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Je n'ai pas prétendu donner au Public un Ouvrage parfait : je me fais trop justice pour

avoir osé me Aarter de cette espérance. Avec quelque succès qu'on ait représenté mon Alexandre, et quoique les premieres personnes de la terre , et les Alexandres de notre siecle se soient hautement déclarés pour lui , je ne me laisse point éblouir par ces illustres approbations. Je veux croire qu'ils ont voulu encourager un jeune homme, et m'exciter à faire encore mieux dans la suite ; mais j'avoue que , quelque défiance que j'eusse de moi-même , je n'ai. pu m'empêcher de concevoir quelqu'opinion de ma Tragédie, quand j'ai vu la peine que se sont donnée cer taines gens pour la décrier. On ne fait point tant de brigues contre un Ouvrage qu'on n'estime pas : on se contente de ne plus le voir , quand on l'a vu une fois, et on le laisse tomber de luimême , sans daigner seulement contribuer à sa chûte. Cependant j'ai eu le plaisir de voir plus de six fois de suite à ma Piece le visage de ses censeurs. Ils n'ont pas craint de s'exposer si souvent à entendre une chose qui leur déplaisoit : ils ont prodigué libéralement leur tems et leurs peines

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pour la venir critiquer, sans compter les chagring
que leur ont peut-être coûtés les applaudissemens
que leur présence n'a pas empêché le Public de
me donner. »
« Je ne représente point à ces critiques le goût

a
de l'antiquité : je vois bien qu'ils le connoissent
médiocrement ; mais de quoi se plaignent-ils , si
toutes mes scenes sont bien remplies, si elles
sont bien liées nécessairement les unes aux autres,
si tous mes Acteurs ne viennent point sur le
Théatre que l'on ne sache la raison qui les y fait
venir, et si, avec peu d'incidens et peu de ma.
tiere , j'ai été assez heureux pour faire une Piece
qui les a peut-être attachés, malgré eux, depuis
le commencement jusqu'à la fin ? Mais ce qui
me console, c'est de voir mes censeurs s'ac-
corder si mal ensemble. Les uns disent que
Taxile n'est pas assez honnête homme ; les autres
qu'ils ne mérite point sa perte : les uns soutien-
nent qu'Alexandre n'esc pas assez amoureux ; les
autres qu'il ne vient sur le Théatre que pour
parler d'amour. Ainsi je n'ai pas besoin que mes
amis se mettent en peine de me justifier ; je n'ai
qu'à renvoyer mes ennemis à mes ennemis , et

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je me repose sur eux de la défense d'une Piece qu'ils attaquent en si mauvaise intelligence , avec des sentimens si opposés.

M. de Valincour , dit à l'Abbé d'Olivet , dans sa Lettre sur Racine , et que l'Abbé d'Olivet a placée dans son Histoire de l'Académie Françoise : « Un fait que je tiens de Racine , c'est qu'étant allé lire au grand Corneille la seconde de ses Tragédies, qui est Alexandre , Corneille lui donna beaucoup de louanges ; mais en mêmetems lui conseilla de s'appliquer à tout autre genre de Poésie qu'au Dramatique , l'assurant qu'il n'y étoit pas propre. Corneille étoit incapable d'une basse jalousie : s'il parloit ainsi à Racine , c'est qu'il pensoit ainsi ; mais vous savez qu'il préféroit Lucain à Virgile , d'où il faut conclure que le talent de faire excellemment des vers et l'art de juger excelleinment des Poëtes et de la Poésie peuvent quelquefois ne pas se rencontrer dans la même tête, »

« Alexandre parut à peine qu'il sembla produire sur la scene Françoise les mêmes mouvemens que ce Héros avoit excités autrefois dans l'Inde , remarque l'Auteur du Dictionnaire Drea

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matique. On l'admiroit et on le combattoit en même tems. On trouvoit Porus plus grand que son vainqueur. Voilà le grand reproche : il a été généralement adopté. Cependant, à examiner la chose de près , la victoire remportée par ce Prince, et l'idée qu'Ephestion, Taxile et Porus lui-même donnent d'Alexandre , le rendent plus grand que son ennemi. »

« Boileau vantoit le portrait d'Alexandre fait par Racine (*): Il est , disoit-il , de la main d'un Poëte heroïque, et celui que j'ai fait (**) est de la main d'un Poële saryrique.» Anecdotes Drama: riques, de l'Abbé de la Porte.

« Racine disoit à Boileau, en lui parlant de cette Tragédie, qu'il avoit une facilité surprenante à faire des vers. Je veux vous apprendre , lui répondit Boileau, à composer avec peine des vers fuciles ; et vous avez assez de talent pour le savoir bientôt. Racine convenoit que Boileau lui

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(*) Dans la seconde scene du second acte de sa Tragédie. Il est dans la bouche de Porus.

(**) Satyrc huitieme, adressée à M. Morel, Doctcur dç Sorbonne, et intitulée ; Saiyre de l'Homme,

avoit tenu parole , et il avouoit hautement qu'il ne se croyoit pas plus redevable du succès de l'a plupart de ses Ouvrages aux préceptes d’Horace et d'Aristote qu'aux sages et judicieux conseils d'un ami si éclairé. » Idem.

L'Abbé de la Porte , de l'opinion du Boleana et du Fureteriana, malgré celle de Robinet , sur l'époque et l'effet de la premiere représentation d'Alexandre , raconte encore qu'un Ecclésiastique qui assistoit un jour à un Sermon , a faisoit des contorsions épouvantables et des grimaces de désespéré, en répétant, sans cesse , ces mots : 0 Racine , Racine ! Après le Sermon , quelqu'un curieux de savoir ce qui agitoit si fort cet Ecclésiastique, le lui demanda , avec l'air de l'intérêt. Eh ! quoi, répondit-il, vous ne savez donc pas ce qui arriva à Racine au sujet de sa Tragédie d'Alexandre ? Il la donna d'abord à la Troupe de Moliere , et elle n'eut pas de succès ; mais l'ayant fait jouer ensuite à l'Hôtel de Bourgogne, par d'excellens Acteurs , elle enleva tous les suffrages. Voilà, Monsieur , une partie de ce qui m'arrive à moi.même. C'est moi qui ai composé le Sermon que vous venez d'entendre : il est au dire des

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