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l'origine de la fortune de Luynes, ce n'en est pas le fondement. Ce petit gentilhomme était un homme de cœur et de sens, qui remit en honneur et maintint avec fermeté, tant qu'il vécut, sous l'inspiration directe de son maître, l'œuvre de Henri IV, que Richelieu avait d'abord combattue comme favori de la reine mère, et que plus tard il reprit avec une grandeur incomparable, se tournant peu à peu contre ses anciens amis et contre sa première protectrice, au point de la faire exiler, précisément comme avait fait Luynes. Le système entier se composait de trois parties: 1o achever la destruction de la féodalité, ramener sous l'autorité royale les restes des grands vassaux et les princes du sang eux-mêmes, qui doivent l'exemple du dévouement et du respect, et non celui de la révolte et de l'infraction aux lois de l'État, entreprise qui n'a rien à démêler avec celle de détruire l'aristocratie et la noblesse, comme s'il n'y avait plus de noblesse et d'aristocratie en Angleterre depuis que la constitution n'y connaît plus de tête au-dessus d'elle; 2° tout en respectant l'édit de Nantes et la liberté de conscience, effacer le parti protestant comme parti, et lui reprendre peu à peu les places fortes qui lui permettaient de se révolter à son gré et en faisaient un État dans l'État; 3o étendre le territoire national et abaisser la maison d'Autriche qui possédait la moitié de l'Europe. On peut appeler ce système d'un seul mot, le système royal. Tout roi digne de ce nom le porte avec soi, et Louis XIII le soutint vertueusement contre tous les instincts de son cœur, contre sa mère, contre son frère, contre ses favoris, contre ses maîtresses. C'est par là qu'il est presque un grand roi. Il aimait la justice, et le nom de Louis le Juste doit lui rester. Il aimait aussi la France. Il n'était pas seulement fort brave, il avait quelques talents militaires et se plaisait à commander ses armées. Il était judicieux, secret, capable de conduite. A côté de cela, il avait une foule de petits défauts, souvent malade, mélancolique, jaloux ou du moins très-ombrageux. Son patriotisme le portait toujours vers le bon parti; mais il avait besoin d'un ministre qui vînt à son aide dans les défaillances de sa santé et de son humeur. On ne saura jamais, et il est superflu de rechercher si c'est Richelieu qui, éclairé par l'expérience et converti par les succès de Luynes', revint de lui-même, dans son second ministère,

On oublie trop que Luynes, frappé du mérite de Richelieu, avait fini par le tirer de disgrâce, qu'il se proposait de le faire rentrer dans les affaires, et que, pour gage de son attachement, il avait fait épouser la nièce de Richelieu, mademoiselle de Vignerod, la future duchesse d'Aiguillon, à son propre neveu, Combalet. Richelieu passait alors pour s'entendre avec Luynes, et c'est pour effacer et démentir ce bruit qu'en ses Mémoires il s'applique à décrier le connétable, lui re

à ce qu'il avait méconnu dans le premier, ou si ce n'est pas Louis XIII qui le persuada et le conquit définitivement à la pensée royale dont le jeune connétable avait été le courageux et utile représentant 1. Nous ne voulons certes rien ôter à la gloire du grand cardinal; mais nous pensons que la reconnaissance nationale se doit partager entre le roi et son ministre. L'honneur de Mazarin est de les avoir continués.

Il était perdu si, à la mort de son prédécesseur, il eût voulu maintenir sa politique à l'aide des mêmes moyens. Louis XIII était las de voir répandre du sang, et un cri s'élevait contre la cruauté de Richelieu. On se trompait : Richelieu n'était pas cruel, il n'était qu'impitoyable. Dès que ce qu'il appelait l'intérêt de l'État avait prononcé, nulle autre considération n'était écoutée, et, comme il le dit lui-même, il brisait tout, fauchait tout, et mettait tout cela sous sa soutane rouge. Il érige sa pratique en théorie dans son Testament politique, II' partie, chap. v : «En matière de crime d'État, il faut fermer la porte à la pitié «<et mépriser les plaintes des personnes intéressées et les discours d'une «<populace ignorante, qui blâme quelquefois ce qui lui est le plus « utile et souvent tout à fait nécessaire. » Il avait reçu les dons les plus rares, la finesse, la pénétration, une vue perçante dans la complication et l'obscurité des intrigues qui l'environnaient; une attention et une faculté de travail inépuisable, une merveilleuse étendue d'esprit et une constance à toute épreuve; mais une qualité éminente lui manquait entièrement la bonté. « Loin de nous, dit Bossuet, les héros sans hu<«<manité2. » C'est l'arrêt de Richelieu. Sans être méchant3, il n'avait pas ce besoin de clémence et de miséricorde que Dieu mit dans le cœur d'un Alexandre, d'un César, d'un Condé, et qui est en eux le signe le plus éclatant et l'achèvement suprême de leur grandeur. Nous n'osons

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prochant tout ce que plus tard il fit lui-même. Luynes attaqua résolument et soumit promptement les princes révoltés, et le traité d'Angoulême maintint la reine mère dans un éloignement nécessaire, sans rigueurs inutiles. Quand Rohan et Soubise osèrent tirer l'épée, le nouveau duc de Luynes gagna son titre de connétable en battant partout les protestants, et il est mort glorieusement des blessures reçues au siége de Montauban, précurseur de celui de la Rochelle. Enfin, en 1620, le Béarn fut définitivement incorporé à la couronne. C'est, en petit, comme on le voit, toute la carrière de Richelieu. 2 Oraison funèbre du prince de Condé. 3 Mémoires de Montglat, Collection Petitot, t. XLIX, p. 397: «Il fut extrêmement regretté de ses parents, amis et domestiques, qui étoient en grand nombre, car il étoit le meilleur

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<< maître, parent ou ami, qui eût jamais été, et, pourvu qu'il fût persuadé qu'un homme l'aimât, sa fortune étoit faite, car il n'abandonnoit point ceux qui étoient « attachés à lui. »

pas dire que Mazarin eût cette noble et généreuse vertu; mais il était au moins débonnaire, et sa nature le portait vers la douceur et la modération. Par un juste retour, ce fut ce qui le sauva, à la mort de Richelieu et du roi. Fidèle à son ministre et à lui-même, Louis XIII avait gardé leur commun système en l'adoucissant. Il avait persévéré, ainsi que nous l'avons dit, dans le plan de guerre contre l'Empire, et s'était préparé à une forte campagne qu'il ne devait pas voir, si ce n'est dans ce rêve extraordinaire où, avant de fermer les yeux, il aperçut et prophétisa la bataille de Rocroy et la victoire du duc d'Enghien1. En même temps il avait voulu faire cesser le deuil de tant de familles illustres; il avait rappelé de l'exil les enfants et les petits-enfants de Henri IV, les Vendôme, ainsi que les Guise, et fait sortir de prison les victimes de l'implacable prévoyance de Richelieu, ne maintenant les rigueurs passées qu'à l'égard d'une personne qu'il redoutait bien plus que son frère, que les Vendôme et que les Lorrains, et cette personne était une femme, la veuve autrefois si brillante de l'homme qu'il avait le plus aimé, la connétable de Luynes devenue la duchesse de Chevreuse. Ces changements habilement ménagés, et qu'on rapportait en partie à l'influence de Mazarin, donnèrent le meilleur air aux commencements de son ministère, et lui laissèrent le temps de se reconnaître et de s'établir.

Son grand danger, quand Louis XIII lui manqua, était d'être enveloppé dans la disgrâce qui attendait alors, ce semble, tous les amis de Richelieu sous la régence d'Anne d'Autriche.

La reine Anne était depuis longtemps l'espérance des mécontents. Comme ils avaient scuffert avec elle et souvent pour elle, ils comptaient sur sa faveur comme sur une dette. Ainsi que tous ceux qui ont été longtemps éloignés du pouvoir, ils étaient impatients de s'en saisir, et ils convoitaient ardemment les dépouilles des créatures de Richelieu. Anne voyait en eux les amis de sa jeunesse, les compagnons de ses malheurs, et elle se proposait bien de leur faire part de sa fortune. Aussi croyait-on généralement que la mort de Louis XIII commencerait une ère nouvelle, et qu'on allait voir un gouvernement dirigé par d'autres maximes et par d'autres mains : péril immense pour la royauté

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Mémoires de madame de Motteville, t. I, p. 141 : « Le roi, peu de jours ayant de mourir, songea qu'il le voyait (le duc d'Enghien) donner un combat et défaire les ennemis en ce même lieu (à Rocroy). C'est une chose digne d'admiration et

« qui doit donner quelque respect pour la mémoire de ce prince qui, mourant dans les souffrances et quittant ce monde avec joie, parut avoir quelque lumière de l'a

G venir. »

et pour la France, que prévit Louis XIII et qu'il s'efforça de conjurer par son testament. Ce testament ayant été la crise où pensa périr et d'où sortit victorieux Mazarin, il nous est impossible de n'en pas dire

un mot.

Louis XIII, à son lit de mort, ressentit les inquiétudes d'une âme vraiment royale, avec toutes les jalousies d'un frère et d'un mari irrité. N'admettant pas d'autre politique que celle qu'il avait suivie, il aurait voulu y enchaîner l'avenir, et son désir était d'exclure à la fois son frère et sa femme de la régence. On impute à Richelieu la pensée hardie, si le roi mourait avant lui, de lui faire établir un conseil qui n'aurait laissé à la reine qu'une régence nominale et aurait gouverné réellement sous son nom pendant la minorité de Louis XIV1. Ce plan n'était pas au-dessus de l'ambition et du patriotisme de l'audacieux cardinał. Louis XIII crut l'avoir réalisé. Mazarin eut même de la peine à lui faire comprendre qu'il était impossible de priver la reine du titre de régente, et que tout ce qu'on pouvait faire était de lui enlever toute influence, grâce à un conseil fortement constitué dont la reine seraitobligée de suivre les avis en prenant la majorité des voix. C'était à

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1 Mém. de Montglat, Collect. Petitot, t. XLIX, p. 395: « Il s'étoit mis dans l'esprit de gouverner durant la minorité de M. le dauphin, parce qu'il croyoit que le roi ne vivroit plus guère; et, prévoyant que la reine et Monsieur lui seroient de grands « obstacles, il avoit fait publier une déclaration du roi par laquelle il pardonnoit à Monsieur la conspiration qu'il avoit faite, à condition qu'il vivroit à Blois en homme privé, sans gouvernement ni compagnies sous son nom, et sans pouvoir jamais posséder aucune charge ni avoir part au gouvernement de l'État. Pour la reine, il espéroit de s'accommoder avec elle, lui laissant le titre de régente, et lui s'en conservant l'effet et l'autorité. » Mémoires de La Rochefoucauld, collection Petitot, t. LI, p. 366: « Le cardinal Mazarin et M. de Chavigny lui avoient proposé « de donner une déclaration qui établit un conseil nécessaire à la reine pour borner l'autorité de sa régence et pour exclure des affaires toutes les personnes suspectes. ་ Bien que cette proposition parût contraire aux intérêts de la reine et qu'elle fût faite sans sa participation, néanmoins le roi ne pouvoit y consentir : il ne pouvoit « se résoudre à la déclarer régente, et moins encore à partager l'autorité entre elle et Monsieur; il l'avoit toujours soupçonnée d'avoir eu une liaison avec les Espagnols, et il ne doutait pas qu'elle ne fût encore fomentée par madame de Chevreuse, qui étoit passée alors d'Angleterre à Bruxelles. D'un autre côté, le pardon « qu'il venoit d'accorder à Monsieur pour le traité d'Espagne, et l'aversion naturelle qu'il avoit toujours eue pour ce prince, le tenoit dans une irrésolution qu'il n'auroit peut-être pas surmontée, si les conditions que le cardinal Mazarin et M. de Chavigny lui proposèrent ne lui eussent fourni l'expédient qu'il désiroit pour resa treindre la puissance de la reine et la rendre dépendante d'un conseil nécessaire. Montglat, si bien informé, atteste aussi que cette résolution du roi ne lui paraissait pas même suffisante, tant il avait d'aversion pour la reine et pour Monsieur. Mémoires de Montglat, ibid. p. 404 Le roi avoit si mauvaise opinion de la capa

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peu près la combinaison attribuée à Richelieu; elle n'allait pas à moins qu'à mettre la régence, c'est-à-dire la royauté elle-même, en commission. Elle plut à Louis XIII, parce qu'elle servait toutes ses craintes, pour ne pas dire toutes ses haines son frère n'avait pas la régence, et sa femme n'avait qu'une régence impuissante. Anne d'Autriche fit tout pour désarmer les ressentiments de son mari; moitié par politique, moitié par vertu et piété, elle ne cessa de l'entourer de soins, elle lui protesta avec larmes qu'elle ne lui avait jamais manqué, qu'elle était étrangère au complot de Chalais, et que toutes les accusations dont le cardinal de Richelieu l'avait chargée pour la noircir dans son esprit étaient sans aucun fondement. Le roi demeura insensible à ses larmes, à ses protestations, à ses soins; il se contenta de dire: «Dans «l'état où je suis, je dois lui pardonner; mais je ne suis pas obligé de « la croire1. » La déclaration royale du 20 avril 1643 fut acceptée par tout le monde sous bénéfice d'inventaire. Monsieur, qui, quelques mois auparavant, avait été convaincu de trahison envers l'Etat et le roi, dut encore se trouver trop heureux d'être nommé lieutenant général du royaume. Le prince de Condé était chef du conseil de régence; il fut pourvu de la charge de grand maître de France, vacante depuis la mort du comte de Soissons, et il venait de voir son fils aîné, le duc d'Enghien, investi tout jeune encore du commandement de l'armée la plus considérable. La reine Anne était en possession de la régence, et, comme elle la devait à la combinaison même qui limitait son pouvoir, elle regarda cette combinaison comme un premier service de Mazarin, qui lui fit aisément comprendre que le point essentiel était d'abord d'être déclarée régente par la volonté du roi, et qu'ensuite elle saurait bien agrandir son autorité. Voilà ce que n'ont pas vu bien des historiens, mais ce qui n'a pas échappé à la pénétration de La Rochefoucauld, mêlé à toutes les intrigues de ce moment, et qui en avait une connaissance parfaite. Collection Petitot, t. LI, p. 368: « Le cardinal Mazarin jus«tifia en quelque sorte cette déclaration injurieuse2, il la fit passer

cité de l'une et de l'autre, qu'il eût bien désiré, pour le bien de son fils, qu'ils n'y « eussent aucune part. Mais, ayant consulté les moyens de les en priver, il se trouva qu'il ne se pouvoit sans faire un grand trouble dans l'État, pour lequel éviter il « résolut de leur laisser le titre, et de leur lier tellement les mains, qu'ils ne pussent «rien gâter. Mémoires de La Rochefoucauld, Collection Petitot, t. LI, p. 369. -2 Cette déclaration a été imprimée, mais elle est si rare, il en subsiste si peu d'exemplaires et elle est d'ailleurs si importante pour l'intelligence de tout ce qui va suivre, que nous la donnons ici, en supprimant son long préambule.

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« Déclaration du Roy vérifiée en parlement le 21 avril 1643....

« A ces causes, de notre certaine science, pleine puissance et authorité royalle,

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