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thène, vint les consulter sur un endroit qu'il avoit rendu de cinq ou six manieres , moins naturelles les unes que les autres : Ah! le bourreau ! dit tout bas RACINE à Boileau, il fera tant qu'il donnera de l'esprit à Démoschène ! « Ce qu'on appelle esprit dans ce sens-là, ajoutoit Boileau, c'esę précisément l'or du bon sens converti en clinquant. »

« Segrais, dit Louis Racine, a prétendu , dans ses Mémoires, que cette maxime de la Rochefoucault : C'est une grande pauvreté de n'avoir qu'une sorte d'esprit, fut écrite à l'occasion de Boileau et de mon pere , parce que , ajoute Segrais , tout leur entretien roule sur la Poésie ; órez-les de-, ils ne savent plus rien. Ce reproche injuste à l'égard de Boileau même, l'est encore plus à l'égard de mon pere. Un homme qui n'eut été

que

Poëte , et qui n'eut parlé que de vers n'eut pas long-tems réussi à la Cour. »

En effet, quelque préoccupé que Racine fût de la Poésie, en général, et de ses propres productions, en particulier, il s'en détournoit façilement pour d'autres objets, comme le fait voir cet exemple que cite son fils,

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* M. de Valincour rapporte que quand mon pere avoit un Ouvrage à composer , il alloit se promener; qu'alors , se livrant à son enthousiasme, il récitoit ses vers à haute voix, et que travaillant ainsi à sa Tragédie de Mithridate dans les Tuileries , où il se croyoit seul , il fut surpris de se voir entouré d'un grand nombre d'ouvriers, qui , occupés au jardin , avoient quitté leur ouvrage pour venir à lui. Il ne se crút pas un Orphée dont les chants attiroient les ouvriers pour les entendre, puisqu'au contraire, au rapport de M. de Valincour , ils l'entouroient , craignant que ce ne fût un homme au désespoir, prêt à se jeter dans le bassin. M. de Valincour eut pu ajouter qu'au milieu même de cet enthousiasme, si-tôt qu'il étoit abordé par quelqu'un , il revenoit à lui, n'avoit plus rien de Poëte , et étoit tout entier à ce qu'on lui disoit. Il évitoit toujours de parler de ses Ouvrages ; et lorsque quelques Auteurs veroient pour lui montrer les l'eurs, il les renvoyoit à Boileau, en leur disant que pour lui il ne se mêloit plus de vers. Quand il en parloit , c'étoit avec modestie , et lorsqu'il se trouvoit réuni au petit noinbre de Gens de

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Lettres dont Boileau et lui cultivoient la société.
Ceux qu'ils voyoient le plus, souvent ,

c'étoient les peres Bourdaloue , Bouhours et Rapin. MM. Nicole, de Valincour, La Bruyere , La: Fontaine et Bernier. Mon pere avoit plus d'attention

que

Boileau à ne rien dire aux personnes à qui il parloit qui fut contraire à leur maniere, de penser, D'ailleurs il étoit moins que lui dans le monde. Lorsqu'il pouvoit s'échapper de Ver-, sailles, il venoit s'enfermer dans son cabinet , où il employoit son tems à travailler à l'Histoire du Roi, qu'il ne perdoit jamais de vue, ou à lire l'écriture sainte , qui lui inspiroit des ré-, flexions pieuses qu'il mettoit quelquefois par écrit. Il lisoit avec admiration les Ouvrages de Bossuet. Ceux de Huet , Évêque d'Avranches, l'occupoient aussi. Il fit un extrait de son livre intitulé Quæstiones Alneiana de concordia rationis et fidei ; mais il n'approuvoit pas l'usage que ce savant Ecrivain vouloit faire de son érudition profane en faveur de la Religion. »

Quoique mon pere se fût fait , depuis plusieurs années, un devoir de ne plus penser à la Poésie, il s'y vit cependant rappelé, sans s'y at

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tendre, par ce même devoir , la Religion. Mao' dame de Maintenon , attentive à tout ce qui pouvoit procurer aux jeunes Demoiselles de Saint-Cyr une éducation convenable à leur naissance , se plaignit du danger qu'on trouvoit à leur apprendre à chanter et à réciter des vers , à cause de la nature de nos meilleurs vers et de nos plus beaux airs. Elle coinmuniqua sa peine à mon pere , et lui demanda s'il ne seroit pas possible de réconcilier la Poésie et la Musique avec la piété. Le projet l'édifia et l'alarına. Il souhaita que tout autre que lui fût chargé de l'exécution. Ce n'étoit point le reproche de sa conscience qu'il craignoit dans ce travail , il craignoit pour sa gloire. Il avoit une réputation acquise, et il pouvoit la perdre , puisqu'il avoit perdu l'habitude de faire des vers, et qu'il n'étoit plus dans la vigueur de l'âge. Que diroient ses ennemis, et que se diroit-il lui-même, si, après avoir brillé sur le Théatre profane , il alloit échouer sur un Théatre consacré à la piété ? »

RACINE fit part de ses craintes à Boileau, qui voulut l'éloigner de cette tentative hazar. deuse ; mais le desir de plaire à la Cour, inéme

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VIE DE JEAN RACINE." aux dépens de sa renommée, l'emporta sur toute autre considération , et il choisit le sujet hébreu, d'Esther, dont il composa sa Tragédie de ce titre. Ce premier essai, dans un genre si nouveau pour lui , fut très-bien exécuté plusieurs fois, à Saint-Cyr, par les Pensionnaires, devant le Roi et devant toute la Cour, en 1689, et il réussit parfaitement.

RACINE composa encore dans la même année , pour Saint-Cyr, quatre cantiques, tirés de l'Écriture sainte. Son fils nous apprend que le Roi voulut qu'on les lui chantât plusieurs fois, et qu'après avoir entendu ces paroles :

· Mon Dieu , quelle guerre cruelle !
» Je trouve deux hommes en moi ;
» L'un veut que, plein d'amour pour toi ,
» Mon cæur te soit toujours fidele,
» L’autre, à tes volontés rébelle,
>> Me révolte contre la loi.»

il dit à Madame de Maintenon : Ah! voilà deux hommes que je connois bien !

Le succès d'Esther engagea RACINE à en tenter un autre' du même genre , l'année suivante. Il chercha un second sujet dans l'Histoire

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