Images de page
PDF
ePub

(

« tout l'esprit qu'un homme qui a beaucoup plus d'art que de bon sens « peut avoir..... Ha été le premier prince que sa pauvreté a avili, et peut-être jamais homme n'a eu moins que lui l'art de se faire plaindre « de sa misère1.» «Pour d'Elbeuf, dit avec dégoût le très-peu « délicat Mazarin, de l'argent, et qu'il attende. - Mille protestations de d'Elbeuf, qu'il s'est déclaré publiquement pour moi. Finir son affaire. «D'Elbeuf est venu chez moi, implorant ma protection pour conser« ver le gouvernement de Picardie. Il a pleuré, et m'a fait des protesta<<< tions de service telles, que l'imagination ne peut aller plus avant. La <«< moindre chose qu'il m'ait dite, c'est qu'il voulait toujours être à mes pieds, qu'il me reconnaît pour le maître, et pour le seul dont il vou«lait dépendre sans réserve 2. >>

[ocr errors]

Le comte d'Harcourt était bien au-dessus du duc d'Elbeuf, son frère. C'était un homme de guerre éminent, quoiqu'il n'ait attaché son nom à aucune grande victoire. Mais il était né sous une heureuse étoile et n'a jamais eu que des succès, excepté l'échec devant Lérida, qu'il a partagé avec Condé. Il ne demandait qu'à bien servir, pourvu qu'on le traitât de même. Richelieu lui avait fait épouser une de ses parentes, et lui avait confié les commandements les plus difficiles sur mer et sur terre; partout il avait réussi. Après Richelieu, il s'attacha à Mazarin. Dans la Fronde, passé un moment d'incertitude, il fut un de ses plus fermes appuis : il força madame de Longueville à quitter la Normandie, tint tête dans le Midi à Condé lui-même, et poussa la fidélité jusqu'à prêter main-forte à la translation des princes de Vincennes à Marcoussy et au Havre; d'où ce couplet si connu de Condé :

-

Cet homme gros et court'

Tout couronné de gloire,
Ce grand comte d'Harcourt,

2

1 Mémoires, etc., t. I, p. 216. — I carnet, p. 144: Elbof, denari, o aspetti « l'occasione. II' carnet, p. 37: Mille protestationi di Elbof, che ha parlato publicamente in mio favore. Finire il suo negotio. » →→ IV carnet, p. 37: Elhof è stato da me implorando la mia protetione per mantenerlo nel governo di Picardia. Ha pianto, e mi ha fatte protestationi di servicio tali che l'imaginatione non puol andar più avanti. La minor cosa che mi habbi detto è stata che voleva esser sempre a miei piedi, e che mi riconosceva per il principal padrone, e per il solo dal quale voleva dipendere senza alcuna riserva. On donna donc et on conserva au duc d'Elbeuf le gouvernement de Picardie qu'il avait eu autrefois, et, pour cela, on dut ôter ce gouvernement au duc de Chaulnes, frère du connétable de Luynes, auquel en retour Mazarin fit donner le gouvernement d'Auvergne. Mademoiselle de Pontchâteau, veuve de Puy-Laurens. Voyez les nombreux portraits gravés du comte d'Harcourt, qu'on nommait Cadet la Perle, parce qu'il portait une perle à l'oreille.

Si fameux dans l'histoire,

Qui délivra Casal et qui reprit Turin,

Est aujourd'hui recors de Jules Mazarin.

C'est que Mazarin avait pris soin de l'acquérir de bonne heure. Il avait fait tout ce qu'il fallait pour cela. On le voit ici recherchant une entrevue secrète avec le comte d'Harcourt, traitant avec lui, et finissant par en obtenir l'abandon de son gouvernement de Guyenne, dont Mazarin avait besoin pour gagner le duc d'Épernon, à la condition de lui donner en retour une des plus grandes charges de la couronne, celle de grand écuyer, laissée vacante par Cinq-Mars, vivement convoitée par Bellegarde, et très-mal à propos refusée par Beaufort; à cette charge, on ajouta la riche et brillante ambassade d'Angleterre, et on renouvela l'ancien titre de comte d'Armagnac en faveur du fils du comte d'Harcourt. Il paraît que, dans toute cette négociation, l'habile et vaillant général fut plus accommodant que le grand seigneur incapable1.

La maison de Rohan était fort déchue: elle n'avait pas un seul homme supérieur; mais elle faisait encore une grande figure, et Mazarin ne négligea pas cet appui et cet ornement de sa grandeur. Le duc de Rohan-Montbazon, le facile mari de la fameuse duchesse, était gouver. neur de Paris et grand veneur. Médiocre et docile, on apaisait aisément les mécontentements passagers de sa maison avec de l'argent2. Son fils aîné, le prince de Guéméné, tirait son importance de sa femme, dont l'esprit et la beauté étaient d'un grand poids en un temps où la galanterie se mêlait à toutes les affaires. Madame de Guéméné était en effet une beauté du premier ordre. Quand Marie de Médicis, recevant Rubens entourée des dames de sa cour, lui demanda celle qu'il préférait, le

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

D

[ocr errors]

a

Le plus beau et le plus célèbre de ces portraits est celui de Masson. — ' II' carnet: 50 m. franchi al conte d'Arcurt. » →→→ III carnet, p. 36: « Accomodamento di Ar«< curt et di Pernone fatto in casa mia. Arcurt più di cortesia. Ibid. P. 30: «Ho trat« tato e concluso con conte d'Arcurt; darne parte a S. M. e al Principe e finir il negotio. P. 37: Haver da M. d'Effiat (le maréchal d'Effiat père de Cinq-Mars) la spada di gran scudiere per dar al conte d'Arcurt. P. 62: « Conte d'Arcurt in Inghiltera.» IV carnet, p. 43: «Mille lire sterline al conte di Arcurt a conto delle sue provisioni. » VI carnet, p. 29: Armagnac in titolo di Contea per il figlio «del conte d'Arcurt. » — Bernard de Nogare!, duc d'Épernon, était fils du mignon de Henri III, frère du cardinal de la Valette, père du beau duc de Candale et de mademoiselle d'Épernon la carmélite. Dans son gouvernement de Guyenne, que Mazarin lui fit rendre, il resta fidèle à la reine, mais il se conduisit avec une dureté qui irrita la ville de Bordeaux et la jeta du côté de la Fronde. — ' II° carnet, p. 102 Dar dieci mila lire di pensione in particolare al duca di Monbason, per accomodar cosi ogni cosa. V carnet, p. 69: « Far un regalo a M' di Monbazon che l'ha meritato per la maniera che ha tenuta nell' emotioni di Parigi. »

2

[ocr errors]

grand artiste répondit : «Si j'étais Pâris, je donnerais la pomme à la « princesse de Guéméné 1. » Quoique belle-fille de madame de Montbazon et belle-sœur de madame de Chevreuse, soit pour se distinguer de ces deux dames, soit par un fonds naturel de bon sens, ou peutêtre aussi par des motifs très-vulgaires, madame de Guéméné n'inclina jamais du côté des mécontents. Retz, qui prétend l'avoir un moment gouvernée, ne parvint pas à la jeter dans les intrigues de 1648. Elle s'était déclarée une des premières pour Mazarin, comme La Châtre le dit2, et nos carnets nous apprennent que le cardinal entretint ses bonnes grâces par les mêmes moyens qui les lui avaient fait acquérir 3. Une des premières conquêtes du cardinal avait été le vieux maréchal d'Estrées, le propre frère de la duchesse de Beaufort. Diplomate encore plus que militaire, ambassadeur à Rome de 1636 à 1640, il y avait connu et apprécié Mazarin. « Ce seigneur, dit madame de Motteville, << était grand politique et grand courtisan. Il aimait doublement le <«< cardinal, car il croyait que son habileté et l'adresse de son esprit le << porteraient infailliblement à la faveur. » Il tâcha d'éclairer son ne'veu, le duc de Vendôme, sur les vrais intérêts de leur maison; il n'y parvint pas mais lui-même resta constamment fidèle à Mazarin, jusque dans les jours les plus difficiles de la Fronde. De son côté, le cardinal en faisait grand cas, et il était trop de l'école de Richelieu pour ne pas combler ses amis. Il négocia avec le duc de Montbazon et avec madame de Guéméné, afin qu'ils se contentassent, pour le prince de Guéméné, de la survivance de la charge de grand veneur, et il donna le gouvernement de l'Ile-de-France au maréchal d'Estrées, en y ajoutant la duché-pairie 5.

1

2

« Ghimené. » 11

4

Mémoires, t. I,

[ocr errors]

D

[ocr errors]
[ocr errors]

Voyez le charmant portrait peint de madame de Guéméné à Versailles, attique du nord, la gravure de F. Poilly, et la médaille de Varin au cabinet des médailles. - Voyez cahier de septembre, notre deuxième article, p. 537. II' carnet, p. 2950 mill. scudi per la principessa di Ghimené. — III carnet, p. 67: Ghimené, 50 mill. lire. » IV carnet, p. 1: «50 mill. lire alla principessa di p. 145. 5 II' carnet, p. 103: Governo dell' « isola di Francia: brevetto di preferenza al maresciallo d'Estrée, quando M' di Mont« bazon e la pr di Ghimené sieno d'accordo. - III' carnet, p. 75 : « Brevetto di « duca al maresciallo d'Estrée. » V carnet, p. 47: « Maresciallo d'Estrées, generale di Parigi. 11 Mazarin avait mis dans ses intérêts la maréchale d'Estrées, femme de mérite, fille d'Habert de Montmor, trésorier de l'épargne, veuve du maréchal de Thémines dont elle avait eu un fils, le marquis de Thémines, excellent officier, mestre de camp du régiment de Navarre, tué au siége de Mardick, en 1646, à 26 ans. Elle eut du maréchal d'Estrées un fils appelé le marquis de Cœuvres, qui se distingua aussi à la guerre, et succéda au titre de duc d'Estrées, ainsi qu'au gouvernement de l'Ile-de-France.

Le comte de Tresmes, de la grande famille parlementaire des Potier, qui avait autrefois fort bien servi, mais depuis longtemps était retiré du service, demanda à y rentrer. Son fils aîné, Louis Potier, marquis de Gêvres, venait de périr à trente-deux ans à l'assaut de Thionville. C'était un officier de la plus haute espérance; on lui avait promis le bâton de maréchal comme à Gassion et à Turenne on ne put le déposer que sur son tombeau. Il était juste de tenir compte au père de la gloire du fils. Par là aussi on était agréable à ses deux neveux, l'évêque de Beauvais et le président de Novion, qu'il importait de ménager. Enfin, Mazarin s'était bien assuré que le vieux Tresmes serait à la reine. Il le fit donc un des capitaines des gardes du corps, et il est vraisemblable qu'il lui promit dès lors le brevet de duc qui parut un peu plus tard, en 16481.

Il gagna aisément de la même façon le maréchal de Châtillon, le petit-fils de Coligny, qui avait fort bien servi Richelieu, et dont les deux fils, Coligny et d'Andelot, étaient les amis particuliers du duc d'Enghien. Le second, d'Andelot, qui survécut à son frère, donnait déjà des preuves de la valeur la plus brillante. Il venait d'abjurer le protestantisme au mois de mai 1643, et il devait un jour prendre part à toutes les batailles de Condé et se couvrir de gloire à Lens. Mazarin fit obtenir au maréchal un brevet de duc; il eut même soin de l'antidater pour honorer davantage ses anciens services. Le brave et loyal du Hallier, marquis de L'Hôpital, fait maréchal par le roi Louis XIII un peu avant sa mort, venait d'être blessé à Rocroy. Mazarin éleva sa maison en accordant le brevet de duc à son frère aîné le maréchal de Vitry, celui qui avait arrêté le maréchal d'Ancre 2. Même conduite à l'égard des Grammont. Antoine de Grammont, deuxième du nom, fils de la belle Corysande d'Andoins, avait vaillamment défendu Bayonne en 1636 contre l'amirante de Castille. Cependant son propre mérite n'eût peut-être pas suffi à le faire duc. Mais son fils aîné, le comte de Grammont, était à la fois un homme de guerre éminent et un courtisan habile. Son esprit, sa valeur et sa fidélité lui avaient acquis

[ocr errors]

II' carnet, p. 2: « Parlar di Treme che essendo vecchio vuol servire in consideratione di S. M. Voyez dans le père Anselme, t. IV, p. 758, les lettres patentes qui, en 1648, érigent le comté de Tresmes en duché : il y est surtout fait mention des services de Louis Potier, tué à Thionville. Ce passage des lettres patentes est la meilleure biographie de ce jeune héros. IV carnet, p. 50: « Schattiglione e Vitri, brevetti di duca : antidata a Schattiglione. » Dans le père Anselme, t. VII, p. 154, le brevet érigeant la terre de Châtillon-sur-Loing en duché-pairie est du 18 août 1643. Celui de Vitry est de la même année.

2

les bonnes grâces de Richelieu, qui successivement lui avait donné en mariage une de ses nièces et l'avait fait maréchal; il fut également fidèle à Mazarin, sans perdre l'amitié de Condé, qui avait en lui une confiance entière. Il leur servait de médiateur et s'efforçait de les concilier. Pour le récompenser, Mazarin donna à son père un brevet de duc avec les grandes entrées du Louvre 1.

Il n'oublia pas, on le pense bien, ses amis MM. de Liancourt et de Mortemart, qui avaient été pour lui dans les conseils secrets d'Anne d'Autriche avant la régence. Pendant ces conseils qui devaient décider de sa fortune, il avait soutenu la bonne volonté du marquis de Liancourt, en poussant le roi Louis XIII à le faire duc pour récompenser ses anciens services, et, lui-même, quelque temps après, ajouta à la duché-pairie les entrées du Louvre2. Le marquis de Mortemart était déjà l'un des quatre premiers gentilshommes de la chambre du roi ainsi que le marquis de Liancourt: Mazarin le fit duc par des lettres patentes qui parurent en 1650, et en sa faveur il montra bien de la longanimité à l'égard de plusieurs membres de sa famille qui se jetèrent étourdiment parmi ses ennemis, surtout envers son frère cadet, le comte de Maure. Celui-ci, qui devait être un jour le plus ardent et le plus

1

IV carnet, p. 42 : « M' di Gramont, brevetto di duca, entrata nel Luvre. » Dans le père Anselme, le brevet est du 13 décembre 1643. Le maréchal Antoine de Grammont est le frère aîné de Philibert de Grammont si connu par des mémoires de sa vie, écrits par son beau-frère Hamilton. Il est père du fameux comte de Guiche. Ses mémoires sont l'ouvrage de son second fils Louvigny, qui devint duc de Grammont à la mort de son père. Voyez collect. Petitot, t. LVI. — 2 Il carnet, p. 95: «M' di Liancurt, brevetto del duca. » On peut voir dans le père Anselme, t. IV, p. 741, les lettres patentes érigeant le comté de la Roche-Guyon en duché-pairie, en faveur de M. de Liancourt; elles sont du mois de mai 1643, mais elles ne furent enregistrées au parlement qu'en décembre de la même année. La plupart du temps les brevets de duc étaient de simples certificats royaux qui ne pouvaient plus être retirés, mais qu'on accordait souvent sous la condition de ne les faire paraître qu'au temps que désignerait le roi. Ainsi, le brevet de duc du maréchal d'Estrées a pu lui être accordé en 1643, comme le dit ici positivement Mazarin; tandis que les lettres patentes ne semblent avoir paru qu'en 1648; du moins, dans le père Anselme, la duché-pairie du maréchal d'Estrées porte cette date. La distinction est importante pour mettre d'accord les témoignages certains de Mazarin déposés dans ses carnets avec les dates authentiques données par le père Anselme. IV carnet, p. 47: « L'entrata in Luvre «per M' di Liancurt et per Treme. » Le marquis devenu duc de Liancourt, en 1643, avait été élevé auprès du roi Louis XIII qu'il accompagna toujours tant en paix qu'en guerre. Il était premier gentilhomme de sa chambre, depuis le 13 octobre 1624, mestre de camp (colonel) du régiment de Picardie; mort à Paris, le 1 août 1674, à l'âge de 75 ans, un mois et demi après sa femme, Jeanne de Schomberg, sœur du maréchal Charles de Schomberg, morte le 14 juin de cette même année.

[ocr errors][ocr errors]
« PrécédentContinuer »