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d'autre, & l'ordre mince a confervé la fupériorité, non pas précisément parce qu'il étoit préférable, mais par habitude, & parce qu'un fouverain, très-grand général, l'avoit perfectionné & l'avoit confervé de préférence; & c'eft une obfervation capitale à faire, qu'un fouverain feul peut opérer une très-grande révolution en tactique. Ils'eft fait des changemens innombrables dans cette partie de l'art de la guerre, depuis la multiplication des armes à feu. La tact que de 1740 ne reffembloit point à celle de 1640, & en remontant depuis cette dernière époque, on trouverot, dans des périodes plus courtes, des variations plus confidérables.

Laftelnau, Walhaufen & beaucoup d'autres ont écrit fur la tactique. On trouve dans leurs ouvrages les principales règles pour exécuter avec jufteffe les évolutions connues alors & adaptées à l'ufage du tems; mais pour obliger les officiers à donner toute l'attention néceflaire à ce que ces mouvemens fe faffent fuivant ces règles, & à y dreffer les foldats, il faut un fouverain militaire un fouverain qui ofe être inflexible, & punir à l'inftant la moindre défobéiffance. Condé, Turenne, Luxembourg & Eatinat commandèrent des armées; mais ce n'eft pas au milieu du tumulte de la guerre que l'on crée des règles de tactique. Frédéric, dans tout le cours de fes campagnes, n'imagina ni n'introduifit aucune évolution nouvelle; c'eft après la guerre, que l'on médite fur les événemens. Mais, à la paix, ce ne feront ni des chefs-de-brigade ni memê des officiers genéraux qui oferont changer tous les ufages, en faifant faire aux troupes des manoeuvres inufitées, & adopter un ordre contraire à celui habituel : l'expérience dicte bien quelques changemens; mais ce font les ordonnances qui y donnent leur fanction, & ces ordonnances émanent du fouverain.

Les pas vers le perfectionnement de la tactique fe font donc tous en fecret, & paffent de leurs véritables auteurs au fouverain, & de celui-ci dans l'armée. Ainfi en eft-il arrivé en Pruffe, fous le grand Frédéric, par rapport aux manoeuvres les plus favantes & au perfectionnement de celles qu'on connoiffoit déjà, mais qu'on n'exécutoit encore que mal-habilement.

L'art de la guerre eut donc, fous ce rapport, une destinée particulière. Il parut un homme de génie, & cet homme étoit un roi, & ce roi avoit une grande armée, dans le fein de laquelle, au moyen d'une foule de perfectionnemens infenfibles, il fit avancer un grand pas à la tactique. Avec fon armée ainfi perfectionnée, Frédéric exécuta des chofes étonnantes: il fenrit, en outre, l'importance extrême de ces progrès, & c'en fut affez pour diriger fes continuelles méditations fur les moyens de perfectionner l'art. Comme fouverain, il put foudainement mettre en pratique toutes les idées nouvelles, foit qu'elles fe prefentaflent à fon efprit, foir que d'autres les

lui euffent fournies; il put retenir & introduire fouverainement le bon en rejetant l'inutile. I es événemens extraordinaires & multipliés des diffé rentes guerres qu'il fit ou qu'il eut à foutenir, dirigèrent & guidèrent fes fpéculations, & elles donnèrent l'effor aux efficiers qui travailloient à fe faire valoir auprès de lui.

Dans de pareilles circonstances, la tactique doit faire des progrès furprenans; mais ces circonttances font infiniment rares, & depuis Guftave Adolphe, aucun prince ne s'étoit trouvé dans le même cas.

Ces circonftances femblent cependant fe nontrer encore dans le moment où nous écrivons. Un général, toujours victorieux, fe trouve le premier magiftrat de la république française : il vient de donner la paix au continent, & cette paix eft due entiérement à ses victoires, à celles des autres généraux, & à la haute réputation de bravoure qu'ont acquife & méritée à fi jufte titre les foldats français. La milice nationale a befoin d'une nouvelle conftitution & d'une formation différentes. Les généraux, les officiers particuliers, les foldats eux-mêmes parlent encore tous les jours des fuccès qu'ils ont eus en attaquant l'arme b'anche l'ennemi déjà ébranlé par l'artillerie: ils ont donc pu juger combien il feroit avantageux d'adopter un ordre plus profond, & le premier magiftrat peut feul, s'il le veut, être affuré de faire réuffir les ordonnances militaires qui émaneront de fon confeil, fur un objet autiì important: car, qu'un officier particulier invente le plus beau fyfteme de tactique, qu'il le publie, il y a cent à parier contre un que l'intérêt particulier de la pareffe, joint à beaucoup d'autres, empêchera qu'on effaie ou qu'on approuve jes innovations propofées par cet officier, encore moins les adoptera-t on en forme de loi. Il faut donc en revenir à cette vérité énoncée plus haut, que le fouverain feul peut opérer une grande révolution en tactique, & ajouter que jamais l'on ne s'eft trouvé en France dans une circonstance plus favorable à cet égard, puifque tout le miiitaire doit être convaincu, par fa propre expérience, des avantages que l'on retireroit du perfectionnement de la tactique, d'après ce qui vient de fe paffer dans la guerre de la révolution, où l a fans ceffe joué un rôle fi brillant, prefque tou jours en fe fervant de la baïonète.

TAILLE. Les anciens avoient quatre mefares différentes pour leurs foldats; la première étoit de cinq pieds & demi, c'eft-à-dire, cinq pieds un demi-pouce; la feconde, cinq pieds fept pouces, c'eft-à-dire, cinq pieds un pouce cinq lignes (celle-ci étoit la plus commune); la troifième, cinq pieds dix pouces, c'est-à-dire, cinq pieds quatre pouces deux lignes; & la quatrième, de fix pieds romains, qui faifoient cinq pieds fix pouces des nôtres...

Néron fut le premier qui exigea la grandeur de la taille dans les foldats. Avec le fyfteme de la confcription, il eft impofiible de rien fixer fur la taille, ni même fur la vigueur des recrues: on devroit cependant s'attacher à deftiner, pour les troupes légères à pied & à cheval, les hommes d'une petite taille, mais forts & robuítes: ceux d'une grande tail e feroient réfervés pour la groffe cavalerie & les grenadiers; ceux d'une taille moyenne compoferoient l'infanterie, en ayant la précaution de mettre au premier rang les foldats de la plus petite taille, afin qu'ils gênent moins ceux des derniers rangs quand il s'agit de faire

feu.

TENTES. Vers la feconde année de la guerre de la liberté, des commiffaires de la convention envoyés proche des armées, crurent avoir trouvé un grand moyen d'économie, & avoir beaucoup augmenté la légéreté dans les marches, en ôtant les tentes aux foldats & les forçant de bivouaquer; ma's cette méthode, auffi meurtrière que pernicieuse, eft peut-être, & ce n'eft pas peu dire, un des plus grands maux dont les délégués du régime de la terreur furent alors la caufe. Il feroit difficile de calculer la quantité de braves défenfeurs de la patrie que les bivouacs jetèrent dans les hôpitaux, & de là dans le cercueil; non moins difficile encore de connoître tous ceux qui, ayant échappé à la mort, font reftés perclus de rhumatifime, & font deftinés, quelques uns à être eftropiés, plufieurs autres à mener une vie languiffante, tous à reffentir le refte de leurs jours des douleurs infupportables (1).

En effet, quel eft l'homme qui ne fentira pas facilement à quoi l'on expofe des foldats, trop fouvent mal nourris, mal vêtus, extrêmement fatigués, en les obligeant, dans un moment où ils ont befoin de repofer pour réparer leurs forces épuifées, à fe coucher fur une terre prefque toujours humide, ou à s'y enterrer & à y être expofés à toutes les vapeurs de la nuit ; qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il grêle, qu'il neige, qu'il y ait des brouillards, des vapeurs infectes, que le fol foit fangeux ou marécageux, n'importe, il faut que le foldat foit expofé à toutes ces caufes de mala

(1) On lit dans la vie de Hoche: « Dès fon artivée à l'armée de la Mofelle, il avoit fupprimé les tentes comme embarraflantes à la guerre, & indignes des foldats républicains. La marche fur Kaifers-Lautern s'étoit faite en bivouaquant. On étoit fort heureux quand, vers la nuit, on pouvoit fe trouver près d'un bois on faifoit un grand feu avec les arbres. Le lendemain on étoit étonné de ne plus voir de forêts; les branches avoient fervi de lits, & le matin on brûloit les lits avant de fe mettre en marche. »

Quelle manière affreufe & dévaftatrice de faire la guerre!

dies; il n'a pas même de la pa lle pour fe coucher: mais il se barraque, nous dira-t-on peut être; méthode encore plus dangereufe, outre qu'elle occafionne des dégâts incalculables pour fe procurer les bois employés à faire des barraques. Dans la conviction d'être plus à l'abri & plus chaudement, le foldat fait des creux dans la terre, & c'est là où il fe couche, & où il eft encore bien plus expofé à prendre des fraîcheurs & des rhumatifimes: auffi dès que le jour paroît, ou il est attaqué de la fièvre ou perclus de quelque menibre, ou tellement engourdi, qu'il n'eft pas en état de continuer des marches pénibles, d'attaquer l'ennemi ou de fe défendre; & tous ces maux, on les aura occafionnés fous le prétexte ridicule d'épargner quelques légers chariots chargés de tentes, qu'ils auroient pu porter à peu de frais fi l'on avoit fu en confier l'entreprise à des hommes jaloux de conferver leur réputation d'honnêteté.

TERREIN. On concevra fans peine combien il eft effentiel pour un général, de connoître parfaitement les terreins qu'il doit occuper ou parcourir. Sont-ce des plaines, des bois, des montagnes, des collines, des pays coupés, ouverts? Y a-t-il des chemins, des ravins, des ruiffeaux, des rivières, des torrens, des villes, des villages, des hameaux, des maifons? Les terres font-elles fermes, fabloneufes, argileufes, molles, fangeufes, marécageufes, &c. ? quelles font les reffources qu'elles offrent en grains, paille, foin, légumes, beftiaux, bois, boiffons, &c.?"

D'où s'enfuit la difpofition dans les marches, les campemens, les combats, les pofitions, &c. tous objets qui néceffitent des précautions indiquées par les localites, & dont un général habile doit favoir profiter.

Nous espérons auffi faire plaifir aux militaires, à l'occafion du terrein, de leur donner ici une table de celui néceffaire pour mettre des troupes en bataille. Plufieurs expériences femblent décider à fixer l'efpace occupé par une file, entre vingt & vingt-un pouces; en conféquence,

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1 Quant à la théorie de l'art de la guerre, elle exigeroit:

1o. Un ouvrage bien fait, où l'on en développeroit clairement tous les principes.

2o. Une école dans chaque corps, où l'on en donneroit des leçons appuyées par des expériences & des démonftrations, foit fur le terrein réel, foit fur un terrein factice.

C'est par la raifon que difoit Lamachus, qu'il ne fe trouvoit pas deux occafions de faire la même faute à la guerre, & par confequent d'éviter celles que l'on avoit commifes, qu'il eft fi important de le précautionner pendant la paix, & de s'affurer des fuccès dans la pratique en s'y étant préparé par la théorie & l'etude refléchie des principes de l'art.

Dans ce moment il paroît un profpectus pour annoncer un jeu nouveau, intitulé Jeu de guerre, & pouvant fe jouer comme celui des échecs. Ce

THEORIE. On fe fert vulgairement dans l'armée française, du mot théorie, pour exprimer la connoiffance des ordonnances militaires. Faire la théorie, c'est enfeigner les ordonnances; apprendre la théorie, c'eft les étudier ; favoir la théorie, c'eftjen enfeigne les principales règles de la tactique, & les favoir par cœur.

Il est un autre genre de théorie bien plus important, & que l'on ne peut pas étudier dans les ordonnances, c'eft celle de l'art de la guerre. Il a des préceptes & des connoiffances qui embraffent tous les grades, depuis le fous - officier jufqu'au general en chef, & malheureufement c'eft cette theorie pour laquelle nous n'avons encore aucun ouvrage élémentaire fatisfaifant.

repréfente les événemens de la guerre, les actions, Les fiéges, l'emploi des différeutes troupes, les effets de l'artillerie, les difficultés qu'oppofe le terrein aux opérations militaires, &c. M. Helwig, allemand, eft l'inventeur de ce jeu, déjà très-connu en Pruffe & à la cour du prince de Brunfwik. Le profpećtus qui paroît, eft de Ch. Fr. Cramer, rue des Bons-Enfans, no. 12.

TIRE - BOURRE. Les ordonnances défendent A l'égard de la théorie qui eft contenue dans avec raifon aux foldats d'entrer dans leurs quarles ouvrages militaires, rien de plus néceflaire que tiers avec les armes chargées. Pour prévenir les fon étude, fans laquelle les fous-officiers, les of accidens trop communs en ce genre, ne devroit-on ficiers & même les généraux font exposés à faire pas ordonner au caporal ou au brigadier de femaine des omiffions, & même à commettre des fautes.de chaque compagnie, de refter fur la porte du Il feroit donc coupable, celui qui oferoit fe fierquartier jufqu'à ce que tous les détachemens de fa aux obfervations qu'il pourroit faire, à ce qu'il compagnie, qui ont monté la garde la veille, foient pourroit apprendre par le moyen de fes camarades arrivés, aient déchargé leurs armes avec le tireou par fa propre expérience; il s'expoferoit à être bourre, & rendu les cartouches qu'on leur avoit fouvent en faute & il mériteroit d'être févérement données. puni. Auffi, pour éviter de femblables inconvé- On voit dans les ordonnances de Louis XIV, niens, eft-il effentiel qu'il y ait une école de théo-que lorfqu'on vouloit, dans un champ, faire dé rie, dans laquelle on exigeroit que les jeunes gens charger les armes, on faifoit tirer les foldats contre qui fe préfenteroient pour être officiers, ainfi que terre, dans un endroit qui n'étoit pas fréquenté. les foldats que l'on voudroit faire fous officiers, L'invention du tire-bourre a supplée avec avandonnaffent des preuves de la connoiffance qu'ilstage à cette manière de décharger les armes. ont de la partie des ordonnances qui concernent A la fin de chaque exercice, on fait décharger les grades dans lesquels on voudroit les faire en-les armes avec le tire-bourre.

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conçues.

Un officier détaché doit faire décharger les armes de fes foldats toutes les fois qu'une pluie confidérable a pu mouiller la poudre. Il ne doit jamais ordonner à toute fa troupe de décharger les armes en même tems.

en un mot, envers ceux qui avoient mis confiance

Peut-être auffi chaque mois faudroit-il qu'il y TRAHISON. Perfidie, défaut plus ou moins eût des conférences fur les mêmes objets ; il fau-grand de fidélité envers fa patrie, fon prince, &c. droit aufli que toutes les fois qu'un fous - officier ou un officier commettroit une faute contre les ordonnances, il fût condamné à affter un certain tems à l'ecole de théorie.

en nous.

Quand on n'auroit pas affez de vertu pour détefter la trahifon, quelqu'avantage qu'elle puiffe

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que fit le duc de Gueldres, en fufpendant fa marche dans l espoir d'un accommodement entre Fran

procurer, nous nous bornerons à dire que le feul
intérêt des hommes devroit fuffire pour la leur
faire rejeter; car on fast aflez que les princes mêçois I. & les Suiffes.
me qui emploient la trahifon pour le fuccès de
leurs projets, ne peuvent pas aimer les traîtres.
A ce fujet, on peut fe rappeler la réponse de Phi-
lippe, roi de Macédoine, à deux miférables qui,
lui ayant vendu leur patrie, le plaignoient à lui
de ce que fes propres fold ts les traitoient de traî-
tres. Ne prenez pas garde, leur dit-il, à ce que difent
ces gens groffiers, qui appellent chaque chofe par fon

nom.

TRAITÉS. L'intérêt de l'état doit feul fervir de règle au fouverain, & quelquefois il leur impole la néceffité de manquer aux traités qu'il a faits, 1°. quand l'ennemi ou l'allié manque à remplir fes engagemens ;

Quand l'ennemi vous fait propofer des traités ou des fufpenfions d'armes, il faut bien avoir attention d'observer fi ce n'eft pas pour nous faire perdre un tems précieux, qu'il vous fait des propofitions. Théodofe & Valentinien, empereurs d'Orient & d'Occident, s'étoient réunis contre Genferic, roi des Vandales; ce prince fe voyant hors d'état de lutter contre deux ennemis aufli puiffans, marqua le plus grand defir de faire la paix avec les deux empires. Sous cet efpoir, il rendit inutile la jonction des forces des deux empereurs, & leur fit confumer toute une campagne à ne rien faire.

TRAITRES.On doit toujours fe méfier des traîtres.Le comte de Fiennes voulant fe rendre maître, par furprise, de la ville de Hefdin, voulut, pour

2°. Quand l'un ou l'autre médite de vous tromper, circonftance où il ne reste plus qu'à les pré-faciliter l'exécution de fes projets, féduire un fol

venir;

3°. Quand une force majeure vous opprime & vous force à rompre vos traités;

4°. Quand vous manquez de moyens de continuer la guerre.

Une fatalité malheureufe fait influer les richeffes fur tout, & les princes font plus leurs efclaves que les autres; l'intérêt de l'état doit feul leur fervir de loi, & elle eft inviolable. Si le prince eft dans l'obligation de facrifier fa perfonne même à ses sujets, à plus forte raifon doit-il leur facrifier des liaifons ou des traités dont la continuation leur deviendroit préjudiciable. Auffi y a-t-il plufieurs traités que la néceffité ou la fageffe, la prudence ou le bien des peuples oblige de tranfgreffer. Si François 1. avoit accompli le traité de Madrid, il auroit, en perdant la Bourgogne, établi un ennemi dans le cœur de fes états ; c'étoit réduire la France dans l'état malheureux où elle étoit du teins de Louis XI & de Louis XII. Si, apres la bataille de Muhlberg, gagnée par Charles-Quint, la ligue proteftante d'Allemagne ne s'étoit pas fortifiée de l'appui de la France, elle n'auroit pu éviter de porter les chaînes que l'empereur lui préparoit de longue - main. Si les Anglais n'avoient pas rompu l'alliance fi contraire à leurs intérêts, par laquelle Charles II s'étoit uni avec Louis XIV, leur puiffance couroit rifque d'être diminuée, d'autant plus que dans la balance politique de l'Europe, la France l'auroit emporté de beaucoup fur l'Angleterre. Le public, qui ignore ces détails, ne juge que fur les apparences & fe trompe dans fes décifions: la prudence empêche qu'on ne le défabuse; & le fouverain, qui quelquefois ne peut fe juftifier pendant fa vie fans compromettre l'intérêt de l'état, doit fe contenter de l'efpoir de légitimer fa conduite aux yeux de la poftérité. Hif

dat français, prifonnier de guerre: celui-ci promit & fit même les démarches les plus propres à perfuader de fa fincérité; mais il donna avis au gouverneur d'Hefðin de tout ce qui avoit été concerté, de manière que quand les Impériaux arrivèrent devant la place, ils trouvèrent tout le monde en armes, & tellement préparés à les recevoir, qu'i's furent obligés de faire leur retraite. Il est donc très-prudent, avant de fe fier, même à ceux qui vous font les plus favorables & qui paroiffent vous fervir le plus chaudement, d'examiner s'ils font riches ou pauvres, quelles font leurs moeurs, leurs relations; il faut faire éclairer de très-près leurs démarches, leurs habitudes, les entourer d'efpions, intercepter leurs lettres : telle fut 1542, la conduite de Dubellay, gouverneur de Turin, avec le juge de cette place, qui prétendoit, au moyen d'une faaffe correfpondance, le rendre maître du marquis de Guaft & de fa troupe.

en

Montluc dit que, pour prévenir les traîtres & les découvrir, il faut fe faire donner des avis fuppofés fans nommer perfonne, dire qu'on eft averti de l'entreprise & qu'on eft fur le point de la découvrir, feindre auffi d'avoir quelqu'intelligence dans l'armée de votre ennemi.

Ventidius, général romain, fournit dans la guerre contre les Parthes, un exemple mémorable de la manière de tirer parti des traîtres. Il y avoit dans fon camp un petit prince de l'Orient, qui, fous le nom d'allié, étoit entiérement dévoué aux Parthes, avec lefquels il entretenoit une correfpondance fecrète. Ventidius s'entretint familiérement avec le traître, des opérations de la campagne. J'ai appris, lui dit-il un jour, que les Parthes ont deffein de paffer l'Euphrate dans un endroit où, après l'avoir paffé, ils fe trouveront dans un pays très-favorable à leur nombreuse cavalerie, tandis que s'ils paffoient à l'endroit ordinaire, i's tom. Il ne faut jamais fe laiffer furprendre par l'efpoir beroient dans un pays de montagnes qui leur fed'un traité prochain. On doit fe rappeler de la fauteroit très- défavorable. L'efpion ayant inftruit les

toire de mon tems

ennemis de cette converfation, ils donnèrent dans naires à travailler aux chemins, qu'il feroit trèsle piége; & les Parthes ayant paffé le fleuve là où déplacé de s'appesantir fur cet objet. Mais quand Ventidius avoit prétendu qu'ils trouveroient d'a- même nous n'aurions pas l'exemple des Romains à bondans fourrages, ils furent trompés, & don-fuivre, les travaux faits aux chemins par les folnèrent au général romain le temps de renforcer fon armée, en y faifant revenir tous les partis dif perfés.

TRAVAUX PUBLICS (EMPLOI DU SOLDAT AUX). Et nous auffi, nous fommes au nombre de ces hommes trop peu inftruits (comme le dit M. de Pomereuil, p. 519, 1. volume Economie politique, mot CHEMIN), qui ont abufé du peu d'érudition qu'ils pouvoient avoir, en ofant dire, d'après les hiftoriens les plus connus, que les Romains s'étoient fervis de leurs légions pour travailler aux chemins; mais ett- ce nous & ceux après lefquels ou avec lefquels nous avons ofé propofer d'employer les foldats aux travaux publics de l'érat, qui avons eu tort? Ou bien eft-ce M. de Pomereuil qui fe feroit trompé, en traitant avec légéreté & prefqu'avec dédain une pareille propofition? Cet officier, dont le mérite eft connu, a-t-il bien reflechi à toutes les raifons qu'il donne pour prouver que nos troupes doivent refter inutiles? Ne s'eft-il pas un peu laiffé aveugler par le defir de tout facrifier aux idées qu'il vouloit propofer relativement à la confection des chemins? Tout nous fait un devoir d'examiner un problême aufli intéreflant, & de tâcher de le réfoudre. D'un côté, nous avons ofé dire abfolument le contraire de ce que dit M. de Pomereuil, quant au fond de la propofition; & d'un autre côté, jamais peutêtre il n'eft devenu plus intéreffant de favoir de quelle manière on doit rendre les troupes plus utiles qu'elles ne le font à l'état, en tems de paix, ainfi que moins coûteufes, dans un moment où enfin l'on paroît convaincu de la néceflité de régler les différentes dépenfes, & de ne conferver que celles qui font indifpenfables.

Nous oferons braver la crainte d'être ennuyeux, en nous permettant des calculs & des difcuffions très-feches & probablement très-faftidieufes, bien convaincus que le point important & unique eft celui d'être utile.

Pour procéder plus méthodiquement, nous allons fuivre M. de Pomereuil dans fes différentes affertions pour les combattre, &, autant que nous le pourrons, pour prouver qu'elles font fauffes, & que l'on peut, ou mettre en pratique ce qu'il trouve impoffible, ou trouver des moyens préférables à ceux qu'il propose.

dats fous Charlemagne, de l'aveu de M. de Pomereuil; ceux faits par les troupes françaises aux canaux de Briare, de Languedoc, d'Orléans, de la Lys; au comblement des canaux de Dunkerque, de Saint-Omer; au canal de Bourgogne & au def féchement très-récent des inondations fi perni cieufes de la Charente, les compagnies de pionniers, fous Louis XV et Louis XVI, qui ont fait les chemins de la butte de Picardie, de la porte Maillot, &c. prouvent affez le parti que l'on peut tirer des foldats français, d'autant que, faits par eux, les travaux dont nous venons de parler, ont été les moins coûteux, les plus promptement faits & les plus folides, & que ces travaux n'ont point été fuivis de tous les inconvéniens que M. de Pomereuil femble créer pour appuyer fon opinion.

2o. Quand même, comme le dit M. de Pomereuil, il n'y auroit que trente-un mille foldats qui puffent travailler aux chemins pendant cent vingt jours dans l'année, & fournir plus de trois millions de journées, ce travail feroit infiniment avantageux, d'autant plus que s'il ne fuffifoit pas entiérement, au moins diminueroit-il confidérablement celui qui feroit néceflaire. D'ailleurs, nous efpérons prouver, non-feulement que ces foldats feroient plus que fuffifans pour faire les chemins propofés, mais encore que l'on pourroit avoir plus de trente-un mille homines.

3°. Il nous a femblé que M. de Pomereuil fe faifoit des objections relatives aux routes qui traverfent le royaume, auxquelles il ne répondoit pas d'une manière fatisfaifante.

1o. Il prétend que fi nos chemins durent moins que ceux des Romains, c'eft qu'ils font plus expofés que les leurs aux intempéries des faifons & à l'alternative du froid & du chaud; mais les che mins des Romains, qui traverfoient la Gaule dans tous les fens, étoient exposés, comme les nôtres, aux mêmes inconvéniens du climat & des faifons. Il paroît donc probable que ce qui pouvoit contribuer à leur plus longue confervation, c'étoit la manière dont ils étoient faits, l'ufage beaucoup moins continuel que l'on en faifoit, leur moins grande largeur, & furtout la règle établie de ne fouffrir que des voitures à quatre roues, chargées du poids de quinze cents où deux mille livres.

2o. M. de Pomereuil ne trouve pas nos grandes routes trop larges; & cependant, avec les foffés & 1°. A l'égard des Romains, ce que M. de Po-l'empatement des talus de leurs glacis, il faut les mereuil dit de l'empereur Vefpafien, qu'il fit faire quelques parties des chemins aux dépens de fa calfette, prouve affez évidemment que ce n'étoit pas là la méthode ordinaire, fans quoi les hiftoriens ne l'auroient pas rapporté. D'ailleurs, ily a une fi grande foule de temoignages qui prouvent que les Romains employèrent fouvent les légion

calculer, les uns dans les autres, environ à foixante pieds, fans parler du terrein occupé par les arbres qui fe trouvent encore à une toile du foffé, & dont il faut s'éloigner au moins d'une toife pour la culture; ce qui feroit en réalité une furface de quatre-vingt-quatre pieds de perdue. Il n'eft pas difficile de fe convaincre combien cette largeur,

que

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