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Les pèlerins assez heureux pour arriver jusqu'à Jérusalem devaient payer une pièce d'or avant d'y entrer; aussi des milliers de malheureux que les infidèles avaient complétement dépouillés, venaient expirer de faim et de misère sous les murs de la cité sainte, dont les habitants ne suffisaient pas à ensevelir les morts.

Lorsqu'en 1035, Robert de Normandie arriva devant Jérusalem: «Si veissiez venir des pélerins à cent et mil contre le duc, dit une chronique, plourant et eriant mercy, car il n'avoient de quoy païer l'entrée. Lors ordonna le duc que tant que ces pèlerins y fussent entrez, ilz ne entreroit, et fist pour chascun baillier ung bezant d'or ou la vallue, et puis y entra à grant honneur. Les pèlerins qui avaient pu acquitter le tribut se logeaient soit chez les chrétiens, soit dans l'hôpital des Amalfitains, soit même chez les infidèles, comme le fit Robert l'Ancien, comte de Flandre. « Sur mille pèlerins, dit Guillaume de Tyr, un seul à peine pouvait suffire à ses besoins; car ils avaient perdu en route leurs provisions de voyage, et n'avaient sauvé que leurs corps à travers des périls et des fatigues sans nombre. »

Ces dangers engagèrent de bonne heure les pèlerins à se réunir en troupes assez considérables pour se protéger mutuellement. Ce furent les Normands qui donnèrent T'exemple, s'il faut en croire le récit douteux où Orderic Vital raconte que cent chevaliers de cette nation, revenant de Palestine, délivrèrent Salerne assiégée par les Sarrasins.

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Au onzième siècle, les seigneurs et les abbés ne se

Chronique manuscrite de Normandie, Recueil des historiens de France, 1. XI, p. 328.

mettaient guère en route sans une suite nombreuse. Tels furent, entre autres, en 1025, le pèlerinage de Guillaume Taillefer II, comte d'Angoulême, qui partit avec une brillante escorte de seigneurs et d'abbés, celui de Richard, abbé de Vannes (en 1027), qui était accompagné de sept cents pèlerins, qu'il défraya entièrement, d'Avesgaud, évêque du Mans (en 1032), de Robert, duc de Normandie (en 1035), etc. 1.

Enfin, en 1064, eut lieu un pèlerinage qui peut presque être considéré comme une tentative de croisade. « On annonça par toute la Normandie, raconte Ingulfe, secrétaire de Guillaume le Conquérant, que des évêques de l'Empire et d'autres princes de la terre voulaient, pour le salut de leurs âmes, se rendre pieusement en Palestine. >> Plusieurs personnes de la maison du prince, tant clercs que chevaliers, et Ingulfe lui-même, se joignirent à eux. Au moment du départ, le nombre des pèlerins se trouva dépasser sept mille. Arrivés en Asie, où les avait précédés la nouvelle de leur expédition et de leurs richesses, qu'ils étalaient imprudemment, ils furent, près de Ramla, assaillis par les Arabes. Après un combat meurtrier, ils purent à grand'peine gagner un vieux château ruiné où, s'étant maintenus pendant trois jours, ils furent enfin délivrés par l'émir de Ram'a, qui

1 A propos du pèlerinage de Lietbert, évêque de Cambrai, en 40%4. Michaud a commis, dans son Histoire des croisades, une singulière méprise. Il dit que Lietbert partit avec une escorte de trois mille pèlerins. Or, voici le texte des Bollandistes: « Lietbertus egreditur a civitate sua... prosc◄ quitur eum fere ad Iria milliaria, non sine lacrymis et immensis gemiti-` bus, omnis ætas utriusque sexus (Juin, t. iv, p. 596). » Une distance de trois mille pas a été prise par l'historien pour une escorte de trois mille personnes.

les escorta jusqu'à Jérusalem; quatre mille seulement regagnèrent l'Europe 1.

Les faits que nous venons de rapporter, relativement aux pèlerinages entrepris en Terre-Sainte, avant le concile de Clermont, en 1095, où fut décidée la première croisade, ces faits, disons-nous, prouvent, de la manière la plus évidente, à quel point on a exagéré l'influence de Pierre l'Ermite et d'Urbain II, sur le mouvement qui poussa tant de millions de chrétiens en Asie. La voix de ! ces deux hommes aurait été impuissante à faire naître l'un de ces événements qui changent la face des empires, si, depuis plus d'un siècle, la pensée d'une croisade n'avait pas occupé toutes les imaginations résultat uniquement dû aux pèlerinages qui, tout en répandant d'utiles connaissances géographiques, avaient fait chaque jour connaître à l'Europe les misères et les espérances des populations chrétiennes de l'Orient. Nous avons déjà parlé de la lettre de Gerbert. En 1010, suivant Raoul Glaber (livre, chap. 7), les juifs d'Orléans envoyèrent prévenir le soudan de Babylone qu'il ne tarderait pas à être chassé de son royaume par les sectateurs du Christ, s'il ne détruisait le temple de Jérusalem. Au mois de décembre 1074, Grégoire VII écrivait à l'empereur Henri IV, que plus de cinquante mille habitants de l'Italie et de la France lui avaient fait savoir que si le chef de l'Eglise voulait se mettre à leur tête, ils iraient délivrer le saint sépulcre 2. Dans sa jeunesse, Godefroy de Bouillon disait souvent, à ce que racontait sa mère, qu'il n'avait d'autre désir que d'aller à Jérusalem, à la tête d'une nombreuse armée.

Voy. Baronius, Annales ecclesiastici, t. xvII, p. 266 et suiv. 2 Guibert de Nogent, Gesta Dei per Francos, I. II.

Après les croisades, on vit encore des chrétiens affronter les dangers qu'offraient de nouveau les contrées soumises aux infidèles; mais, à partir du dix-septième siècle, la plupart doivent plutôt être considérés comme des voyageurs que comme des pèlerins. Nous citerons toutefois les pèlerinages de deux femmes. L'une, Gabrielle Brémond, de Marseille, parcourut la haute et basse Egypte, la Palestine, le mont Sinaï, le mont Liban et presque toute la Syrie. La relation de ce voyage fut traduite du français en italien, Rome, 1673, in-4. L'autre femme, nommée Anne Chéron, alla visiter Jérusalem, à l'âge de quatre-vingts ans. Le récit de ce pèlerinage fut publié à Paris, 1771, in-12.

Si, malgré les dangers qu'ils offraient, les pèlerinages en Terre-Sainte étaient aussi fréquents, on devine aisément quelle devait être l'affluence des pèlerins qui allaient visiter les lieux de sainteté, situés en Europe, comme Rome et Saint-Jacques de Compostelle 1. La capitale du monde chrétien surtout attirait dans ses murs une foule de voyageurs de toutes les nations. Ainsi Brunon, qui, en 1049, devint pape sous le nom de Léon IX, n'étant encore qu'évêque de Toul, faisait tous les ans, à Rome, un voyage où il était quelquefois accompagné de plus de cinq cents personnes. Et pour parler d'une époque plus rapprochée de nous, lors du jubilé de 1600, l'hospice des pèlerins, fondé dans cette ville par saint Philippe de Néri, au milieu du seizième siècle, donna l'hospitalité, pendant trois jours, à 445,000 hommes et à 25,000 femmes.

1 M. Victor Leclerc a composé, sur les pèlerinages à Saint-Jacques de Compostelle, un mémoire qu'il a lu à l'Académie des inscriptions et belles lettres, en 1843.

On donnait, en France, le nom de Romée ou Romieu aux pèlerins qui avaient visité Rome; de là vient que ces noms, surtout le dernier, sont assez communs dans quelques provinces.

DE QUELQUES ANCIENS RITES CHRÉTIENS

On sait que l'on nommait catéchumènes, dans les premiers siècles du christianisme, les nouveaux convertis que l'on instruisait avant de leur donner le baptême. Le temps de l'instruction durait en général deux ans. Ceux qui demandaient le baptême ou qui en étaient jugés dignes, étaient, au commencement du carême, inscrits sur la liste des compétents ou illuminés. On les baptisait solennellement par trois immersions, la veille de Pâques ou de la Pentecôte, et on leur donnait en même temps la confirmation. On n'administrait le baptême par aspersion que dans les cas de nécessité absolue, comme celui de maladie, et le peuple nommait cliniques (du grec xλɩvn, lit) ceux qui avaient été baptisés dans leur lit.

Le baptême était accompagné de cérémonies symboliques. Ainsi on faisait manger aux nouveaux baptisés du lait et du miel, pour marquer leur entrée dans la vraie terre promise et leur enfance spirituelle; car le lait et le miel étaient la première nourriture des enfants sevrés.

Pendant longtemps, comme nous venons de le dire, le baptême se donna par trois immersions, en l'honneur des trois personnes de la Trinité. Mais les ariens ayant trouvé

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