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mort, que d'enterrer les morts mêmes. Mais peut-être que ces pensées feront plus d'effet dans nos cœurs, si nous les méditons avec Jésus-Christ sur le tombeau du Lazare; mais demandons-lui qu'il nous les imprime par 5 la grâce de son Saint-Esprit, et tâchons de la mériter par l'entremise de la sainte Vierge.

[AVE.]

Entre toutes les passions de l'esprit humain, l'une des plus violentes, c'est le désir de savoir; et cette curiosité fait qu'il épuise ses forces pour trouver ou quelque secret Io inouï dans l'ordre de la nature, ou quelque adresse inconnue dans les ouvrages de l'art, ou quelque raffinement inusité dans la conduite des affaires. Mais, parmi ces

vastes désirs d'enrichir notre entendement par des connaissances nouvelles, la même chose nous arrive qu'à 15 ceux qui, jetant bien loin leurs regards, ne remarquent pas les objets qui les environnent: je veux dire que notre esprit, s'étendant par de grands efforts sur des choses fort éloignées, et parcourant, pour ainsi dire, le ciel et la terre, passe cependant si légèrement sur ce qui se présente 20 à lui de plus près, que nous consumons toute notre vie toujours ignorants de ce qui nous touche; et non seulement de ce qui nous touche, mais encore de ce que nous

sommes.

Il n'est rien de plus nécessaire que de recueillir en 25 nous-mêmes toutes ces pensées qui s'égarent; et c'est pour cela, chrétiens, que je vous invite aujourd'hui d'accompagner le Sauveur jusques au tombeau du Lazare: Veni et vide: «Venez et voyez.» O mortels, venez contempler le spectacle des choses mortelles: ô homme, 30 venez apprendre ce que c'est que l'homme.

Vous serez peut-être étonnés que je vous adresse à la mort pour être instruits de ce que vous êtes; et vous croirez que ce n'est pas bien représenter l'homme, que de le montrer où il n'est plus. Mais si vous prenez soin de vouloir entendre ce qui se présente à nous dans le 5 tombeau, vous accorderez aisément qu'il n'est point de plus véritable interprète ni de plus fidèle miroir des choses humaines.

La nature d'un composé ne se remarque jamais plus distinctement que dans la dissolution de ses parties. 10 Comme elles s'altèrent mutuellement par le mélange, il faut les séparer pour les bien connaître. En effet, la société de l'âme et du corps fait que le corps nous paraît quelque chose de plus qu'il n'est, et l'âme, quelque chose de moins; mais lorsque, venant à se séparer, le corps re- 15 tourne à la terre, et que l'âme aussi est mise en état de retourner au ciel, d'où elle est tirée, nous voyons l'un et l'autre dans sa pureté. Ainsi nous n'avons qu'à considérer ce que la mort nous ravit, et ce qu'elle laisse en son entier; quelle partie de notre être tombe sous ses 20 coups, et quelle autre se conserve dans cette ruine: alors nous aurons compris ce que c'est que l'homme; de sorte que je ne crains point d'assurer que c'est du sein de la mort et de ses ombres épaisses, que sort une lumière immortelle pour éclairer nos esprits touchant l'éclat de 25 notre nature. Accourez donc, ô mortels, et voyez dans le tombeau du Lazare ce que c'est que l'humanité: venez voir dans un même objet la fin de vos desseins, et le commencement de vos espérances; venez voir tout ensemble la dissolution et le renouvellement de votre être; 30 venez voir le triomphe de la vie dans la victoire de la mort: veni, et vide.

O mort, nous te rendons. grâces des lumières que tu répands sur notre ignorance: toi seule nous convaincs de notre bassesse, toi seule nous fais connaître notre dignité; si l'homme s'estime trop, tu sais 5 déprimer son orgueil; si l'homme se méprise trop, tu sais relever son courage; et, pour réduire toutes ses pensées à un juste tempérament, tu lui apprends ces deux vérités, qui lui ouvrent les yeux pour se bien connaître: qu'il est infiniment méprisable, en tant qu'il passe; et Io infiniment estimable, en tant qu'il aboutit à l'éternité. Ces deux importantes considérations feront le sujet de ce discours.

ORAISON FUNEBRE

DE HENRIETTE-MARIE1 DE FRANCE, REINE DE LA GRANDE-
BRETAGNE, PRONONCÉE DANS L'ÉGLISE DE CHAILLOT 2
LE 16 NOVEMBRE 1669.

Et nunc, reges, intelligite; erudimini, qui judicatis terram.
Maintenant, ô rois, apprenez; instruisez-vous, juges de la
(Psalm II, 10.)

terre.

Monseigneur,*

Celui qui règne dans les cieux, et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner, quand il lui plaît, de 5 grandes et de terribles leçons. Soit qu'il élève les trônes, soit qu'il les abaisse, soit qu'il communique sa puissance aux princes, soit qu'il la retire à lui-même et ne leur laisse que leur propre faiblesse; il leur apprend leurs devoirs d'une manière souveraine et digne de lui. Car 10 en leur donnant sa puissance, il leur commande d'en user, comme il fait lui-même, pour le bien du monde; et il leur fait voir, en la retirant, que toute leur majesté est empruntée; et que, pour être assis sur le trône, ils n'en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême. 15 C'est ainsi qu'il instruit les princes, non seulement par des discours et par des paroles, mais encore par des effets et par des exemples: Et nunc, reges, intelligite; erudimini, qui judicatis terram.

Chrétiens, que la mémoire d'une grande reine, fille, 20 femme, mère de rois si puissants, et souveraine de trois

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royaumes, appelle de tous côtés à cette triste cérémonie, ce discours vous fera paraître un de ces exemples redoutables, qui étalent aux yeux du monde sa vanité toute entière.1 Vous verrez dans une seule vie toutes les ex5 trémités des choses humaines: la félicité sans bornes aussi bien que les misères; une longue et paisible jouissance d'une des plus nobles couronnes de l'univers; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulé sur une tête, qui ensuite est exposée 10 à tous les outrages de la fortune; la bonne cause d'abord suivie de bons succès, et depuis, des retours soudains; des changements inouïs; la rébellion, longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse; nul frein à la licence; les lois abolies; la majesté violée par des attentats jusqu'alors 15 inconnus; l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté; une reine fugitive, qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes, et à qui sa propre patrie n'est plus qu'un triste lieu d'exil; neuf voyages sur mer entrepris par une princesse malgré les tempêtes; l'océan étonné 20 de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers, et pour des causes si différentes; un trône indignement renversé, et miraculeusement rétabli. Voilà les enseignements que Dieu donne aux rois: ainsi fait-il voir au monde le néant de ses pompes et de ses grandeurs. Si 25 les paroles nous manquent, si les expressions ne répondent pas à un sujet si vaste et si relevé, les choses parleront assez d'elles-mêmes. Le cœur d'une grande reine, autrefois élevé par une si longue suite de prospérités, et puis plongé tout à coup dans un abîme d'amertumes, parlera 30 assez haut: et s'il n'est pas permis aux particuliers de

faire des leçons aux princes sur des événements si étranges, un roi me prête ses paroles pour leur dire: Et

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