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lettres est le seul qui puisse aujourd'hui sauver son nom de l'oubli. Non-seulement il s'entoura des savants qui étaient en France, mais il en attira de l'étranger. C'est lui qui fit venir à Paris, en 1519, pour y enseigner l'hébreu et l'arabe, le fameux Augustin Giustiniani, qui avait publié en 1516, à Gênes, alors sous la domination française, un psautier polyglotte.

Parmi les autres savants qui illustrèrent le règne de François I, et auxquels ce prince accorda des faveurs particulières, il convient de mentionner Geofroy Tory, dont je fais connaître ailleurs les nombreux travaux1. Son principal ouvrage est le Champ fleury, auquel est contenu l'art et science de la deuè et vraye proportion des lettres attiques, qu'on dit autrement lettres antiques. » Ce livre fut exécuté par Gilles Gourmont, le premier imprimeur en grec de Paris. Il fut achevé le 28 avril 1529, et valut à son auteur le titre d'imprimeur du roi. Il était naturel de donner cet emploi à celui qui montrait une si parfaite entente des théories de l'art typographique.

Tory recut sans doute le titre d'imprimeur du roi en 1 1530: mais nous ne le lui voyons prendre qu'en 1531, faute de monuments, et il ne le garda guère, car il mourut en 1533. Il eut pour successeur, en 1536, Olivier Mallard, qui fut remplacé lui-même en 1544 par Denis Janot, comme on l'apprend des lettres patentes données à cette occasion par le roi, et dont voici

un extrait 2:

François, etc. savoir faisons que nous, ayant esté bien et deuement adverti de la grande dextérité et expérience que nostre cher et bien amé Denis Janot a en l'art d'imprimerie. . . . . et mesmement en la langue françoise, et considérant que nous avons ja retenu et fait deux nos imprimeurs, l'un en la langue

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Geofroy Tory, 2 édit. in-8°, Paris, 1865.

2 Voyez la copie de cette pièce dans l'ouvrage mentionné à la note précédente, p. 384.

grecque, et l'autre en la latine, et ne voulant moins faire d'honneur à la nostre... iceluy (Denis Janot)... avons retenu... nostre imprimeur en ladite langue françoise... »

"

Nous venons de voir que François I mentionnait en 1544 la création d'imprimeurs royaux pour le grec et le latin. Voici dans quelle circonstance cette création eut lieu.

En 1530, sur le conseil de Guillaume Budé et d'un proscrit grec que j'ai déjà eu occasion de nommer ailleurs, Janus Lascaris, attiré en France par Louis XII, François I fonda le Collége royal, qui fut l'origine du Collège de France. On l'appela alors le Collége des Trois-Langues, parce qu'il n'y eut d'abord que trois chaires, une pour l'hébreu, une pour le grec, et la troisième pour le latin. Cette dernière, dont le besoin ne se faisait pas aussi vivement sentir, grâce aux écoles de l'Université, ne fut même remplie qu'en 1534.

grec,

Mais ce n'était pas tout que d'avoir des chaires d'hébreu et de il fallait des livres dans ces langues. Pour encourager ce genre d'impressions, qui était encore fort négligé, François Ier nomma deux nouveaux imprimeurs du roi : l'un pour l'hébreu et le latin, Robert Estienne; l'autre pour le grec, Conrad Néobar.

Nous n'avons pas l'acte qui conféra à Robert Estienne le titre d'imprimeur du roi; mais nous avons la preuve qu'il le possédait dès 1539. Maittaire prétend', je ne sais sur quel fondement,

1

Stephanorum historia, p. 35. M. Renouard (Ann. des Est. 3° édit. p. 297) a suivi en cette occasion Maittaire, qui cite à tort et à travers des titres d'ouvrages, suivant sa méthode. Ainsi, pour cette date du 24 juin 1539, il renvoie au privilége du Dictionariolum puerorum de 1542 et à l'initium du volume de la grande Bible hébraïque qui renferme les petits prophètes. Or le premier ouvrage n'a point de privilége, et les petits prophètes n'ont point d'autre initium que ce qu'on lit sur le titre, où il n'y a point d'autre date que celle de l'année (1539). Toutefois je dois reconnaître que cette date du 24 juin 1539 est aussi indiquée pour la nomination de Robert Estienne dans un des registres de la chambre ou communauté des libraires

que Robert fut nommé le 24 juin de cette année. Je crois que

sa nomination est antérieure, c'est-à-dire qu'elle remonte, comme celle de Néobar, à 1538, ou pour mieux dire au commencement de 1539. Nous lui voyons en effet prendre le titre. d'imprimeur du roi (typographus regius) sur plusieurs ouvrages imprimés par lui cette année. J'en citerai particulièrement trois que j'ai vus1:

1° Un alphabet2 hébraïque, formant 20 pages;

2° Un alphabet grec, formant 27 pages 3;

3o Le volume de la grande Bible hébraïque qui renferme les petits prophètes, et qui parut sous les auspices de François I, comme nous l'apprend l'imprimeur sur le titre même du livre : «Favore et auspiciis christianissimi Galliarum regis Francisci primi, qui in linguarum et studiosæ juventutis gratiam amplis stipendiis et professorum opera redimit, et labores compensat."

De plus, je ferai remarquer que, dans un édit fort intéressant, touchant les imprimeurs de France, daté du 31 août 1539, le roi rappelle déjà qu'il a « naguieres créé et ordonné... pour procurer copiosité de livres utiles et nécessaires. . . . imprimeurs royaux en langue latine, grecque et hébraïque 1.» Le

(aujourd'hui à la Bibliothèque impériale); mais peut-être a-t-elle été empruntée au livre de Maittaire. Quoi qu'il en soit, il m'a été impossible de retrouver le texte de cet acte aux Archives.

1 Les deux premiers, que M. Renouard n'avait jamais vus, se trouvent à la Bibliothèque impériale; le troisième se trouve partout.

2 On appelait ainsi de petits livrets de quelques feuillets, où étaient réunis tous les éléments d'une langue. C'étaient en réalité de petites grammaires à l'usage des étudiants. Il en est qui ont plus de 50 pages d'impression.

3 Ce second livret est ordinairement réuni au précédent, quoique portant un titre spécial. La pagination se suit, en effet, de 1 à 47 sur les deux opuscules. On lit à la 46 page: Excudebat Rob. Stephanus Parisiis, anno M.D.XXXIX. x1 kal. decembris." Cette date répond au 21 novembre 1539.

4 Crapelet,

Études pratiques, p. 48. M. Renouard (Ann. des Est. 3o édit.

rang que François Ier donne ici à la langue latine semble bien indiquer qu'elle ne fut pas la dernière pourvue d'un impri

meur.

Si nous n'avons pas le titre de Robert Estienne, nous sommes plus heureux en ce qui concerne Néobar, car nous possédons encore les lettres patentes qui le créèrent imprimeur du roi pour le grec; elles sont datées du 17 janvier 1538 (1539 nouveau style), et ont été publiées par lui-même dans le temps, et depuis réimprimées dans plusieurs ouvrages 1.

On y voit que Néobar devait recevoir annuellement 100 écus d'or dits au soleil, être exempt d'impôts et jouir des autres priviléges attribués au clergé et aux membres de l'Université de Paris. Défense y est faite à tout autre de réimprimer avant cinq ans les ouvrages édités par lui pour la première fois, et avant deux ans ceux réimprimés seulement par

lui.

Le même jour le roi accorda à Conrad Néobar des lettres de naturalisation qui devaient, en cas de mort, soustraire son héritage au droit d'aubaine, au profit des siens. Par ce document, qui se trouve aux archives de l'Empire2, on apprend que Conrade Neobare (sic), fils de Geoffroy, était natif du diocèse de Cologne, qu'il était «homme d'estude et faisant profession de bonnes lettres, qu'il demeurait depuis longtemps à Paris, et

"

p. 296) dit que ce fut pour récompenser Robert de ses impressions hébraïques que François I le nomma imprimeur royal pour l'hébreu; mais c'est une erreur, car Robert prend le titre d'imprimeur du roi sur ces livres mêmes. Ils furent donc, non la cause, mais la conséquence de son titre, comme on le voit ici, et comme le prouve bien mieux encore la nomination de Néobar au titre d'imprimeur royal avant qu'il eut rien imprimé. La Caille (Hist. de l'imp. p. 110) dit en effet Néobar fut reçu que libraire juré en 1538, «et que le recteur (de l'Université), en le recevant, le congratula en des termes très-obligeants.”

1 Voy. Études pratiques, par M. Crapelet, p. 88, et Les Estienne, etc. par Aug. Bernard, p. 11. On peut voir la traduction en français de cette pièce dans mon ouvrage intitulé Geofroy Tory, 2 édit. in-8°, 1865.

2 JJ. registre 253, pièce 60.

qu'il avait un frère appelé Gilles, cousturier, résidant également dans cette ville. ·

grec,

le

Non content d'avoir nommé un imprimeur spécial pour le roi voulut encore avoir des caractères grecs particuliers, et il donna ordre d'en faire graver trois corps complets de la forme la plus gracieuse, empruntée aux plus beaux manuscrits qu'on pourrait trouver dans sa bibliothèque.

Tous ceux qui se sont occupés de ce sujet disent que ce fut Conrad Néobar qui fut chargé de cette mission. M. Crapelet1 va même jusqu'à dire, après Maittaire, il est vrai, qu'un des caractères grecs du roi était gravé en 1540, et que Néobar s'en servit dans un petit volume qu'il imprima cette année, et dont voici le titre exact : Aristotelis et Philonis de mundo. Tout cela est entièrement dénué de fondement. Le livre De mundo, qui semble à lui seul avoir servi de base à cette opinion, n'est pas du tout imprimé avec les caractères connus sous le nom de types royaux 2. C'est un petit in-8° divisé en deux parties. La première, qui renferme le grec, porte sur le titre, et au-dessous de la marque de Néobar, la souscription suivante : PARISIIS. PER CONRADVM NEOBAR. REGIVM TYPOGRAPHVM. M.D.LX3. Cette date, erronée par suite de la transposition de l'L (lisez M.D.XL), se rectifie d'elle-même par la date de la seconde partie du volume, qui renferme la traduction latine (par Guillaume Budé), et qui est datée de 1541; c'est-à-dire que ce livre, commencé par Néobar, a été achevé par sa veuve, Edme Tusan ou Toussaint,

1 Études pratiques, p. 108.

2 Il suffisait de le regarder pour s'en convaincre. Malheureusement M. Crapelet a trop souvent cru pouvoir parler de choses qu'il n'avait pas vues, sur la foi d'autres personnes qui n'avaient ni son aptitude ni ses connaissances particulières en typographie.

3 M. Renouard (Annales des Est. 3o édit. p. 301) dit que ce livre est de 1540, sans nom d'imprimeur ni souscription aucune, ce qui fait voir qu'il ne l'avait pas eu sous les yeux.

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