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communication secrète entre l'édifice bâti sur la plate-forme et l'antre où la prêtresse rendait ses oracles, lesquelles galeries sont encore aujourd'hui accessibles et répondent bien à l'idée de Virgile, immania; et, envisagées de cette manière, les expressions du poëte n'ont rien que de très-naturel.

Je n'ai pas visité, dans ce dernier voyage, l'acropole de Cames, ni constaté l'état dans lequel se trouvent aujourd'hui les restes du temple d'Apollon. Mais j'avais fait cette excursion dans un voyage antérieur, en 1827, et je m'étais assuré, par mes propres yeux, qu'il ne subsistait plus que de faibles vestiges de l'antique édifice, consistant en quelques degrés d'un stylobate construit en tuf volcanique et en quelques tronçons de colonnes du même tuf et du même ordre dorique que le grand temple de Pæstum. C'était donc bien certainement un édifice de la haute antiquité grecque, et la richesse et le goût employés dans sa décoration intérieure s'étaient sans doute portés sur le plafond, qui pouvait être incrusté de lames d'or, aurea tecta, sans compter les nombreux objets de ce métal, dédiés par la piété publique et particulière, ával pala, qui formaient l'ameublement des principaux temples de la Grèce, et qui excluent toute idée de l'emploi de la peinture sur leurs murailles. En tout cas, une circonstance qui me frappa beaucoup, quand j'examinais ces tristes restes d'un édifice si célèbre, ce fut le peu d'étendue de son plan, qui avait été commandée par l'espace étroit que forme le plateau de la montagne. C'était donc nécessairement un édifice de petite proportion, et l'idée de sa grandeur, immania templa, ne pouvait se trouver que dans un ordre de considérations morales. S'il en fallait croire cependant un auteur ancien, qui avait écrit sur l'Apollon de Cumes, la statue érigée dans ce temple aurait été un colosse de bois de la hauteur d'au moins quinze pieds : « Signum Apollinis ligneum, altum non mimus pedes xv1; » et cette proportion ferait nécessairement supposer que le temple était d'une dimension assez considérable. Mais je ne sais si cette notion mérite une grande confiance; et, en tout cas, le peu d'étendue du terrain qu'offre le haut de l'acropole est un fait qu'on ne peut con

tester.

La montagne dont ce temple occupait le faîte est percée de cryptes vastes et nombreuses, taillées à plusieurs hauteurs et dans des directions différentes, qui ne sont à présent accessibles que dans une partie de leur cours, et qui n'ont pu être encore sondées dans toute leur profon

1Col. apud Serv. ad Virg. Æneid. VI, v. 9. Le commentateur explique l'expression altus Apollo par la hauteur du simulacre, quand il est sensible que cette expression désigne la hauteur de la localité.

deur. C'est bien là certainement cet antre de la sibylle que Virgile nous dépeint avec un peu d'exagération poétique sans doute, et cependant avec un fond de vérité locale qui peut encore être reconnu aujourd'hui1 :

Excisum Euboicæ latus ingens rupis in antrum,

Quo lati ducunt aditus centum, ostia centum.

Ce grand côté de la roche euboïque, taillé en forme d'antre, est effectivement le flanc de la montagne qui se dresse près du bord de la mer, quand on s'y rend à partir de la porte de la ville, et qui regarde le levant, comme le dit Agathias 2; et c'est là qu'on en trouve l'entrée, laissée aujourd'hui à l'état informe, mais jadis ornée d'une façade de marbre, dont les nombreux débris ont longtemps couvert le sol environnant 3. Cette entrée communiquait, par un long passage, à une galerie supérieure, au-dessous de laquelle s'étendaient deux autres souterrains, taillés sur un plan incliné, le plus haut desquels aboutissait au temple d'Apollon. Vers le milieu de ces souterrains se trouvait une porte, sans doute le limen de Virgile, d'où l'on descendait, par un escalier tortueux, au second souterrain, que l'on croit s'être prolongé jusqu'au lac Averne. Ce souterrain, plus sombre que le premier, renferme trois galeries, sans compter un grand nombre de petits passages qui les mettent en communication entre elles, la première desquelles, située à gauche de l'escalier, a son issue dans l'étage inférieur de cet antre immense, et la seconde, qui est la plus vaste, paraît avoir été aussi la plus ornéc. On y discerne encore des pilastres revêtus de stuc; le pavé en était en mosaïque, et la voûte conserve encore des traces de la dorure et de la couleur d'azur dont elle avait été décorée. C'est là que se trouvait, sans doute en forme de temple, le sanctuaire où la sibylle, qui était la prêtresse d'Apollon, rendait ses oracles, le lieu que le faux Aristote désigne comme un adapos xalάyeios 5, le même lieu que saint Justin appelle, dans le langage de son temps, ἐνδότατον τῆς βασιλικῆς οἶκον °, et ou l'on montrait encore, à la fin du second siècle de notre ère, trois bassins taillés dans le même roc, qu'on supposait avoir servi aux bains de la sibylle, ainsi que le raconte saint Justin, qui visita l'antre de la sibylle de Cumes, et qui nous en a laissé une description, malheureusement trop peu détaillée. Ces énormes excavations, qui justifient bien, dans leur en

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Virgil. Eneid. VI, 42-43. Agath. Histor. 1. I, c. x, t. I, p. 33, ed. Bonn.: Εν τῷ πρὸς ἥλιον ἀνίσχοντα του λόφου. Ev τ wpòs λov ȧvíoxovla τov λópov.- Corcia, Stor. delle Due Sicil. t. II, p. 114. Virgil. Eneid. VI, 45. — Pseud. Aristot. De mirab. auscult. c. xCVII, p. 197, ed. Beckm. S. Justin. Mart. Apolog. pr. Christ. 5 XXXIV ' Idem, ibid. § XXXIV

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et xxxv.

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semble, l'idée que nous en donne Virgile, furent sans doute pratiquées, dans le principe, par les habitants de Cumes, pour l'extraction de la pierre employée à leurs constructions; c'était la carrière d'où ils tiraient les matériaux de leur ville. Plus tard, la religion et l'art s'emparèrent de ces souterrains, pour les faire servir aux pratiques mystérieuses du culte d'Apollon, qui avait pris tant d'extension et d'éclat à Cumes; en même temps que les habitants, retranchés, en cas de siége, dans l'acropole, pouvaient profiter de ces nombreuses allées souterraines, qui avaient des issues en dehors de leur ville, pour faire des sorties contre une armée ennemie. Et c'est ainsi effectivement qu'encore au vio siècle de notre ère, Narsès, maître de la ville, essaya de triompher de la résistance des habitants de Cames qu'il assiégeait dans leur acropole, en introduisant ses soldats dans les souterrains de la montagne qui portaient une partie des murs de l'enceinte, et en y pratiquant une mine, de la manière que le raconte en détail Agathias1.

Cet antre de la sibylle, qui eut tant de célébrité dans l'antiquité, et qui, dans sa désolation actuelle, offre encore tant d'intérêt par les nombreuses allées de son immense labyrinthe, est à peu près la seule antiquité qui reste visible de Cumes. Il n'y subsiste plus le moindre vestige de ces temples, d'une architecture superbe, qu'un historien Napolitain, Capaccio, y voyait encore au xvir siècle 2. La main destructive de quelques colons a fait disparaître ces précieux débris, de même que, dans des temps plus rapprochés du nôtre, elle nous a privés des restes d'un temple et d'un édifice contigu, découvert au voisinage de l'Arco felice, dont le pavé et le revêtement étaient de beau marbre blanc, et les colonnes d'ordre corinthien 3. La destruction s'excrce avec tant de rapidité sur le peu de fragments antiques que le hasard ou le Agath. Histor. 1. I, c. vIII, IX, x, ed. Bonn. • Histor. Neapol. p. 629. Corcia, Stor. delle Due Sicilie, t. II, p. 113. Cet écrivain fait mention, sur la foi de Mormile, Antich. di Pozzuoli, p. 180, de la découverte d'un grand nombre de statues de dieux et de héros, d'excellent travail, découvertes au même endroit, en 1606. Le détail de ces statues trouvées sur le site de Cumes est donné par un auteur à peu près contemporain, Antonio Ferro, dans un écrit intitulé: Apparato delle statue recentemente nella distrutta Cuma rinvenute, et un extrait de cet écrit a été donné par Min. Riccio, Cenni storici, etc., p. 24. Au nombre de ces statues, l'auteur cite un Neptune, con parte de' peli della barba dipinti di colore ceruleo. Le temple dont ces statues avaient formé la décoration devait être d'époque romaine, dû probablement à la munificence d'Agrippa; ce qui semblait résulter de la présence d'une statue d'Auguste, il più bello, dit l'auteur napolitain, e del più buon maestro che potesse vedersi tra l'antichità, et d'une autre statue de Drusus Cæsar, portant l'inscription: DRVSI CÆSARIS, ainsi que d'une inscription trouvée au même endroit et rapportée aussi par Mormile: LAŘES AVGVSTOS AGRIPPA.

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travail des champs fait découvrir de temps en temps à Cumes, que j'ai vainement cherché à deux reprises les traces d'un temple romain d'Apollon, déterré en 1817, dont on retrouva des bases, des chapiteaux, des tronçons de colonnes, des fragments de corniche ornée d'une frise sculptée, avec une portion du stylobate qui portait l'édifice, et avec un autel, où se lisait une inscription latine qui faisait connaître la divinité à laquelle il était dédié : APOLLINI CVMANO; tous fragments, qui auraient dû être recueillis dans le musée, et dont il ne reste plus que le souvenir consigné dans le livre du chanoine Jorio, témoin de la découverte1.

Le seul reste d'antiquité un peu considérable qui subsiste encore de Cumes, des temps où elle était devenue municipe et colonie romaine, c'est une portion d'un temple, convertie aujourd'hui en métairie. Il est construit en briques, avec une voûte, en grande partie moderne, et il est connu sous le nom vulgaire de Tempio del Gigante, à cause d'un buste colossal en marbre de Jupiter, qui y fut trouvé, il y a près de deux siècles, et qui, après avoir été longtemps exposé en différents endroits de Naples 2, où il eut à souffrir des atteintes de toute espèce, a fini par être recueilli au musée des Studj, où il se voit aujourd'hui. Ce buste, malheureusement bien dégradé, est, à ma connaissance, le seul monument de ce genre qui nous soit parvenu de l'antiquité, c'est-à-dire, un buste, d'une proportion fortement colossale, en guise d'une statue du dieu; et le style, qui appartient encore à l'école grecque, bien que le travail accuse l'époque romaine, semble prouver que le temple qu'il décorait était un des édifices de la cité grecque, restauré dans les temps romains. Ce buste remplissait une grande niche, pratiquée dans le mur du fond de la cella, au devant de laquelle était érigé un autel, et qui était flanquée, à droite et à gauche, de deux autres niches, de forme carrée, décorées sans doute de statues3. D'après la forme du terrain qu'occupe cette ruine, on présume avec raison que ce temple de Jupiter devait être peu éloigné du forum de la ville antique ; et c'est effectivement à peu de distance de ce lieu, que la fouille, ouverte au commencement de l'année dernière par S. A. R. le comte de Syracuse, a fait découvrir des restes considérables d'un grand édifice, qui n'est pas entièrement connu, mais qui paraît bien avoir été le forum de Cumes, et dont je parlerai dans mon prochain article.

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Jorio, Guida di Pozzuoli, etc., p. 114-116. L'autel seul a été porté au musée de Naples, où il se voit aujourd'hui. — Au temps de d'Ancora, dont le livre a été publié en 1792, le buste colossal se voyait encore avanti il real Palazzo, Guida di Pozzuoli, p. 128. - 3 D'Ancora, Guida di Pozzuoli, etc., tav. XLIV et XLV, 2, p. 128-129. Jorio, Guida di Pozzuoli, etc., p. 119.

L'étendue qu'ont prise ces observations préliminaires sur l'histoire et sur le site de Cumes, ne me laisse plus assez d'espace pour parler des fouilles dont je me proposais de rendre compte. Ce sera donc là le sujet d'un second, et peut-être d'un troisième article, où j'aurai à faire mention d'un grand nombre d'objets intéressants, sous des rapports bien différents, qui ont été le produit de ces dernières fouilles de Cumes. RAOUL-ROCHETTE.

(La suite à un prochain cahier.)

CHARLES-QUINT,

SON ABDICATION, SA RETRAITE, SON SÉJOUR ET SA MORT au monastère hiéronymite de Yuste.

HUITIÈME ET DERNIER ARTICLE1.

Charles-Quint touchait au terme de ses jours. L'éruption des jambes était revenue avec violence. Ne pouvant supporter l'irritation qu'elle lui causait, il eut recours à des moyens dangereux pour la faire cesser.<< La << démangeaison des jambes, écrivait Mathys, le 9 août, a recom«mencé. Elle est très-incommode à l'Empereur, qui fait usage de répercussifs, dont il assure se trouver mieux que je ne le suppose. Ces « répercussifs me déplaisent, car ils sont très-périlleux. Bien que Sa « Majesté me dise qu'elle préfère une petite fièvre à cette démangeaison, « je ne pense pas qu'il soit en notre pouvoir de choisir nos maux. Je sais très-bien qu'il pourrait en résulter un mal pire que celui qu'elle a. << Plaise à Notre-Seigneur qu'il n'en soit pas ainsi, et puisse-t-il lui << donner la santé dont nous avons besoin 2! »

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Soumis aux volontés impérieuses de son intraitable malade, le

Voyez, pour le premier article, le cahier de novembre 1852, page 669; pour le deuxième, celui de décembre, page 746; pour le troisième, celui de janvier 1853, page 27; pour le quatrième, celui de mars, page 133, et, pour le cinquième, celui d'avril, p. 239; pour le 6o, celui de janvier 1854, page 5; et, pour le 7, celui de février, page 67. Lettres de Mathys à Vasquez, du 9 août, dans Retraite et mort de Charles-Quint au monastère de Yuste, recueil publié par M. Gachard, p. 314 et 315.

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