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qu'on ne put sauver les papiers les plus importans de l'Amirauté , et que les morceaux de l'Histoire de Louis XIV périrent avec plusieurs autres papiers précieux à la Littérature. »

« Quand Boileau et mon pere travailloient à cette Histoire , dès qu'ils avoient écrit un morceau intéressant, ils alloient le lire au Roi. Ces lectures se faisoient chez Midaine de Montespan. Tous deux avoient leur entrée chez elle , aux heures où le Roi y venoit iouer , et Madame de Maintenon étoit ordinairement présente à la lecture. Elle avoit , au rapport de Boileau, plus de goût pour mon pere que pour lui, et Madame de Montespan avoit, au contraire, plus de goût pour Boileau que pour mon pere ; mais ils faisoient toujours ensemble leur cour, sans aucune jalousie entr'eux. Lorsque le Roi arrivoit chez Madame de Montespan, ils lui lisoient quelque chose de son Histoire , ensuite le jeu commençoit ; et lorsque , pendant le jeu il échappoit à Madame de Montespan des paroles un peu aigres , ils remarquerent, quoique fort peu clair-voyans, que le Roi, sans lui répondre, tegardoit, en souriant, Madame de Maintenon,

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qui étoit assise vis-à-vis de lui sur un tabouret , et qui enfin disparut , tout-à-coup, de ces assemblées. Ils la rencontrerent dans la Galerie , et lui demanderent pourquoi elle ne venoit pas écouter leur lecture ? Elle leur répondit froidement : Je ne suis plus admise à ces mysteres. Comme ils lui trouvoient beaucoup d'esprit, ils en furent mortifiés et étonnés. Leur étonnement fut bien plus grand , lorsque le Roi, obligé de garder le lit , les fit appeler , avec ordre d'apporter ce qu'ils avoient écrit de nouveau sur son Histoire , et qu'ils virent en entrant Madame de Maintenon assise dans un fauteuil , près du chevet du Roi , s'entretenant familiérement avec lui. Ils alloient commencer leur lecture , lorsque Madame de Montespan, qui n'étoit point attendue , entra , et après quelques complimens au Roi, ea fit de si longs à Madame de Maintenon que pour les interrompre le Roi lui dit de s'asscoir , n'étant pas juste , ajouta-t-il, qu'on lise sans vous un ouvrage que vous avez vous-même commandé. Son premier mouvement fut de prendre une bougie pour éclairer le Lecteur : elle fit ensuite réflexion qu'il étoit plus convenable de s'as

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seoir et de faire tous ses efforts pour paroître ata tentive à la lecture. Depuis ce jour, le crédit de Madame de Maintenon alla en augmentant d'une maniere si visible que les deux Historiens lui firent leur cour , autant qu'ils la savoient faire. Mon pere , dont elle goûtoit la conversation, étoit beaucoup mieux reçu que son ami, qu'il menoit toujours avec lui. Ils s'entretenoient un jour avec elle de la Poésie , et Boileau déclamant contre le goût de la Poésie burlesque, qui avoit régné autrefois, dit, dans sa colere : Heureusement ce misérable goût est passé, et on ne lit plus Scarron , même dans les Provinces. Son ami chercha prompteinent un autre sujet de conversation, et lui dit, quand il fut seul avec lui : Pourquoi parlez vous devane elle de Scarron? ignorez vous l'intérêt qu'elle y prend? Hélas ! non, répondit Boileau ; mais c'est toujours la premiere chose que j'oublie quand je la vois. Malgré la remontrance de son ami, il eut encore la même distraction à un lever du Roi. On y parloit de la mort de Raimond Poisson : C'est une perte , dit le Roi, il étoit bon Comédien. Oui , répondit Boileau , pour faire un D. Japhet. Il ne brilioia

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que dans ces miserables Pieces de Scarron. Mon pere lui fit signe de se taire , et lui dit , en particulier : Je ne puis donc paroirre avec vous à la Cour, si vous êtes toujours si imprudent ? J'en suis honreux , répliqua Boileau ; mais quel est l'homme à qui il n'échappe pas une sottise ? »

« Boileau n'avoit pas la réputation d'être courtisan, et mon pere passoit pour plus habile que lui dans cette science, quoiqu'il n'y fût pas non plus regardé comme bien 'expert , par le Roi même, qui dit en le voyant un jour à la promenade avec M. de Cavoye : Voilà deux hommes que je vois souvent ensemble. J'en devine la raison, Cavoye avec Racine se croit bel esprit ; Racine avec Cavoye se croit courtisan. Si l'on entend par courtisan un homme qui ne cherche qu'à mériter l'estime de son maître , il l'étoit ; si l'on entend un homme qui , pour arriver à ses vues , savant dans l'art de la dissimulation et de la flatterie , il ne l'étoit point, et le Roi n'en avoie pas moins pour lui d'estime. Il lui en donna des preuves, en l'attirant souvent à la Cour, où il voulut bien lui accorder un appartement dans le Château, et même les entrées. Il aimoit à l'ens

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tendre lire , et lui trouvoit un talent singulier pour faire sentir les beautés des Ouvrages qu'il lisoit. Dans une indisposition qu'il eut, il lui demanda de lui chercher quelque Livre propre

à l'amuser. Mon pere proposa une des Vies de Plutarque : C'est du Gaulois, répondit le Roi. Mon pere répliqua qu'il tâcheroit, en lisant, de changer les tours de phrase trop anciens , et de substituer les mots en usage aux mots vieillis depuis Amiot. Le Roi consentit à cette lecture , et mon pere sut si bien changer en lisant tout ce qui pouvoit, à cause du vieux langage, choquer l'oreille du Roi , qu'il l'écouta avec plaisir, et parui goûter toutes les beautés de Plutarque ; mais l'honneur que recevoit ce lecteur sans titre fit murmurer contre lui les Lecteurs en charge. »

« Quelqu'agrément qu'il pût trouver à la Cour, il y mena toujours une vie retirée , partageant son tems entre peu d'amis et ses Livres. Sa plus grande satisfaction étoit de revenir passer quelques jours dans sa famille ; et lorsqu'il se retrouvoit à sa table , avec sa femme et ses enfans, il disoit qu'il faisoit meilleure chere qu'aux tables des Grands. »

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