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foule d'abus de toute espèce qui dévorent les revenus publics! Le premier emploi, celui le plus facré de la contribution des peuples, ne doit-il pas être de pourvoir aux befoins de leurs défenfeurs? Il s'en faut bien que la foible addition faite à la folde du foldat français l'ait tiré de l'indigence: on ne fait pas affez à quels moyens funeftes à leur être, ceux de ces infortunés qui n'ont pas la reffource d'un métier, font forcés d'avoir recours pour fuppléer à l'infuffifance de la folde. Ce n'eft qu'en multipliant fur eux les veilles & les fatigues du fervice, en couchant la moitié de l'année fur les planches d'un corps-de-garde, en facr fiant leur tempérament, leur fanté, & précipitant le terme de leurs jours, qu'ils parviennent à fe procurer l'équivalent de leurs premiers befoins.

Suffit-il, au refte, que le foldat ait le néceffaire phyfique? Doit-il être privé de tous les plaifirs de la vie, lui dont les devoirs font fi pénibles, lui que le joug pefant de la difcipline ne laiffe pas refpirer un inftant, qui eft fans ceffe entouré de fupérieurs de tant de grades, de tous caracteres, dont il faut qu'il endure non-feulement la févérité, mais trop fouvent encore l'humeur & les injuftices? Pour le dédommager de tant d'amertumes, eft-ce affez de l'empêcher de mourir de

faim?

PAYS (CONNOISSANCE DU ). Pour juger des mouvemens de fon ennemi & déterminer les opérations d'une campagne, il eft indifpenfable de connoître l'étendue & le détail du pays dans lequel on doit faire la guerre ; & fi cette connoiffance demande des talens particuliers de la part de ceux qui veulent l'acquérir, il en faudra davantage dans ceux des montagnes, car les premiers font toujours divifés par des rivières, ruiffeaux pavilles ou canaux, dont la connoiffance, jointe à celle de la direction des chemins, ne laiffe plus à de firer que des details fur le volume des eaux, leur viceffe, la nature des rives qui bordent les rivières dans l'étendue de leurs cours; fur les marais, étangs ou forêts qui fe trouvent dans leur intervalle fur la pofition des places & l'état de leurs fortifications & fur la nature du pays, par rapport aux reffources qu'on en pourra tirer.

Au lieu que les feconds exigent de plus un développement de toutes les chaînes de montagnes qui s'y rencontrent, de leurs liaisons, de la facilité ou difficulté que leurs penchans prefente roient aux troupes qui voudroient les gravir; une diftinction fidelle des chemins propres à toutes fortes de voitures, de ceux qui ne peuvent fervir qu'aux bêtes de charge ou fimplement aux gens de pied, obfervant d'indiquer l'époque à laquelle ils peuvent être praticables, relativement aux vieilles ou nouvelles neiges; une obfervation fur les torrens ou ravins qu'on aura à paff.r, & qui varient prefqu'à chaque pluie d'orage ou grande fonte de neige, avec les moyens de vaincre les obftacles qui Art Milit, Suppl. Tom. IV.

pourroient s'y rencontrer; enfin, un examen plus fcrupuleux des parties les plus refferrées des efcarpemens et des défilés.

La guerre des montagnes fe borne ordinairement à l'étendue qui fert de limite aux fouverains auxquels on veut la déclarer.

Par exemple, la Savoie, le Haut Dauphiné & le cours du Var étoient autrefois l'étendue fur laquelle la France avoit à opérer contre le roi de Sardaigne; elle fe trouve bornée au nord par les Suiffes, & au midi par la Méditerranée.

Les hautes & baffes Pyrénées, les montagnes d'Arragon & celles de Catalogne fervent de limites entre la France & l'Efpagne; mais comme les abornemens qui ont été faits jufqu'à ce jour, n'ont pas été ceux qu'on devoit ponctuellement établir, puifque le traité des Pyrénées n'a point été fidellement suivi, & que véritablement la France a cédé à l'Espagne un terrein immenfe & très-précieux, tant au civil qu'au militaire, il fera néceffaire de faire une nouvelle démarcation afin de faire rentrer la France dans tous fes droits. L'on fe contentera de dire un mot concernant la défense actuelle de cette frontière.

Soit qu'on faffe une guerre offenfive ou défenfive, il faut,' autant qu'il eft poffible, ajouter à la connoiffance de la frontière de l'ennemi, & on ne peut prendre trop de précautions pour fe l'aflurer.

Le fimple détail de quelques débouchés peut fuffire aux officiers fubalternes; mais la connoiffance d'un général & de fon chef d'état majorgénéral doit embraffer, indépendamment de l'étendue où ils doivent opérer, les pays les plus rapprochés de la droite & de la gauche, en forte qu'ils foient en état de prévoir toutes les diverfions qu'on pourroit leur oppofer.

En fuppofant donc que la guerre fe faffe dans les Pyrénées, il eft néceffaire qu'ils fe rendent les maîtres abfolus du pendant des eaux : par ce feul moyen is garderont tous les débouchés qui exiftent le long de cette frontière : fans doute ils fe trouveront toujours en état de fe défendre de l'ennemi qui voudroit pénétrer dans notre territoire, & ils feront bien plus à portée de l'attaquer fur différens points, lorfqu'ils le jugeront à propos. Tout militaire inftruit dans l'art de la guerre fait que lorfque l'on eft maître du pendant des eaux, l'on a la certitude de fe défendre & d'attaquer avec fuccès toutes les fois que les cas l'exigent.

Tout officier n'eft pas également propre à acquérir les connoissances d'un pays les uns ont le talent naturel du local, & dans leur tournée en confervent fi bien la mémoire, qu'ils s'y trouvent en état de diriger des marches ou d'y pratiquer des attaques & des défenfes; d'autres, après avoir paffe plufieurs fois dans le même pays, ne font pas en état d'en rendre compte, & encore moins d'en retirer les avantages defirables.

Parmi ceux qui ont le talent naturel du local, les uns connoiffent le pays militairement, & les Kkkkk

autres n'en connoiffent fimplement que le terrein, fans y diltinguer aucune pofition particuliere.

C'eft dans le choix de fes officiers qu'un général doit être attentif, en fe fervant des premiers pour fes projets, & des feconds pour la fimple d rection des marches; car les derniers ne font que des guides, au lieu que les autres peuvent être fort utiles à un général & au chef de l'état-major de l'armée.

Pour reconnoître le pays militairement, il faut remarquer les endroits qui pourroient fervir à l'établiffement des camps, les poftes qui peuvent couvrir une route fur laquelle on dirigeroit des convois, les débouchés dont l'ennemi pourroit faire quelqu'ufage & tous ceux qui peuvent avoir rapport aux opérations de la guerre dont on peut être occupé, foit offenfive ou défenfive; n'avoir rien négligé fur le détail des revers de chaque montagne, afin de fe trouver en état de couvrir les droites & les gauches de l'armée ou des poftes, par l'occupation des poftes les plus favorables; favoir exactement les diftances d'un lieu à l'autre, pour combiner le tems des marches, ainsi que les noms des fommets des montagnes, plateaux, mamelons, villages, hameaux, chapelies, ruiffeaux, torrens, rivières, comme auffi les cols, ports ou paffages, avec leurs communications.

Il faut juger des pofitions par leurs avantages ou leurs inconvéniens; ce qui exige beaucoup de précision & un coup-d'oeil judicieux dont l'expérience feule peut procurer le talent, & c'eft du coup-d'oeil que dépendent toujours les décifions d'un général, tant pour le foin de fes camps, que pour les poftes particuliers à faire occuper.

Ce n'est pas affez pour un officier chargé d'un détail relatif à la connoiffance d'un pays, que d'avoir le talent de bien faifir un local; il eft néceffaire qu'il foit en état d'indiquer parfaitement dans les connoiffances qu'il prend dans fes tournées, un terrein contigu, qu'il n'a pas la liberté ni le tems de parcourir, ou qui appartient à une puiffance limitrophe qui ne lui permettroit pas d'y voyager, avec un terrein qu'il parcourt, c'eftà-dire, une partie du terrein inconnu. C'eft ici où il faut faire ufage de toute la reffource de fon imagination, & pour cet effet s'adreffer aux officiers municipaux les plus intelligens des lieux qu'on veut connoître, en comparant leurs rapports avec l'idée qu'on s'en forme, afin de parvenir à fe faire un tableau prefqu'auffi fidèle de la partie qu'on ne connoit pas, que de celle que l'on voit: il ne faut cependant pas croire que tout homme foit également en état de faire ce difcernement: la grande expérience en donne l'habitude, & elle s'acquiert plus ou moins vite, feJon l'application avec laquelle on y travaille, & felon auffi qu'on y a plus ou moins d'aptitude.

Comme i fe peut qu'il y ait des officiers chargés des détails relatifs à la connoiffance d'un pays, qui ne fachent pas affez bien deffiner pour rendre

le terrein avec la précision qu'exige ce travail to pographique, l'on a cru à propos de donner ici un moyen facile d'opérer, pour ceux même de ces officiers qui auroient le deffin acquis.

Une reconnoiffance militaire qu'on lève fur l'échelle de fix lignes fur cent toifes, eft fans doute la plus forte qu'on emploie ordinairement dans la topographie la plus fcrupuleufe (car il n'y a que des arpenteurs qui lèvent le terrein fur une plus grande échelle, ou ceux qui voudroient y adopter des profils); mais il eft nécessaire d'ob ferver que, d'après le figuré à vue, ou bien les opérations géométriques rapportees au net fur le papier, l'on ne peut fouvent pas y marquer fide!lement la largeur des rivières, ruiffeaux, torrens ou canaux ; la différence de leurs rives, c'est-àdire, leurs encaiffemens, comme auffi le commandement qu'une montagne peut avoir fur une autre qui lui feroit oppofée, par rapport à l'adoption qu'on a eue de tous les tems de faire venir le jour de gauche à droite fur l'angle de 45 degrés ; ce qui fait très-fouvent qu'une montagne qui fe trouve légèrement tracée fur le deffin, parce qu'elle fe trouve au jour de la carte, eft beaucoup plus haute & bien plus difficile à gravir que celle qui lui eft oppofée, quoique cette dernière foit marquée beaucoup plus forte que la première, par rapport à l'ombre qu'on obferve ftrictement dans tous les deffins ; cette différence de terrein est cependant néceffaire à faire connoître à un général d'armée & à fon chef de l'état-major. En voici les moyens :

L'on diftinguera les montagnes en trois claffes, lefquelles feront défignées par les trois lettres initiales P, S, T, marquées en rouge fur la montagne dont on voudra parler (Voyez la Carte pour les reconnoiffances). Le P fignifie première claffe, & annoncera une montagne qui n'eft acceffible que pour l'infanterie; I'S fignifie feconde claffe, & déterminera une montagne acceffible pour de l'infanterie & de la cavalerie, & le T fignifie troifième claffe, & fera connoître une montagne acceffible à de l'infanterie, de la cavalerie & de l'artillerie. A côté de chacune de ces lettres initiales placées fur ces différentes montagnes, l'on y défignera les hauteurs eftimées en pieds, & jamais en toife, partant du fol le plus bas ; ce qui déterminera bien exactement le commandement qu'une montagne aura fur l'autre, & furtout fur celle qui lui eft oppofée; toutes ces eftimations feront en rouge.

La nature des marais fera diftinguée en trois claffes, & défignée de même par les lettres in tiales P, S, T, en rouge, qui défigneront, ainfi que pour les montagnes, la première, le paffage pour l'infanterie feule; la feconde, pour l'infan terie & la cavalerie; la troisième, pour l'infanterie, la cavalerie & l'artillerie ( Voyez la Carte ).

Tous ceux qui font ufage du deffin, favent que l'on diftingue les bois de quatre manières, qui

font, 1°. grand bois, 2o. bois clairs, 3°. bois fourrés, & 4°. bois taillis: conféquemment les premiers s'indiqueront par un G & un B placés dans le milieu de ce bois ; les deuxièmes, par un B & un C; les troifièmes, par un B & une F ; & enfin les quatrièmes s'indiqueront par un B & un T; & quand on en aura le tems, on pourra mettre une teinte de gomme-gutte très-claire dans toutes les maffes de bois, afin de les rendre plus diftincts.

Les rivières, ruiffeaux, torrens ou canaux. feront marqués ; favoir: la largeur, avec un chifre rouge placé au travers de la rivière; la hauteur des rives, entre un chifre noir placé fur les crêtes; la profondeur, avec un chifre noir placé fuivant le cours de la rivière.

Comme il eft d'ufage reconnu de placer une flèche pour marquer le courant de la rivière, l'on pourra auffi employer cette même flèche en la plaçant dans les différens endroits où la rivière fera navigable ou non : on en fera aisément la diftinction en mettant une N à cheval fur ladite flèche lorfque la rivière fera navigable; une flèche =fans N là où la rivière ne fera plus navigable, & la ponctuation en noir, placée au milieu de la rivière, indiquant très-intelligiblement la navigation précife dans tout fon cours.

Si l'on a le tems de faire quelques fondes, l'on pourra encore diftinguer le fond par une lettre initiale en rouge; favoir: les fonds vafeux par un V, & les fonds pierreux par un P ; ces lettres feront placées dans le milieu de la rivière.

Les ponts, s'il y en a fur les ruifleaux, canaux, torrens ou rivières, doivent être défignés; favoir: ceux en pierres, par deux traits parallèles en rouge, & ceux qui feront en bois, par deux traits parallèles en noir.

Un feul porte-crayon qui aura d'un côté de la mine de plomb & de l'autre de la fanguine, fera le feul inftrument néceffaire à l'officier chargé de faire à vue une reconnoiffance militaire, quelle qu'elle puiffe être, & avec ce porte - crayon pourra exécuter exactement tout ce que l'on vient d'expliquer.

il

Cet officier doit, indépendamment de l'application qu'il mettra dans ce nouveau genre de lever à vue, avoir la plus grande attention de se faire rendre un compte bien exact, 1°. combien tel bourg, village ou hameau peut contenir de troupes; 2°. combien il s'y trouve d'hommes fufceptibles de porter les armes ; 3°. combien il y a d'écuries ou granges propres à mettre de la cavalerie, des dragons, chevaux de pelotons, &c. à couvert ; & 4°. combien de tems une armée ou un corps de réserve, & même un détachement, quel qu'il foit, peut refter dans fes pofitions par la facilité plus ou moins grande qu'il peut avoir de s'y procurer des fourrages, des vivres, du bois & de l'eau, & comparer le rapport des gens du pays avec l'idée qu'il s'eft formée de tous

ces détails, afin qu'il puiffe en rendre un compte très-circonftancié à l'officier-général en chef, & que ce dernier puiffe former fes plans d'attaque ou de défense avec la plus grande fécurité.

Il faut auffi que l'officier qui fera chargé d'aller reconnoître le pays, fache diftinguer, dans les pays de montagnes, fi la nature des rochers qui forment les vallées ou vallons, foit fur la grande chaîne, foit fur les contre-forts, ne font pas des rochers morts qui s'enlèvent ordinairement par lits à la première lavange, parce qu'étant emportés par cette fonte de neige, ils peuvent former le vallon, foit en entier ou en partie, ou bien s'arrêter de manière à former un plateau plus ou moins grand, & qui pourroit défendre un débouché qu'on auroit bien remarqué l'année précédente. L'on doit fentir combien cet examen eft néceffaire, dans le cas furtout où l'on voudroit porter des fecours à un corps de troupes attaqué ou attaquant.

On entend par grandes chaînes de montagnes ce qui détermine le pendant des eaux d'un pays, & par contre-forts, une autre montagne qui tient à la grande chaîne, foit obliquement ou perpendiculairement, & qui ne forment que des vallons, tandis que les grandes chaînes forment les val

lées.

Il est très-facile d'employer les principes que l'on vient de développer une feule reconnoiffance faite avec attention dans ce nouveau genre de la faire, peut faciliter beaucoup l'officier plus ou moins expérimenté dans l'art de lever à vue ou même avec des inftrumens mathématiques. Le général peut, d'après de pareils renseignemens, faire mouvoir fon armée en tout ou en partie, & jamais il ne pourra craindre d'être trompé dans aucun des points qui intéreffent, & fa tranquillité, & le fuccès de fes armes, furtout lorsqu'on lui mettra fous les yeux des reconnoiffances détaillées conformément à la carte annexée à ce mémoire inftructif (Voyez la Carte pour les reconnoissances).

C'est d'après l'expérience qu'on a faite de ce nouveau genre de lever militairement, qu'on peut certifier de la facilité que trouveront ceux qui voudront employer ces mêmes moyens pour pouvoir promptement éclairer le général d'armée fur Is différentes difpofitions qu'il voudroit faire dans un pays quelconque.

Nous devons ce mémoire, trop peu connu, au général Granjean, officier eftimable & inftruit; mort récemment. Nous avons cru rendre fervice à nos lecteurs en l'inférant dans cet ouvrage, où il pourra avoir beaucoup plus de lecteurs & être conféquemment plus utile.

PEINES. Les idées métaphyfiques dont on a fait ufage en traitant des peines militaires dans ce Dictionnaire; le fyftème, à ce fujet, dont on s'eft borné de tracer une efquiffe fans vouloir fe donner la peine de le développer davantage, & d'une Kkkkk 2

manière qui pût être utile, les détails fur les peines militaires des Romains, fans rien propofer fur celles dont on devroit faire ufage actuellement pour nos troupes, nous ont paru exiger que l'on s'occupât de cet objet important, mais d'une manière infiniment plus fimple & plus facile à mettre en pratique.

§. Ier.

Quelle feroit la manière la plus avantageufe de cor

riger nos lois fur les peines militaires?

De tous les abus qu'on devroit corriger dans la conftitution militaire de la nation, les plus grands peut-être & les plus dangereux font ceux qui fe font gliffés dans la partie fi effentielle des lois fur les peines.

On doit à l'ignorance de nos pères la plupart des défauts dont on a à fe plaindre pour la milice nationale. Plufieurs fois on a voulu les corriger; mais en donnant de nouvelles ordonnances fur les peines, on a négligé d'annuller les anciennes, &, en ne s'attachant qu'à remédier à quelques maux particuliers, on a augmenté le mal général. Le code des lois pénales pour le militaire n'eft donc qu'un affemblage d'ordonnances qui n'offrent fouvent que des contradictions, & qu'il eft abfolument néceffaire de changer pour en faciliter l'interprétation & en diminuer l'embarras & la rigueur.

Il ne faut pas craindre de l'avouer : nos lois fur les peines militaires font bien éloignées de la perfection qui leur feroit nécellaire; prefque toujours elles font éparfes, & laitlent trop fouvent des vides où les chefs peuvent s'égarer.

Elles n'ont fait aucune divifion des fautes; cependant faudra-t-il confondre le délit d'un foldat envers un autre, & celui d'un foldat envers les fous-officiers? celui d'un foldat qui, guidé par T'honneur qu'on lui a infpiré, & injuftement maltraité, aura forcé fes fous-officiers à mettre l'épée à la main, avec celui d'un foldat qui manque à fes fupérieurs, qui le corrigeoient justement & avec douceur? Faudra-t-il traiter avec la même rigueur celui qui, par befoin, fe feroit fervi de la portion de pain de fes camarades, & celui qui auroit dérobé des chofes plus effentielles ?

Si l'on confidère les délits relativement au fouverain, confondra-t-on celui qui, par inconftance ou par foibleffe, s'acquitte mal des devoirs de fon état, avec celui qui, par opiniâtreté & de propos délibéré, fait le mal & donne le mauvais exemple à fes camarades? Relativement à l'état, ne diftinguera-t-on pas celui qui, par des propos indifcrets & déplacés, répand le découragement & la mutinerie parmi fes femblables, d'avec celui qui commettra involontairement & par ignorance les mêmes fautes ?

Ne doit-on pas diftinguer les fautes commifes

contre la difcipline générale, & celles contre la difcipline particulière ?

Que de nuances à marquer entre les fautes que l'on commet envers les fous-officiers qui reprefen tent les officiers, envers les officiers qui repréfen tent les chefs, & le chef qui repréfente le fouverain!

N'a-t-on pas confondu trop fouvent les fautes réelles avec celles de fimple foupçon ? N'a-t-on pas puni le foldat pour des fautes imaginées ou exagérées par les fous-officiers ou les officiers qui vouloient avoir rai on? On ne fait pas affez diftinguer les droits de l'autorité d'avec ceux de la juftice. Combien de foldats, châtiés par humeur & par caprice, à qui l'on fait commettre des fautes par la façon dont on les a traités !

Le foldat français ne peut être coupable qu'en manquant aux ordonnances qu'on a eu foin de lui faire connoître ce font là les feules lois qu'il a promis de fuivre. Partout ailleurs qu'en France, le foldat eft plus affervi; mais il fent moins la fervitude, parce qu'il n'obéit qu'à la loi c'eft toujours par ordre émané du prince, qu'il eft commandé, congédié, récompenfé & puni. Mais parmi nous, les fantaifies des chefs, des officiers & des fous officiers font faire fouvent bien des fautes qu'une difcipline plus exactement & plus uniformément obfervée n'auroit jamais eues à pu nir. Les foldats ne font-ils pas quelquefois la vic time de la prévention & de la partialité ? N'effuient-ils pas fouvent de mauvais traitemens fans les avoir mérités? N'arrive-t-il pas que les peines portées par la loi ne conviennent pas aux fautes commifes? Plus fouvent auffi ces lois obfcures ne fervent-elles pas le goût des chefs qui aimert à punir, ou qui ont trop peu d'aptitude pour interpreter la loi & proportionner les peines aux fautes? Les foldats ne font-ils pas des hommes? Ne doivent-ils pas être fujets à des nuances d'hu meur & de caprice? Peuvent-ils être infenfibles au poids des mauvais traitemens, qui les conduit au dégoût, & trop fouvent à faire des fautes?

Il feroit donc effentiel de diftinguer, avec une plus grande exactitude, les différentes fautes qui peuvent fe commettre contre la difcipline inte rieure, & de borner le pouvoir arbitraire des chefs, qui occafionnent fouvent ces fautes par 'es ordres qu'ils donnent à leur gré, & dont ils puni fent les infracteurs avec trop de févérité.

il

Mais après avoir bien diftingué les fautes, faudroit déterminer la punition. On fait que c'eft une espèce de maxime dans l'empire, que les peines font arbitraires, & malheureusement cette maxime accablante & honteufe femble devenir tous les jours plus vraie.

Nous ne connoiffons pas la jufte étendue de la punition des verges, dont on fe fert affez fouvent: quelquefois on la regarde comme diffa mante; quelquefois on s'en fert contre des fautes affez légères. En la regardant comme diffamante, nous reftons en contradiction avec nous-mêmes,

Puifque nous gardons les follats qui ont fubi cette punition; en la regardant comme une peine lé gère, nous n'en déshonorons pas moins les coupables aux yeux du public & de leurs camarades en les déclarant incapables de pouvoir entrer dans le corps des grenadiers & des fous-officiers.

Nos lois n'ont fixé ni quand ni pour combien de tems on le ferviioit des prifons: elles ont compté pour rien la perte de la liberté d'un citoyen, & elles ont laiffe cette punition fi fort arbitraire, qu'on oferoit affurer qu'elle n'eft jamais infligée à propos.

La peine du piquet ne varie-t-elle pas au gré des chefs? Les lois, dit-on, font muettes : il faut les fuppléer ; cependant une heure de douleur de plus ou de moins eft-elle donc fi peu de chofe, que les lois aient pu négliger de fixer elles-mêmes les peines?

N'auroit-on pas dû déterminer pour quelle faute on devroit condamner un foldat à faire telle ou telle corvée? Cette punition, dont on pourroit tirer de fi grands avantages, pourroit devenir le fupplément de beaucoup d'autres: on voit des foldars aller en prifon avec indifférence, & ne pas fupporter patiemment la peine d'une corvée faite pour fes camarades. Tout ce qui peut être regardé comme punition, voilà ce qui bleffe l'amour-propre du foldat français; voilà ce qui devient un châtiment réel, & c'eft une des peines qu'on ne fauroit graduer avec trop de foin & infliger avec trop de difcernement & d'impartialité.

La peine des amendes peut avoir souvent des fuites heureufes ; mais on ne doit la faire fupporter qu'à des foldats qui ont des hautes-payes, & il faut avoir le plus grand foin de ne fe fervir de l'argent qui en provient, que pour le bien-être des foldats.

Pour les fautes commifes à l'exercice, il eft très-bien de fe fervir des fecondes claffes, où l'on renvoie les coupables; mais il faut fixer le tems qu'ils doivent y refter, & les y faire exercer continuellement aux feules chofes auxquelles ils ont manqué c'est l'exactitude que l'on met à punir à propos, c'est l'attention que l'on a de proportionner les peines aux fautes, qui affurent l'obfervation de la difcipline.

On punit quelquefois les foldats en leur faifant monter des gardes ou en augmentant les heures de leur faction: il femble que cette manière de punir peut avoir des fuites dangereuses : la garde & la faction font un devoir effentiel du foldat ; après la bravoure, c'eft la vigilance: la fûreté d'une armée, d'une ville de guerre, d'un pofte, dépend de l'exactitude des fentinelles. Que pourroit-on attendre d'un homme à qui l'on ne confieroit la fûreté & la tranquillité d'un pofte, que pour le punir d'avoir manqué d'exactitude? Bien loin de fe fer vir de ce genre de punition, on devroit s'attach er davantage à faire fentir au foldat de garde l'étendue de fes obligations & leurs con

féquences. La multitude des gardes répandues inutilement dans les villes de garnifon, ne peut que contribuer à diminuer, dans l'efprit de la fentinelle, l'idée qu'on voudroit lui donner de l'importance de les fonctions.

On corrigeroit peut-être l'abus qui règne dans cette partie du fervice, en diftinguant le fervice militaire du fervice de police; le premier feroit celui des camps & des armées; le fecond, celui de la paix & des garnifons on pourroit borner celui-ci prefqu'entiérement à des patrouilles.

Si on le jugeoit à propos, pour la fûreté des villes de guerre, on pourroit avoir des patrouilles armées qui feroient, pendant le jour, fur les glacis & aux portes, dans le dehors, fous des tentes, & la nuit fur les remparts.

Certain fervice de police pourroit étre regardé comme corvée, & fervir à punir le foldat.

Ce font bien moins les punitions qui nous manquent, que la manière dont il faudoit s'en fervir. En général, cependant, il n'y a qu'un moyen de rendre utiles les peines que l'on voudroit infliger c'eft de concilier le moindre châtiment du coupable avec la plus grande utilité publique.

Mais telle eft actuellement la malheureuse condition des chefs, & la fatale néceffité où les réduit l'infuffifance de nos ordonnances militaires, qu'ils font obligés de régler les peines felon l'efprit d'une multitude de lois, qui ne font faites, la plupart, ni pour nos coutumes ni pour nos mœurs, & qui ne conviennent plus à ce que nous fommes.

§. 11.

Quel feroit le meilleur ufage que l'on pourroit faire aes nouvelles lois fur les peines militaires ?

Ce feroit beaucoup fans doute fi l'on pouvoit avoir de meilleures lois, dans lefquelles ont eûr affez bien différencié les fautes & les peines pour qu'il n'y eût plus qu'à choifir fans crainte la punition qu'on veut ordonner; mais il refteroit encore aux chefs à qui l'on confieroit ces lois, à en faire le meilleur ufage, en découvrant d'abord quel eft l'homme qui a commis la faute, en le puniffant enfuite à propos, & en choififfant enfin avec difcernement la peine qui convient le mieux pour intimider le coupable & maintenir la difcipline.

Quel eft l'homme qui a commis la faute dont on fe plaint? Quelle eft précisément la faute qu'on a commife? Pourquoi? Comment ? Dans quelles circonftances? Telles font les recherches & les découvertes qu'il faut faire avant de remettre à la loi la décifion de la peine.

On fent bien que le foldat, entouré de toutes parts de fes camarades, de fes fous-officiers & de fes officiers, peut difficilement commettre des fautes fans qu'il foit bientôt découvert ; auffi peuton réfoudre dans le militaire, plus aifément que partout ailleurs, cette queftion intéreffante : Quel

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