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raux: Dunkerque est pris en treize jours au milieu des pluies de l'automne; et ses barques, si redoutées de nos alliés, paraissent tout à coup dans tout l'océan avec nos étendards. Mais ce qu'un sage général doit le mieux connaître, c'est ces soldats et ses chefs. Car de là vient ce parfait concert qui fait agir les armées comme un seul corps, ou pour parler avec l'Écriture, «< comme un seul homme » : Egressus est Israel tamquam vir unus. Pourquoi comme un seul homme ? parce que sous un même chef, qui connaît et les soldats et les chefs comme ses bras et ses mains, tout est également vif et mesuré. C'est qui donne la victoire ; et j'ai ouï dire à notre grand prince qu'à la journée de Nordlingen, ce qui l'assurait du succès, c'est qu'il connaissait M. de Turenne, dont l'habileté consommée n'avait besoin d'aucun ordre pour faire tout ce qu'il fallait. Celui-ci publiait de son côté qu'il agissait sans inquiétude, parce qu'il connaissait le prince, et ses ordres toujours sûrs.

ce

C'est ainsi qu'ils se donnaient mutuellement un repos qui les appliquait chacun tout entier à son action: ainsi finit heureusement la bataille la plus hasardeuse et la plus disputée qui fut jamais.

Ç'a été dans notre siècle un grand spectacle, de voir, dans le même temps et dans les mêmes campagnes, ces deux hommes, que la voix commune de toute l'Europe égalait aux plus grands capitaines des siècles passés; tantôt à la tête de corps séparés; tantôt unis, plus encore par le concours des mêmes pensées que par les ordres que l'inférieur recevait de l'autre ; tantôt opposés front à front, et redoublant l'un dans l'autre l'activité et la vigilance; comme si Dieu, dont souvent, selon l'Écriture, la sagesse se joue dans l'univers, eût voulu nous les montrer en toutes les formes, et nous montrer ensemble tout ce qu'il peut faire des hommes. Que des campements, que de belles marches, que de hardiesse, que de précautions, que de périls, que de

ressources! Vit-on jamais en deux hommes les mêmes vertus, avec des caractères si divers, pour ne pas dire si contraires ? L'un paraît agir par des réflexions profondes, et l'autre par de soudaines illuminations: celui-ci par conséquent plus vif, mais sans que son feu eût rien de précipité; celui-là d'un air plus froid, sans jamais rien avoir de lent, plus hardi à faire qu'à parler, résolu et déterminé au dedans, lors même qu'il paraissait embarrassé au dehors. L'un, dès qu'il parut dans les armées, donne une haute idée de sa valeur, et fait attendre quelque chose d'extraordinaire, mais toutefois s'avance par ordre, et vient comme par degrés aux prodiges qui ont fini le cours de sa vie: l'autre, comme un homme inspiré, dès sa première bataille s'égale aux maîtres les plus consommés. L'un, par de vifs et continuels efforts, emporte l'admiration du genre humain, et fait taire l'envie : l'autre jette d'abord une si vive lumière, qu'elle n'osait l'attaquer. L'un enfin, par

la profondeur de son génie et les incroyables ressources de son courage, s'élève au-dessus des plus grands périls, et sait même profiter de toutes les infidélités de la fortune : l'autre, et par l'avantage d'une si haute naissance, et par ces grandes pensées que le ciel envoie, et par une espèce d'instinct admirable dont les hommes ne connaissent pas le secret, semble né pour entraîner la fortune dans ses desseins, et forcer les destinées. Et afin que l'on vît toujours dans ces deux hommes de grands caractères, mais divers, l'un, emporté d'un coup soudain, meurt pour son pays, comme Judas le Macchabée : l'armée le pleure comme son père ; et la cour et tout le peuple gémit; sa piété est louée comme son courage, et sa mémoire ne se flétrit point par le temps : l'autre, élevé par les armes au comble de la gloire comme un David, comme lui meurt dans son lit en publiant les louanges de Dieu et instruisant sa famille, et laisse tous les cœurs remplis tant de l'éclat de sa vie que

de la douceur de sa mort. Quel spectacle de voir et d'étudier ces deux hommes, et d'apprendre de chacun d'eux toute l'estime que méritait l'autre ! C'est ce qu'a vu notre siècle ; et, ce qui est encore plus grand, il a vu un roi se servir de ces deux grands chefs, et profiter du secours du ciel ; et après qu'il en est privé par la mort de l'un et les maladies de l'autre, concevoir de plus grands desseins, exécuter de plus grandes choses, s'élever au-dessus de lui-même, surpasser et l'espérance des siens et l'attente de l'univers : tant est haut son courage, tant est vaste son intelligence, tant ses destinées sont glorieuses.

Voilà, Messieurs, les spectacles que Dieu donne à l'univers; et les hommes qu'il y envoie quand il y veut faire éclater, tantôt dans une nation, tantôt dans une autre, selon ses conseils éternels, sa puissance ou sa sagesse; car ses divins attributs paraissent-ils mieux dans les cieux qu'il a formés de ses doigts que dans ces

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