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vient au couvent, est attaqué par la populace et ne doit son salut qu'à la vitesse de son cheval. On est à la veille des plus redoutables événements. Les chrétiens, les étrangers sont visés. C'est un terrible réveil chinois qui se prépare.

La catastrophe pourrait encore se conjurer avec de la résolution et de la perspicacité. Mais le consul de France, M. Fontanier, a, jusqu'alors, refusé d'intervenir. Il ne croit pas au danger, quand son collègue d'Angleterre a réclamé déjà une canonnière.

Le 19 juin, on prend et on torture un chrétien, et l'on menace les sœurs d'une perquisition. Le consul s'y oppose, mais demeure inactif. Le soir, la foule se rassemble devant le consulat et la mission des lazaristes; on crie, on vocifère, on lance des cailloux. Les deux lazaristes, le père Chevrier et le père Vincent Ou, prêtre indigène, et les dix religieuses, mieux au courant des mœurs chinoises, savent que ce sont là des cris de mort. M. Fontanier est sans inquiétude. Le 20, les sœurs évacuent leurs malades, licencient les enfants qui leur ont été confiés, ne gardant que les orphelins et les abandonnés, et continuent aux mêmes heures leurs exercices habituels. Jusqu'au dernier moment, la règle devait être maintenue. Le soir, elles furent informées qu'elles recevraient le lendemain la visite des mandarins. Sœur Andreoni réunit les employés pour mettre la maison en ordre. Comme on avait peur, elle tâcha à rassurer tout son monde. Mais elle-même était très pâle et tremblait un peu. C'était le dernier frisson de la chair à qui l'esprit impose l'acceptation du sacrifice.

et

Le 21, vers neuf heures du matin, le gong résonna et le peuple se massa autour du consulat et de la mission. Il faut savoir que la maison des Filles de la Charité en était distante de deux kilomètres qu'ainsi elles ne pouvaient savoir ce qui se passait. Le consul, nullement inquiet (une dépêche retrouvée après sa mort en fait foi), réclame cependant des soldats au fonctionnaire chinois qui administre la ville. On lui envoie trois policiers que la foule maltraite. Furieux, et comprenant enfin le péril, il revêt son uniforme et, escorté de son secrétaire, il se rend officiellement au

tribunal où siège Tch'oung-heou, le gouverneur. La porte est fermée; d'un coup de pied, il la fait sauter, et il entre. Sa colère secoue le Chinois, mais celui-ci se désole, et, d'ailleurs, il ne peut plus rien. Il cherche seulement à retenir le consul: « Ici, vous ne courez pas de risque. Tandis que si vous sortez... » Là, vraiment, ce consul imprudent et confiant reprend l'avantage. Il n'a rien su prévoir, mais il va finir en héros. «Ma place n'est pas ici, déclare-t-il, elle est au consulat. » Et, avec son chancelier, il tente de se frayer un passage dans la foule. Ils sont blessés, ils tombent, ils se relèvent, et vont mourir à leur poste où ils parviennent tout percés de coups. Peu après, les deux lazaristes sont égorgés; on met le feu à leur église, à leur maison, au consulat. Et puis, on court chez les sœurs.

Celles-ci ont vu Notre-Dame-des-Victoires embrasée. Elles ne peuvent plus compter sur aucun secours. Avant que la foule soit là, leur agonie a commencé. Il faut rassurer les enfants, les employés, et ne faut-il pas aussi se préparer à mourir? La supérieure rassemble tout son monde dans la chapelle, y compris les plus petits. Déjà les cris des massacreurs parviennent distinctement à leurs oreilles. Vous rappelez-vous, dans l'épopée des Aliscans, la première communion de Vivien le Chevalier sur le champ de bataille? Ainsi les sœurs appellent Dieu à leur aide. La sœur Marquet ouvre le tabernacle et prend le ciboire, mais jusque dans ce moment de hâte, elle ne peut abdiquer son infinie humilité et elle passe le vase sacré à la sœur Andreoni qu'elle juge plus digne de distribuer les saintes espèces. La communion est donnée; maintenant elles sont prêtes, maintenant Dieu est en elles, ce ne sont plus de faibles femmes devant le supplice.

La porte du dehors est enfoncée, et l'on pénètre dans la cour intérieure. Il faut tâcher de sauver les enfants. Peut-être la horde des assaillants se contentera-t-elle de dix victimes. Et le troupeau des sœurs sort de la chapelle par une porte latérale. Cette fois, la sœur Marquet est devant. Elle s'offre, elle offre ses compagnes à la boucherie et demande d'épargner les petits. Elle est frappée la première. Toutes sont égorgées tour à

tour, à l'extérieur de la chapelle, sauf deux d'entre elles restées par ordre avec les enfants et qui moururent asphyxiées avec une vingtaine de ceux-ci. La sœur Lenu expira la dernière. Dégrafée, elle réclamait un voile. Et, aux dix, il convient d'ajouter une vierge chinoise chargée de sauver les saints vases et qui, refusant de les livrer, fut sabrée. Et, encore, M. et Mme de Chalmaison qui voulurent porter secours aux sœurs et qui furent pareillement exécutés. Je passe sur les scènes d'horreur qui suivirent.

Avant trois heures, le massacre était terminé. La règle des Filles de la Charité leur commande, à trois heures précises, de rompre le silence qui suit la lecture spirituelle avec ces mots que prononce l'une d'elles à haute voix : « Jésus-Christ s'est rendu obéissant jusqu'à la mort de la croix; c'est pourquoi Dieu l'a exalté..... » Laquelle d'entre elles, sœur Andreoni ou sœur Marquet, rompit à cette même heure le silence de la mort pour offrir à Dieu le sanglant bouquet de ces dix holocautes?...

La petite chapelle a refleuri sur les ruines. Aujourd'hui, d'autres religieuses continuent l'œuvre à peine interrompue. Au dispensaire, à l'hôpital rebâti, parmi les Chinois qui viennent offrir leurs plaies, on retrouverait sans doute des descendants des meurtriers, peutêtre des meurtriers eux-mêmes perclus de vieillesse et d'infirmités. Et ces cornettes qui vont et viennent au milieu de ces horribles faces jaunes, j'ai des raisons particulières pour ne pas souhaiter qu'elles soient repassées trop bien, selon la mode de sœur Andreoni...

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P.-S. Comme je corrigeais les épreuves de cet article, je reçois précisément de Tien-Tsin une lettre dont je détache ce passage:

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« Nous avons eu ce matin une bien touchante cérémonie c'était l'inauguration de la petite chapelle du Yen-Tse-Tang dans la ville chinoise. Nous sommes parties de l'hôpital Saint-Joseph par la nuit rendue claire à cause de la neige tombée la veille en grande quantité. C'était l'heure de la méditation et elle était facile en parcourant la ville européenne encore endormie, et puis la

ville chinoise encore plus endormie dans les ténèbres du paganisme. Mais qu'il faisait froid en côtoyant le Pei-Ho qui, non encore gelé, charriait cependant de gros blocs de glace! Puis, nous avons eu la sainte messe à six heures dans cette chapelle bien petite et bien pauvre, mais touchante par ses souvenirs. Nous avons fait la sainte communion là où nos dix sœurs se sont communiées elles-mêmes il y a quarante ans, un instant avant le massacre (1)... >>>

(1) Henry BORDEAUX, l'Echo de Paris, 3 janvier 1911.

VIII

LA SAVOIE A L'ACADÉMIE

Pour qu'on se rende compte de l'estime et de la sympathie dont M. Henry Bordeaux et sa famille jouissent en Savoie, nous donnons comme conclusion à cet appendice l'article d'un journal de Chambéry qui, après la mort du marquis Costa de Beauregard, exprimait le vœu de voir l'Académie lui donner comme successeur l'auteur de la Peur de vivre et des Yeux qui s'ouvrent, du Pays natal et de le Neige sur les pas.

La Savoie a toujours joué son rôle dans les lettres françaises.

Au commencement du dix-septième siècle, c'est à Annecy que notre langue semble prendre sa fixité par les soins de saint François de Sales et du président Favre. Sans doute Montaigne, Rabelais, Ronsard, lui ont donné la richesse, l'ampleur, la saveur, le pittoresque, l'harmonie, mais elle est encore mobile et aventureuse. Elle a besoin de stabilité. Or, sur ce coin de sol savoyard, rappelle M. Henry Bordeaux dans son dernier livre Portraits de femmes et d'enfants, on vit, presque à la même époque, le président Favre, saint François de Sales, Mgr Fenouillet, évêque de Montpellier, qui eut l'honneur de prononcer l'oraison funèbre d'Henri IV, plus tard le comte Louis de Sales. Le poète MarcClaude de Buttet, Honoré d'Urfé, l'auteur de l'Astrée, y séjournèrent.

Trente ans avant la fondation de l'Académie française, saint François de Sales et le président Favre y trouvèrent les éléments d'une académie, l'Académie florimontane. Celle-ci avait pour emblème un oranger

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