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N'allez point dans ses bras irriter la victoire ;
Et, lorsque son courroux demeure suspend'i,
Princes, contentez-vous de l'avoir attendu.
Ne différez point tant à lui rendre l'hommage
Que vos cæurs, malgré vous , rendent à son courage ;
Et, recevant l'appui que vous offre son bras,
D'un si grand défenseur honorez vos Etats.
Voilà ce qu'un grand Roi veut bien vous faire entendre,
Prêt à quitter le fer , et prêt à le reprendre.
Vous savez son dessein : choisissez aujourd'hui
Si vous voulez tout perdre ou tenir tout de lui.

TAXIL E.
Seigneur, ne croyez point qu'une fierté barbare
Nous fasse méconnoître une vertu si rare;
Et que, dans leur orgueil nos peuples affermis,
Prétendent, malgré vous, être vos ennemis.
Nous rendons ce qu'on doit aux illustres exemples ; ?
Vous adorez des Dieux qui nous doivent leurs temples.
Des Héros , qui chez vous passoient pour des mortels,
En venant parmi nous ont trouvé des autels.
Mais en vain l'on prétend chez des peuples si braves ,
Au lieu d'adorateurs, se faire des esclaves.
Croyez-moi , quelque éclat qui les puisse toucher,
Ils refusent l'encens qu'on leur veut arracher.
Assez d'autres Etats, devenus vos conquêtes ,
De leurs Rois , sous le joug, ont vu ployer les têtes.
Après tous ces Etats qu'Alexandre a soumis,
N'est-il pas tems , Seigneur , qu'il cherche des amis ?
Tout ce peuple captif qui tremble au nom d'un maître,
Soutient mal un pouvoir qui ne fait que de naître.

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Ils ont pour s'affranchir les yeux toujours ouverts :
Votre Empire n'est plein que d'ennemis couverts.
Ils pleurent, en secret, leurs Rois sans diadêmes.
Vos fers trop étendus se relâchent d'eux-mêmes ;
Et déja dans leur cæur les Scythes mutinés
Vont sortir de la chaîne où vous nous destinez.
Essayez, en prenant notre amitié pour gage,
Ce que peut une foi qu'aucun serment n'engage :
Laissez un peuple , au moins, qui puisse quelquefois
Applaudir , sans contrainte, au bruit de vos exploits.
Je reçois à ce prix l'amitié d'Alexandre;
Et je l'attends déja, comme un Roi doit attendre
Un Héros dont la gloire accompagne les pas ,
Qui peut tout sur mon caur, et rien sur mes Etats.

PORUS.
Je croyois, quand l'Hydaspe, assemblant ses provinces,
Au secours de ses bords fit voler tous ses Princes,
Qu'il n'avoit avec moi, dans des desseins si grands,
Engagé que des Rois enneinis des tyrans ;
Mais puisqu'un Roi, flattant la main qui nous menace,
Parmi ses alliés brigue une indigne place,
C'est à moi de répondre aux væux de mon pays,
Et de parler pour ceux que Taxile a trahis.
Que vient chercher ici le Roi qui vous envoie ?
Quel est ce grand secours que son bras nous octroie?
De quel front ose-t-il prendre sous son appui
Des peuples qui n'ont point d'autre ennemi que lui ?
Avant que sa fureur ravagcât tout le monde
L’Inde se reposoit dans une paix profonde ;
Et , si quelques voisins en troubloient les douceurs,

Il portoit dans son sein d'assez bons défenscurs.
Pourquoi nous attaquer? Par quelle barbarie
A-t-on de votre maître excité la furie ?
Vit-on jamais chez lui nos peuples en courroux
Désoler un pays inconnu parmi nous ?
Faut-il que tant d'Etats , de déserts, de rivicres
Scient entre nous et lui d'impuissantes barrieres ,
Et ne sauroit-on vivre au bout de l'univers,
Sans connoître son rom et le poids de ses fers ?
Quclle étrange valeur qui, ne cherchant qu'à nuire,
Embrase tout, si-tôt qu'elle commence à luire ;
Qui n'a que son orgueil pour regle et pour raison ;
Qui veut que l'univers ne soit qu'une prison,
Er que, maître absolu de tous tant que nous sommes,
Ses esclaves en nombre égalent tous les hommes !
Plus d'Etats, plus de Rois : ses sacriléges mains
Dessous un même joug rangent tous les humains.
Dans son avide orgueil je sais qu'il nous dévore.
De tant de Souverains nous sculs régnons encore.
Mais , que dis-je , nous seuls ? Il ne reste que moi,
Où l'on découvre encor les vestiges d'un Roi.
Mais c'est pour mon courage une illustre matiere.
Je vois d'un æil content trembler la terre entierc,
Afin que par moi seul les mortels secourus,
S'ils sont libres, le soient de la main de Porus ;
Et qu'on dise par-tout, dans une paix profonde:
« Alexar:dre vainqueur eût dompté tout le monde;
» Mais un Roi l'attendoit, au bout de l'univers,
» Par qui le monde entier a vu briser ses fers, »

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É PHESTION. Votre projet, du moins, nous marque un grand cou.

rage; Mais , Seigneur, c'est bien tard s'opposer à l'orage. Si le monde penchant n'a plus que cet appui, Je le plains, et vous plains vous-même autant que lui. Je ne vous retiens point: marchez contre mon maître. Je voudrois seulement qu'on vous l'eût fait connoître, Et que la Renommée cût voulu , par pitié, . De ses exploits , au moins, vous conter la moitié ; Vous verriez....

PORUS. Que verrois-je, et que pourrois-je apprendre Qui m'abaisse si fort au-dessous d'Alexandre? Seroit-ce sans efforts les Persans subjugués, Et vos bras tant de fois de meurtres fatigués ? Quelle gloire en effet d'accabler la foiblesse D’un Roi déja vaincu par sa propre mollesse , D’un peuple sans vigueur et presque inanimé, Qui gémissoit sous l'or dont il étoit armé, Et qui, tombant en foule , au lieu de se défendre, N'opposoit quc des morts au grand coeur d'Alexandre ! I.es autres éblouis de ses moindres exploits , Sont venus, à genoux, lui demander des loix ; Et leur crainte écoutant je ne sais quels oracles, Ils n'ont pas cru qu’un Dieu pût trouver des obstacles. Mais nouis , qui d'un autre æil jugeons des conquérans, Nous savons que les Dieux ne sont pas des tyrans ; Et , de quelque façon qu'un esclavc le nomine,

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Le fils de Jupiter passe ici pour un homme.
Nous n'allons point de fleurs parfumer son chemin:
Il nous trouve par tot les armes à la main.
Il voit, à chaque pas, arrêter ses conquêtes ;
Un seul rocher ici lui coûte plus de têres ,
Plus de soins , plus d'assauts et presque plus de tems
Que n'en coûte à son bras l’Empire des fersans.
Enneinis du repos qui perdit ces infâmes,
L’or qui naît sous nos pas ne corrompt point nos ames.
La gloire est le seul bien qui nous puisse tenter ,
Et le scul que mon coeur cherche à lui disputer; .
C'est elle....

É PH ESTION, se levant.

Et c'est aussi ce que cherche Alexandre. A de moindres objets son cæur ne pcut descendre. C'est ce qui , l'arrachant du sein de ses Etats, Au trône de Cyrus lui fit porter ses pas; Et, du plus ferme Empire ébranlant les colonncs , Attaquer, conqriérir, et donner les couronnes ; Et , puisque votre orgueil ose lui disputer La gloire du pardon qu'il vous fait présenter, Vos yeux, dès aujourd'hui, témoins de sa victoire, Verront de quelle ardeur il combat pour la gloire. Bientôt le fer en main vous le verrez marcher.

PORUS.

Allez donc; je l'attends, ou je vais le chercher.

(Ephesiion sori. )

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