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suffisantes et trop éloignées pour pouvoir flanquer efficacement la ligne d'embossage. L'amiral Bruix, se croyant certain de n'avoir laissé entre la tête de sa ligne et la terre, que l'intervalle nécessaire aux manoeuvres d'appareillage, était dans la plus grande sécurité. On a cité une lettre de cet amiral à Bonaparte, dans laquelle il répondait aux craintes du général sur la position de la flotte, et l'assurait qu'il désirait d'y être attaqué.

Nelson, après avoir reconnu le mouillage et la position des vaisseaux qui étaient trèséloignés de la terre, et paraissaient ne compter que sur leur propre défense, ne balança point, et fit pour les attaquer la même disposition qu'il eût pu faire en pleine mer, si, ayant l'avantage du vent, il eût atteint et engagé l'avant-garde de cette flotte. Ainsi, dans le dessein de doubler la tête de la ligne française et de la mettre entre deux feux, il fit gouverner son chef de file sur l'intervalle entre le mouillage et la terre ; ce premier vaisseau ayant échoué, les cinq vais

seaux qui le suivaient le dépassèrent et mouillèrent bord à bord entre les six premiers vaisseaux français et le rivage. Sept autres vaisseaux anglais défilèrent en dehors et mouillèrent à bord opposé de cette partie de la ligne française, qui se trouva ainsi engagée par des forces doubles à bas-bord et à tribord. En même temps l'amiral Nelson fit couper la ligne par un vaisseau qu'il avait réservé pour cette manoeuvre, dont le succès empêcha la plupart des vaisseaux de l'arrière-garde des Français de prendre part à l'action.

Dans cette position, on se canonna des deux côtés avec la plus grande vivacité tout le reste de la journée, et la nuit tout entière; quand le jour parut, le 15, à trois heures du matin, il n'y avait encore aucun avantage décidé; les vaisseaux se rapprochèrent jusques à portée de pistolet, et tout ce qui existe de moyens de destruction fut employé de part et d'autre. Ce fut dans cette circonstance que l'amiral Bruix, qui, déjà blessé grièvement, continuait de comman

der, fut emporté par un boulet. Peu de temps après, le feu prit à son vaisseau et l'on fit de vains efforts pour l'éteindre.

Un trait fort touchant, et qui retrace vivement ces momens de désordre et de carnage, dont de tels combats de mer présentent l'affreuse image, mérite d'être conservé comme un exemple de piété filiale, et de la plus magnanime intrépidité.

Un jeune garde de la marine, Casa Bianca, un enfant de dix ans, combattait auprès de son père, capitaine de pavillon du vaisseau amiral; celui-ci tomba blessé mortellement, à l'instant où les flammes dévoraient ce beau vaisseau des matelots veulent sauver l'enfant et l'emporter dans une chaloupe, il s'y refuse, il embrasse son père mourant, et ne veut pas l'abandonner. La chaloupe s'éloigne du vaisseau déjà tout embrasé; le jeune Casa Bianca parvient à attacher son père sur un tronçon de mât jeté à la mèr; l'intendant de l'escadre s'y était aussi lié; ils flottaient ensemble et se sauvaient peut-être, quand l'Orient sauta avec un fracas horrible, et la

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mer bouillonnant autour des débris les en

gloutit tous trois.

Cette explosion fut si terrible, que les deux escadres restèrent comme ensevelies sous une pluie de fer et de feu : il y eut un profond silence pendant quelques minutes, mais le combat se renouvela bientôt avec acharnement. Presque tous les commandans des vaisseaux français furent tués ou blessés dans cette journée; il se fit des deux côtés des prodiges de valeur, et dans aucune bataille navale on ne trouverait peutêtre autant de traits remarquables d'audace et de constance héroïque. On a cité, surtout celui du capitaine français Du Petit Thouars, qui mutilé, n'ayant plus que le tronc, mais vivant encore, ne voulut point quitter le pont, et fit jurer à son équipage de ne point amener, et de jeter ses restes à la mer,

Les vaisseaux qui se trouvaient entre deux feux, étant déjà dégréés et rasés, furent forcés de se rendre. Le combat continua encore le troisième jour; le Timoléon ne vou

lut point amener son pavillon, et se brûla après avoir sauvé son équipage. Deux vaisseaux français seulement, le Généreux et le Guillaume-Tell, ayant appareillé d'après les signaux de l'amiral Villeneuve, s'échappèrent avec deux frégates, et gagnèrent le canal de Malte. Tout le reste fut pris ou brûlé. Les Anglais ne purent emmener à Gibraltar, et ensuite en Angleterre, que six des vaisseaux qu'ils avaient pris.

Les équipages, que l'amiral Nelson ne pouvait garder dans la situation où il se trouvait, furent mis à terre sur leur parole de ne point servir jusqu'à parfait échange.

Après le combat, l'amiral Nelson fit bloquer le port d'Alexandrie par ceux de ses vaisseaux qui se trouvèrent le moins maltraités, et fit voile pour la Sicile, afin d'y réparer ceux qui n'étaient plus en état de tenir la mer : il arriva à Naples le 18 septembre, et l'accueil qu'il y reçut fut considéré par le gouvernement français comme une seconde violation de la neutralité, et comme un ou

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