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OBÉISSANCE..

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BÉISSANCE. « Nous nous fouftrayons si » volontiers du commandement fous quelque pré» texte, dit Montaigne, & ufurpons fur la maîtrife; chacun afpire fi naturellement à la liberté & autorité, qu'au fupérieur nulle utilité ne doit » être fi chère, venant de ceux qui le fervent, » comme leur doit être chère leur fimple & naive » obéiffance. On corrompt l'office du comman» der quand on y obéit par difcrétion, non par fujection; & Publius Craffus, celui que les Romains eftimèrent cinq fois heureux lorfqu'il étoit en Afie conful, ayant mandé à un » ingénieur grec, de lui faire mener le plus grand » des deux mâts de navire qu'il avoit vus à Athè »nes, pour quelque engin de batterie qu'il en » vouloit faire, celui-ci, fous titre de fa fcience, «fe donna la loi de choisir autrement, & mena le plus petit, &, felon la raison de l'art, le plus » commode. Craffus, ayant patiemment ouï fes » raifons, lui fit très-bien donner le fouet, eftimant l'intérêt de la discipline, plus que l'intérêt » de l'ouvrage.

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» D'autre part pourtant, obferve le bon Monso taigne, on pourroit auffi confidérer que cette » obéiffance fi contrainte n'appartient qu'aux >> commandemens précis & préfixes. »>

M. Gaillard, qui rapporte auffi ce trait, & qui ne fait s'il doit l'imputer à la juftice ou à l'orgueil, demande fi la difcipline, pouffée à cet excès, n'est pas plus nuifible qu'utile; en quoi l'on pourroit fui répondre, avec Montaigne, que, dans ce qui regarde le militaire, toutes & quantes fois l'ordre eft précis & préfixe, ne pas l'exécuter ponctuel lement eft une violation d'obéiffance qui mérite la punition la plus exemplaire, fans quoi il n'y auroit plus de difcipline, plus de fubordination, plus de moyens d'exécution d'où s'enfuivroit l'anarchie la plus dangereufe & le défordre le plus effrayant.

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Heureux, dit encore l'inimitable Montaigne, » que l'on ne fauroit trop citer, heureux celui qui fait ce qu'on commande, mieux que ceux qui commandent, fans fe tourmenter des causes? » qui fe laiffe mollement rouler après le roule»ment céleste ! L'obéiffance n'est jamais pure ni tranquille en celui qui raifonne & qui plaide. Il ne fut jamais crocheteur ni femmelette qui ne penfât avoir affez de fens pour fa provifion. » Nous reconnoiffons aifément aux autres l'avan» tage du courage, de la force corporelle, de l'expérience, de la difpofition, de la beauté; mais l'avantage du jugement, nous ne le cédons à perfonne, & les raisons qui partent du fimple

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difcours naturel en autrui, il nous femble qu'il » n'a tenu qu'à regarder de ce côté-là que nous » ne les ayons trouvés. »

Qu'oferoit-on ajouter fur ce point important de la difcipline militaire, après ces phrafes fi expreffives & fi précifes de Montaigne? On corrompt l'office du commander quand on y obéit par difcré tion & non par fujection. L'obéiffance n'est jamais pure ni tranquille en celui qui raisonne & qui plaide. C'est donc, comme il le dit, une fimple & naïve obéiffance à laquelle il faut fe foumettre dans l'état militaire, où le moindre retardement, la moindre interprétation, la plus légère hésitation, peuvent occafionner les plus grands maux, ou nuire aux deffeins des chefs d'une manière irréparable; car dans cet état, comme dans tout ce qui regarde l'art de la guerre, presque tout tient au moment de l'exécution.

La difcipline militaire étoit obfervée fi exactement à Lacédémone, qu'un foldat, entendant ionner la retraite lorfqu'il levoit fon épée fur un ennemi, obéit fur le champ au fignal, & ne porta point fon coup. Il vaut mieux, dit-il, obéir à son général, que de tuer un ennemi de plus.

Catinat écrivoit à Louis XIV: Votre majefté l'ordonne, fes ordres vont être exécutés ; je vais agir contre toutes les vues & les connoiffances que j'ai.

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On ne doit jamais s'occuper que de l'objet pour lequel on a été envoyé en campagne, quelqu'avantage qu'on trouve ailleurs. Les Français, fermés dans Turin, manquèrent de s'emparer de Savillon pour avoir voulu s'amufer, contre les ordres qu'ils avoient reçus, à prendre un petit château.

OBSCURITÉ. On accoutumoit les enfans, à Sparte, à refter fans peur feuls dans l'obfcurité, & on examinoit s'ils n'avoient aucune de ces foibleffes fi ordinaires aux enfans.

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Il n'étoit jamais permis, à Lacédémone, de fe faire éclairer par des flambeaux, parce que hommes fobres doivent favoir où eft leur chemin dans l'obscurité, & qu'outre cela ils accoutu moient par-là leurs enfans à marcher fans lumière ; ce qui peut être très-avantageux en tems de guerre.

En effet, quels avantages ne pourroit-on pas retirer des attaques avant le point du jour, de manière que l'ennemi ne pût connoître vos dif pofitions ni avoir les moyens de pouvoir fe fervit de fon artillerie contre des corps profonds, dont vous pourriez alors vous fervir fars danger? On abandonne cette idée aux réflexions des militaires

inftrufts, dans la perfuafion où l'on eft de l'utilité que l'on retireroit à habituer le foldat de prendre les armes la nuit, de fe former, de marcher, de fnuler des attaques, &c.

OFFENSE. L'offense est toute action injufte, confidérée relativement au tort qu'un autre en reçoit, ou dans fa perfonne, ou dans fa confidération publique, ou dans fa fortune on offenfe de propos & de fait on repouffe diversement Jes offenfes, felon l'efprit de la nation. Les Romains, qui ne portoient point d'armes durant la paix, traduifoient l'offenfeur devant les lois : nous avons des lois comme les Romains, & nous nous vengeons de l'offense comme des barbares. Écoutons, fur les duels & la vengeance, l'inimitable Montaigne.

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« Tout ainfi eft à plaindre la vengeance, quand " celui vers lequel elle s'emploie, perd le moyen » de la fouffrir; car, comme le vengeur y veut » voir clair pour en tirer du plaifir, il faut que » celui fur lequel il fe venge, y voie clair auffi » pour en recevoir du déplaifir & de la repen»tance. Il s'en repentira, difons-nous ; & pour » lui avoir donné d'une piftolade dans la tête »eftimons-nous qu'il s'en repente? Au rebours » fi nous nous en prenons garde, nous trouverons qu'il nous fait la moue en tombant: il ne nous " en fait pas feulement mauvais gré; c'est bien » loin de s'en repentir, & lui preftons le plus » favorable de tous les offices de la vie, qui eft » de faire mourir promptement & infenfiblement. » Nous fommes à fuir les officiers de la justice qui » nous fuivent, & lui eft en repos ; le tuer eft bon » pour éviter l'offense à venir, non pour venger » celle qui eft faite ; c'est une action plus de crainte » que de braverie, de précaution que de courage, » de défense que d'entreprife: il eft apparent que » nous quittons par-là, & la vraie fin de la ven»gence & le foin de notre réputation: nous crai→gnons, s'il demeure en vie, qu'il ne nous recharge » d'une pareille. Ce n'eft pas contre lui, c'est » pour toi que tu t'en défais. Si nous penfions par » vertu, être toujours maîtres de notre ennemi & » le gourmander à notre pofte, nous ferions bien » marris qu'il nous échappât comme il le fait en » mourant. Nous voulons vaincre plus fûrement » qu'honorablement, & nous cherchons plus la » fin que la gloire dans notre querelle. On difoit » à Ariftote, que quelqu'un avoit médit de lui: » Qu'il faffe plus, répondit-il ; qu'il me fouete, "pourvu que je n'y fois pas. Nos pères fe conten»toient de revancher une injure par un démenti, » un démenti par un coup, & ainfi par ordre ; ils » étoient affez valeureux pour ne craindre pas leur » adverfaire vivant & outragé. Nous tremblons * de frayeur tant que nous le voyons en pied ; & qu'il foit ainfi, notre belle pratique d'aujour» d'hui porte-t-elle pas de pourfuivre à mort, auffi bien celui que nous avons offensé , que celui

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qui nous a offenfé? Je voudrois qu'on me fit rai»fon de ces lois d'honneur, qui vont fi fouvent choquant & troublant celles de la raifon. Indif» crète nation! nous ne nous contentons pas de » faire favoir nos vices & folies au monde par ré» putation, nous allons aux nations étrangères » pour les leur faire voir en présence. Mettez » trois Français aux déferts de Lybie ; ils ne feront » pas un mois ensemble fans fe harceler & s'égratigner vous diriez que cette pérégrination eft » une partie dreffée pour donner aux étrangers le plaifir de nos tragédies, & le plus fouvent à » tels qui s'éjouiffent de nos maux & qui s'en mo» quent.

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Je fais bien que l'art de l'efcrime eft utile à » fa fin, art comine j'ai cognu par expérience, duquel la cognoiffance a groffi le cœur à aucun » outre leur mefure naturelle; mais ce n'eft pas » proprement vertu, puifqu'elle tire fon appui x de l'adreffe, & qu'elle prend autre fondement que de foi-même. L'honneur des combats con» fifte en la jaloufie du courage, non dans la » science, & pourtant ai-je vu quelqu'un de mes » amis, renommé pour un grand maître en cet exercice, choifir, en fes querelles, des armes qui lui ôtaflent le moyen de cet avantage, afin » qu'on n'attribuât pas fa victoi e plutôt à fon » efcrime qu'à fa valeur ; &, en mon enfance, la » nobleffe fuyoit la réputation de bien efcrimer » comme injurieufe. Les buttes, les tournois, » les barrières, l'image des combats guerriers, » étoient l'exercice de nos pères : cet autre exer»cice eft d'autant moins noble, qu'il regarde » qu'une fin privée, qui nous apprend à nous en»treruiner comme les lois & la justice, & qui » en toute façon, produit toujours des effets dommageables; il eft bien plus digne & mieux » féant de s'exercer en chofes qui affurent & non qui offenfent notre police, qui regardent la publique fûreté & la gloire commune. Publius Rutilius, conful, fut le premier qui inftruifit » le foldat à manier fes armes par adreffe & » fcience, qui joignit l'art à la vertu, non pour » l'ufage de querelle privée ; ce fut pour la guerre » & querelle du peuple romain, efcrime popu

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laire & civil. Mille autres chefs de guerre » fe font ainfi advifés d'inventer nouvelle forme » de frapper & de fe couvrir felon le befoin de » l'affaire préfent; mais tout ainfi que Philopoe» men condamna la lutte, en quoi il excelloit » autant que les préparatifs qu'on employoit à » cet exercice étoient divers à ceux qui appar» tiennent à la difcipline militaire, à laquelle » feule il eftimoit les gens d'honneur devoir s'a» mufer. Il me femble auffi que cette adreffe à quoi on façonne fes membres, ces détours & » mouvemens en quoi on dreffe la jeuneffe en » cette nouvelle école, font non-feulement inu» tiles, mais contraires plutôt & dommageables » à l'ufage du combat militaire; auffi y emploient Hhhhh 2

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communément nos gens des armes particulières » destinées à cet ufage. Il eft digne de confidé>>ration que Lachez, en Platon, parlant d'un apprentiffage de manier les armes, conforme au » nôtre, dit n'avoir jamais de cette école vu "fortir nul grand-homme de guerre, & nommé» ment des maitres d'icelle. Quant à ceux-là, » notre expérience en dit bien autant: du reste, au moins pouvons nous nous tenir que ce font fuffifances de nulle relation & correfpondance; » & en l'institution des enfans de fa police, Pla» ton interdit l'art de mener les poings & celui » de lucter, parce qu'ils ont autre but que de ren»dre la jeuneffe apte au fervice bellique, & n'y » confèrent point. »

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choix ou au moins la propofition au général en chef, afin qu'il puiffe s'entourer d'hommes bien difpofés a fon égard, dont il connoiffe le carac tère, la moralité, les talens, & qu'il puiffe regar der comme autant jaloux de fa gloire que de la leur. C'eft de la confiance mutuelle entre le chef & fes fubordonnés, que peuvent fouvent dépen dre les fuccès d'une campagne.

Les officiers généraux & les officiers de jour doivent toujours camper dans le centre de la première ligne; ils ne doivent jamais s'abfenter tous enfemble.

Il est défendu, par les réglemens pruffiens, aux officiers-genéraux, de quitter dans le camp le pofte qu'on leur aura fixé, fous peine de payer 3000 liv. à la caiffe des invalides.

A la bataille de la Sambre, Céfar avoit or donné à fes lieutenans de refter chacun à la tère de légion, jufqu'à ce que les travaux fuffent entiérement finis.

Combien elle mériteroit la reconnoiffance du monde entier, la fociété d'hommes favans qui propoferoit cet important problême à réfoudre! Trouver la manière la plus avantageufe à l'hu-fa » manité & la plus utile à la fociété, dont un mi»litaire pourroit tirer vengeance d'un de fes fem» blables, par lequel il auroit été offenfé. »

Malheureufement tous les maîtres de morale fe vantent à la fois de pouffer jufqu'à l'évidence la doctrine du bonheur, & tous les difciples s'accordent à fe plaindre d'être malheureux.

Plus malheureufement encore la Nature & le hazard font feuls les heureux de cet Univers.

Cependant ces vérités fi peu confolantes ne doivent pas décourager, & dans la maladie politico-fociale pour laquelle nous voudrions que l'on cherchât des remèdes curatifs, il ne faut pas oublier l'excellent mot de ce grand-homme de l'antiquité Frappe, mais écoute; ni cette précieuse obfervation de Montaigne : Je voudrois bien qu'on me fit raifon de ces lois d'honneur, qui vont fi fouvent choquant & troublant celles de la raifon.

OFFICIERS. Sous ce mot générique on doit comprendre les officiers de l'état-major des armées, les officier-généraux & les cfficiers particuliers de chaque corps compofant les différentes armes employées dans une armée.

Officiers de l'état-major- général. On peut voir, en lifant dans ce Supplément les mots MAJORGENERAL & MARECHAL GENERAL-DES-LOGIS DE L'ARMÉE, combien ces deux officiers fupérieurs & leurs différens aides & adjoints doivent pofféder de connoiffances théoriques & pratiques, & combien ils doivent furveiller avec attention les plus grandes opérations de la guerre comme les plus minutieux détails qui regardent la police des armées, leur fûreté, la fubfiftance du foldar, fon bien-être, fon inftruction, fa difcipline, &c.

Officiers-généraux. On ne fauroit trop fe convaincre combien il eft important de n'employer que le nombre d'officiers-généraux abfolument néceffaires, & ceux qui font le mieux inftruits. Autant que l'on pourra, il faudroit en confier le

On devroit employer les officiers-généraux, non pas fuivant leur ancienneté, mais fuivant la capacité & les connoiffances des uns, & la bravoure des autres.

La méfintelligence entre les officiers généraux d'une armée, la ruine indubitablement, les uns défaifant ce que les autres font, d'où naiffent né ceffairement des retardemens, des changemens & des difficultés dans l'exécution des ordres.

M. de Turenne difoit qu'il n'avoit befoin que de deux officiers-généraux : le grand nombre furcharge les armées d'équipages, de logement & de dilapidation, &c.

En France, les officiers-généraux qui ne font pas employés, jouiffent de trop peu de confidéra tion auprès des troupes: ils devroient recevoir d'elles, dans tous les cas, les marques de re pect & les honneurs qui leur appartiennent. Il ne feroit pas moins utile de fe fervir, pour le militaire & même pour le civil, de tous les officiers qui touchent une retraite ou d'autres émolumens, fous quelque titre que ce puifle être, à moins qu'ils fuffent entiérement invalides.

Officiers particuliers. Voici, felon les différens auteurs, la réunion des qualités que les Romains exigeoient dans les officiers. On ne cherchoit pas tant, pour cet emploi, des gens ardens & prompts à courir au danger, que des têtes froides & raf files, des hommes inébranlables, incapables d'ef froi comme de précipitation, propres à tenir ferme même contre des ennemis fupérieurs, determinés à mourir à leur pofte pour la defense de la patrie. On vouloit en outre qu'ils fuffent robuftes, de haute taille ; qu'ils fuflent adroitement lancer le javelot, manier l'épée, fe fervir du bouclier avec dextérité; qu'ils fuffent maîtres dans toutes les parties de l'efcrime, vigilans, actifs, plus prompts à exécuter les ordres des généraux, qu'à parler.

Les Romains nommoient deux centurions par

manipule, afin que l'un des deux, en cas de befoin, remplaçât l'autre : ils ne donnoient pour chefs à leurs foldats, que des officiers qui euffent dix ou au moins cinq ans de fervice.

Selon l'empereur Léon, la multitude des officiers anoblit une armée; elle rend le fentiment d'honneur plus commun & l'obéiffance plus prompte. En effet, le grand nombre de commandans multiplie les refforts qui font agir les troupes, & l'autorité du général, fe reproduifant dans la perfonne de fes fubalternes, fe divite fans s'affoiblir, & conferve jufque fur le dernier des foldats fon effet & fa force.

Le grand Scipion penfoit, avec raison, que c'étoit de l'habileté des officiers particuliers que dépendoit l'heureux fuccès des entreprises.

Les officiers qui se bornent au fervice journalier, & qui croient avoir tout fait lorfqu'ils ont monté leur garde ou marché à leur tour en détachement, font fimplement nombre parmi ceux qui portent des uniformes; mais ils ne font jama's en état de remplir de grands objets, ni de les employer dans les circonstances où d'un côté ils pourroient acquérir de la gloire, & de l'autre bien fervir l'état: tels font cependant les principes qui doivent animer tous ceux qui embraffent la profeffion des armes, & qui favent apprécier le titre si glorieux de bon citoyen.

On voit toujours avec douleur combien l'éducation militaire eft négligée: on oubl e trop que, pour commander à des foldats, on ne peut remplir cer objet qu'à la faveur de l'étude la plus refléchie & la plus raifonnée de l'art qu'ils ont à profeffer. Pourquoi les principes & les maximes de cet art ne leur font-ils pas expofés dans leur jeuneffe? La valeur de l'officier eft un bien foible mérite, toutes les fois qu'elle n'eft pas éclairée & foutenue par l'expérience.

Dans la campagne de 1557, les officiers de l'armée du duc d'Albe fe preflant pour livrer un combat à l'ennemi, ce général leur dit : « J'ai toujours demandé dans mes foldats une valeur déterminée, un courage plein de feu, & qu'ils allaffent téte baissee affronter la mort, fans craindre ni raisonner; mais j'ai demandé toute autre chose pour les officiers; beaucoup de prudence, & un grand flege pour modérer l'impétuofité des foldats; c'elt par-là qu'on arrive à ce point de gloire, qui fait le bonheur des capitaines. "

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phyfiques des fujets qui fe propofent pour être of ficiers.

L'indifcipline, qui a fa fource dans la mauvaise compofition des officiers, eft une des caufes la plus active de la grande confommation d'hommes qui fe fait dans les armées françaises.

En général aufi, en France, on ne fait pas affez de cas des vieux officiers: on femble trop oublier qu'eux feuls peuvent former les jeunes gens qui arrivent dans les corps, et qui ont un fi grand befoin de bons exemples & des leçons fi précieufes de l'expérience.

Les officiers français ont trop la malheureuse habitude de raisonner tout haut & de blâmer la conduite de leurs chefs & même de leur général : ces murmures font perdre à ces officiers fupérieurs entière, & il s'enfuit un grand relâchement dans la confiance des foldats; leur obéiffance n'eft plus la difcipline.

Si le foldat manque à fes devoirs, c'est que l'officier lui en montre l'exemple, c'eft qu'il ne tient pas la main à les lui faire remplir.

On difoit du chevalier Bayard, qu'il avoit trois excellentes qualités, propres à faire un bon capitaine; affaut de levrier, défense de fanglier & fuite de loup.

OISIVETÉ, DÉSŒUVREMENT OU MANQUE D'OCCUPATION UTILE ET HONNETE. Le defeuvrement dans lequel on languit, et une espèce de defordre; l'efprit humain étant d'une nature agiffante, ne peut pas demeurer dans l'inaction, & s'il n'eft occupé de quelque chofe de bon, il s'applique inévitablement au mal; car, quoiqu'il y ait des chofes indifférentes, elles deviennent mauvaifes lorfqu'elles occupent feules l'efprit.

On ne fauro t blâmer ceux qui emploient tout leur tems à des chof s inutiles.

La pratique de l'oifiveté eft une chofe contraire au devoir de l'homme & du citoyen, dont l'obligation générale eft d'être bon à quelque chofe, & en particulier de fe rendre utile à la fociété dont il eft membre. On lit fur une cornaline repréfentant Hercule, cette sentence grecque : La fource de la gloire & du bonheur eft dans le travail. Vérité de tous les tems & de tous les âges.

Les Egyptiens, les Lacédemoniens, les Laconiens avoient des lois contre l'oifiveté. Il feroit

également à fouhaiter qu'il y en eût parmi nous. Tout ce que la morale peut dire contre l'oifivete, fera toujours foible tant qu'on n'en fera pas une affaire capitale. L'imagination humaine a befoin d'être nourrie: lorfqu'on ne lui prétente pas des objets véritables, elle s'en forme d'une fantaifie dirigée par le plaifir ou un intérêt mal dirigé. Examinez les fcélérats que la justice eft obligée de condamner à la mort; ce ne font pas ordinairement des artifans ou des laboureurs : les travailleurs penfent au travail qui les nourrit; ce font des gens oififs, que la débauche ou le jeu, enfans de l'oi

fiveté, a portés à tous les crimes. C'eft à cette premiere oifiveté qu'on doit attribuer la plupart des troubles, en partie la chute de la république, & toujours l'indifcipline dans les armées.

Publius Nafica fit conft uire, fans qu'il en fût befoin, les chofes néceffaires à une armée navale, exercer les Romains: on craignoit déjà alors Pour l'o fiveté plus que les ennemis.

Ainfi, pendant que les foldats romains fe confervoient par des travaux immenfes, nos armées Fériffent par un travail immodéré, parce que les fatigues des Romains étoient continuelles, au lieu que nos foliats paffent fans ceffe d'un travail extrême à une extrême oisiveté.

Corbulon, bien convaincu que l'oifiveté eft le plus grand ennemi de la difcipline militaire, occupa fes troupes à creufer un canal de communication de la Meufe au Rhin; & cette même armée d'Allemagne, qui avoit conquis à Vitellius l'empire romain, après quelque féjour dans la capitale du Monde, n'étoit plus la même : les soldats languiffans avoient peine à porter les armes; ils ne pouvoient fouffrir les injures de l'air ni fupporter les fatigues de la guerre, & étoient d'autant plus séditieux, qu'ils étoient plus lâches.

Un des exemples les plus frappens des effets de l'oifiveté fur les troupes, eft celui de l'armée du connétable de Bourbon:elle étoit entrée floriffante à Rome dix mois auparavant; mais quand elle fut obligée d'en fortir, elle étoit réduite à la moitié, & ce qui reftoit, énervé par les maladies, une longue inaction, l'intempérance & la debauche, méritoit à peine le nom de foldat: nouvelle preuve de l'avantage qu'il y auroit, en tems de paix, de laiffer prefque tous les foldats fe livrer chez eux, pendant neuf ou dix mois de l'année, aux travaux de l'agriculture & des arts mécaniques.

vroit-on pas plutôt dire : Menés par les opinions
qu'ils ont des chofes, non par les chofes même : d'où
il s'enfuivroit une nouvelle preuve de ce que nous
venons d'avancer, qu'il fuffiroit de donner aux
hommes tele ou telle opinion fur telle ou telie
chofe, pour les conduire malgré eux, & pour aing
dire à leur gré, au but qui en apparence devroit
le plus répugner à leur bonheur. Ainfi les défen-
feurs de la patrie, habitués dès l'enfance à croire
que mourir pour elle doit être le bonheur fuprême,
rechercheroient avec empreflement à jouir de ce
bonheur, qui femble si peu naturel à la plus grande
majorité des hommes, & comme la plupart d'en-
tr'eux l'attendent en tremblant, les foldats, au
contraire, la fupporteroient plus aifément que la
vie.

Mors utinam pavidos vita fubducere volles!
Sed virtus te fola daret.

ORDRES. Nous entendons parler, ici feulement, des ordres que donnent les miniftres, les généraux ou les officiers qui commandent.

La bataille de Cérignole, en 1503, prouve la néceffité des ordres clairs & du danger de faire courir la voix.

Le grand Condé donnoit toujours les ordres par écrit, à fes lieutenans, & leur impofoit la loi de les fuivre. Turenne difoit aux fiens ce qu'il croyoit convenable, & s'en rapportoit à leur pru dence. Il arriva de là que le dernier eut beaucoup d'illuftres élèves, & que le premier n'en for ma point ou très-peu.

En 1636, les Espagnols avoient entrepris de paffer la Somme pour porter la guerre jufqu'aux portes de Paris. Puységur fut chargé de leur difputer le paffage avec peu de monde. Le comte de Soiffons, général de l'armée française, craignant, avec raifon, qu'il ne fût écrasé, lui ervoya dire de fe retirer s'il le jugeoit à propos. Monfieur, dit Puységur à l'aide-de-camp, un ho me commandé dans une action périlleuse comme eft celle-ci, n'a point d'avis à donner. Je fuis venu par ordre de monfieur de Soiffons, je n'en fortirai pas à moins qu'il ne me le faffe ordonner expreflément.

OPINION. On nomme l'opinion la Reine du Monde, dit Voltaire; elle l'eft fi bien, ajoute-t-il, que quand la raifon veut la combattre, la raifon eft condamnée à la mort; il faut qu'elle renaiffe vingt fois de fes cendres pour chaffer enfin tout doucement l'ufurpatrice. Mais s'il peut être néceffaire de ne rien négliger pour détruire les opinions dangereufes, ne pourroit-on pas tirer un grand parti de certaines opinions pour conduire les hom- Le duc de Rohan remarque dans fes mémoires, mes, toujours fi crédules, à un but que l'on croiroit que les princes donnent ordinairement leurs orcffentiel d'atteindre? Ainfi Mahomet, avec l'opi-dres de manière que fi le général réuffit, le prince nion du fatalifme; les Ruffes, avec la perfuafion d'aller droit au ciel en mourant dans les combats, l'infamie attachée aux lâches, l'honneur doublant le courage de celui à qui, dès fon enfance, on l'a rendu préférable à la vie; l'efpoir de la récompenfe célefte faifant courir les martyrs au devant des tortures, & braver la cruauté des bourreaux, tous ces exemples ne fembleroient-ils pas prouver les avantages que l'on pourroit retirer de l'établiffement de telle ou telle opinion? Une sentence er.cque dit que les hommes font tourmentés. Ne de

veut s'attribuer la gloire d'en avoir donné les otdres; s'il échoue, au contraire, il fe trouve toujours que la coulpe eft à celui qui commande, car le maître ne peut jamais faillir.

Il eft effentiel que le général voie quelquefois par lui-même fi les ordres qu'il donne font exécutés. Le maréchal de Berwick étant à Cuvan en Irlande, ordonne au brigadier Wanchop de mettre des partis en campagne, pour être averti des mouvemens des ennemis : le brigadier répond qu'il l'a fait, & qu'il fera averti à tems des ples

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