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ce mot terrible: Malheur aux nations reconnaissantes! et cependant, aucun des généraux des armées de la République n'avait pris cet ascendant dont les membres des comités et des directoires se montraient si jaloux. Aucun d'eux, après de grandes conquêtes, n'obtint sur l'armée, sur la nation, sur les affaires générales, une influence décisive : mais la paix conclue avec l'Autriche donnait au général Bonaparte un grand avantage sur ses émules, et l'on doit peut s'étonner de la secrète envie qu'excitait le conquérant devenu pacificateur; on en vit les effets dans la précipitation avec laquelle, sous prétexte de diriger contre l'Angleterre toutes les forces de la République, on désorganisa l'armée d'Italie; elle fut disséminée sur les côtes des deux mers, et le Directoire essaya de faire un généralissime inutile de celui pour lequel il n'y avait plus d'autre gloire à acquérir que celle d'affermir la paix.

Les déviations des préliminaires de Léoben, et bientôt après, l'interprétation évasive, l'inexécution même d'un article im

portant du traité de Campo-Formio, refroidirent Bonaparte : il n'approuva pas les nouvelles bases posées par le Directoire, si toutefois on peut donner ce nom à l'abus des conquêtes, porté jusqu'à vouloir détruire ou modifier au gré de prétentions immodérées. la constitution de l'Empire.

Non-seulement le genre des négociations, mais encore la lenteur des formes et les discussions presque interminables auxquelles donnait lieu cette politique tranchante, s'opposaient au désir qu'avait Bonaparte de conduire son ouvrage jusqu'à la conclusion d'un traité définitif : il avait achevé son rôle de plénipotentiaire; il avait réglé, à son passage à Rastadt, les échanges convenus et la double évacuation de Venise et de Mayence. La guerre de plume sous la dictée du Directoire lui convenait peu mais n'ayant aucune part à la conduite des affaires dans l'intérieur, et n'ayant pu connaître la véritable situation de la France à cette époque, il n'osa pas se hasarder à attaquer ce fragile gouvernement, et donner cette impulsion que la nation, fa

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tiguée de tant de troubles, avait toujours vainement attendue de ceux que leur courage, leurs talens, et d'heureuses circonstances semblaient avoir destinés à fixer la révolution, et que la fortune avait successivement élevés et précipités de ce poste dangereux.

Ce fut dans ces circonstances que Bonaparte proposa au Directoire son expédition d'Égypte, comme un moyen de porter à l'Angleterre des coups plus sûrs que ceux dont on la menaçait en préparant une descente sur ses côtes. Avant de quitter l'Italie, il avait médité plus d'un projet sur l'Orient; et l'on se souvenait qu'après la paix de Campo-Formio, en touchant au rivage de la mer Adriatique, la vue de l'ancienne Illyrie et du Péloponèse, en lui rappelant de grands souvenirs, avait enflammé sa mobile imagination, et réveillé en lui le démon des conquêtes dont il était possédé.

On ne peut s'empêcher de reconnaître dans ce projet, tout romanesque, de grandes vues qui furent souvent aussi méditées par le

pas, uni

cabinet de Versailles. L'objet n'était quement, comme on l'a supposé, de parvenir à détruire la puissance territoriale des Anglais dans l'Inde, et d'y tarir la source principale de leurs richesses: l'occupation de l'Égypte, pouvait aussi balancer ces avantages, donner un nouveau cours aux spéculations commerciales, et par-là même accroître les forces et les richesses des puissances maritimes rivales de la Grande-Bretagne.

S'il n'eût été question que d'employer au dehors les talens, l'activité, l'esprit belliqueux des armées de la république, on pourrait dire qu'aucune entreprise n'était plus analogue au caractère français, et ne pouvait saisir plus vivement des esprits aventureux, ni toucher à plus d'intérêts particuliers, surtout dans les départemens du midi de la France. Un succès incomplet, la seule possession de l'île de Malte pouvait don ner au commerce du Levant une vigueur nouvelle, et le rendre de plus en plus diffi→ cile, l'interdire même à l'Angleterre : un succès entier faisait partager cet avantage

aux puissances maritimes de la Méditerranée, alliées de la France, sans en excepter le Grand-Seigneur. Les contradicteurs que rencontrerait cette assertion ne l'ont peut-être pas assez profondément examinée. La précipitation avec laquelle cette affaire fut traitée à Constantinople; la trop grande confiance, et le mépris des obstacles; enfin la bataille d'Aboukyr, qui rappela si vivement le souvenir du désastre et de l'incendie de la flotte turque à Tchesmé, entraînèrent les résolutions du sérail; et ces mêmes considérations ont en général fait prononcer d'une manière tranchante sur cette grande question politique. Il n'était peut-être pas impossible, malgré ce premier éclat, et précisément à cause de l'importance de l'armement, de retenir la Porte-Ottomane dans le cercle de ses vrais intérêts, de sa politique fondamentale, et de son alliance naturelle : on pouvait la dédommager de la possession illusoire de l'Égypte, et l'expérience, qui peut seule éclairer des hommes qui portent le fatalisme dans les délibérations des affaires d'état, au

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