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ni pour regner jamais dans l'Ile d'Ithaque après lui. Confolez-vous de l'avoir perdu, puifque vous trouvez une Divinité prête à vous rendre heureux, & un Royaume qu'elle vous offre. La Déeffe ajoûra à ces paroles de longs difcours pour raconter combien Ulyfle avoit été heureux auprès d'elle: elle raconta fes avantures dans la caverne du Cyclope Polipheme, & chez Antiphates Roi des Leftrigons: elle n'oublia point ce qui lui étoit arrivé dans l'Ile de Circé, fille du Soleil, & les dangers qu'il avoit courus entre Scille & Charibde.

Elle reprefenta la derniere tempête que Neptu ne avoit excitée contre lui, quand il partit d'au près d'elle, voulant faire entendre qu'il étoit péri dans ce naufrage, & elle fupprima fon arrivée dans l'Ile des P'heaciens. Telemaque qui s'étoit dabord abandonné trop promptement à la joye d'être fi bien traité par Calypfo, reconnut enfin fon artifice & la fagefle des confeils que Mentor venoit de lui donner: il répondit en peu de mots, ô Déeffe! pardonnez à ma douleur maintenant je ne puis que m'affliger; peut-être que dans la fuite j'aurai plus de force pour goûter la fortune que vous m'offrez: laiflez-moi en ce moment pleurer mon pere, vous fçavez mieux que moi combien il merite d'être pleuré.

Calypfo n'ofa dabord le preffer davantage, elle feignit même d'entrer dans fa douleur, & de s'attendrir pour Ulyffe: nais pour mieux connoître les moyens de toucher fon cœur, elle lui demanda comment il avoit fait naufrage, & par quelles avantures il étoit fur fes côtes. Le recit de mes malheurs, dit-il, feroit trop long: Non, non, répondit-elle, il me tarde de les fçavoir, hâtez vous de me les raconter; elle le preffa long-tems. Enfin il ne pût lui réfifter; & il parla ainfi:

J'étois

J'étois parti d'Ithaque pour aller demander aux autres Rois revenus du fiege de Troye, des nouvelles de mon pere. Les amans de ma mere Penelope furent furpris de mon départ; J'avois pris foin de le leur cacher, connoiffant leur perfidie. Neftor, que je vis à Pilos, ni Menelas qui me reçût avec amitié dans Lacedemone, ne pûrent m'apprendre fi mon pere étoit encore en vie. Laffé de vivre toujours en fufpens & dans l'incertitude, je me réfolus d'aller dans la Sicile, où j'avois ouï dire que mon pere avoit été jetté par les vents. Mais le fage Mentor que vous voyez ici prefent, s'oppofoit à ce temeraire deffein; il me reprefentoit d'un côté les Cyclopes, Geans monftrueux qui devorent les hommes, de l'autre la Flote d'Enée & des Troyens qui étoient fur ces côtes. Les Troyens, difoit il, font animez contre tous les Grecs; mais fur tout ils répandroient avec plaifir le fang du fils d'Ulyffe. Retournez, continuoit-il, en Ithaque; peut-être que vôtre pere, aimé des Dieux, y fera auffi tôt que vous; fi les Dieux ont réfolu fa perte, s'il ne doit jamais revoir fa patrie, du moins il faut que vous alliez le venger, délivrer vôtre mere, montrer vôtre lageffe à tous les peuples, & faire voir en vous à toute la Grece un Roi auffi digne de réguer que le fut jamais Ulyffe lui-même. Ses paroles étoient falutaires, mais je n'étois pas affez prudent pour les écouter, je n'écoutois que ina paffion; & le fage Mentor m'aima jusqu'à me fuivre dans un voyage témeraire que j'entreprenois contre fes confeils.

mais

Pendant qu'il parloit, Calypfo regardoit Mentor, elle étoit étonnée; elle croyoit fentir en luf quelque chofe de divin; mais elle ne pouvoit déméler fes pensées confules: ainfi elle demeuroit pleine de crainte & de défiance à la vue de cet inconnu; mais elle aprehenda de laifler voir son

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trou

trouble. Continuez, dit-elle à Telemaque, & fatisfaites ma curiofité. Telemaque repritainfi:

Nous eumes aflez long-tems un vent favorable pour aller en Sicile; mais en fuite une noire tempête déroba le Ciel à nos yeux, & nous fumes enveloppez dans une profonde nuit à la lueur des éclairs nous apperçumes d'autres Vaiffeaux expofez au même péril', & nous reconnûmes bien-tôt que c'étoient les Vaiffeaux d'Enée; ils n'étoient pas moins à craindre pour nous que les rochers. Alors je compris, mais trop tard, ce que l'ardeur d'une jeuneffe imprudente m'avoit empêché de confiderer attentivement, Mentor parut dans ce danger non feulement ferme & intrépide, mais plus gai qu'à l'ordinaire; c'étoit lui qui m'encourageoit je fentois qu'il m'infpiroit une force extraordinaire; il donnoit tranquillement tous les ordres, pendant que le Pilote étoit troublé. Je lui difois, mon cher Mentor, pourquoi ai-je refufé de fuivre vos confeils? Ne fuis-je pas malheureux d'avoir voulu me croire moi-même dans un âge où l'on n'a ni prévoyance de l'avenir, ni experience du paffé; ni moderation pour ménager le prefent? O! fi jamais nous échapons de cette tempête, je me défierai de moi-même comme de mon plus dangereux ennemi! C'est vous Mentor, que je croirai toûjours. Mentor en fouriant me répondit: Je n'ai garde de vous reprocher la faute que vous avez faite, il fuffit que vous la fentiez & qu'elle vous ferve à être une autre fois plus modere dans vos defirs. Mais quand le péril fera paffé, la préfomption reviendra peut être : il faut toujours le prévoir & le craindre mais quand on y eft, il ne refte plus qu'à le méprifer. Soyez donc le digne fils d'Uliffe ceeur plus grand que tous les maux qui vous menacent. La douceur & le courage du fage Mentor me char moient, mais je fus encore bien plus

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furpris quand je vis avec quelle adreffe il nous délivra.

Les Troyens dans le moment où le Ciel commençoit à s'éclaircir, nous voyant de près, n'auroient pas manqué de nous reconnoitre. Il remarqua un de leurs Vaiffeaux prefque femblable à celui des nôtres que la tempête avoit écarté, & dont la poupe étoit couronnée de certaines fleurs. Il fe hâta de mettre fur nôtre tête des couronnes de fleurs femblables, il les attacha lui-même avec. des bandelettes de la même couleur que celle des Troyens. Il ordonna à tous nos Rameurs de fe baifler le plus qu'ils pourroient le long de leurs bans, pour n'être point reconnus des ennemis; en cet état nous paflâmes au milieu de leur flote; ils poufferent des cris de joye en nous voyant, comme en revoyant les Compagnons qu'ils avoient perdus nous fumes même contraints par la violence de la mer d'aller affez long-tems avec eux; enfin nons demeurâmes un peu derriere: & pendant que les vents inpetueux les pouffoient vers l'Afrique, nous fimes les derniers efforts pour aborder à force de rames fur la côte voifine de Sicile.

Nous y arrivâmes en effet, mais ce que nous cherchions n'étoit guére moins funefte que la flote qui nous faifoit fuir. Nous trouvâmes fur cette côte de Sicile d'autres Troyens ennemis des Grecs; c'étoit là que regnoit le vieux Acefte forti de Troye. A peine fumes-nous arrivez fur ce ri-' vage, que les habitans crurent que nous étions, ou d'autres peuples de l'Ile armez pour les furprendre, ou des étrangers qui venoient s'emparer de leurs terres. Ils brûlent nôtre vaiffeau dans le premier emportement; ils égorgent tous nos compagnons; ils ne refervent que Mentor & moi pour nous prefenter à Acefte, afin qu'il pût fça-" voir de nous quels étoient nos deffeius, & d'ou

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nous

nous venions. Nous entrons dans la ville les mains liées derriere le dos, & nôtre mort n'étoit retardée que pour nous faire fervir de fpectacle à une peuple cruel, quand on fçauroit que nous étions Grecs.

On nous prefenta dabord à Acefte, qui tenant fon fceptre d'or en main, jugeoit les peuples & le préparoit à un grand facrifice. Il nous deman da d'un ton fevere quel étoit nôtre païs, & le fu et de nôtre voyage. Mentor fe hâta de répondre, & lui dit : Nous venons des côtes de la grande Hefperie, & nôtre patrie n'eft pas loin de là; ainfi il évita de dire que nous étions Grecs. Mais Acefte fans l'écouter davantage, & nous prenant. pour des étrangers qui cachoient leur deflein, ordonna qu'on nous envoyâr dans une Forêt voifine où nous fervirions en efclaves fous ceux qui gouvernoient les troupeaux. Cette condition me parut plus dure que la mort; je m'écriai: O Roi! faites nous mourir plûtôt que de nous traiter fi indignement, fçachez que je fuis Telemaque fils du fage Ulyffe, Roi des Ithaciens, je cherche mon pere dans toutes les mers: fi je ne puis ni le trouver, ni retourner dans ma patrie, ni éviter la fervitude, ôtez-moi la vie que je ne fçaurois fupporter. A peine eus-je prononcé ces mots, que tout le peuple ému s'écria, qu'il faloit faire périr le fils de ce cruel Ulyffe, dont les artifices avoient renversé la ville de Troye. O fils d Ulyffe! me. dit Acefte, je ne puis refufer vôtre lang aux manes de tant de Troyens que vôtre pere a précipitez. fur les rivages du noir Cocyte. Vous & celui qui vous mene, vous perirez. En même tems un vieillard de la troupe propofa au Roi de nous immoler fur le tombeau d'Anchife. Leur fang, difoit-il, fera agréable à l'ombre de ce Heros; Enée. même, quand il (çaura un tel facrifice, fera touché de voir cambien vous aimez ce qu'il avoit de. plus

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