Imágenes de página
PDF
ePub

jugement quelconque, peut s'expatrier ou même feulement s'éloigner de la commune dans laquelle on a rendu le jugement. Les grandes communes, la capitale, lui cffriront un afyle affuré, & s'il est d'ailleurs bien élevé, & avec l'apparence de la probité, furtout encore s'il a de la fortune & de l'amabilité, il fera reçu partout avec empreffement; fi au contraire c'eft un artifan, que lui importera le jugement d'un confeil de guerre qui l'aura déclaré infâme; il n'en trouvera pas moins partout à faire des fouliers, des ferrures ou des portes, femblable à ce cocher de place, qui, condamné à être blámé par le parlement, fe moqua du blâme de la cour, après s'être affuré que ce blâme ne l'empêcheroit pas de conduire fon fiacre on a vu autrefois des foldats paffer par les verges pour obtenir leur liberté. Qu'auroit pu fur l'efprit de ces mêmes hommes un mal d'opi

nion?

Il est donc important d'être infiniment fobre fur l'emploi des punitions qui tirent leurs force de l'opinion: on pourroit au plus les réserver aux hommes qui font cas de l'eftime de leurs concitoyens, & le nombre en feroit bien petit, car on trouveroit rarement des lâches parmi de pareils hommes.

On doit auffi obferver que l'homme qui par sa lâcheté auroit encouru l'infamie, peut néanmoins être un bon père, un bon mari, un bon fis, un bon citoyen même, un excellent artiste, artifan ou agriculteur, & l'on ne conçoit pas comment les anciens pouvoient porter la peine d'infamie contre les lâches, quand tout foldat devoit être citoyen, & qu'il pouvoit fe trouver des foldats fans bravoure & qui ne fuffent pas coupables. Le même cas pourroit le rencontrer dans vos troupes, qui actuellement fervent toutes en vertu de la loi, & prefque jamais de bonne volonté Comment oferiez-vous me punir de manquer de bravoure, pourroit dire le réqu fitionnaire ou le confcript, vous qui m'avez fait marcher malgré moi, fans me confulter, & affez fouvent fans avoir trouvé e : moi aucun des caractères qui doivent conftituer un foldat? D'après ces obfervations, on pourroit donc fe permettre la peine de l'infamie, feulement contre les officiers ou contre les foldats qui fe fe roient engagés volontairement, & beaucoup mieux encore peut-être contre les traîtres & les voleurs, leurs fautes étant l'effet de leur volonté ; mais vis-à-vis des hommes d'une claffe inférieure, la peine de l'infamie devroit être accompagnée d'une peine phyfique, qui fût capable d'intimider les hommes foibles ou vicieux, & de les décider à ne pas s'y exposer.

INGÉNIEUR. Nous allons nous fervir ici, en très-grande partie, des idées d'un officier-général, auquel on ne tardera pas fans doute a rendre toute la juftice qu'il mérite, fes antagonistes n'ayant plus à craindre fes obfervations, fa perf

picacité & fes lumieres, depuis que le tombeau renferme les reftes d'un homme de génie trop long-tems perfécuté dans fa patrie, tandis que les étrangers recherchoient fes ouvrages, applaudiffoient à fes découvertes & s'empreffoient d'en profiter.

On a prétendu depuis long-tems, que les ingénieurs en France étoient les jéfuites du militaire: l'intrigue a perdu ces derniers. Les ingénieurs, remplis d'une égale confiance dans leur ascendant, en abufent, on pourroit le dire, avec une extrême indifcrétion; ils perfiftent à fe maintenir dans des principes, d'où il ne résulte que des dépenses confidérables & de mauvaises places : erreurs foutenues par la profondeur des connoiffances qu'on attribue mal à propos à tous les membres de ce corps; ils s'oppofent avec hardieffe à tout ce qui pourroit être exécuté de meilleur; mais un jour viendra où la vérité percera enfin, & cette épo que fera celle de la chute de ce corps. Dès ces officiers s'en tiennent au tracé baftioné, donc les proportions font généralement connues, que faut-il dans chaque place? Un architecte pour diriger, & un entrepreneur pour conftruire. Voudroit on s'aflurer d'une parfaite exécution? qu'on la confie aux ingénieurs des ponts & chauffees; ils ont fait leurs preuves dans les ouvrages les plus difficiles.

que

Mais à quoi s'occupent tant d'officiers élevés en grades? Ils n'ont d'autres fonctions que celles de fe promener fur les travaux, de toifer les maçoner:es exécutées, les déblais & les remblais de terre, &c. toutes fonctions qui peuvent être parfaitement remplies fans être chef de brigade ou general de brigade, & dont un fimple p queur d'ouvriers s'acquittera parfaitement. Un ingénieur n'eft officier qu'autant qu'il remplit des fonctions relatives à la guerre : or, pour remplir ces fonctions comme ingénieur, il faut donner des moyens d'atfurer les fuccès dans la défense comme dans l'attaque, & fi ces prétendus officiers ne donnent aucun moyen nouveau & n'en pratiquent que de très infuffifans, on n'a plus befoin d'eux. C'eft pourtant de cette feule façon qu'on doit confiderer des êtres paffifs qui ne produisent rien; en core s'ils avoient voulu s'occuper à reculer les bornes de l'art de manière à créer fucceffivement d'autres nouveautés de plus en plus utiles, on fe feroit convaincu que de telles fonctions ne peu vent être remplies que par des perfonnes douées du génie néceffaire pour les produire, n'ayant pas droit de les attendre d'un maçon ou d'un ouvrier mécanique, qui ne peut ou ne veut rien inventer.

[ocr errors]

Les officiers du génie ont rempli d'importantes fonctions dans l'attaque des places, & toujours avec beaucoup de valeur. Les fapes qu'ils ont di rigées, les ont expofés à un péril imminent, mais les fapeurs doivent être du corps de l'artillerie. C'est donc une fingularité très-grande, que ce ne foit pas les officiers d'artillerie qui commandent

les

les foldats qui font habitués à être fous leurs ordres, & l'on ne peut douter qu'ils ne fuffent encore mieux conduits par leurs propres officiers, que par des étrangers qu'ils ne connoiffent pas, & dont ils ne font pas connus. L'instruction des officiers d'artillerie eft au moins égale à celle des officiers du génie ; ils font donc égaux dans les qualités néceffaires pour remplir de pareilles fonctions; bravoure & inftruction; ainfi l'on ne peut douter que, dans l'attaque des places, ils ne remplacent très-dignement les ingénieurs.

Cette affertion paroîtra exagérée peut-être à quiconque aura lu le difcours de l'ingénieur Bueaux-de-Pufy fur le corps du génie, imprimé en 790, par ordre de l'affemblée nationale; ils croiont difficilement qu'il puiffe exifter un autre corps empli d'autant de connoiffances.

L'objet de Bureaux-de-Pufy étoit d'obtenir que es corps de fapeurs, de mineurs, des états-majors des rmées, des ingénieurs de la marine, des ingénieurs éographes & de ceux des affaires étrangères fuffent apprimés, & toutes leurs différentes fonctions atribuées au corps du génie.

nous avons habituellement en France, graces au corps du génie, trois ou quatre cents Leibnitz qui gémiffent de végéter dans les détails bornés & monoto nes de l'entretien des fortifications; et comme le feul moyen d'exceller dans un art, c'eft d'en épuifer toutes les combinaifons, ils afpirent avec juftice, non pas à conftruire, à défendre ou à attaquer des places de guerre, ainfi que le comporte leur inftitution (devenue inutile d'après la manière dont la confidère l'orateur), mais à exercer exclufivement tous les états qui ont pour base ou pour fil directeur quelque notion mathématique ou quelques élémens de phyfique (ainfi ils ne veulent plus être ingénieurs, les mathématiques & la phyfique ne pouvant leur fervir à rien pour cette fcience des places).

Selon l'orateur, l'algèbre, la géométrie, le calcul infinitéfimal enfeignés à Mézières (ou plutôt qu'il faut savoir en y entrant, ce qui n'eft pas vrai), ne font que la clef des fciences auxquelles l'apprenti ingénieur doit fe livrer à Mézières. Ainfi ce qu'il y a de plus fublime, de plus tranfcendant dans ces connoiffances, n'eft que l'A B C de celles néceffaires pour devenir ingénieur, c'està-dire, être capable de tracer des fronts baftionés, & faire conftruire des murailles de dix à douze pieds d'épaiffeur, tels que font les revêtemens de toutes les terraffes de nos jardins, parfaitement conftruites par des maçons qui n'ont aucune idée du calcul infinitéfimal.

Un ingénieur, dit l'orateur, n'eft reçu à Méières qu'après un examen rigoureux fur l'arithétique, l'algèbre, la géométrie, le calcul infiitéfimal, la mécanique, l'hydraulique & le deffin. Ces études ne font encore que la clef de celles uxquelles il doit fe livrer pendant fon féjour à école; il y apprend la stéréotomie, la coupe des ierres (1), la charpente, l'architecture civile, la héorie des ombres, la perfpective, l'art de lever es plans, des cartes, de faire des reconnoiffanes, le nivélement, l'architecture militaire, c'eft-fitions des armées, d'où fuivroit la fuppreffion des -dire, l'art de projeter, de tracer, d'eftimer, de onftruire & de toifer les ouvrages de fortification; nfin, les procédés de l'attaque & de la défense es places.

On fe courbe avec refpect devant cette pomeufe collection de fciences & d'arts, & l'on a eine à concevoir comment un feul homme, en quatre ou cinq ans, a pu s'approprier une théorie uffi compliquée. L'étonnement redouble lorsque 'orateur ajoute que l'inftruction fur ces diverfes arties eft pouffée jufqu'à la connoiffance, & même l'application des moindres détails; qu'il eft imoffible de traiter les plus importans de ces objets ans y mêler des leçons étendues fur la théorie des nines, fur les retranchemens des poftes & des camps à la guerre, fur les fciences des mouvenens & des grandes pofitions des armées; enfin, que des cours de phyfique & de chimie forment le complément de cette éducation encyclopédique.

Tel étoit Léibnitz lorfque, comme le dit Fontenelle, il menoit toutes les fciences de front, &

(1) L'ingénieur Bureaux-de-Pufy auroit dû favoir que la ftéréotomie eft la science qui traite de la coupe des folides, & conféquemment des pierres.

Art Militaire. Suppl. Tome IV.

L'orateur veut épuifer toutes les combinaisons de l'art, galimathias inintelligible, afin de pouvoir comprendre dans les combinaifons enfeignées à Mézières, la fcience des mouvemens & des difpo

états-majors pour en charger le corps du génie.

Cependant, felon cet ingénieur, ne faifant que végéter dans les fonctions de l'entretien des fortifications, toutes leurs connoiffances deviennent inutiles à des ingénieurs, & d'autres moins favans qu'eux peuvent les remplir parfaitement. L'état ne doit donc plus tenir dans fes places pour y végéter, huit ou dix ingénieurs qui fe trouvent réunis dans chacune, tandis que les ingénieurs des ponts & chauffées pourroient être chargés de l'entretien de toutes les places.

Nous avons vu combien les ingénieurs étoient déplacés dans l'attaque des places & à la tête des fapeurs, où il faudroit préférer des officiers d'artillerie.

Quant à la défenfe des places, on ne peut nier qu'ils ne foient d'une bien moindre importance que les officiers d'artillerie, furtout encore fi l'on adoptoit les principes de l'art défenfif, où l'artilJerie joue un fi grand rôle.

Par quel moyen donc ce corps s'eft-il élevé fi haut, que les miniftres même craignent de l'indifpofer?

On verra qu'avant l'ordonnance du 31 décembre 1776, les ingénieurs de France, depuis leur origine, n'avoient été connus que fous les défignaVvvv

tions de directeurs de départemens, & de directeurs particuliers; enfuite ils furent qualifiés d'in génieurs ordinaires du roi.

les fixe nfuite, 10,000 liv. & les trois derniers 90co liv. chacun, en tout onze directeurs, dont un employé auprès du miniftre de la guerre. Et On fait que, par l'ordonnance du 8 décembre pourquoi faire ce corps fi nombreux & fi coûteux 1755, les ingénieurs furent réunis au corps de d'officiers, pour préfider aux réparations des rel'artillerie; mais il convenoit trop peu à leur am- vêtemens de nos places de guerre (qu'il faut bition de fe trouver confondus, & faire partie prefque toutes, où changer, ou détruire) & à d'un corps bien plus nombreux, dans lequel ils celles de leurs cafernes, ce que l'ingénieur Pufy ne pourroient jouer qu'un fecond rôle. Ils obtin-appelle fi juftement végéter, de façon que tous s'ac rent bientôt d'être féparés par une autre ordon-quittant également bien de fonctions auffi aifées nance du 5 mai 1758. Le nombre des ingénieurs que minutieufes, on ne peut contester à aucun incorporés dans l'artillerie avoit été fixe à cent d'eux le droit d'arriver à fon tour aux premiers dix-neuf, dont vingt-deux ayant le titre de direc-grades de la milice? teurs particuliers des vingt-deux départemens, un de plus pour la Baftille, qui formoit feule un département, & quatre-vingt-feize directeurs particuliers.

L'ordonnance du 5 mai 1758, en féparant les ingénieurs de l'artillerie, en fixa le nombre à vingttrois directeurs de départemens, & à cent trois directeurs particuliers; dans ce nombre, pas un feul officier-géneral, quatre dire Єteurs-brigadiers, fept colonels, fept lieutenans - colonels & cinq capitaines.

Nous étions en guerre depuis le commencement de 1757, & ce nombre avoit été suffisant pour en fournir aux armées & à toutes les places en France où il devoit y en avoir.

Cependant, par l'ordonnance du 10 mars 1759, le corps fut porté tout-à-coup à trois cents, fans raifon pour en augmenter le nombre (encore les cent foixante-onze ingénieurs d'augmentation ne pouvoient l'être que de nom, puifqu'ils n'avoient pas pu acquérir à Mézières cette foule de fciences indifpenfablement néceffaires pour être ingénieur, fuivant l'orateur Bureaux-de-Pusy ).

Voici maintenant ce que coûtoit ce corps en décembre 1776.

Une Brigade.

I Chef de brigade
I Sous-brigadier.
1. Major....
1er Capitaine en 1er.

cr

....

Appointemens.

4,8001

3,300

3,000

2,400

6,000

1,600

[ocr errors]

3,240 2,4col.

3 Capitaines en 1er, à 2,000 l....
1 Capitaine en 2d.

4 Capitaines en 2d, à 1,350l....
3 Lieutenans, à 1,c80 l..

3 Sous-lieutenans, à 8co liv.....

Total, 18 offic. coûtant.. 32,1401.

21 Brigades, 378 officiers....... 674,940!. Directeurs, 2 à 12,cool. 24,cool.) 6 à 10,000 60,000 >111,000 3 à 9,000 27,000

TOTAL... 389 officiers....... 785,9401.

La compofition précédente du génie, & qui étoit très-fuffifante, ne coûtoit que 140,000 liv. Le 14 ventôfe an 3, le corps du génie fut porté à quatre cent trente-fept officiers, y compris ceux des mineurs.

Enfin le comte de Saint-Germain, qui avouoit n'avoir jamais porté fes regards jusqu'au génie, s'en rapportant aux officiers de ce corps, fit pour eux l'ordonnance du 31 feptembre 1776, qui les inftitue corps-royal du génie, quoiqu'ils n'euffent aucun foldat fous leurs ordres, à quoi ils imaginèrent fans doute de fuppléer en fe divifant en vingt-une brigades compofées feulement d'officiers, & commandées par des directeurs - brigadiers d'infanterie de droit. Ainfi ils eurent plu- Le 4 brumaire an 4, il fut porté, à caufe de la fieurs brigadiers des armées, vingt-un colonels, réunion de la Belgique, à quatre cent cinquante vingt-un lieutenans-colonels, vingt-un majors & officiers; favoir: huit infpecteurs, trente-quatre trois cent quinze capitaines, lieutenans ou fous-directeurs, foixante- huit fous - directeurs, deux lieutenans, chaque brigade étant compofée de cent foixante capitaines, quatre-vingts lieutenans, dix-huit officiers; mais en 1787 on voyoit dans parmi lesquels cinq généraux de divifion, dixgece corps feize maréchaux-de-camp & onze bri-néraux de brigade, cinquante-trois chefs de bri gadiers, dont plufieurs décorés de la grande croix de Saint-Louis & du grand cordon, tandis qu'à la même époque le corps de l'artillerie, compofé de neuf cent trente-deux officiers, n'avoit que treize officiers-généraux; & afin d'ajouter l'utile à l'honorifique, on ne manqua pas d'affigner à ces premiers grades des appointemens confidérables; favoir: aux deux premiers directeurs, 12,000 liv.;

gade, quatre-vingt-neuf chefs de bataillon, &c.

Mais depuis l'extenfion de la France jufque fur la rive gauche du Rhin, le corps du génie, toujours fi ardemment occupé de fon agrandiffement, ne manquera pas de folliciter & d'obtenir une aug. mentation confidérable.

Avant l'ordonnance de 1776, les avancemens ne pouvoient fe compter qué par le nombre des

fiéges que chaque officier avoit faits, & non par le nombre d'années d'ancienneté; réglement d'autant plus fage & jufte, que les fieges font les feuls fervices militaires de ces officiers (& nous avons vu qu'ils y étoient inutiles); mais cette loi fut fupprimée, pour la remplacer par celle de l'ancienneté dans le corps.

Ainfi du fuccès que les puiffans du corps ont eu dans ce nouvel ordre de chofes, il est réfulté la retraite de divers fujets à la tête du corps, qui avoient pour eux tout ce qui peut établir la réputation & le mérite d'un ancien officier; ce qui laiffe craindre pour l'avenir, que les meilleurs & les plus habiles, ne s'occupant que de leur état, ne foient expulfés par les plus protégés & les moins capables.

Ce corps, devenu auffi puiffant & auffi defpotique, a influé puiffamment fur toutes les décifions qui pouvoient l'intéreffer.

Ainfi, par ce dernier réglement, la loi de l'avancement dans ce corps ne fe règle plus que par un choix' arbitraire. Et qui fera ce choix? Ne fera-ce pas toujours le petit nombre de ceux qui auront fu fe rendre maîtres de toutes les décifions relatives au corps. Des membres d'une telle affociation ne perdent pas un feul moment leur objet de vue ; fans ceffe ils donnent des mémoires, & follicitent pour ce qu'il faut faire ou ne pas faire en faveur du corps. L'habitude de les entendre entraîne l'habitude de les croire; eux feuls font écoutés, eux feuls font confultés : un ou deux officiers peuvent tout conduire (on l'a vu par M. Fourcroy, on l'a vu par M. Darçon ). Leurs affiliés fe bornent à les laiffer faire, en difant toujours comme eux : par cette déférence, ils font fûrs de leur avancement, & de parvenir, hors de leur rang, aux premières places du corps.

Dans une inftitution pareille, pourquoi s'occuperoit-on de l'art? Il fuffit de plaire aux chefs, & un des moyens auxquels ils font le plus fenfibles, c'eft celui de les convaincre qu'on n'en fait & qu'on n'en veut jamais favoir plus qu'eux.

C'est par cette politique égoïfte qu'on voit les principaux chefs conftamment occupés à intimider, & même à punir ceux qu'ils ne trouvent pas entiérement foumis à leur opinion, & furtout ceux qui ofent en manifefter de différentes.

L'ingénieur Lafauvagère, homme d'efprit, pour avoir approuvé les méthodes du géneral Montalembert, fut obligé de quitter le corps, après y avoir éprouvé les plus grandes injuftices.

L'ingénieur Carnot, le même que l'on a vu directeur, & dans ces derniers tems miniftre de la guerre, avoit reçu dans fon corps la punition la plus rigoureufe, pour avoir donné aux méthodes du général l'approbation la plus complète.

Ce même officier, dans un mémoire adressé à l'affemblée en 1789, lui difoit:

Vous voyez de quelle importance, il eft de

» lever des barrières puiffantes pour fuppléer au » nombre des troupes: d'où naît la diftinction entre les troupes pour la défenfe des places, & » celles pour agir activement.

[ocr errors]

» La perte des places actuelles ne feroit pas bien grande, vu l'état de dégradation de la » plupart & les mauvais principes du fyftème baf» tioné, fuivant lefquels elles ont été originaire»ment construites; mais avec une dépense mé»diocre on peut, de très-mauvaises qu'elles font, » les rendre excellentes, en fuivant la méthode » des cafemates perfectionnées, l'une des plus » heureuses découvertes qui ait été faite relative»ment à cet objet.

En vain les avantages de cette favante théorie furent-ils démontrés par des expériences qui eurent le plus grand fuccès. Ses détracteurs, non- feulement refufèrent de fe rendre à des preuves fi évidentes, mais encore ils ne rougirent pas de foutenir obftinément leur opinion au grand détriment de la chofe publique.

Ces hommes fans pudeur abufèrent de l'ignorance des miniftres, qui n'ont jamais le courage de prendre fur leur compte même les meilleurs projets lorfqu'ils n'ont pas reçu des ordres fupérieurs, ou qu'ils n'ont pas la conviction que cela plaira au maître.

Mais comment, dira-t-on, des moyens fi fimples, fi palpables, fi importans à la défense de l'empire n'ont-ils pas excité des réclamations univerfelles? Comment des principes fi bien établis par la théorie, confirmés par tant de faits authentiques, avoués par les adverfaires eux-mêmes, peuvent-ils encore trouver des contradicteurs?

Par la même raifon que les découvertes de Loke & de Newton ont eu tant de peines à éclipfer les brillantes erreurs de Defcartes & de Mallebranche, très-peu de perfonnes font une étude particulière de la fortification. Cette branche de l'art militaire eft toute concentrée (mal à propos) dans le corps du génie, dont les opinions en ce genre fervent de règle conftante, fans qu'il foit trop décider contr'un corps dont la réputation eft poffible de s'en défendre: un miniftre même n'ofe

établie.

1

Mais en France, le corps du génie eft affervi d'une manière étrange aux volontés d'un feul chef qui réfide auprès du miniftre de la guerre. Les officiers particuliers font tellement dépendans de ce chef, & fon influence eft fi grande fur le fort des individus, qu'il y auroit le plus grand danger pour eux d'avoir une opinion différente de la fienne. Il eft défendu à ces officiers de rien faire imprimer fur leur métier, qu'il n'ait paffé fous les yeux du miniftre, c'est-à-dire, du chef du génie. Tous les mémoires manufcrits font également foumis à fon jugement. Comment fe pourroit-il, avec un pareil régime, que les opinions, particulières ne devînffent pas l'opinion générale, & que toute étincelle de génie partant d'un offV vv v 2

cier fubalterne, ne fût étouffée à l'inftant même fi elle contrarie les opinions de fon chef, ou fi elle peut procurer à fon auteur un peu trop de confidération; auffi les officiers fubalternes avoient ils nommé M. Fourcroy l'éteignoir.

vent donné à réfoudre? Faut-il réunir le génie à l'artillerie?

Au moment où la révolution' éclata, les officiers du génie de la garnifon de Lille voulurent, comme les autres, ellayer de fortir de l'oppref-le moins inftruit, ils ne font que de ferviles imifion; ils recurent de leurs directeurs, défense expreffe de s'affembler ; ils prirent alors le parti de fe communiquer leurs idées par des lettres, & ils arrêtèrent le mémoire à préfenter à l'affemblée. La première chofe propofée dans ce mémoire, c'est d'abjurer le fatal efprit de corps, de demander la réunion avec les autres corps de l'armée, dont les fonctions, analogues aux leurs, ne font qu'occafionner des rivalités & des doubles emplois. Ils demandent enfin un comité militaire, où foient difcutées impartialement les théories nouvelles propofées, foit par eux, foit par des perfonnes étrangères à leurs corps, & que toute autorité prépondérante foit écartée de ce comité, afin que les opinions puiffent être énoncées & recueillies librement fur chaque article.

Sous un régime defpotique, tel que celui qui gouverne le génie, combien n'eft-il pas difficile de voir le bien s'opérer? C'est à ce defpotifme feul que l'on doit les dépenfes énormes faites pour les fortifications & le mauvais état de prefque toutes les places de l'empire, tandis que l'on gagneroit tant à mettre à exécution les projets du général Montalembert.

Un feul homme, ou peu inftruit, ou mal-intentionné, placé auprès du miniftre, de vient jaloux de fon ombre pour conferver fa place, il s'oppofe à toutes les nouveautés qui pourroient faire croire qu'il exifte des lumières fupérieures aux fiennes, &, en employant fa faveur à empêcher le bien, il obtient toutes les graces au détriment de ceux qui feroient en état de le faire.

Ne ceffons de le répéter: Puifque les officiers du corps du génie font profeffion de ne rien inventer, & de ne confentir jamais qu'à faire exécuter des fronts baftionés, dont le tracé, toujours le même, fe trouve à la portée de l'homme tateurs leur génie n'y peut participer en rien; celui-là donc fera habile ingénieur, qui faura planter det piquets à l'angle flanqué des baftions, aux points de lection des lignes de défense fur la perpendiculaire élevée fur le côté du polygone & à chaque extrémité des flancs, en obfervant entre ces piquets les proportions mifes en usage par fes prédéceffeurs; alors tout fera fait, quant à l'opé ration théorique; reftera celle mécanique, à laquelle il ne fera propre qu'autant qu'il aura les connoiffances d'un bon maçon, connoîtra la bonne qualité de la pierre deftinée à former les revête mens, connoîtra la bonne compofition de la chaux, & faura comment la pierre de taille & le mcelon doivent être unis enfemble pour faire de la bonne maçonnerie. Il pourra même ignorer la coupe des pierres, les officiers du génie étant toujours fuppléés par des appareilleurs très exercés dans la pratique de cette opération, & bien plus qu'aucun ingénieur, quelque étude de stéréotomie qu'ils aient pu faire à Mézières, & dont Bureauxde-Pusy á parlé fi improprement & fi emphatique

ment.

D'après ces obfervations, que l'on peut pouffer jufqu'à l'évidence mathématique, le comité que l'on vient de propofer, n'auroit pas une grande peine à réfoudre le problême fi important fur le parti que l'on doit prendre relativement au corps du génie.

Cependant il ne faut pas croire que ce corps fe foumit facilement à l'opinion publique qui folliCréez donc un comité compofé de deux offi- cite leur fuppreffion, et convint des avantages ciers du génie, deux de l'artillerie, & cinq offi- qu'en retireroit l'art lui-même, dont les progrès, ciers-généraux des troupes de ligne, & chargez-dans la partie fi effentielle des tortifications, ont le d'examiner s'il n'eft pas infiniment intéreffant, pour le bien du fervice & pour une grande économie, de fondre le corps du génie dans celui de l'artillerie.

Pourquoi conferver un corps qui, par principe, ne veut rien perfectionner dans l'art qu'il profeffe?

trouvé, depuis M. de Vauban, de tels obftacles de la part des chefs du génie, qu'ils ont été forcés de refter ftationnaires. Le public ignore d'ailleurs combien, dans ce moment, le corps du génie intrigue, prêche, parle, écrit pour s'opposer à fa réunion au corps de l'artillerie. Nous nous bornerons à mettre fous les yeux du lecteur quelques Des architectes, des entrepreneurs ou des ingé réflexiors fur un écrit qui vient de paroître, nieurs des ponts & chauffées exécuteront parfai- pour faire fentir les inconvéniens de la réunion en tement les revêtemens & les autres conftructions.queftion, écrit qui a fait le plus de fenfation, Et fi l'artillerie doit jouer le plus grand rôle dans la défense des places, à quel autre corps que celui de l'artillerie faut-il confier une théorie que lui feul peut entendre, & en faciliter l'exécution? Jufqu'à préfent ils font tout pour la défenfe, & ne font rien pour la préparer.

Comment héfiter, après des raifons auffi fortes, dans la manière de réfoudre ce problême fi fou

même fur des hommes inftruits & impartiaux, mais n'entendant rien à la question que l'on agite à ce fujet.

L'ouvrage dont nous voulons parler eft compofé par un officier du génie & intitulé Mémoire fur la réunion de l'artillerie & du génie, adresse au premier conful de la République française. An 9, 1800. I eft divifé en trois parties, & contient

« AnteriorContinuar »