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S CE N E V.

JOGASTE, ANTIGONE, CRÉON, OLYMPE,

CRÉON, à Jocaste.

Qu'avez-vou

-VOUS fait, Madame, et par quelle con

duite Forcez-vous un vainqueur à prendre ainsi la fuite ? Ce conseil va tout perdre.

JOCASTE.

Il va tout conserver 3 Et par ce seul conseil Thebes se peut sauver.

CRÉON.
Eh! quoi, Madame, eh! quoi, dans l'état où nous sommes,
Lorsqu'avec un renfort de plus de six mille hommes
la fortunc promet toute chose aux Thébains ,
Le Roi se laisse ôter la victoire des mains ?

JOCASTE.
La victoire, Créon, n'est pas toujours si belle;
La honte et les remords vont souvent après elle.
Quand deux freres armés vont s'égorger entr'eux,
Ne les pas séparer c'est les perdre tous deux,
Peut-on faire au vainqueur une injure plus noire,
Que lui laisser gagner une telle victoire ?

CRÉON.
Leur courroux est trop grand...

JOCASTE.
Il peut être adouci.

Créon,

CRÉON.
Tous deux veulent régner.

JOCASTE

Ils régneront aussi.

CRÉON.
On ne partage point la grandeur souveraine ,
Et ce n'est pas un bien qu'on quitte et qu'on reprenne.

JOCAST £.
L'intérêt de l'Etat leur servira loi.

CRÉON.
L'intérêt de l'Etat est de n'avoir qu'un Roi,
Qui , d'un ordre constant gouvernant ses Provinces
Accoutume à ses loix et le peuple et les Princes.
Ce regno interrompu de deux Rois différens ,
En lui donnant deux Rois lui donne deux tyrans ;
Par un ordre souvent l'un à l'autre contraire,
Un frere détruiroit ce qu'auroit fait un frere.
Vous les verriez toujours former quelqu'attentat,
Et changer tous les ans la face de l'État.
Ce terme limité que l'on veut leur prescrire,
Accroît leur violence en bornant leur empire.
Tous deux feront gémir les peuples tour-d-tour:
l'areils à ces torrens qui ne durent qu'un jour,
Plus leur cours est borné, plus ils font de ravage,
Lt d'horribles dégâts signalent leur passage.

JOCASTE.
On les verroit plutôt, par de nobles projets,
Se disputer tous deux l'amour de leurs sujets.
Mais avouez, Créon, que toute votre peine
C'est de voir que la paix rend votre attente vaine;

B

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Qu'elle assure à mes fils le trône où vous tendez,
Et va rompre le piége où vous les attendez
Coromę, après leur trépas, le droit de la naissance
Fait tomber en vos mains la suprême puissance,
Le sang qui vous unit aux deux Princes mes fils,
Vous fait trouver en eux vos plus grands ennemis
Et votre ambition, qui tend à leur fortune,
Vous donne pour tous deux une haine commune:
Vous inspirez au Roi vos conseils dangereux,
Et vous en servez un pour les perdre tous deux.

CRÉON.
Je ne me repais point de pareilles chimeres ,
Mes respects pour le Roi sont ardens et sinceres;
Et mon ambition est de le maintenir
Au trônc où vous croyez que je veux parvenir.
Le soin de sa grandeur est le seul qui m'anime:
Je hais ses ennemis , et c'est-là tout mon crime.
Je ne m'en cache point; mais à ce que je voi,
Chacun n'est pas ici criminel comme moi.

JOCASTE Je suis mere, Créon ; et si j'aime son frere La personne du Roi ne m'en est pas moins cherc. De lâches courtisans peuvent bien le haïr, Mais une mere enfin ne peut pas se trahir,

ANTIGONE, à Créon. Vos intérêts ici sont conformes aux nôtres ; Les ennemis du Roi ne sont pas tous les vôtres a Créon, vous êtes pere, et, dans ces ennemis, Peut-être songez-vous que vous avez un fils. On sais de quelle ardeur Hémon sert Polynice.

CRÉON.
Oui, je le sais, Madame, et je lui fais justice :
Je le dois, en effet , distinguer

du

commun;
Mais c'est pour le haïr cncor plus que pas un,
Et je souhaiterois, dans ma juste colere,
Que chacun le haït comme le hait son pere.

ANTIGONE.
Après tout ce qu'a fait la valeur de son bras ,
Tout le monde en ce point ne vous resseinble pas.

CRÉON
Je le vois bien, Mauame, et c'est ce qui m'afflige;
Mais je sais bien à quoi sa révolte m'oblige,
Et tous ces beaux exploits qui le font admirce
C'est ce qui me le fait justement abhorier.
La honto suit toujours le par i des rebelles ;
Leurs grandes actions sont les plus criminelles :
Ils signalent leurs crimes en signalant leur bras,
Et la gloire n'est point où les Rois ne sont pas.

ANTIGONE.
Ecoutez un peu inicux la voix de la nature.

CRÈON.
Plus l'offenseur m'est cher , plus je ressens l'injure.

ANTIGONE,
Mais un pere à ce point doit-il être emporté ?
Vous avez trop de haine.

CRÉON.

Et vous, trop de bonté. C'est trop parler , Madame, en faveur d'un rebello.

ANTIGONE. L'innocence vaut bien que l'on parle pour elle.

CRÉON.
Je sais ce qui le rend innocent à vos yeux.

ANTIGONE.

Et je sais quel sujet vous le rend odieux.

CRÉON.

L'amour a d'autres yeux que lc commun des hommes.

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Vous abusez, Créon, de l'état où nous sommes : Tout vous semble permis ; mais craignez mon courroux, Vos libertés enfin retomberoient sur vous.

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L'intérêt du public agit peu sur son ame,
Et l'amour du pays nous cache une autre flamme.

( A Créon. )
Jc le sais.... Mais, Créon, j'en abhorre le cours,
Et vous ferez bien inieux de la cacher toujours.

CRÉON.
Je le ferai, Madame ; et je veux par avance,
Vous épargner encor jusques à ma présence.
Aussi bien mes respects redoublent vos mépris,
Et je vais faire place à ce bienheureux fils.
Le Roi m'appelle ailleurs ; il faut que j'obéisse.
Adien. Faites venir Hémon et Polynice.

( Il sort.)

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