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pour pouvoir y entremêler des pelotons d'infanterie; ce qu'il pratiqua toujours avec fuccès.

Ainfi, à la bataille de Leipfick, il fuppléa aux défauts des chevaux fuédois, qui n'étoient ni affez hauts ni affez forts pour foutenir feuls le hoc des chevaux des cuiraffiers de l'empereur, en mêlant des pelotons de moufquetaires, qui, 'ayant jamais tiré qu'à bout portant, déconcerèrent tellement la cavalerie impériale, qu'elle ecula & porta le trouble dans l'armée de l'em

ereur.

A la bataille de Lutzen, Guftave employa les êmes moyens, qui lui affurèrent la victoire. Une des principales caufes de la défaire de la valerie française à la bataille de Pavie, fut la récaution prife par Pefcaire, d'entremêler fa valerie allemande d'un grand nombre de fanffins efpagnols, armes de pefans moufquets dont 1 fe fervoit alors : cette méthode nouvelle furit les Français, & rendit leur déroute géné

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rallier. On a appris du roi de Pruffe à placer des colonnes d'infanterie fur le flanc de la cavalerie des ailes, foit afin de fortifier la cavalerie, foit pour mettre à l'abri le corps de bataille de l'infanterie, dans le cas de la défaite de la cavalerie.

MÉMOIRES. On diftingue deux espèces d'écrits dans notre Vocabulaire, portant le nom de mémoires. Les uns font faits pour demander quelques graces, & les autres pour conferver ou pour donner des inftructions fur quelqu'objet militaire. S. I'.

Des mémoires pour demander des graces.

Un militaire qui veut demander quelque grace," eft obligé d'adreffer un mémoire dans la forme fuivante :

La feuille de grand papier fur laquelle on écrit le memoire, doit être divifée en deux colonnes: on met d'abord au haut de la page, & fur la co

A la bataille de Cerifoles, comme la gendar-lonne de gauche, les mots infantere, cavalerie erie du comte d'Anguien étoit peu nombreuse, 1 tira, des différens corps de l'infanterie, fept 1 huit cents arquebufiers choifis, qu'on mit à la te, & dont l'objet fut de foutenir la cavarie.

A la bataille des Dunes, M. de Turenne plaça atre efcadrons de gendarmes derrière fa preière ligne, pour foutenir l'infanterie du corps bataille.

Au combat d'Einsheim, ce général mit cinq fcadrons entre fes deux lignes pour foutenir l'innterie, & entremêla les efcadrons de pelotons infanterie.

A la bataille d'Hofchtet, le maréchal de Talrd, après que fa cavalerie eut été repouffée eux fois, ayant imaginé que, pour la faire agir rantageufement, il falloit la foutenir par le feu e l'infanterie, fit avancer deux brigades, les ntrelaça dans les efcadrons, & ramena fa cavarie au combat. Ces huit bataillons commencèent à faire feu par portion de bataillon ; la cavarie, ainfi fecondée, culbuta la première ligne es efcadrons de Marlborough; mais en ayant rouvé une feconde & une troifième, elle fe reuta & lâcha le pied.

A la bataille d'Almanza, gagnée le 25 avril 707, deux fois la cavalerie de notre droite enonça celle des ennemis, mais deux fois elle fut obligée de fe retirer, & deux fois celle de l'enemi fe rallia, parce que le marquis de las Minas, énéral portugais, avoit entremêlé fes armes par ¡ros corps.

Toute troupe qui n'eft pas foutenue, eft une roupe battue: il faut donc foutenir l'infanterie vec de la cavalerie, & réciproquement. C'est pour cette raifon que M. de Saxe propose de mettre, entre les lignes de cavalerie, des bataillons carrés, derrière lefquels la cavalerie puiffe fe Art Milit, Suppl. Tom. IV.

dragons, &c. & vis-à-vis, fur la colonne de droite, le nom du régiment ou de la place; au deffous, & dans le milieu de la feuille, on écrit l'objet du mémoire; au dessous, & fur la colonne de gauche, on met fon nom, fon furnom, fon âge, fon grade & fes fervices; vis-à-vis, & fur la colonne de droite, les motifs de fa demande : on figne au deffous de cette dernière colonne, & fi on n'eft pas actuellement attaché à un fervice, on indique fa demeure.

Si la demande eft faite par un officier fubalterne, il remet fon mémoire au commandant de la compagnie, qui le remet au commandant du corps, & celui-ci à l'inspecteur, qui l'adreffe au miniftre tous ces officiers mettent fur le mémoire leurs obfervations, qu'ils fignent. Tout officier de quelque grade qu'il foit, fuit la même règle, en remontant de grade en grade.

Les officiers retirés font parvenir leurs mémoires au miniftre de la guerre, par l'officier-général commandant la divifion.

On doit obferver que le mot grace, dans l'état militaire, eft un mot générique, fous lequel on comprend toutes les demandes qu'un militaire eft dans le cas de faire.

En obligeant les officiers à dreffer eux-mêmes ou à faire dreffer en leur nom les mémoires pour lefquels ils demandent des graces, on met ceux qui ont beaucoup d'amour-propre dans le cas d'étaler leurs fervices avec trop de complaifance, & ceux qui font naturellement modeftes, dans la pénible obligation de parler d'eux d'une manière avantageufe.

En exigeant des mémoires pour toutes les demandes que l'on a à faire, on furcharge les infpecteurs de papiers inutiles, & les chefs des bureaux de la guerre de lectures rebutantes: il faudroit donc reftreindre les mémoires à ceux pour

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les retraites, les congés, les gratifications & les penfions, mémoires qu'on pourroit alors, avec saifon, intituler pour demander des graces.

§. II.

D.s mémoires militaires.

Les mémoires destinés à conserver ou à donner quelques inftructions fur des objets militaires, peuvent ê re confidérés comme divifés en trois claffes. 1°. Mémoires historiques.

2o. Mémoires ou projets relatifs à la guerre. 3°. Mémoires ou projets relatifs à la conftitution, à la formation, &c. des troupes.

Les premiers regardent l'hiftoire militaire. Les feconds doivent être renvoyés au mot CONNOISSANCE MILITAIRE, dont ils doivent faire partie.

Il reste donc à parler des derniers. Aucun fiècle n'a été fans doute auffi fertile que le nôtre, en mémoires & en écrits relatifs à la conftitution des troupes, &c.; il n'eft pas un militaire qui n'ait fes vues, fes projets; il n'en eft aucun qui n'ait fon fyftème à lui, qui ne le débite avec emphafe, qui n'en fatigue chaque jour les hommes avec lesquels il vit fréquemment, les gens en place, les miniftres même, & quelquefois le public: quelles font les caufes de cette fermentation générale? L'inconftance naturelle aux Français, l'efprit de réforme & d'amélioration, qui avoit gagné toutes les parties de la fociété ; l'inftruction qui s'étoit répandue parmi les militaires, Jes innovations fucceffives que leur état éprouvoit, l'incertitude qu'on avoit cru remarquer dans les principes du gouvernement, & enfin les récompenfes honorables accordées aux militaires qui les premiers avoient tourné vers ces objets l'activité de leur génie.

Eft-il réfulté quelque bien de cette multitude d'ouvrages polémiques militaires, dont nous avons été fatigués, & des fyftèmes nombreux qui ont paru? Eft-il à defirer que l'on écrive encore & que l'on cherche à donner au militaire français une formation analogue à notre nouvelle conftitution? Il eft fur cet objet trois opinions dont il importe de difcuter la bonté.

Les partifans de la première font des hommes fortement attachés par l'habitude, la vanité & la pareffe, à une vieille routine, aux maximes & aux ufages qui régnoient pendant leur jeuneffe: ceux-là difent que cette grande abondance d'écrits fur l'art militaire eft un des vices de notre âge; qu'elle fait des officiers plus occupés à raisonner qu'à agir, qu'elle jette de l'incertitude même dans la tête des adminiftrateurs, & qu'elle doit par conséquent être détruite.

Les partifans de la feconde, éclairés par les lumières de la philofophie, veulent accorder aux militaires, comme aux membres des autres, claffes

de la fociété, une liberté entière d'écrire & de publier toutes leurs idées.

Les partifans de la troisième prennent un milieu, qu'ils regardent comme jufte; croient qu'il vaut mieux que les officiers français fe livrent à l'étude de l'art militaire, qu'à celle de tout autre; à la création d'un fyftème nouveau, qu'à une oiliveté pernicieuse à eux & à leurs compatriotes; mais ils veulent que les officiers français fe bornent à adreffer le réfultat de leur travail au miniftre de la guerre; car, disfent-ils, fi le résultat eft bon & qu'il foit public, nos ennemis en profiteront mieux & plus tôt que nous; s'il eft mauvais, les étrangers le mépriferont, mais de jeunes Français l'adopteront fans réflexion, & de là des idées fauffes & des préjugés funeftes.

Nous ne nous rangerons point parmi les parti fans de la première de ces opinions; elle eft vifiblement erronée, un refte de l'ancienne barbarie. La feconde a fes inconvéniens : il eft plufieurs objets dont il importe de dérober la connoiffance aux étrangers; tels font nos fystèmes de fortifications, les découvertes des machines nouvelles, &c. Nous n'adopterons pas davantage la troifième opinion; elle porteroit le découragement parmi les militaires, & les rameneroit bientôt à l'apathie dans laquelle ils ont trop long-tems vécu. Comment, en effet, les officiers français ne feroient-ils pas découragés par la croyance où ils feroient, que le résultat de leurs recherches & de leurs réflexions ne doit fervir qu'à groffir cet amas de papiers que le tems couvre de fa pouffière après qu'un commis en a tiré quelques lambeaux, felon fon intelligence ou fon loifir. Ils feroient découragés encore, parce qu'ils n'auroient plus l'efpoir d'être payés de leurs travaux par un peu de gloire. Si le miniftre eft jufte, il donnera peut-être des éloges, des grades ou des penfions; mais combien il y a loin de ces froides récompenfes à celles que le public décerne aux auteurs des ouvrages utiles & bien écrits, & fi le miniftre, au contraire, eft affez injufte pour vouloir s'attribuer le fruit des travaux de l'auteur, ou fi ce travail eft remis entre les mains d'un fousordre affez peu inftruit pour ne favoir point l'appré cier, affez pareffeux pour ne vouloir point le lire, affez fuffifant pour le condamner fans l'entendre, ou affez vil pour le dénigrer d'abord, & affez adroit pour le dénaturer enfuite & le donner comme fon ouvrage !

Si d'ailleurs tous les mémoires militaires étoient conftamment renfermés dans les dépôts de la guerre, fi l'impreffion n'en livroit pas un grand nom bre au public, dans quels ouvrages s'inftruiroit la génération future, & furtout les hommes deftinés à la conduire ?

Chacun de ces trois moyens offre des inconve niens: il faut en trouver un qui prévienne la publication des idées heureuses, mais qu'on doit cacher, & des idées dangereufes, qu'on doit enfevelir dans un fecret profond, qui, loin d'éteindre

l'amour de l'étude, le rende plus vif; qui faffe connoître les opinions nouvelles, qui en facilite la difcuffion, qui réuniffe, en un mot, tous les avantages des méthodes connues, & n'offre aucun de eurs vices. Ce moyen nous feroit fourni par une cadémie militaire: les membres de ce corps, ceneurs nés de tous les ouvrages relatifs à la guerre, ngageroient tel auteur à réferver pour le gouernement la partie de fon travail, dont la publicaion pourroit donner à nos ennemis quelqu'idée tile; mais il feroit connoître au public, par une tteftation authentique, le facrifice que cet écrivain uroit fait de fon amour-propre au bien public, & ar de juftes louanges il le dédommageroit de ce crifice. Ils obligeroient tel autre écrivain à efcer de fon ouvrage ce qui pourroit produire des ffets dangereux ; ils feroient imprimer chaque née les ouvrages qui mériteroient d'être connus ans leur entier, & une notice courte & claire de eux qui ne mériteroient que d'être extraits; ils en ommeroient les auteurs, & leur donneroient les oges qui leur feroient dus: ils indiqueroient aux unes gens les objets vers lefquels il leur importeit de tourner leur activité; ils offriroient enfin au iniftre un réfumé général de leurs travaux parculiers & de ceux du refte de l'armée; mais leur enfure, très-modérée, très-douce & dégagée de out efprit de parti, ne chercheroit point à étoufer les idées qu'on leur auroit présentées, parce u'elles feroient nouvelles ou oppofées à leurs rincipes ou à ceux du gouvernement: fi elle fe endoit une feule fois coupable d'une infidélité de ette espèce, les militaires ne lui foumettroient lus aucun ouvrage : l'apathie renaîtroit, ou les reffes étrangères feroient bientôt circuler parmi ous toutes les idées qu'il importe de tenir ferètes, à caufe des avantages qu'elles peuvent roduire, ainfi que toutes celles qu'il faut tenir ans le fecret, à cause du mal qu'elles peuvent aire. En attendant le jour où nous verrons une acaémie militaire s'élever au fein de la capitale, & e moment où nous pourrons nous inftruire dans e recueil de fes mémoires, le gouvernement ne ourroit-il pas la remplacer pour l'objet qui nous ccupe, en nommant, pour rédiger un journal nilitaire, quatre officiers renommés par leurs conoiffances & leur impartialité? Ces quatre officiers éunis formeroient une espèce de comité, chargé les mêmes foins que l'académie militaire. Les noices inférées dans ce journal, deviendroient, comme les mémoires de l'académie, la récompenfe des écrivains dont il importeroit de tenir les ouvrages fecrets : les rédacteurs de cet ouvrage périodique adopteroient les mêmes principes que les académiciens, parce qu'ils fauroient, comme eux, qu'on n'arrive prefque jamais, à la vérité, qu'après avoir parcouru prefqu'entiérement le cercle des erreurs; qu'on ne peut être affuré de la bonté d'une idée, qu'après l'avoir foumife pendant long-tems, à la difcuffion publique,

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& que ce font les débats qui produifent les juge ment folides. On croit que ce comité rempliroit non feulement l'objet de fon institution, mais qu'il feroit encore d'un journal militaire, un ouvrage digne d'être spécialement protégé par le gouvernement, & attentivement lu & étudié par tous les officiers français. (Voyez le mot JOURNAL MILITAIRE.)

MENTOR. On fe fert ordinairement de ce mot, dans les troupes françaises, pour défigner un officier qui s'eft volontairement chargé de furveiller la conduite de l'un de fes jeunes camarades ; ce dernier eft défigné par le mot PUPILLE.

Depuis la révolution on ne s'eft guère occupé à donner des mentors aux jeunes gens qui font entrés dans les corps militaires, & ce n'eft pas ordinairement pendant la guerre, au milieu du bruit des armes, dans les camps, dans les marches d'armées, dans les quartiers d'hiver ou dans les cantonnemens, que les anciens officiers auroient pu veiller fur la conduire on l'inftruction de leurs jeunes camarades. D'ailleurs, le fyftème de la destruction & de la déforganisation ayant été regardé comme plus effentiel encore parmi les corps militaires, on imagina de dégoûter, de maltraiter même tous les officiers qui fe trouvoient occuper des places à cette époque, afin de les obliger à les quitter, & de pouvoir les remplacer par des fous-officiers & même des foldats. Dès-lors tout fut livré à la bravoure & fouvent à l'ignorance; mais les grandes maffes animées d'une valeur fans exemple, & peutêtre d'un grand dégoût de la vie de la part des individus qui les compofoient, affurèrent des victoires étonnantes & à peu près continuelles.

Cependant, parmi cette foule d'officiers géné raux & particuliers qui parurent fur la scène pendant la guerre de la liberté, on en diftingua quelques-uns d'un véritable mérite, & qui devinrent des généraux, des officiers d'états-majors & des chefs de corps & de troupe particulière, trèsdiftingués, & ayant profité avec beaucoup de fruit des leçons réitérées de la pratique. Au mo ment donc où l'on va jouir des douceurs de la paix, quelle que puiffe être la constitution militaire que l'on aura la fageffe d'adopter, il fe trouvera dans chaque corps un nombre affez confidérable de jeunes officiers qui auront befoin d'être dirigés & furveillés par des officiers plus âgés & plus expérimentés qu'eux, & c'est à cette époque que l'on doit fentir l'importance de faire revivre la fage inftitution des mentors.

C'eft aux vieillards à diftribuer aux jeunes gens les fruits de leurs études & de leur longue expérience; c'est à eux à les inftruire de la manière dont ils doivent fe conduire, & à leur faire appercevoir les dangers dont le chemin de la vie eft femé; c'eft à eux à s'emparer par de fages confeils, de leur ardeur inconsidérée, & à les former à la vertu, foit par des confeils, foit par des

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exemples. Qu'ils deviennent les amis & les compagnons de ceux qu'ils veulent inftruire. A l'autorité que l'âge leur donne, qu'ils uniffent une indulgence convenable pour la manière de vivre des jeunes gens. Cette condefcendance, loin d'affoiblir le refpect qu'ils méritent, eft le plus fûr moyen de l'augmenter: jamais la vieilleffe ne fe montre avec plus de dignité que quand, tempérét par la douceur & animée par la bonne humeur, elle eft le guide & le confeil de la jeuneffe.

Heureux le jeune homme qui fe fent pénétré d'admiration pour les grands-hommes! Heureux furtout celui qui peut en avoir un pour guide! Ariftide fut peut-être redevable de fon mérite à un excellent citoyen nommé Clyftène, auquel il s'étoit attaché dans fa jeuneffé, et dont les leçons ainsi que les exemples développèrent en lui le germe de tant de qualités fublimes.

S. Ier.

Néceffité d'un mentor.

Il est bien difficile à un ancien officier français, doué de quelque fenfibilité, de ne pas plaindre très - férieusement fes jeunes concitoyens quand il les voit entrer dans la carrière militaire, fans que leurs parens leur aient affuré un ami fage ou un mentor vigilant il fe rappelle les premiers inftans où il vint joindre fes drapeaux, la peine qu'il éprouva au moment où il fe vit, pour la première fois, éloigné des lieux qui l'avoient vu naître, & de toutes les perfonnes qui lui étoient chères, & qu'il n'avoit jamais quittées ; il fe rappelle le vide affreux occafionné par l'abfence de tous ces objets chers à fon coeur, & des larmes qui coulèrent de fes yeux en fe trouvant au milieu de tant de perfonnes qu'il ne connoiffoit point, & dont il n'étoit point connu; il fe reffouvient de toutes les fautes qu'il a vu commettre à fes jeunes camarades, qui erroient Lans guide, dominés par leurs paffions; il fe rappelle toutes les fautes qu'il auroit faites luimême fi fon mentor ne lui eût tendu une main fecourable, & dès cet inftant il croit voir la fanté de fes jeunes concitoyens détruite, leur fortune délabrée, leur ame corrompue, leur honneur flétri. Non, il ne faut connoître ni les paffions qui tourmentent la jeuneffe, ni l'efprit des jeunes militaites, pour ofer abandonner un jeune homine à lui-même en le plaçant dans un corps militaire, au milieu d'objets faits pour le corrompre, dans un âge où les paffions font les plus fougueules, & où la raifon eft fi peu active; dans un moment où tout le pouffe à acheter des plaifirs & à fatisfaire des fantaifies; dans un inftant où il porte pour la première fois un habit qu'il regarde comme le fymbole de la liberté & peut-être de la licence.

Et quand même le jeune homme qui entre

dans un corps, ne feroit ni ébloui par les objets nouveaux qui fe préfentent à lui, ni aveuglé par les exemples qu'il aura fous les yeux, lui fera pas moins important d'avoir un mentor. Il y a dans chaque corps des ufages que le tems y a introduits, fur lesquels les lois fe taifent, dont les fots font jaloux, & que les hom mes fenfés font obligés de fuivre en les méprifant, parce qu'il en résulte quelques légers avantages. Qui enfeignera au jeune inilitaire à obferver ces formalités minutieufes? Qui lui fera connoître ceux de fes camarades dont il doit rechercher l'amitié, ceux qu'il doit voir peu fouvent, ceux qu'il doit éviter avec foin? De ce choix cependant peuvent dépendre, non-feulement fon bonheur & fa réputation, mais encore fon honneur. Qui l'introduira dans les cercles que forme la bonne compagnie ? Qui lui apprendra à diftinguer ceux où il doit defirer d'être admis? Qui lui indiquera la place qu'il doit y occuper? Qui lui apprendra à en connoître les hommes? Qui lui apprendra à fe connoitre lui-même ? Ces connoiflances font toujours tardives & fouvent très-coûteufes quand on les doit à fa propre expérience. Que l'on fe garde donc de faire entrer un enfant dans la carrière des armes avant de lui avoir trouvé un mentor, fi l'on ne veut pas être inquiété dans fa fortune, dans fon honneur & dans fa tranquillité.

S. II.

Du choix d'un mentor.

Préférez pour mentor l'officier dont les mœurs font les plus pures, & qui jouit dans fon corps de la plus grande eftime: les militaires n'accordent ce fentiment qu'à ceux qui le méritent. Préférez celui qui a fu fe concilier l'amitié du plus grand nombre de ses compagnons d'armes ; votre fils aura autant de mentors que fon guide aura d'amis: il apprendra à apprécier l'amitié de fes camarades, & de cette fcience naîtra fon bonheur. Ne choififfez pas un mentor trop âgé: la vieilleffe eft chagrine, fa fageffe eft auftère; elle est ennemie des plaifirs; elle les fuit, & c'est précisément au milieu des plaifirs que le mentor eft le plus néceffaire au pupille; ce n'eft point fous les traits de Neftor que la Sageffe fe montre à Télémaque. Un homme fait peut guider un jeune homme ils ont encore les mêmes goûts l'un & l'autre, & cependant le mentor a affez vu pour être inftruit; il a affez réfléchi pour être fage; il a acquis affez de poids pour en impofer à fon pupille. Sachez quel eft l'officier qui réunit le plus grand nombre de qualités morales néceffaires aux militaires: fachez auffi quel eft celui dont l'efprit, les talens & les connoiffances ont le plus d'analogie avec ceux que l'on defire dans le jeune officier qui entre au service.

§. II.

De la conduite du mentor.

Nous nous bornerons ici à dire que le mentor doit effentiellement s'occuper de faire de fon pupille un homme raisonnable, un citoyen vertueux & un officier initruit & furtout heureux ;

mais les officiers français ne peuvent être heureux que lorfqu'ils fe conciliert l'eftime du public & celle de leurs chefs, l'amitié de leurs égaux, l'amour & le refpect de leurs inférieurs, & ces fentimens précieux, ils ne les obtiennent que lorfqu'ils joignent aux vertus qui conftituent l'honnête homme & le bon citoyen, les qualités & les connoiffances qui font le bon militaire, &c.

Mais vouloir s'appesantir ici sur les moyens employer de la part d'un mentor pour affurer tous ces avantages à fon pupille, ce feroit vouloir entreprendre un traité d'éducation. Qu'on life Télémaque, Rouffeau, les Lettres du lord Schesterfield à son fils, & quelques autres ouvrages de ce genre, & l'on fe fera procuré les idées les plus précieufes fur cet objet.

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Les Mefféniens, campant fans la moindre inquiétude, affectant de méprifer les Spartiates, furent attaqués par Licurgue, qui leur enleva leurs bagages & leurs chevaux.

Le comte d'Artois, en 1302, ayant négligé toute espèce de précaution, & marché à l'ennemi fans prendre aucun ordre, parce qu'il le méprifoit, perdit la bataille à Courtrai.

On pourroit citer une grande quantité de traits femblables, où des généraux n'ont été battus que pour avoir méprifé l'ennemi, & n'avoir pas pris contre lui toutes les précautions dictées par les règles de la plus fimple prudence.

MÉPRIS DE LA MORT. Le courage qui n'a pas le mépris de la mort pour base, est sujet à se démentir. Le mépris de la mort nous infpire un courage au deffus de nos forces; c'est lui qui a opéré la plupart des actes d'héroïfme que l'hiftoire nous a confervés. «< Qui ne craint point la » mort, eft fûr de la donner, a dit avec raison » M. de Voltaire, & avant lui Sénèque.»

L'idée de la mort étant une des caufes les plus faites pour éteindre la valeur, les Lacédémoniens avoient placé les fépulcres dans l'enceinte de la ville, afin que chacun pût fe familiariser avec l'idée du trépas.

La meilleure manière pour infpirer le mépris de la mort, c'eft d'en faire une vertu, & de lui

prodiguer d'autant plus d'eftime, qu'on a plus d'intérêt à l'exciter par l'utilité qu'on en retire: c'eft donc une grande faute, que de faire craindre. la mort aux foldats comme une punition : ou la mort ne fera point d'effet fur lui comme peine, ou elle influera fur fon courage.

Un article des réglemens pruffiens ordonne aux fous-officiers & aux officiers de ne perdre aucune occafion d'infpirer à leurs foldats le plus grand mépris des ennemis, des dangers & de la mort & de percer de leurs épées le premier foldat qui

tentera de fuir.

MÉSINTELLIGENCE. La méfintelligence entre les principaux officiers d'une armée en eft indubitablement la ruine : l'un fait ce que l'autre défait ; ils s'entre barrassent mutuellement, & font naître mille retardemens & difficultés.

Mallius & Epio réunis font trembler les Gaulois: la méfintelligence fe met entr'eux, les Gaulois s'en apperçoivent, les attaquent féparément & les battent complétement.

Pendant la guerre de Sicile, entre les Romains & les Carthaginois, une conteftation s'étant élevée entre les Romains & les Siciliens leurs auxiliaires, fur ce que les Romains prenoient toujours les poftes d'honneur, c'est-à-dire, les plus dangereux, les Siciliens fe féparèrent, & dreffèrent un camp particulier : Amilcar s'en étant apperçu, attaqua les deux camps féparément, les battit, & remporta plufieurs autres avantages.

«La mauvaise bête que c'eft, dit Montluc, » que la méfintelligence, quand elle fe met dans » une armée ! Empêchez-la tant que vous pour»rez, vous qui commandez, car fi une fois elle » a ouvert la porte, il eft mal aifé de la chaffer.

» Je confeillois toujours au roi, dit Montluc, » que comme il entendroit une divifion dans une » armée, qu'il envoyât toujours un prince de »fon fang pour commander, & plus tôt feroit » le meilleur, avant que la divifion puiffe prendre "grand pied; car après qu'elle auroit pris pied » & fondement, & fait que le défordre feroit arrivé, on n'y pourroit jamais donner ordre qu'avec grande difficulté & dommage. »

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Quand on apperçoit quelque méfintelligence parmi les généraux ennemis, on doit, à l'exemple du chevalier Bayard, faire tous fes efforts pour l'augmenter. Pendant la défense de Mézières, il apprend qu'il y avoit quelque méfintelligence entre le comte de Naffau & Sickenghen, généraux de l'empereur pour l'augmenter & leur infpirer une méfiance mutuelle, il écrivit à Lamark une lettre qui devoit tomber entre les mains de Sickenghen, par laquelle il le prévenoit d'avertir le comte de Naffau qu'il ne pouvoit trop fe hâter de quitter. le fervice de l'empereur pour celui du roi, parce qu'il devoit être attaqué par des forces fupérieures, aux fiennes. Cette lettre étant tombée entre les mains de Sickenghen, il fe 'crut trahi. En con

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