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plus auguste.» Ce n'est pas que la France ait manqué à la fille de Henri le Grand. Anne1 la magnanime, la pieuse, que nous ne nommerons jamais sans regret, la reçut d'une manière convenable à la majesté des deux reines. Mais

les affaires du roi ne permettant pas que cette sage régente pût proportionner le remède au mal, jugez de l'état de ces deux princesses. Henriette, d'un si grand cœur, est contrainte de demander du secours: Anne, d'un si grand cœur, ne peut en donner assez. Si l'on eût pu Io avancer ces belles années dont nous admirons maintenant le cours glorieux, Louis, qui entend de si loin les gémissements des chrétiens affligés, qui, assuré de sa gloire, dont la sagesse de ses conseils et la droiture de ses intentions lui répondent toujours, malgré l'incerti15 tude des événements, entreprend lui seul la cause commune, et porte ses armes redoutées à travers des espaces immenses de mer et de terre,2 aurait-il refusé son bras à ses voisins, à ses alliés, à son propre sang, aux droits sacrés de la royauté, qu'il sait si bien maintenir? Avec 20 quelle puissance l'Angleterre l'aurait-elle vu invincible défenseur, ou vengeur présent de la majesté violée? Mais Dieu n'avait laissé aucune ressource au roi d'Angleterre : tout lui manque, tout lui est contraire. Les Écossais, à

qui il se donne, le livrent aux Parlementaires anglais, et 25 les gardes fidèles de nos rois trahissent le leur. Pendant que le parlement d'Angleterre songe à congédier l'armée, cette armée toute indépendante réforme ellemême à sa mode le parlement, qui eût gardé quelques mesures, et se rend maîtresse de tout. Ainsi le roi est 30 mené de captivité en captivité; et la reine remue en vain

la France, la Hollande, la Pologne même et les puissances du Nord les plus éloignées. Elle ranime les

Écossais, qui arment trente mille hommes; elle fait avec le duc de Lorraine une entreprise pour la délivrance du roi son seigneur, dont le succès paraît infaillible, tant le concert en est juste. Elle retire ses chers enfants, l'unique espérance de sa maison; et confesse à cette fois 5 que parmi les plus mortelles douleurs on est encore capable de joie. Elle console le roi, qui lui écrit de sa prison même qu'elle seule soutient son esprit, et qu'il ne faut craindre de lui aucune bassesse, parce que sans cesse il se souvient qu'il est à elle. O mère, ô femme, ô 10 reine admirable et digne d'une meilleure fortune, si les fortunes de la térre étaient quelque chose! Enfin il faut céder à votre sort. Vous avez assez soutenu l'État, qui est attaqué par une force invincible et divine: il ne reste plus désormais sinon que vous teniez ferme parmi ses 15 ruines.

Comme une colonne dont la masse solide paraît le plus ferme appui d'un temple ruineux, lorsque ce grand édifice qu'elle soutenait fond sur elle sans l'abattre: ainsi la reine se montre le ferme soutien de l'État, 20 lorsqu'après en avoir longtemps porté le faix, elle n'est pas même courbée sous sa chute.

Qui cependant pourrait exprimer ses justes douleurs? Qui pourrait raconter ses plaintes? Non, Messieurs, Jérémie lui-même, qui seul semble être capable d'égaler 25 les lamentations aux calamités, ne suffirait pas à de tels regrets. Elle s'écrie avec ce prophète: «Voyez,1 Seigneur, mon affliction. Mon ennemi s'est fortifié, et mes enfants sont perdus. Le cruel a mis sa main sacrilège sur ce qui m'était le plus cher. La royauté a été pro- 30 fanée, et les princes sont foulés aux pieds. Laissez-moi, je pleurerai amèrement; n'entreprenez pas de me con

soler. L'épée a frappé au dehors, mais je sens en moimême une mort semblable.»>

Mais après que nous avons écouté ses plaintes, saintes filles,1 ses chères amies (car elle voulait bien vous nom5 mer ainsi), vous qui l'avez vue si souvent gémir devant les autels de son unique protecteur, et dans le sein desquelles elle a versé les secrètes consolations qu'elle en recevait, mettez fin à ce discours en nous racontant les sentiments chrétiens dont vous avez été les témoins fiIO dèles. Combien de fois a-t-elle en ce lieu remercié Dieu humblement de deux grandes grâces: l'une, de l'avoir fait chrétienne; l'autre,- Messieurs, qu'attendez-vous? Peut-être d'avoir rétabli les affaires du roi son fils?. Non: c'est de l'avoir fait reine malheureuse. Ah! je 15 commence à regretter les bornes étroites du lieu où je parle! Il faut éclater, percer cette enceinte, et faire retentir bien loin une parole qui ne peut être assez entendue. Que ses douleurs l'ont rendue savante dans la science de l'Évangile! et qu'elle a bien connu la reli20 gion, et la vertu de la croix, quand elle a uni le christianisme avec les malheurs! Les grandes prospérités nous aveuglent, nous transportent, nous égarent, nous font oublier Dieu, nous-mêmes et les sentiments de la foi. De là naissent des monstres de crimes, des raffinements de 25 plaisir, des délicatesses d'orgueil, qui ne donnent que trop de fondement à ces terribles malédictions que JésusChrist a prononcées dans son Évangile: «Malheur1 à vous qui riez! malheur à vous qui êtes pleins » et contents du monde! Au contraire, comme le christianisme 30 a pris sa naissance de la croix, ce sont aussi les malheurs qui le fortifient. Là on expie ses péchés; là on

Il

épure ses intentions; là on transporte ses désirs de la terre au ciel; là on perd tout le goût du monde, et on cesse de s'appuyer sur soi-même et sur sa prudence. ne faut pas se flatter; les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales. Mais que nous nous 5 pardonnons aisément nos fautes, quand la fortune nous les pardonne! Et que nous nous croyons bientôt les plus éclairés et les plus habiles, quand nous sommes les plus élevés et les plus heureux! Les mauvais succès sont les seuls maîtres qui peuvent nous reprendre utile- 10 ment, et nous arracher cet aveu d'avoir failli, qui coûte tant à notre orgueil. Alors, quand les malheurs nous ouvrent les yeux, nous repassons avec amertume sur tous nos faux pas: nous nous trouvons également accablés de ce que nous avons fait, et de ce que nous avons man- 15 qué de faire; et nous ne savons plus par où excuser cette prudence présomptueuse qui se croyait infaillible. Nous voyons que Dieu seul est sage; et en déplorant vainement les fautes qui ont ruiné nos affaires, une meilleure réflexion nous apprend à déplorer celles qui ont perdu 20 notre éternité, avec cette singulière consolation qu'on les répare quand on les pleure.

Dieu a tenu douze ans sans relâche, sans aucune consolation de la part des hommes, notre malheureuse reine (donnons-lui hautement ce titre, dont elle a fait un sujet 25 d'actions de grâces), lui faisant étudier sous sa main ces dures, mais solides leçons. Enfin fléchi par ses vœux, et par son humble patience, il a rétabli la maison royale. Charles II est reconnu, et l'injure des rois a été vengée. Ceux que les armes n'avaient pu vaincre, ni les conseils 30 ramener, sont revenus tout à coup d'eux-mêmes; déçus par leur liberté, ils en ont à la fin détesté l'excès, hon

teux d'avoir eu tant de pouvoir, et leurs propres succès leur faisant horreur. Nous savons que ce prince magnanime eût pu hâter ses affaires en se servant de la main de ceux qui s'offraient à détruire la tyrannie par 5 un seul coup. Sa grande âme a dédaigné ces moyens trop bas. Il a cru qu'en quelque état que fussent les rois, il était de leur majesté de n'agir que par les lois ou par les armes. Ces lois qu'il a protégées l'ont rétabli presque toutes seules: il règne paisible et glorieux sur le Io trône de ses ancêtres, et fait régner avec lui la justice, la sagesse et la clémence.

Il est inutile de vous dire combien la reine fut consolée par ce merveilleux événement; mais elle avait appris par ses malheurs à ne changer pas dans un si grand 15 changement de son état. Le monde, une fois banni, n'eut plus de retour dans son cœur. Elle vit avec étonnement que Dieu, qui avait rendu inutiles tant d'entreprises et tant d'efforts, parce qu'il attendait l'heure qu'il avait marquée, quand elle fut arrivée, alla prendre 20 comme par la main le roi son fils, pour le conduire à son

trône. Elle se soumit plus que jamais à cette main souveraine, qui tient du plus haut des cieux les rênes de tous les empires; et dédaignant les trônes qui peuvent être usurpés, elle attacha son affection2 au royaume où 25 l'on ne craint point d'avoir des égaux, et où l'on voit

sans jalousie ses concurrents. Touchée de ces sentiments, elle aima cette humble maison plus que ses palais. Elle ne se servit plus de son pouvoir que pour protéger la foi catholique, pour multiplier ses aumônes, 30 et pour soulager plus abondamment les familles réfugiées de ses trois royaumes, et tous ceux qui avaient été ruinés pour la cause de la religion ou pour le service du roi.

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