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et les exemples pour la composition des inscriptions latines, lui ont acquis de grands titres à la reconnaissance des philologues; mais, depuis la publication de ses écrits, l'épigraphie a fait tant de progrès, des découvertes récentes en ont tellement accru le domaine, que les travaux dont nous venons de parler ne suffisaient plus. Dans l'état où sont parvenues aujourd'hui la critique et la connaissance des antiquités romaines, il était à désirer qu'un savant versé dans la bibliographie, doué d'un jugement sain et d'une grande sagacité, entreprît d'étudier non-seulement les monuments connus depuis longtemps, mais aussi tous ceux qui ont été, depuis peu, acquis à la science; qu'il voulût les classer, les éclairer les uns par les autres, déduire de cette multitude d'observations diverses des règles générales, et poser ainsi les principes d'une nouvelle paléographie lapidaire. C'est là le travail dont M. Zell s'est chargé. Disposant d'un fonds aussi riche, il avait tous les moyens de composer un livre fort utile, nous pourrions dire d'élever un monument très-remarquable; et il l'a construit, en effet, de manière à ne laisser presque aucune prise à la critique.

Avant d'entrer en discussion sur les parties les plus importantes de son livre, nous croyons devoir en indiquer le plan. Le savant auteur établit trois sections principales, précédées d'une introduction et divisées en chapitres qui se subdivisent en paragraphes. Dans la première section, il traite des monuments épigraphiques romains envisagés d'une manière générale ; dans la seconde, il les considère distribués en classes, selon leur contenu; l'art de les juger et de les interpréter, ou, pour . nous servir de l'expression de M. Zell, l'herméneutique lapidaire, est le sujet de la troisième section.

Nous n'affaiblirons point par une répétition fastidieuse ce que l'auteur dit, au commencement de son introduction (p.1-4), de l'utilité que l'on peut tirer de l'épigraphie latine pour l'histoire et la géographie anciennes, pour la chronologie, pour l'intelligence des auteurs et même pour la correction de leurs textes; nous nous bornerons ici,

Inscriptiones commentariis subjectis, 1783, in-4°; Пápeрyov inscriptionum novissimarum, Padoue, 1818, in-4°. On sait que ces trois ouvrages ont été réimprimés plusieurs fois. — 1 Il suffira de citer un seul exemple. Dans les meilleures éditions de Tacite, on lit encore aujourd'hui (Hist. IV, 68): Legiones victrices sexta et octava. Mais M. le comte Borghesi, dont l'autorité est si grande en épigraphie, démontre d'une manière invincible, à notre avis, par le témoignage des inscriptions, qu'il faut lire Legiones victrices undecima et octava (Annali dell' Instituto di corrispondenza archeologica, vol. XI, année 1839, p. 154). Les œuvres de Tacite ne nous sont parvenues que par les transcriptions des copistes, qui ont pu facilement confondre XI et VI; mais

comme dans le reste de notre analyse, à un petit nombre d'extraits et de remarques, qui pourront fournir le moyen d'apprécier les notions intéressantes, les vues ingénieuses et souvent nouvelles, que M. Zell a apportées dans son sujet. Selon lui, le nombre des inscriptions romaines aujourd'hui connues, déduction faite de celles que les hommes compétents regardent comme supposées, dépasse soixante mille et tend toujours à s'augmenter. On en a trouvé deux cent soixantetreize en Suisse, mille trois sur les bords du Rhin ou dans le voisinage de ce fleuve; mais les contrées qui en ont fourni le plus sont, d'après notre auteur, l'Italie et le midi de la France (p. 5). Peut-être pourrat-on bientôt y ajouter l'Algérie, si glorieusement ouverte par les armes françaises à la civilisation de l'Europe: un habile épigraphiste, M. Renier, chargé par M. le ministre de l'instruction publique d'explorer ce pays jusqu'aux limites du désert, a pu recueillir, dans la seule ville de Lambèse, jusqu'à treize cents inscriptions inédites et, en grande partie, fort importantes 1.

M. Zell termine son introduction par une histoire de l'épigraphie latine (p. 9-22) en donnant un aperçu des travaux aussi considérables que variés dont elle a été l'objet, depuis le renouvellement des lettres, en Italie, en France, en Allemagne et dans d'autres contrées. Cultivées avec ardeur pendant le xvi et le xvII° siècle, languissantes vers le milieu du siècle suivant, ces études ont pris un nouvel essor depuis une soixantaine d'années, période glorieusement préparée et ouverte en France par Séguier, Villoison et Visconti. M. Zell rappelle que ce dernier, lorsqu'il habitait encore l'Italie, attira l'attention des savants par un ouvrage souvent réimprimé depuis, lu et relu jusqu'à nos jours; nous voulons parler du travail de ce grand archéologue sur les douze épitaphes trouvées dans le tombeau des Scipions. Parmi elles il y en avait une de Cornélius Scipion Barbatus, bisaïeul de Scipion l'Africain et consul

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il n'y a point d'intermédiaire entre nous et les marbres antiques qui portent les lettres LEG. XI. Revue archéologique, VIII année, 1851, p. 267. Dans les Epistolæ epigraphicæ de Hagenbuch, imprimées à Zurich, 1747, in-4°, on trouve, p. 105, une lettre du président Bouhier, datée de Dijon le 6 novembre 1744, et dans laquelle on lit la phrase suivante : « Il n'y a personne ici, et même très-peu en France aujourd'hui, qui s'applique à cette espèce d'étude. » Heureusement pour la gloire littéraire de notre pays, cette partie importante de l'archéologie n'y est pas restée longtemps en souffrance ni laissée dans un abandon qu'à la même époque, si l'on excepte l'Italie, on aurait pu reprocher à l'Europe tout entière. Hagenbuch lui-même dit, d'une manière générale, dans l'ouvrage cité, p. 24: Mira est paucitas dociorum qui inscriptionibus antiquis quod merentur pretium suum statuere vel velint vel norint.

pendant la guerre longue et sanglante contre les Samnites, l'an 455 de Rome, 298 années avant notre ère. De toutes les inscriptions latines auxquelles il soit possible d'assigner une date certaine, celle-ci est la plus ancienne; c'est aussi, comme l'a remarqué un savant philologue', le premier monument sur lequel se trouve le titre de consul; car il paraît démontré aujourd'hui que, jusqu'aux décemvirs, les premiers magistrats de la république romaine portaient le nom de prætores2.

Après l'introduction dont nous venons de donner un extrait fort sommaire, l'auteur passe à la première section divisée en trois chapitres. Il y traite des substances sur lesquelles les inscriptions sont gravées ou tracées (pages 23-28), des différents genres d'écriture qu'on y rencontre, enfin du langage et du style dans lequel elles sont rédigées. On fit sculpter en lettres d'or une partie des poëmes de Néron3, dont la nullité de talent, dans les dernières années de son règne, égalait presque la perversité des mœurs, et qui, sans doute, comme beaucoup de beaux esprits de son temps, ne croyait rien de comparable au mérite de faire de mauvais vers. Mais ce monument d'une honteuse flatterie eut probablement encore moins de durée que les planches de chêne (tabulæ sectiles, axes) sur lesquelles Rome naissante grava ses lois et les rituels de ses prêtres. Il ne reste plus rien des registres composés de feuillets d'ivoire (libri elephantini), contenant des sénatus-consultes et mentionnés par un écrivain de l'Histoire Auguste"; le temps, ou plutôt la cupidité, a fait également disparaître les innombrables plaques de bronze (tabulæ area), destinées à transmettre à la postérité les actes publics. Le Capitole seul en renfermait trois mille, détruites par un incendie lors de la guerre civile entre Vitellius et Vespasien; aujour

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1 M. Egger, dans son ouvrage souvent cité par M. Zell et intitulé: Latini sermonis vetustioris reliquiæ selectæ, Paris, 1843, in-8°, p. 100.- - Nous ne transcrirons ici qu'un seul passage, tiré des fragments de Pomponius Festus (Corpus grammaticorum latt. de l'édit. de Lindemann, t. II, Lipsia, 1832, in-f, p. 122): Initio prætores erant qui nunc consules, et hi bella administrabant. De là sont venus les termes restés dans la langue, prætoria cohors, porta prætoria et prætorium, tente du consul ou, plus tard, du Suétone, Vie de Néron, c. x. général en chef. Denys d'Halicarnasse, III, XXXVI, en parlant du règne d'Ancus Martius : Χάλκεαι γὰρ στῆλαι ούπω τότε ἦσαν, ἀλλ ̓ ἐν δρυίναις ἐχαράτζοντο σανίσιν οἵ τε νόμοι καὶ αἱ περὶ τῶν ἱερῶν διαγραφαί. - Vopiscus, Vie de l'empereur Tacite, ch. vIII. Si la vérité est l'âme de l'histoire, on peut regretter que Tite-Live n'ait pas étudié avec soin ces documents précieux. Faut-il supposer qu'il en ignorait jusqu'à l'existence? ou bien les négligeat-il à dessein, parce qu'ils ne s'accordaient nullement avec les traditions poétiques et fabuleuses qui embellissaient l'origine de Rome, et qui, au temps d'Auguste, étaient publiquement adoptées? Quoi qu'il en soit, Suétone (Vespasien, c. 8) appelle ces tables de bronze conservées au Capitole instrumentum imperii pulcherrimum

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d'hui on en compte à peine quelques centaines conservées dans les bibliothèques ou musées de l'Europe1. Ainsi, à peu de chose près, la totalité des inscriptions nous est parvenue gravée sur le marbre, le travertin (lapis Tiburtinus) et sur d'autres espèces de pierre, désignées quelquefois sur les monuments eux-mêmes (lapis Turbinas, Orelli, vol. II, p. 70, n. 3304; lapis Hispellas, Muratori, p. CCCCLXXXV, n. 7). Les ouvriers (quadratarii, lapidarii, lapidicide, lapicide) y traçaient les lettres avec le ciseau (celtis? scalprum) et les coloraient en noir ou en rouge, comme l'atteste un passage de Pline (xxxIII, 40: Minium... clariores litteras... in marmore, etiam in sepulcris, facit). Leur organisation intérieure paraît avoir été la même que celle de tous les artisans de l'Italie et des provinces: ils formaient des corporations (collegia), et M. Zell donne l'écriteau d'un de ces ouvriers tel qu'on le lit encore aujourd'hui dans un musée de Rome :

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Nous ne suivrons pas l'auteur dans ses observations sur l'origine de l'alphabet latin, sur les différents genres d'écriture (capitale, onciale, minuscule, cursive), sur la ponctuation, les accents, enfin sur la manière dont on marque, dans les inscriptions, les chiffres, les mesures, les poids, les monnaies. Ces discussions, où M. Zell reproduit avec ordre et clarté ce que les maîtres de la science ont écrit sur des questions jadis fort controversées, remplissent une partie du second chapitre

ac vetustissimum, quo continebantur pæne ab exordio Urbis senatusconsulta, plebiscita, de societate et fœdere ac privilegio cuicunque concessis. — 'L'énumération, assez incomplète, il est vrai, de ces plaques, se trouve dans Lania, Tavola alimentaria Velleiate, p. 80-107. Remarquons en passant que ce sont surtout des tables d'airain qui nous ont conservé les plus anciens monuments de la législation romaine, tels que le sénatus-consulte sur les bacchanales, la sentence concernant les limites des Génuates, les lois Thoria, Servilia, Acilia, et plusieurs autres. Deux plaques de bronze, mises au jour depuis peu à Malaga, ne remontent, il est vrai, que jusqu'au règne de Domitien, mais elles contiennent des règlements curieux concernant l'administration intérieure des municipes romains vers la fin du premier siècle. Malheureusement l'authenticité de ce monument ne nous paraît pas à l'abri de tout soupçon. On en trouve le texte dans une brochure que nous nous empressons de signaler à l'attention des savants; publiée par M. le docteur Manuel Rodriguez de Berlanga, elle porte le titre : Estudios sobre los dos bronces encontrados en Málaga á fines de octubre de 1851. Málaga, 1853; 23 pages in-8°, avec un fac-simile.

(p. 28-54), lequel se termine par un résumé ayant pour objet les abréviations (compendia scribendi, note, notæ litterarum, siglæ, sigla) et l'orthographe. Malheureusement celle-ci est souvent d'une irrégularité choquante. Même dans les actes publics datant des siècles de la belle latinité, et sans doute gravés sous la surveillance des magistrats, le même mot, à quelques lignes de distance, est écrit de plusieurs manières différentes; et les ouvriers qui travaillaient sur le marbre ou sur le bronze ne se sont que trop conformés à l'opinion, nous allions dire au précepte d'un admirateur enthousiaste de l'antiquité : Summam constantiam in dicendo scribendove quærere, animi illiberalis est. En effet, sur le monument d'Ancyre, du siècle d'Auguste, on lit sexciens et un peu plus loin sexiens, caassa et causa; dans les cénotaphes de Pise, du même temps, maxsimus, maxumus et maximus, opservari et observari. L'examen des manuscrits comme celui des marbres semble prouver que c'est l'imprimerie seule qui a donné aux ouvrages un texte arrêté, aux langues une orthographe fixe, ou, du moins, généralement suivie.

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Le troisième chapitre (p. 65-139) traite des formes du langage particulières aux monuments épigraphiques latins. On ne lira pas sans intérêt les paragraphes où l'auteur parle des inscriptions les plus anciennes dont quelques-unes paraissent marquer le passage de la poésie primitive romaine à la prose écrite, moment si important dans la vie intellectuelle des peuples. Il y a loin, en effet, du chant des frères Arvales, Satur fufere, Mars, limen sali, sta berber, etc., au langage élégant des écrivains du siècle d'Auguste; et ces restes d'un idiome informe et rude, conservés plus fidèlement par le marbre et par le bronze que dans les livres des grammairiens, peuvent expliquer pourquoi quelquesuns des premiers historiens de Rome, malgré leur patriotisme, préférèrent d'écrire plutôt en grec que dans la langue nationale, encore si agreste, si pauvre, si rebelle à l'éloquence.

La dernière partie du même chapitre ne nous arrêtera pas longtemps. Elle a pour objet les formules épigraphiques les plus usitées; puis les noms (prænomen, nomen, cognomen) des hommes libres, ceux des femmes, des affranchis, des esclaves, les tribus romaines (M. Zell n'en compte que trente-cinq dont l'existence soit prouvée par des témoignages non suspects), les différentes manières de marquer les années, les mois, les jours, enfin le style des inscriptions. Si, sur les monuments, la modestie et le faste sont également l'ouvrage de la vanité, la modestie, du moins, et la concision semblent être le langage de la vanité qui a fait de grandes choses, et le faste celui de la vanité qui n'en a fait que de petites. Les inscriptions romaines sont simples, modestes

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