Images de page
PDF
ePub

partis de Yuste, de Grenade, de Mérida, de Cigales, furent conduits processionnellement à l'Escurial 1.

En ce moment le fidèle Luis Quijada n'était plus. Il avait été tué cinq années auparavant d'un coup d'arquebuse en combattant les Morisques révoltés dans les montagnes des Alpujaras, où il avait accompagné l'héroïque pupille que lui avait laissé Charles-Quint, et auquel Philippe II, qui l'avait reconnu pour son frère en 1559, avait donné, en 1569, le commandement des troupes espagnoles, et permis ainsi la gloire à défaut de la puissance. Mais Gastelú vivait encore: ce fut lui qui alla chercher dans l'Estramadure le cercueil de son maître, qu'il accompagna à travers les populations prosternées, jusqu'au seuil de l'Escurial. Charles-Quint avait laissé au roi son fils le choix de sa dernière demeure, « pourvu, avait-il dit, que le corps de l'impératrice et le << mien soient près l'un de l'autre, comme nous nous le sommes promis, <«<lorsque nous étions en vie. » Ce vœu fut alors rempli, et, cinq années après, son fils don Juan d'Autriche, le glorieux héritier de sa valeur dans les batailles, le victorieux continuateur de ses desseins dans la Méditerranée, vint à son tour prendre place à côté de lui.

En terminant l'histoire longtemps inconnue ou défigurée des deux dernières années de Charles-Quint, j'ai peut-être à craindre de lui avoir donné trop d'étendue. Mais rien de ce qui touche à un grand homme n'est indifférent. On aime encore à savoir ce qu'il a pensé lorsqu'il a cessé d'agir, et comment il a vécu quand il n'a plus régné. D'ailleurs les détails intérieurs de son existence privée servent à expliquer la fin, sans cela singulière, de son existence politique; les infirmités multipliées de sa personne, les intempérances insurmontables de ses appétits, les lassitudes anciennes de son âme, les ardeurs croissantes de sa foi, l'ont conduit invinciblement du trône dans la solitude, et rapidement de la solitude au tombeau.

Charles-Quint a été le souverain le plus puissant et le plus grand du xvi° siècle. Issu des quatre maisons d'Aragon, de Castille, d'Autriche, de Bourgogne, il en a représenté les qualités variées et, à plusieurs égards, contraires, comme il en a possédé les divers et vastes États. L'espuit toujours politique et souvent astucieux de son grand-père Ferdinand le Catholique, la noble élévation de son aïeule Isabelle de Castille, à laquelle s'était mêlée la mélancolique tristesse de Jeanne la Folle sa

Voir tout le troisième livre du t. III de l'ordre de saint Jérôme, par le père Joseph de Siguença, discurso vii, fol. 566-571; Memorias de Fray Juan de San Geronimo, dans la Coleccion de documentos ineditos, etc., t. VII, p. 90-118; moine anonyme analysé par M. Bakhuizen Van den Brink, ch. XLIX, p. 58-60.

mère, la valeur chevaleresque et entreprenante de son bisaïeul Charles le Téméraire, auquel il ressemblait de visage, l'ambition industrieuse, le goût des beaux-arts, le talent pour les sciences mécaniques de son aïeul l'empereur Maximilien, lui avaient été transmis avec l'héritage de leur domination et de leurs desseins. L'homme n'avait pas fléchi sous la charge du souverain. Les grandeurs et les félicités que le hasard de nombreuses successions et la prévoyance de plusieurs princes avaient accumulées sur lui, il les porta à leur comble. Pendant longtemps ses qualités si différentes et si fortes lui permirent de suffire non sans succès à la diversité de ses rôles et à la multiplicité de ses entreprises. Toutefois la tâche était trop immense pour un seul homme.

Roi d'Aragon, il avait à maintenir en Italie l'œuvre de ses prédécesseurs, qui lui avaient laissé la Sardaigne, la Sicile, le royaume de Naples, et à y accomplir la sienne en s'y rendant maître du duché de Milan, afin d'enlever le haut de cette péninsule au rival puissant qui aurait pu le déposséder du bas. Roi de Castille, il avait à poursuivre la conquête et à opérer la colonisation de l'Amérique. Souverain des Pays-Bas, il avait à préserver les possessions de la maison de Bourgogne des atteintes de la maison de France. Empereur d'Allemagne, il avait : comme chef politique, à la protéger contre les invasions des Turcs, parvenus alors au plus haut degré de leur force et de leur ambition; comme chef catholique, à y empêcher les progrès et le triomphe des doctrines protestantes. Il l'entreprit tour à tour. Aidé de grands capitaines et d'hommes d'État habiles, qu'il sut choisir avec art, employer avec discernement, il dirigea d'une manière supérieure et persévérante une politique toujours compliquée, des guerres sans cesse renaissantes. On le vit successivement et à plusieurs reprises se transporter dans tous les pays, faire face à tous ses adversaires, conclure lui-même toutes ses affaires, conduire en personne la plupart de ses expéditions. Il n'évita aucune des obligations que lui imposaient sa grandeur et sa croyance. Mais, sans cesse détourné de la poursuite d'un dessein par la nécessité d'en reprendre un autre, il ne put pas toujours commencer assez vite pour réussir, ni insister assez longtemps pour achever.

Il parvint, toutefois, à réaliser quelques-unes de ses entreprises. Ayant à s'étendre en Italie, à garder une partie de ce beau pays disputé, et à constituer l'autre dans ses intérêts, il y réussit, malgré François I" et Henri II, au prix de trente-quatre ans d'efforts, de cinq longues guerres, dans lesquelles il fit un roi de France et un pape prisonniers, et gagna beaucoup de victoires. Il parvînt aussi non-seulement à préserver les Pays-Bas, mais à les accroître: au nord, du duché de Gueldre,

de l'évêché d'Utrecht, du comté de Zutphen; au sud, de l'archevêché de Cambrai, et en les dégageant de le suzeraineté de la France sur la Flandre et sur l'Artois. Mais comment empêcher la Hongrie d'être envahie par les Turcs, les côtes de l'Espagne, les îles de la Méditerranée, le littoral de l'Italie, d'être ravagés par les Barbaresques? Il le tenta cependant. Lui-même repoussa le formidable Soliman II de Vienne en 1532; enleva la Goulette et Tunis à l'intrépide dévastateur Barberousse en 1535; voulut, en 1541, se rendre maître d'Alger, d'où le repoussa la tempête. Il aurait complété, sur terre et sur mer, cette défense des pays chrétiens, et aurait devancé, dans le protectorat de la Méditerranée, son fils immortel, l'héroïque vainqueur de Lépante, s'il n'avait pas été constamment réduit à se tourner vers d'autres desseins par d'autres dangers. Quant au projet de ramener l'Allemagne à la vieille croyance catholique, il dut être impuissant, parce qu'il fut tardif. Charles-Quint, obligé de souffrir le protestantisme lorsqu'il était encore faible, l'attaqua lorsqu'il était devenu trop fort pour être, je ne dirai pas détruit, mais contenu. Durant trente années, l'arbre de la nouvelle croyance avait poussé de profondes racines sous le sol de toute l'Allemagne, qu'il couvrait de ses impénétrables rameaux. Comment l'abattre et le déraciner? Le catholique espagnol, le dominateur italien, le chef couronné du saint-empire romain, auquel l'ardeur religieuse de sa foi, comme l'entraînement politique de son rôle, interdisaient d'admettre le protestantisme, qu'il n'avait jamais que temporairement toléré, crut, en 1546, pouvoir le dompter par les armes et le convertir par le concile. Après avoir affermi ses établissements en Italie, renouvelé ses victoires en France, étendu ses conquêtes en Afrique, il marcha en Allemagne. Dans deux campagnes, il triompha des troupes protestantes; mais, après avoir désarmé les bras, il ne put pas soumettre les consciences. Son triomphe religieux et militaire sur l'Allemagne protestante et libre, qui n'entendait être ni convertie, ni opprimée, fut le signal d'un irrésistible soulèvement de l'Elbe au Danube, et ranima toutes les vieilles inimitiés contre Charles-Quint dans le reste de l'Europe, où tout ce qui paraissait décidé en sa faveur se trouva remis en question. Il fit encore face à la fortune; mais il était au bout de ses forces, de sa félicité, de sa vie. Accablé de maladies, surpris par ce grand et inévitable revers de son dernier dessein, hors d'état d'entreprendre, à peine capable de résister, ne pouvant plus diriger et accroître cette vaste domination, dont la charge devait être divisée après lui, n'entendant pas composer avec l'hérésie victorieuse en Allemagne, trouvant à agrandir son fils en Angleterre, ayant soutenu une lutte et fait une trève sans désavantage avec la

France, il réalisa le projet d'abdication qu'il avait médité depuis tant d'années, et que lui rendaient nécessaire les maladies de l'homme, les fatigues du souverain, les sentiments du chrétien.

La retraite ne le changea point; le profond politique se montra toujours dans le pieux solitaire, et l'habitude du commandement survécut, chez lui, à sa renonciation. S'il devint désintéressé pour lui-même, il demeura ambitieux pour son fils. Se prononçant du fond de son monastère, en 1557, contre Paul IV, comme il l'avait fait, en 1527, du haut de son trône contre Clément VII; conseillant à Philippe II de poursuivre Henri II avec la même vigueur qu'il avait mise à poursuivre, dans son temps, François I"; songeant sans cesse à garantir les pays chrétiens des dévastations des Turcs qu'il avait autrefois repoussés de l'Allemagne et vaincus en Afrique; défendant les doctrines catholiques des atteintes protestantes, sinon avec plus de conviction du moins avec plus d'ardeur, parce qu'il n'avait point alors à agir, mais simplement à croire, et que, si la conduite est souvent obligée d'être accommodante, la pensée peut toujours être inflexible; arbitre consulté et chef obéi de la famille dont les tendres respects et les invariables soumissions se tournaient incessamment vers lui: on peut dire qu'il ne fut pas autre dans le couvent que sur le trône. Espagnol intraitable par la croyance, ferme politique par le jugement, toujours égal en des situations diverses, s'il a terminé sa vie dans l'humble dévotion du chrétien, il a pensé jusqu'au bout avec la persévérante hauteur du grand homme.

MIGNET.

EXAMEN D'ÉCRITS concernant la baguette divinatoire, le pendule dit explorateur, et les tables tournantes, avec l'explication d'un grand nombre de faits exposés dans ces écrits.

CINQUIÈME ARTICLE'.

E. -DE L'USAGE DE LA BAGUETTE DEPUIS 1702 JUSQU'À NOS JOURS.

En voyant les approbations données aux livres du père Lebrun par des théologiens très-distingués, la rétractation de quelques-uns qui

Voyez, pour le premier article, le cahier d'octubre, page 597; pour le deuxième, celui de novembre, page 669; pour le troisième, celui de décembre, page 768; et, pour le quatrième, celui de janvier, page 36.

1

d'abord n'avaient rien trouvé de répréhensible dans la Physique occulte de l'abbé de Vallemont; en voyant enfin la mise à l'index de ce même ouvrage par l'inquisition de Rome, il semblerait que la baguette aurait dû être proscrite à toujours par l'Église. Cependant il n'en fut rien; car, dans le xvIII° siècle, un grand nombre d'ecclésiastiques, tels que prieurs, abbés, curés, y eurent recours pour découvrir des eaux, et un évêque de Grenoble, rompant avec la tradition du cardinal Le Camus, alla jusqu'à indiquer à un homme qui faisait profession de la baguette un prétendu moyen d'estimer la profondeur à laquelle se trouvent les sources.

La baguette divinatoire ne cessa donc pas d'être en usage pendant le xvII° siècle, et, chose assez remarquable, c'est que les hommes les plus renommés pour découvrir les sources étaient du Dauphiné, comme J. Aymar. On les appelait tourneurs ou sourciers. L'un d'eux, dans le dernier quart du xvi° siècle, occupa vivement l'attention publique. Il se nommait Barthélemy Bleton. Né à Saint-Jean-en-Royant, il fut élevé par charité dans une chartreuse du Dauphiné. A l'âge de sept ans, un jour qu'il avait porté à dîner à des ouvriers, il fut saisi de la fièvre, diton, après s'être assis sur une pierre; les ouvriers l'ayant fait mettre à leur côté, la fièvre disparut; il la reprit en s'asseyant de nouveau sur la pierre. Le récit de cette alternative d'effets singuliers parvint aux oreilles du prieur de la chartreuse. Il se rendit près de la pierre merveilleuse, et, après avoir constaté la vérité du récit, il fit creuser dessous : alors apparut une source qui mit en évidence la faculté de l'enfant pour découvrir les eaux souterraines. Peu à peu sa réputation grandit et s'étendit du Dauphiné au Lyonnais et à la Bourgogne, mais on dit que l'âge fut sans influence sur le perfectionnement de la faculté dont Bleton était doué.

Il plaçait horizontalement sur les doigts index une baguette quelconque, fraîche ou sèche, non fourchue, mais un peu courbe, et, pour peu qu'elle le fût, elle tournait sur son axe d'arrière en avant plus ou moins rapidement, et plus ou moins de temps, de manière à faire trente ou trente-cinq tours par minute, lorsque la source était puissante. S". Mémoire physique et médicinal montrant des rapports évidents entre les phénomènes de la baguette divinatoire, du magnétisme et de l'électricité, par le docteur Thouvenel. Le docteur Thouvenel ayant entendu parler de Bleton le fit venir en Lorraine dans l'année 1780, pour le soumettre à des épreuves propres, 'Histoire critique des superstitions. Après le jugement de l'Académie des sciences, on trouve la citation du décret de l'inquisition, à la date du 26 octobre 1701.

« PrécédentContinuer »