Imágenes de página
PDF
ePub

est à la mesure de sa foi religieuse, mais la mesure d'énergie morale dont elle fait preuve au milieu des épreuves, en face de la tentation, est proportionnée à sa piété. Inversement, dans son œuvre, non seulement la liaison est constante entre l'absence de religion et l'absence de moralité, mais de deux âmes en qui l'idée religieuse est inégalement affaiblie celle d'où la pensée de Dieu est plus totalement absente est aussi celle dont la déchéance morale est plus profonde.

Or, les livres que nous venons de parcourir, tout en étant une œuvre d'art, sont, comme nous en avertit leur auteur, des livres d'observation, c'est-à-dire que, sous la forme essentielle au roman, celui qui a écrit ces livres y a fidèlement consigné ce qu'il a constaté cent fois, ce que sans cesse il vérifie autour de lui (1).

Donc finalement ces livres déposent en faveur de la religion, et leur ensemble constitue une apologie du Christianisme basée sur l'observation.

« L'étude méthodique des sociétés européennes, écrivait Le Play, m'a appris que le bonheur et la

(1) Qu'on lise à ce point de vue la Neige sur les pas. A plusieurs reprises, dans ce livre aussi, toujours, il est vrai, en la manière appropriée aux exigences du roman, l'auteur met en lumière l'influence régulatrice de la discipline chrétienne, le pouvoir qu'elle a de refaire l'ordre dans les âmes et de leur rendre la paix. Voir notamment, lorsque Marc Romenay arrive à l'hospice du Grand Saint-Bernard, ses entretiens avec le père Prieur et avec le père Sonnier (1re partie, chap. Iv et v). Circonstance assurément significative, bien qu'avec cette discrétion qui est le secret de l'art c'est quand Marc et Thérèse sortent ensemble de l'humble église de Publier, qu'ils ont enfin, l'un et l'autre, la vision de leur vie nouvelle, vision plus belle que celle des plaines toutes blanches alors et des arbres qui portent des fleurs de neige, la vision du pardon et de l'oubli qui effacent le passé comme la neige efface les pas, la vision de l'ordre et de la paix enfin refrouvés (dernière page de la Neige sur les pas).

prospérité publics y sont en proportion de l'énergie et de la pureté des convictions religieuses. » Ce que le philosophe de la Réforme sociale a démontré par ses enquêtes sur les ouvriers européens, M. Henry Bordeaux le démontre à sa manière par des romans qui sont, à une moindre échelle, et sur des groupes beaucoup plus restreints, une enquête aussi. La pensée de Taine sur la grande paire d'ailes indispensable à l'âme humaine, c'est-à-dire sur la nécessité sociale du Christianisme, cette pensée trouve dans l'histoire des Guibert, dans l'histoire des Derize, dans l'histoire des Rouvray, dans l'histoire des Roquevillard une justification qui a son prix. Ces histoires, elles aussi, sont une contribution à cette apologétique expérimentale dont parle M. Paul Bourget. Disciple encore jeune de ces maîtres illustres, M. Henry Bordeaux mérite qu'on salue sa présence dans leur sillage (1).

(1) Voir à l'Appendice IV, pp. 418-436.

CHAPITRE IV

UN FOYER EN SAVOIE

Petit-neveu de magistrats savoisiens, M. Henry Bordeaux a eu pour père un avocat du barreau de Thonon, « homme de foi et de discipline à la manière de Joseph de Maistre (1) », MR Lucien Bordeaux.

Ce que fut M. Lucien Bordeaux, un homme qui lui-même a si fort honoré le barreau de Savoie, M. François Descostes l'a dit avec autorité dans un article nécrologique publié en 1896 par le Courrier des Alpes (2):

<< Pendant près de quarante ans, écrit M. François Descostes, la ville de Thonon a vu M Lucien Bordeaux à l'œuvre, partageant ses journées et ses veilles entre la famille et la barre, ardent à la défense des nobles causes, vibrant à toute idée grande, à tout sentiment généreux, sans pitié pour les vilenies et les bassesses, mais sans rancune contre les personnes, vif, jeune d'allures, filant droit son chemin, comme il le disait lui-même, « tambour battant, mèche allumée », conquérant l'estime et l'affection de tous, par une vie toute

(1) Amédée BRITSCH, Henry Bordeaux. Biographie critique, p. 6. (2) Numéro du 14 novembre 1896. Cet article est intégralement reproduit dans l'Appendice V du présent volume, pp. 437-440.

d'honneur, d'indépendance et d'intégrité.

« La

« parole de l'avocat est libre! s'écriait-il un jour, « dans une circonstance mémorable. Elle n'a, elle « ne doit avoir d'autre frein que le respect de la « loi, d'autre but que le triomphe de la justice et << du droit. » Ces simples et fortes paroles résument bien la vie professionnelle de Me Bordeaux. »

Tout récemment, à l'Académie française, le général Langlois et M. Émile Faguet évoquaient à l'envi l'admirable exemple de patriotisme donné, pendant l'année terrible, par les mobiles de la Savoie.

C'était dans l'Est, raconte le marquis Costa de Beauregard, tout près d'Héricourt, pendant la guerre de 1870. Le combat finissait... Une fois encore, le champ de bataille appartenait aux brancardiers prussiens. Deux de ces hommes apportaient un commandant de mobiles ramassé aux bords de la Lizaine, quand survint le colonel de landwehr qui avait défendu le passage de la fatale petite rivière.

Est-ce vous, dit-il au blessé, qui là, sur la gauche, meniez tout à l'heure l'attaque?

Oui, monsieur,

Ach! camarade! bravo pour vos soldats.

Et le Prussien tendit la main au Français. Le Français la prit. Je crois même qu'il la serra. Pardonnez-lelui. Il oubliait blessures, captivité, défaite. Tout s'effaçait de son cœur devant l'éloge de ses soldats. Depuis quatre mois qu'ils jonchaient, de leurs misères et de leurs cadavres, grands chemins et champs de bataille. il les admirait. L'ennemi leur rendait justice. C'était enfin un peu d'honneur qui tombait sur eux des plis du drapeau malheureux (1).

(1) M. le marquis COSTA DE BEAUREGARD, Courtes pages, pp. 270271.

Ces soldats que commandait le marquis Costa, et dont, avec tant d'effacement personnel, il rappelle la vaillance, composaient le bataillon des mobiles de la Savoie (1). Or, dans un autre bataillon de mobiles, celui de la Haute-Savoie, qui ne fit pas moins bravement son devoir, Me Lucien Bordeaux commandait une compagnie. Sur la toge de cet avocat aussi, de l'honneur est tombé des plis du drapeau malheureux. « Au mois d'août 1870,- lisons-nous dans la notice déjà citée, -âgé de trente-neuf ans, n'étant tenu à aucun service actif, déjà père de quatre enfants, M. Lucien Bordeaux partit, comme officier volontaire, sous les ordres du commandant Bastian, à la tête des mobiles du Chablais; au jour de ses. funérailles, quatre d'entre eux portaient son cercueil, sur lequel l'épée de l'ancien capitaine du 3e bataillon de la Haute-Savoie recouvrait la vieille toge usée à la peine comme un glorieux drapeau (2). »

Ces détails sont à leur place dans une étude sur M. Henry Bordeaux. Ils font connaître en effet à quelle source profonde, intime, il a puisé cette admiration pour le dévouement au drapeau qui est une de ses admirations les plus ardentes.

(1) Un des lieutenants du marquis Costa au bataillon des mobiles de Savoie était un Antoine Gabet dont M. Henry Bordeaux cite le témoignage sur la bataille de Béthoncourt dans la préface des Pages d'histoire et de guerre. M. Bordeaux est allié à cette famille Gabet qui est l'une des plus anciennes de Savoie et compte dans son passé, trois généraux et plusieurs membres. du Sénat.

(2) M. François DESCOSTES, Maitre Bordeaux. Notice nécrologique publiée dans le Courrier des Alpes du 14 novembre 1896.

« AnteriorContinuar »