse ce qu'était Barillon dans le parlement. Mazarin fut forcé de l'exiler de nouveau vers 1647. Pour les autres, voyez les mémoires de Montrésor, de Fontrailles et de Cam

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parti, il aurait pu devenir fort dangereux. Petit-fils du maréchal de Montluc, son esprit et son courage ne démentaient pas son origine. Il aimait les lettres et les cultivait. On lui attribue quelques comédies1, et Régnier lui a dédié une de ses satires. Son grand rôle avait été sous Richelieu. Amant de madame Du Fargis, dame d'atours de la reine Anne, c'est à lui que sont adressées les fameuses lettres interceptées par le cardinal, et qui le firent mettre à la Bastille 2. Là, avec le maréchal de Vitry et quelques autres prisonniers, il ourdit un complot que Retz a raconté et qu'il admire comme l'œuvre « d'un homme d'une « grande expérience et de très-bon sens. » Toute l'affaire reposait sur le comte de Soissons, qui fut vainqueur, il est vrai, à la Marfée, mais qui périt dans son triomphe. Quand le comte de Cramail sortit de la Bastille, il avait soixante-quinze ans. Il fit comme son ami le maréchal de Vitry: il commença par regarder du côté des Vendôme, puis, après quelques hostilités, il fit aussi sa paix et se tint tranquille, grâce à son âge, à ses fatigues et à une bonne pension de la reine3.

Le marquis de La Vieuville était vieux aussi en 1643, mais son ambition, ou plutôt sa cupidité n'avait pas vieilli. Quelque temps surin tendant des finances sous Louis XIII, accusé de malversations, emprisonné, fugitif, rappelé, il avait été forcé de s'enfuir de nouveau, en 1632, et de prévenir le châtiment qui l'attendait pour avoir mis la main dans les complots du duc d'Orléans et de la reine mère. Il était resté dix ans hors de France. A son retour, il obtint l'abolition de la sentence rendue contre lui, et il aspirait à rentrer dans le ministère. Il était le surintendant des finances des Importants comme Châteauneuf était leur garde des sceaux. Il faisait à la reine une cour assidue, et on lui ménagea plus d'une entrevue avec elle. Plus tard, comme le duc de Vendôme, au lieu de combattre inutilement Mazarin, il s'entendit avec lui; et, grâce aux services qu'il lui rendit, grâce surtout à l'intervention de la princesse Palatine, alors fort liée avec son fils le chevalier de La Vieuville et toute-puissante sur la reine et Mazarin, le vieux marquis eut un brevet de duc et les finances qu'il avait tant souhaitées. Mais, à

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La comédie des proverbes et les Jeux de l'inconnu. Voyez l'histoire du théâtre Français, t. IV, p. 215 à 236.. 2 Journal de M. le cardinal de Richelieu qu'il a fait durant le grand orage de la cour, édition de 1649, t. I", p. 34.

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III' carnet,

p. 87: Il conte di Cramaglia ieri assiso con il principe di Marsigliac li disse che haveva parlato assai efficacemente la mattina alla regina a favore di Bofort, che F'haveva intenerita, e che se ogni giorno acquistarà tanto nel suo spirito, alla fine conseguerà il suo intento.» IV carnet, p. 24: Conte di Cramaglia, pensione ⚫particolare della regina, 6 m. lire.

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l'époque où nous en sommes encore, il était parmi les ennemis de Mazarin qui le redoutait et surveillait avec inquiétude ses démarches auprès de la reine 1.

Il serait injuste de mettre le prince de Marsillac, depuis le duc de La Rochefoucauld, parmi ces âmes intéressées et ces esprits violents. Comme Retz, il avait trop de bon sens pour approuver les Importants, mais, depuis longtemps lié avec la plupart d'entre eux, il n'osait s'en séparer, n'admirant guère Beaufort, comme nous l'avons vu, mais n'étant pas pour Mazarin, serviteur très-particulier de la reine et assez mal avec son ministre, ayant un pied dans l'opposition et un autre dans la cour, situation incertaine qui tenait à bien des circonstances et surtout à son caractère. Sa principale qualité était la finesse, et elle lui faisait voir bien vite le mauvais côté de toutes choses, des partis et des hommes. Ajoutez à cela son éducation. Son père, qui devait le titre de duc à la faveur de Marie de Médicis, s'était rangé parmi les ennemis de Richelieu, et avait nourri son fils dans ses sentiments. Le jeune prince de Marsillac, en arrivant à la cour, se trouva donc tout naturellement jeté dans le parti des mécontents et de la reine Anne. Il entra même tellement dans la confiance de la reine, que celle-ci, accusée d'intelligence avec l'Espagne, traitée comme une criminelle et se croyant à la veille d'être à la fois répudiée et emprisonnée, abandonnée de tout le monde, lui proposa, ditil, de l'enlever, elle et mademoiselle de Hautefort, et de les conduire toutes deux à Bruxelles. La proposition est si étrange, que nous avons peine à y croire, même sur la foi de La Rochefoucauld 2. C'est madame de Chevreuse qu'il aurait pu enlever ou accompagner du moins, lorsque, ennuyée de son exil de Tours et trompée sur ce qui se passait à Paris, elle prit la résolution de rompre son ban et de s'enfuir en Espagne. Après mille aventures, ayant perdu sa route, elle vint à une lieue de Verteuil, où était La Rochefoucauld. L'occasion était belle pour un jeune homme de vingt-quatre ans, qui avait consenti à enlever la reine de France. Il aurait bien pu escorter une fugitive: il lui donna un guide et des chevaux. C'était encore trop aux yeux de Richelieu, qui le fit arrêter et le mit à la Bastille; mais il n'y resta pas plus de huit jours. Son père, qui s'était réconcilié avec le cardinal, et en avait obtenu le

gouvernement

1 II' carnet, p. 88: « La Vieuvilla è stato di nuovo da S. M. et è partito contentissimo, dicendo che la regina, etc. Di gratia S. M. dichiari la sua intentione. » P. 93: «La Vieuvilla ha promesso mari e monti al Rosso (?) quando sia sopra intendente; pretende che il re li deva trecento mila scudi.» III carnet, p. 7: « M' della Vieuvilla, da S. M. introdotto da m' di Senesé. » — Mémoires, collect. Petitot, t. LI, p. 353.

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du Poitou, son oncle, le marquis de Liancourt, et leur ami le maréchal de la Meilleraye, intervinrent en sa faveur. La Rochefoucauld nous dit qu'amené devant Richelieu, il fut « plus réservé et plus sec qu'on n'avait « accoutumé de l'être avec lui, » et qu'en sortant de prison, conduit une seconde fois chez le ministre comme pour le remercier, «il n'entra << point en justification de sa conduite, et que le cardinal en parut « piqué. » Mais La Rochefoucauld, en parlant ainsi, ne s'est-il pas un peu vanté, et est-il certain qu'il ait été si superbe? Madame de Chevreuse, en partant pour l'Espagne, lui avait confié ses pierreries; c'est La Rochefoucauld lui-même qui nous l'apprend, mais il s'arrête là : nous pouvons achever son récit. Quelque temps après, madame de Chevreuse lui envoya redemander ses pierreries par un gentilhomme avec lequel il fallut bien qu'il eût une entrevue. Le cardinal, dont la police était admirablement faite, le sut et s'en plaignit. La Rochefoucault s'empressa de se justifier, et il le fit d'une façon si humble, qu'elle nous rend fort suspecte la fière attitude qu'il se donne au sortir de la Bastille. Cette justification est l'écrit le plus ancien que nous connaissions de La Rochefoucauld. Personne, jusqu'ici, n'en soupçonnait l'existence, et on n'en peut révoquer en doute l'authenticité, car il est autographe et signé1. Il est adressé à M. de Liancourt, évidemment pour être mis sous les yeux de Richelieu. En voici le début :

« A Monsieur

« Monsieur de Liancourt. »

« Mon très cher oncle,

(Septembre 16382.)

« Comme vous estes un des hommes du monde de qui j'ai toujours le plus pas«sionnément souhaité les bonnes grâces, je veux aussi, en vous rendant compte de «mes actions, vous faire voir que je n'en ai jamais fait aucune qui vous puisse empescher de me les continuer, et je confesserois moi-mesme en estre indigne, si j'avois manqué au respect que je dois à monseigneur le cardinal après que nostre «maison en a reçu tant de grâces, et moi tant de protection dans ma prison et dans « plusieurs autres rencontres, dont vous-mesme avez esté témoin d'une grande partie. Je prétens donc ici vous faire voir le subjet que mes ennemis ont pris de me nuire, et vous supplier, si vous trouvez que je ne sois pas en effet si coupable qu'ils ont publié, d'essayer de me justifier auprès de Son Eminence, et de lui protester que je n'ai jamais eu de pensée de m'esloigner du service que je suis obligé de lai rendre. »

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'L'original est entre les mains de M. Stassart, de Bruxelles, qui a bien voulu nous en laisser prendre copie. D'une main ancienne, mais qui n'est pas celle: de La Rochefoucauld.

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