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rait bientôt convaincu les Ottomans des immenses ressources, de l'appui que leur aurait procuré cette brillante colonie intermédiaire entre leurs possessions d'Asie et les régences d'Afrique. Quoi qu'il en soit, le Directoire, qui, pendant les négociations de Rastadt, résolut l'expédition d'Égypte, ou y consentit, n'en commit pas moins une grande faute.

N'était-ce pas une aveugle témérité que de porter au fond du golfe de Syrie la meilleure partie des armées et le reste de la marine de la Méditerranée, au moment où l'on attisait la guerre contre l'Angleterre, où l'on donnait à la maison d'Autriche des sujets de mécontentement et d'inquiétude par les nouvelles révolutions d'Italie et de Suisse, où l'on prétendait dicter à l'Empire une paix honteuse, où l'on s'exposait enfin à recommencer la guerre avec des forces inférieures?

Les hommes qui gouvernaient alors la France se persuadaient qu'ils avaient pris de nouvelles forces au dedans par la viola

tion des lois, et qu'ils en acquéraient au dehors en affectant la domination. Quant à Bonaparte, il saisit peut-être le seul moyen qui lui restât dans de telles circonstances pour échapper aux dangers de sa renommée. Il s'affranchit ainsi de la dépendance des partis qui, depuis la révolution du 18 fructidor, se disputaient le pouvoir; il s'ouvrit une nouvelle carrière, malgré ceux qui ne lui réservaient qu'un rôle secondaire, un simulacre de guerre contre la Grande-Bretagne.

Les apprêts de cette expédition se firent avec autant de secret que de diligence; l'activité avec laquelle on poussait sur les côtes de l'Océan les préparatifs d'une descente en Angleterre occupait tous les esprits, fixait tous les regards; la conduite même du gouvernement anglais, sa prévoyance, ses soins multipliés pour mettre les côtes en état de défense, servirent à cacher le véritable objet de l'armement des Français sur la Méditerranée. Le ministère, saisissant habilement cette occasion de rallier la masse de la na

tion par l'intérêt de la propriété, et le sentiment de la défense du territoire, se montra plus inquiet qu'il ne l'était réellement. On ne douta pas plus à Londres qu'à Paris que l'escadre et le convoi de troupes qu'on préparait à Toulon ne fussent destinés à passer dans l'Océan; et quand les détails de l'embarquement commencèrent à percer, quand des indices tels que le rassemblement d'un grand nombre d'artistes et de savans attachés à l'expédition indiquèrent assez que son objet était un grand établissement, et qu'il ne pouvait être destiné que pour les rivages à l'est de la Méditerranée, on s'obstina à considérer ces préparatifs singuliers comme de fausses démonstrations employées à cacher le but que le gouvernement, disait-on, avait mis à découvert avec une insolente indiscrétion; savoir, le débloquement de la flotte espagnole de Cadix, le rassemblement de toutes les forces navales des deux nations pour protéger les transports et le débarquement de l'armée, enfin l'invasion de l'Angleterre.

par

On a pu s'étonner plusieurs fois, dans le cours de la guerre de la révolution, du secret avec lequel les plus grandes entreprises des Français ont été préparées; car ce secret ne s'accorde ni avec la légèreté que dans les affaires les plus graves on se plaît à leur reprocher, ni avec les formes démocratiques, les discussions publiques, et le tage de l'autorité. La violence employée par la Convention nationale, comme principal ressort du gouvernement, frappait d'abord sur les membres de ses comités, et réagissait ensuite sur leurs agens; ils tremblaient tous à l'aspect les uns des autres; ils communiquaient à peine entre eux; et, couverts pour ainsi dire d'armes empoisonnées, ils n'osaient se toucher : le secret fut alors ranti par la terreur; et il n'est pas douteux, que, dans l'état de convulsion où la France est restée si long-temps, ces impressions ne se soient prolongées dans cet âge de fer. Mais la crainte seule n'a pas produit cette discrétion extraordinaire; il faut reconnaître que jamais l'intérêt particulier des chefs

ga

d'un gouvernement ne fut aussi fortement lié au succès de sa cause, et telle est la mesure du zèle avec lequel ils étaient servis. Il n'y a ni froideur, ni négligence dans les agens, quand ils prennent part à de si grands hasards; toujours d'imminens dangers, toujours de vastes espérances : aussi la chute et les triomphes alternatifs des partis ne faisaient qu'affermir cette étrange fidélité.

Pendant qu'on pressait les préparatifs tant en France qu'en Italie, Bonaparte vivait à Paris dans une sorte d'obscurité; il semblait s'éloigner entièrement des affaires pour s'adonner à la culture des sciences. Plus il fixait l'attention générale, et plus le vague de ses démarches, l'incertitude qui régnait sur sa véritable destination servait à la dérober aux conjectures : il sut faire durer ce masque jusqu'au moment de son départ, et maintenir la vacillation de l'opinion, tant au-dedans qu'au-dehors. C'est ainsi qu'on mit impunément à découvert le véritable projet, sans avoir à craindre que

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