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clésiastiques donna sous les rois barbares une assez grande sécurité aux lieux consacrés. Le respect même était quelquefois poussé assez loin. Un homme ayant essayé d'assassiner Gontran au milieu de l'église de Saint-Marcel à Châlons, fut saisi avec plusieurs de ses complices; mais, dit Grégoire de Tours (1. ix, ch. 2), on n'osa le faire mourir, parce qu'on l'avait pris dans l'église. Tantôt on cherchait, au moyen de menaces, à faire livrer par les prêtres ou les moines ceux qui s'étaient réfugiés dans leur église; tantôt l'on avait recours à toutes sortes de ruses et de parjures pour faire sortir hors des limites consacrées les malheureux réfugiés. Ce dernier moyen réussissait souvent, car l'oisiveté à laquelle ils étaient alors réduits pesait singulièrement à des barbares, accoutumés à une vie active et turbulente.

Parfois aussi les lieux d'asile devenaient des lieux de meurtre et de débauches. Le comte Leudaste, qui s'était réfugié dans la basilique de Saint-Hilaire de Poitiers, « en sortait souvent, dit Grégoire de Tours (1. v, in fine), et faisait des irruptions dans plusieurs maisons, se livrant publiquement au pillage; souvent on le surprit en adultère dans l'enceinte des saints portiques. La reine, irritée de ce qu'il souillait de cette manière la maison sacrée du Seigneur, ordonna qu'il fût chassé de la basilique. >>

Sous la deuxième race, les lieux d'asile s'étaient tellement multipliés, et l'impunité qu'ils assuraient entraînait de si grands abus, qu'alors, comme dans l'antiquité, on usa de subterfuges pour y remédier sans recourir à la violence. Ainsi un capitulaire de Carloman, rendu vers 744, défend de donner aucune nourriture aux coupables d'homicide ou d'un autre crime capital qui se seraient

réfugiés dans une église. On faisait en même temps garder avec soin toutes les issues, afin que les criminels ne pussent s'échapper. Le guet fut même imposé comme service public dans plusieurs chartes. Des lettres du mois de juin 1375, accordées par le seigneur de Meulan aux habitants de la ville qui demandent à renoncer à leur commune, les déchargent de l'obligation de faire le guet, en déclarant touꞌefois « que se il avenoit que aucuns malfaiteurs occeissent un homme ou feissent aucun meurtre ou aucun autre meffait, ou aucune malfaçon, et se ils se boutoient ou moustier ou en lieu semblable, lesdits habitants seront tenus à gaitter. »

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Le droit d'asile pendant le moyen âge ne fut pas limité aux établissements religieux; il était aussi réclamé par des villes pour certaines localités; par la noblesse, pour ses châteaux et ses habitations. Le pouvoir royal lutta longtemps, et souvent sans succès, pour parvenir pcu peu à l'abolition de tous ces priviléges. En 1666, Louis XIV était encore obligé de dire : « Faisons trèsexpresses inhibitions et défenses à tous princes, seigneurs et autres nos sujets, de donner retraite dans leurs hôtels et maisons aux prévenus de crimes, vagabonds et gens sans aveu, etc. 2. »

En France, les lieux d'asile ne furent définitivement supprimés que le 13 octobre 1789.

Voy. dans Sauval, Ilistoire et antiquités de Paris, 1. Iv, t. II, p. 499 et suiv., de curieux renseignements sur les asiles de Paris, tels que la cour des Miracles, la cour des Francs-Bourgeois, etc.

2 Voy. sur ce sujet le Recueil de l'Académie des inscriptions, éd. in-18, Mémoires, t. xxx, xxxv, et Histoire, t. 11 et iv, et un mémoire de MM. RoyerCollard et Teulet, inséré dans la Revue de Paris.

« Si un bœuf frappe de la corne un homme ou une << femme, et qu'ils meurent, dit Moïse, le bœuf sera la«pidé, et on ne mangera point de sa chair. » Dans certaines fètes des Athéniens, dit Elien, on amenait des boeufs auprès de l'autel. Là, on en immolait un seul, et on faisait grâce à tous les autres en prononçaut séparément la sentence de chacun d'eux; ensuite on mettait le glaive en jugement, on le condamnait, et l'on déclarait que c'était lui qui avait tué le bœuf 1.

Ce sont là les deux plus anciens exemples que nous connaissions de jugements prononcés contre des animaux ou contre des êtres inanimés. Au moyen âge surtout, à partir du douzième siècle, rien ne fut plus fréquent que des procès intentés à des animaux nuisibles ou homicides, procès dans lesquels on suivait avec soin toutes les formes des actions intentées en justice.- Une relation complète d'une procédure de ce genre, intentée, en 1587, une espèce de charançon (le Rynchites auratus) qui désolait les vignobles de Saint-Julien, près Saint-Jean-deMaurienne, a été publiée récemment 2. Nous allons en extraire quelques détails.

En 1545, les insectes ayant fait irruption dans le territoire que nous venons de nommer, un commencement d'instruction judiciaire eut lieu, et deux plaidoyers furent prononcés devant l'official de Saint-Jean-de-Maurienne, l'un pour les habitants, l'autre en faveur des insectes aux

1 Exode, ch. 21, vers. 28. -Elien, Hist. var., l. vIII, ch. 3. mias, 1. 1, ch. 24.

Pausa

2 De l'Origine, de la forme et de l'esprit des jugements rendus au moyen âge contre les animaux, avec des documents inédits, par Léon Menabrea. (Extrait du tome x11 des Mémoires de la Société royale acudémique de Savoie.) Chambéry, imprimerie et librairie de Puthod, 4846,

in-8, de 161 pages.

quels on avait nommé un avocat. Ceux-ci ayant disparu subitement, l'instance fut suspendue, et ne fut reprise qu'au bout de quarante-deux ans, en 1587, lorsqu'ils firent de nouveau irruption dans les vignobles de la commune de Saint-Julien. Les syndics adressèrent une plainte au vicaire général et official de l'évêché de Maurienne, qui nomma un procureur et un avocat aux insectes, rendit une ordonnance prescrivant des processions, des prières, et recommandant surtout le payement exact des dîmes. Après avoir ouï plusieurs plaidoiries, les syndics convoquèrent les habitants sur la place de Saint-Julien, et là exposèrent comme quoi il était requis et nécessaire de bailler auxdits animaux place et lieu de souffizante pasture hors les vignobles de Saint-Julien, et de celle qu'ilz en puissent vivre pour éviter de menger ni gaster lesdictes vignes. »

Les habitants forent tous d'avis d'offrir aux insectes une pièce de terre contenant environ cinquante sétérées, « et de laquelle les sieurs advocat et procureur d'iceulx << animaulx se veuillent comptenter.....; ladite pièce de << terre peuplée de plusieurs espèsses boès, plantes et « feuillages, comme foulx, allagniers, cyrisiers, chesnes, << planes, arbessiers et aultres arbres et buissons, oultre «l'erbe et pasture qui y est an assez bonne quantité...........» En faisant cette offre, les habitants de Saint-Julien crurent devoir se réserver le droit de passage à travers la localité dont ils faisaient l'abandon, « sans causer touttefoys «<aulcung préjudice à la pasteure desdictz animaulx. Et « par ce que ce lieu est une seure retraite en temps de «< guerre, vu qu'il est garni de fontaynes qui aussi servi«ront aux animaulx susdicts,» ils se réservent encore la faculté de s'y réfugier en cas de nécessité, promettant, à

ces conditions, de faire dresser, en faveur des insectes ci-dessus nommés, contrat de la cession de la pièce de terre en question, « en bonne forme et vallable à per« pétuyté 1. »

Cette délibération avait été prise le 29 juin. Le 24 juillet, le procureur des habitants présenta une requête tendant « à ce qu'à défaut, par les défendeurs, d'accepter les offres qui leur avaient été faites, il plût au juge lui adjuger ses conclusions, savoir à ce que lesdits défendeurs soient tenus de déguerpir les vignobles de la commune, avec défense de s'y introduire à l'avenir, sous les peines du droit. » Le procureur des insectes demanda un délai pour délibérer; et les débats ayant été repris le 3 septembre, il déclara ne pouvoir accepter, au nom de ses clients, l'offre qui leur avait été faite, parce que la localité en question était stérile, et ne produisait absolument rien, ce que n'ait la partie adverse. Des experts furent nommés. Là s'arrêtent malheureusement les pièces conmues du procès; et l'on ignore si l'instance fut reprise, et quelle décision fut prononcée par l'official. Mais ce que nous en avons dit suffira pour donner une idée des formes observées dans de pareilles procédures.

Le moyen indiqué par le procureur des habitants de Saint-Jean-de-Maurienne fut employé très-souvent et avec succès, s'il faut en croire quelques écrivains. Ainsi, le célèbre jurisconsulte zurichois, Félix Malleolus ou Hammerlein, mort en 1457, raconte que Guillaume d'Emblens, qui fut évêque de Lausanne, de 1221 à 1229, relégua les anguilles du lac Léman dans un certain endroit d'où elles n'osèrent plus sortir. Il rapporte encore que,

1 Ouvrage cité, p. 20 et suiv.

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