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mémorable que celui qui, en 1565, immortalisa Jean de La Valette; c'eût été rendre un bel hommage à sa mémoire, que de défendre la place qu'il construisit lui-même après avoir chassé les Turcs, et dont les fortifications ont été depuis perfectionnées par les plus habiles ingénieurs.

Mais les intelligences des Français avec un parti de leur nation parmi les chevaliers, la négligence des préparatifs de défense, la faiblesse du Grand-Maître et de son conseil, enfin les mouvemens tumultueux des habitans qui s'étaient réfugiés dans la place y causèrent une extrême confusion; sans doute que les divisions de nations, de partis, d'intérêts, qu'alimentait la forme de gouvernement et d'administration de l'ordre paralysèrent tous les moyens de résistance.

Après vingt-quatre heures d'un simulacre de défense que l'importance de la conquête de l'île de Malte permet à peine de rappeler, la reddition de la place et de tous les forts, la remise de toute la marine (2 vaisseaux, une frégate et 4 galères), celle de toute l'ar-

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tillerie, des magasins, des trésors, et des autres propriétés de l'ordre fut signée le 13 juin à minuit, à bord du vaisseau l'Orient. Ainsi passa tout à tout à coup sous la domination de la France cette île célèbre, qui sous les Romains n'eut pas une moindre importance que de nos jours. Dans le moyen âge, ce fut par un Français, le comte Roger Le Normand, qu'elle fut conquise sur les Sarrazins : on sait qu'elle devint un fief du royaume de Sicile, et qu'elle fut possédée par le roi de France Louis XII, lors de la conquête de Naples; les chevaliers de Saint-Jean, chassés de Rhodes en 1522, la reçurent en fief de l'empereur Charles V. Ils en faisaient hommage au roi de Sicile; et tel fut le fondement de la vaine réclamation de la cour de Naples.

Heureux de n'avoir pas été retardé par une résistance qui eût donné aux Anglais le temps de rencontrer la flotte française et le convoi dans une position très-défavorable, et de faire échouer son entreprise, Bonaparte, après s'être renforcé et ravitaillé,

laissa à Malte une garnison de 4,000 hommes sous les ordres du général Vaubois, et rembarqua promptement ses troupes.

L'amiral Bruix fit route à l'est conservant sous le vent cet immense convoi de plus de 400 voiles, et sortit du canal de Malte et de Sicile, étonné sans doute que les vingt-cinq jours écoulés depuis son départ de Toulon n'eussent pas suffi aux Anglais pour découvrir et couper sa route.

L'amiral Saint-Vincent, qui bloquait avec 25 vaisseaux de ligne le port de Cadix, ne prêta aux Français d'autres projets que de le forcer à s'éloigner de la côte pour exécuter leur réunion avec les Espagnols : il fit observer trop tard la flotte française, et persuadé qu'elle chercherait d'abord à gagner Mahon, il se contenta de détacher, le 9 mai, l'amiral Nelson, avec 3 vaisseaux et quelques frégates pour reconnaître la rade de Toulon. Il était presqu'à la vue de la côte, dès le 17, au moment où la flotte se préparait à appareiller, lorsqu'il en fut arraché par un coup de vent, qui le força de relâcher au port

Saint-Pierre, en Sardaigne, dont le commandant refusa d'abord de le recevoir. L'amiral Nelson ne put remettre à la mer que le 26 mai; il continua de croiser dans ces parages, en attendant 11 vaisseaux qui devaient former son escadre, et qui ne se rallièrent à lui que le 10 juin; il parut seulement, le lendemain 11, avec 16 bâtimens de guerre à la vue du port de Toulon.

La flotte française en était partie depuis vingt-trois jours; la combinaison très-juste du ralliement des divers convois dans les eaux de la Sicile, les vents qui l'avaient favorisée, enfin les retards des Anglais, convaincus que, pour être bien informés, il leur suffirait de couper les routes au sud et au sud-ouest, leur dérobèrent entièrement la navigation. et les premières opérations de Bonaparte.

Nelson, désabusé, fit voile pour la mer de Toscane, et après s'être assuré par l'entremise de l'envoyé d'Angleterre, M. Hamilton, que dans un cas pressant il trouverait dans les ports de Sicile tous les secours qui lui seraient nécessaires, il continua sa route

vers le détroit, et mouilla à Messine, où il apprit, le 19 juin, que les Français étaient maîtres de l'île de Malte. C'était sept jours après la signature de la capitulation, et par conséquent les deux flottes se trouvaient en même temps, les Anglais au nord, les Français au sud de la Sicile, comme ils s'étaient trouvés quinze jours auparavant, tournant sans se rencontrer autour de la Sardaigne. C'est dans de telles circonstances que dans la guerre de mer le hasard décide presque seul du succès, et que les jeux des vents et de la fortune peuvent également servir l'audace et confondre la prévoyance.

Dans la suite de cette campagne la navigation des deux flottes en offrit un exemple encore plus frappant, et plus singulier encore l'amiral Nelson s'arrêta trois jours à Messine, et fit voile du cap Passaro pour l'Égypte, le 21 juin : ces trois journées étaient la seule avance que l'amiral Bruix eut sur lui, puisqu'il n'avait achevé de quitter Malte que le 19, au moment où l'escadre anglaise arrivait à Messine. La flotte française

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