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fomption & l'inexpérience de Varron contribuèrent à la victoire remportée par Annibal; mais on n'examine peut-être pas affez jufqu'à quel point le général carthaginois fut profiter des fautes de fon adverfaire; & on laiffe échapper la connoiffance des progrès, ou plutôt des développemens de la fcience militaire, à chaque bataille livrée par Annibal. En effet, la faute de Varron d'avoir fait paffer l'Aufide à toute fon armée, & d'avoir pris un champ de bataille trop reflerré; celle qui s'enfuivit de changer la dif pofition ordinaire des légions & de leurs divifions, en augmentant leur profondeur & refferrant les intervalles, dûrent faciliter les fuccès d'Annibal. Mais fuivez attentivement ce général dans la manière dont il arrange fon armée, & dans fes d fférens ordres, foit avant foit pendant L'action, & partout vous verrez des progrès dans l'art militaire. Il forme les flancs de fon infanterie avec fes foldats africains, auxquels il avoit pris la fage précaution de faire adopter les armes romaines & la manière de s'en fervir fon centre expofé à l'élite des légions, il le compofe avec des Gaulois & des Efpagnols, fur lefquels il devoit le moins compter; il met fa cavalerie fur fes ailes, mais il oppofe fes numides très-peu nombreux à la cavalerie ennemie des alliés très- nombreufe, & à celle des Romains qui étoit en petit nombre; il met en ête la cavalerie gauloife & efpagnole bien plus forte.

Jufqu'ici les deux armées ne paroiffent avoir aucun avantage, & les difpofitions d'Annibal

voyant que le centre des Romains fuivroit fa pointe & perceroit fa ligne, avoit rallié autour de fes troupes légères tout ce qui s'étoit échappé du centre enfoncé, & attendoit en referve de pouvoir tomber fur tout ce qui fe préfenteroit, afin de le culbuter à fon tour. Ce ne fut pas en vain ; bientôt le centre des Romains enfonça entiérement celui de l'armée Annibal, qui par l'impulfion reçue forma forcement deux obliqnes; alors les Africains faifant un léger demi-quart de converfion fur la droite. & fur la gauche, fe trouvèrent bientôt à portée de la droite & de la gauche de l'infanterie romaine, & la chargèrent en lançant leur pilum & mettant enfuite l'épée à la main, à la manière des Romains, dont Annibal leur avoit donné les armes; dès cet inftant, l'espèce de coin informe des Romains fe trouva pris dans une espèce de tenaille, Pendant tous ces mouvemens, la cavalerie numide avoit contenu celle des alliés; mais bientôt celle d'Asdrubal qui avoit battu & mis en déroute celle de la droite des Romains, en revenant prit l'infanterie romaine à dos, lui ôta tout efpoir de défenfe, & fe joignit au refte de l'armée pour en partager & completer la défaite.

paroiffent même repréhenfibles; mais Varron a entailé fes troupes les unes derrière les autres fans projets; Annibal au contraire a combiné deux moyens, avec lefquels il efpère s'allurer la victoire. Le premier eft un mouvement or donné à fa cavalerie, fi elle réuffit à enfoncer celle de l'aile droite des ennemis ; le fecond une manoeuvre projettée avec fon centre, pour mettre les légions en défordre, ou les expofer à être attaquées fur leurs flancs par fes vieilles troupes.

D'ailleurs, quelle que fût l'inexpérience & la mauvaise conduite de Varron, Annibal avoit encore befoin de toute fa fcience, pour vaincre les Romains qui étoient deux fois plus nombreux, & qui ne cédoient à fes foldats ni en bravoure ni en difcipline.

Comme l'avoit prévu le général carthaginois,

la cavalerie de fa gauche renverfa celle des Romains; & vint enfuite prendre l'infanterie romaine par derrière. Quant à la cavalerie numide, elle avoit parfaitement réuffi à contenir celle des alliés des Romains, qui lui étoit oppofée, & l'avoit enfuite mise en fuite, aidé par celle de l'aile gauche victorieuse.

Pendant ces actions de cavalerie, le centre de l'armée d'Annibal forme une ligne convexe; cette ligne en cédant à l'effort du centre des Romains l'entraîne avec elle; en s'avançant ainfi, les foldats refferrent leurs intervalles; accou tumés à un espace de fix pieds pour le maniement de leurs armes, leur épée leur devient inutile, tellement ils fe trouvent ferrés, ils fe difputent le terrein les uns aux autres, la confufion s'en mêle, & Annibal pour remporter une victoire complette, fur des ennemis fans défense, se prefente devant le centre des Romains, faifant une pointe, & fait charger les deux flancs de cette ligne par fes Africains, au moment où fa cavalerie victorieufe vient la prendre par derrière.

Voudra-t-on bien obferver & convenir que jufqu'à la bataille de Cannes, nous n'avons vu aucun exemple des manoeuvres employées par Annibal. Nous avons vu quelquefois la cavalerie victorieufe dans une aîle, tourner la ligne ennemie & venir attaquer l'autre par derrière. Ici au contraire, la cavalerie victorieufe vient fe joindre à celle qui étoit fur la défenfive, afin de faciliter la défaite de cele qui lui étoit oppofée & plus forte, & pouvoir fe mettre enfuite en mefure, pour attaquer les flancs & les derrières de l'ennemi. Quant a l'infanterie, comment ne pas admirer la manoeuvre de ce centre, qui commence à attaquer fans aucun rifque, avec ordre de fe replier pour se faire

fuivre par les ennemis, & les forcer par-là de prendre une forme qui devoit affurer leur perte.

Après cette victoire, la fortune d'Annibal commença à fe rallentir, & il fe trouva dans l'impoffibilité de donner de nouvelles preuves de fes talens militaires, par l'entêtement du fénat de Carthage, dans lequel il avoit des ennemis, qui refufa obftinément de faire les moindres efforts pour le foutenir. D'ailleurs, ainfi forcé, par des événemens auxquels on ne réfifte pas, a s'arrêter au milieu de fes victoires, bientôt après il fut obligé de repaffer en Afrique pour y défendre Carthage.

SCIPION. Les généraux oppofés aux Carthaginois en Italie, à l'exception de Fabius, étoient rès-inférieurs à Annibal; mais Scipion qui devoit in jour le combattre, déployoit alors en Efpagne in grand courage & de grandes connoiffances nilitaires. Il s'étoit d'abord emparé de la nourelle Carthage, d'après des calculs & des opéations qui ne peuvent apparenir qu'à un grand omine de guerre, il avoit profité de la faute les Carthaginois, qui croyant cette place affez ien défendue par une garnifon de mille hommes, voient féparé leur armée en trois divifions, lont la plus voifine en étoit à dix jours de narche.

Enfuite après la défaite d'Ahnon, malgré fon nfériorité en force, Scipion ayant fu Afdrubal ampé au pied d'une montagne, proche d'Élingue, étoit hâté d'affembler des troupes pour aller -devant de lui. Cependant fon armée le trouoit en grande partie compofée d'Espagnols, oupçonnés d'être affectionnés aux Carthaginois; falloit donc attendre de fon génie feul & de fes talens, les moyens de combattre une armée le double plus forte, avec des troupes dont à peine pouvoit-il compter fur la moitié. C'eft encore ici, où en examinant la manière dont fe comporta Scipion, le militaire attentif trouve à chaque pas une conduite nouvelle & une manière de tirer parti des lieux, des perfonnes & des événemens, qui font autant de preuves des progrès fenfibles de l'art militaire.

Afin de refter impénétrable aux yeux de ceux qui l'entourent, Scipion, malgré l'embarras de fa pofition, unarche hardiment en avant; bientôt il eft inftruit de la pofition du camp d'Afdrubal. Une grande plaine qui étoit devant, fembloit avoir été chcifie par te général pour fon champ de bataille; mais en traverfant cette plaine on rencontroit à fa droite, environ à une lieue de l'ennemi, quelques hauteurs qui bornoient la vue de ce côté; pour un officier ordinaire, cet accident local n'auroit eu rien d'intéreffant. Obfervez néanmoins la manière dont Scipion

fait en tirer parti; il détache la plus grande partie de fa cavalerie, avec ordre d'aller fe cacher derrière ces hauteurs, & il il dirige fa marche pour aller occuper le terrein qui avoifineroit la pofition dont alloit s'emparer fa cavalerie.

Arrivé avec fon armée, il en emploie une partie, felon l'ufage des Romains, à tracer les lignes de fon nouveau camp, mais il a des vues bien plus étendues; pour en affurer le fuccès, néglige en apparence de prendre les precauil tions neceffaires & ufitées pour couvrir fes travailleurs, espérant bien qu'Afdrubal ne manqueroit pas de vouloir profiter de cette négligence. Tout arriva comme il l'avoit prévu ; Magon eft détaché de l'armée carthaginoife pour infulter les Romains devant leurs retran. hemens & faire main-baffe fur les travailleurs; mais à peine a-t-il dépaffé la cavalerie romaine, celle-ci tombe brufquement fur les troupes carthaginoifes, & les oblige de fuir en déroute après avoir perdu beaucoup d'hommes & de che

vaux.

Ce début qui étoit fait pour animer le courage des Romains & contenir les Efpagnols, prouve la jufteffe du coup-d'oeil de Scipion, & la vivacité de fon imagination, pour avoir faifi auffi promptement le moyen de donner un échec à fon ennemi, dans un moment où il femble être occupé à affeoir fon camp dans une pofition exigée par l'infériorité de fon armée..

Cependant, Afdrubal fupérieur en nombre vouloit combattre, une victoire lui ouvroit le pays, & lui ramenoit les peuples aliénés par les défaites précédentes; il lui étoit trop difficile de marcher en avant fans avoir défait Scipion; d'ailleurs un coup d'éclat pouvoit feul raffurer les Espagnols. Scipion au contraire, n'avoit aucune railon pour hafarder le fruir de fes victoires; mais en refufant le combat, il craignoit de nuire à la réputation de fes armes & de perdre les moyens de contenir les Espagnols; it fe crut donc obligé d'en venir aux mains, & it. battit complettement les Carthaginois (1).

(1) Au foleil levant, Scipion détache fa cava lerie & fes troupes légères avec ordre de s'approcher du camp ennemi & d'y engager l'efcarmouche. L'infanterie défila enfuite par les quatre portes du camp & marcha jufqu'au milieu de la plaine; là, le général romain la forme en bataille, en plaçant, contre la coutume, les Efpagnols au centre & les légions aux deux ailes, les manipules des haftaires & des primes rangées en quiaconces, les triaires en forme de réferve.

Asdrubal averti de l'approche de la cavalerie

BATAILLE D'ÉLINGUE Quel'e profondeur de, cafion de cetre bataille. Pendant les deux premiers vue & de conduite de la part de Scipion, à l'oc

romaine fait d'abord fortir à la hâte fes numides & fes cavaliers & bientôt après toute fon infanterie, plaçant les Africains au centre, les Eipagnols à la droite & à la gauche du corps de bataille, ayant devant eux les éléphants, & deftinant fa cav.lerie à flanquer fon infanterie.

Scipion retarda exprès le fignal de la retraite pour la cavalerie & fes vélites, afin d'amufer davantage l'ennemi & de lui mafquer fa manœuvre ; ramenés ainfi jufqu'au corps de bataille les cavaliers romains, & les vélites difparurent à travers les intervalles des manipules qui les mafquèrent bientôt en entier. Scipion ayant fait enchâiler les princes parmi les haftaires, & appuyer les triaires a cette nouvelle ligne pour en augmenter la profondeur, les velites fe formèrent alors en feconde ligne derrière les légions des deux flancs, & la cavalerie en troisième ligne; les Efpagnols au centre de la bataille fe formèrent en phalange.

Cet ordre pris, toute l'armée romaine marcha en avant; mais à la diftance d'environ cinq-cents pas de l'armée ennemie, Scipion fit faire halte, & ordonna aux troupes de fa droire de faire à droire; aux troupes de fa gauche de faire à gauche; enfuite il fit marcher les deux aîles par leur flanc, jufqu'au moment où leur tête fe trouva à la hauteur de l'extrémité des flancs de l'infantetie de l'armée carthaginoife, qui plus nombreuse avoit débordé l'infanterie romaine fur l'un & l'autre flanc; pendant ce mouvement la phalange qui formoit le centre, avoit ordre de marcher en avant, mais trèslentement.

Dès l'inftant où les deux aîles de l'infanterie des Romains fe trouvèrent à la hauteur de celle de l'ennemi, Scipion donna le fignal convenu, auquel chaque fection compofée d'une manipule d'haitaires, d'une de princes & d'une de triaires qui en formoit les derniers rangs fit un quart de converfion; celle de la droite vers la gauche, celle de la gauche vers la droite, de manière à former aurant de petites colonnes de trois cents hommes, de douze hommes de front environ fur vingt-quatre de profondeur, dans lefquelles les haftaires fe trouvoient à la tête, les princes derrière & les triaires à côté. Mais alors les colonnes fe mirent en échiquier fur trois lignes, dont les vélites formèrent la feconde; en même tems la cavalerie de chaque aîle déboucha fur la droite & fur la gauche par des quarts de converfion, & vint fe placer fur les Auncs des petites colonnes, de manière à fe trouver en face de la cavalerie carthaginoise.

Cette nouvelle manoeuvre qui changeoit entiérement l'ordre primitif de la bataille une fois achevée, les troupes légères commencèrent l'attaque en fe

jours il parade, pour ainfi dire, devant fon camp, & place fes legions au centre; mais le jour où il veut combattre, au contraire, perfuadé que tout ce qui eft nouveau pour l'ennemi eft fait pour le déconcerter, il change toute fa difpofition, il ordonne de faire manger les foldars de très-grand matin & de fortir du camp à l'aube du jour, décidé avec fa cavalerie & fes troupes légères de s'approcher du camp de l'ennemi pour y engager une efcarmouche; mais déjà il avoit entierement changé fon ordre de bataille, en plaçant les Espagnols au centre & les légions

aux deux ailes. Nous avons vu à Cannes Varron entaffer fes troupes, au point de ne pouvoir dans la même bataille, tromper l'ennemi par en tirer aucun parti; nous avons vu Annibal une difpofition convexe de fon centre. Ici au contraire, Scipion tire le plus grand parti de fes légions, & trompe Asdrubal en lui refufant fon centre, & il le lui refufe afin de tirer parti des Espagnols fur lefquels il ne pouvoit pas compter, & dont cependant il a le talent de tirer parti en les mettant en action, mais de très-loin & ne pouvant être atteint par l'ennemi.

Si dès le grand matin Scipion fait infulter le camp des Carthaginois par fa cavalerie & fes Asdrubal fortir de fon camp pour engager l'ac troupes légères, c'eft dans l'efpérance de voir tion; mais dans ce cas les foldats carthaginois n'auront pris encore aucune nourriture, ce qui doit être infiniment défavantageux pour eux, & il ne fe trompe dans aucun de fes calculs.

Enfin fon troifième ordre de bataille devoit nécef

jettant fur les éléphants, qui forcés de s'enfuir, firent beaucoup de mal aux Carthaginois. Dès-lors les colonnes de droite & de gauche attaquèrent les troupes légères vinrent renforcer la cavalerie, & les Espagnols, déjà mis en défordre par les éléphants & qui ne purent résister; la cavalerie carthaginoise ne tint pas davantage, & Asdrubal fut forcé de refter fpectateur de ces déroutes fans pouvoir y des Espagnols, formant celui des Romains & marremédier, n'ofant dégarnir fon centre en préfence chant à lui en bonne contenance. D'ailleurs dans la crainte aflez fondée d'être bientôt attaquée, la chaleur exceflive & la fatigue des troupes qui n'avoient de fe fervir de fon centre encore rien mangé, tout le décida à prendre le fage parti intact pour couvrir les fuyards & faire fa retraite. Et il n'eût pas même réuffi dans ce dernier projet, fi un orage terrible & une pluie très-abondante n'eût empêché Scipion de pourfuivre fes avantages en attaquant le centre de la bataille ennemie fur fes deux fancs & fur fes derrières, comme l'avoit craint Asdrubal.

fairement

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Scipion avoit une armée la moitié moins forte e celle d'Asdrubal, il ne pouvoit fe proirer aucun avantage du terrein, le champ de taille étoit une plaine rafe, bien plus favoble à l'ennemi qui avoit des éléphants & une valerie nombreuse. Ce qui devoit l'embarffer davantage, c'étoient les Efpagnols qui npofoient la plus grande partie de fon armée. ombien ne faut-il pas avoir de reffources dans efprit pour furmonter d'auffi grands obftacles. D'après ces détails, on conçoit comment ipion dut porter fa principale attention à ne is engager le combat fur toute la ligne, par pport aux Espagnols; mais s'il avoit formé in attaque par une fimple oblique; ou bien Tec la tête d'une feule colonne, rien n'auroit npêché Asdrubal, qui étoit fupérieur en oupes, d'atteindre le centre de l'armee romaine t de l'engager au combat. Scipion ne pouvoit as davantage refufer fon centre, en faifant archer fimplement fes deux aîles; car outre I difficulté de faire marcher deux corps de roupes brufquement, cinq cents pas en avant ins flottement, leur fuccès doit être très-doueux contre des troupes fupérieures en nombre jui marchent de leur côté. D'ailleurs le front le l'infanterie efpagnole dans l'armée d'Asdrubal toit couvert par trente-deux éléphants, & il toit effentiel de s'affurer de leur fuite, afin de es empêcher de nuire aux differentes manœuvres projettées; & fi Scipion s'étoit borné à refufer fon centre, dès lors Asdrubal, dont le centre n'auroit plus, été menacé, auroit pu s'en fervir. ou pour renforcer les corps efpagnols ou pour attaquer les légions.

Quelle foule d'obstacles & de dangers! Scipion fut lever les uns & éviter les autres. Pour s'afArt Milit, Suppl. Tome IV.

furer le fruit de la furprife & mafquer fa véritable difpofition, il falloit infulter le camp des Carthaginois avec la cavalerie, & engager par-là un combat pendant lequel il fe met en mesure; à peine y eft-il ; fes ordres font déjà donnés, fa cavalerie, fes troupes légères ont disparu, & les manipules des princes font venus fe joindre à celles des haftaires, & ont été appuyés par les triaires. Cependant Asdrubal rappelle fes numides déjà trop engagés dans la plaine & range fon armée en bataille. Dès-lors Scipion, par une manoeuvre hardie, prolonge fes deux ailes en abandonnant fon centre qui avance lentement & fe porte en même tems contre la cavalerie ennemie avec la fienne, & contre les corps efpagnols avec fes légions, de manière à avoir battu les aîles de l'armée d'Asdrubal, fans que ce général eût pu s'y opposer.

Tous ces détails, toutes ces observations prouvent affez victorieufement combien à cette époque, la fcience de la guerre avoit fait de grands progrès chez les Romains.

Cependant Scipion, jense, victorieux, avide de gloire, fentant fes forces & fes moyens, ne pouvoit pas borner fes fuccès aux conquêtes faites en Espagne; auffi après avoir contraint les Carthaginois à abandonner tout-à-fait ce pays, Scipion se hâta de revenir à Rome pour y propofer de porter la guerre en Afrique.

On délibéroit à Rome fur les vaftes projets de l'illuftre Scipion; & les opérations de la guerre en Sicile & en Italie, continuoient de part & d'autre à prouver de l'habileté, & développoient toujours davantage la fcience militaire. Ces opérations feroient faites fans doute pour inftruire & pour intéreffer, mais obligé, comme nous le fommes, de raconter fommairement & d'arriver rapidement aux objets militaires, qui tiennent à la partie dont nous nous occupons, nous devons nous borner à dire qu'Annibal abandonné pour ainfi dire de fa patrie, après avoir perdu fon frère Asdrubal & l'armée qu'il lui amenoit, obligé de refferrer fes quartiers & d'évacuer la Pouile, fe vit néceffité de fe tenir fur la défenfive, & bientôt après de retourner en Afrique pour y défendre Carthage. Scipion étoit à fes portes, il venoit d'inveftir en même tems Tunis & Utique, qui étoient regardés comme deux baftions qui flanquoient la capitale. Mais le général romain averti du débarquement d'Annibal à Adrumète, fentit l'impoffibilité où il étoit de continuer le fiège de ces deux villes, & la néceffité avant de le reprendre de combattre l'armée carthaginoife. Annibal mar choit pour occuper les bords du Bragada & obferver & contenir les mouvemens de Scipion; celui-ci qui vouloit s'emparer des bords de la liii

même rivière, marcha du même côté, & les armées fe rencontrèrent dans les plaines de Zama.

BATAILLE DE ZAMA. Scipion change ici l'ordre habituel des manipules en échiquier, & les met

moient fa troisième ligne; la cavalerie carthaginoife fut placée à l'aile droite oppofée à celle des Romains, & les numides à l'aile gauche oppofée aux numides de Maffiniffa.

Annibal ne pouvoit pas temporifer, la bataille étoit néceffaire dans la pofition où il fe trouvoit. Scipion de fon côté étoit au milieu des terres de la république de Carthage, éloigné de la mer, entouré d'ennemis, fans aucune affurance pour fes fubfiftances; il avoit en front Annibal fe rangea ainfi fur trois lignes, compAnnibal, & fur fes derrières les garnifons d'Utique, de Carthage & de Tunis; il ne tant peu fur les Carthaginois & les Africains de pouvoit donc pas héfiter d'accepter le combat, nouvelle levée. Il avoit ordonné aux troupes étrandans lequel Annibal fut défait & fon armée gères de fa première ligne, parmi lefquels il y entiérenient détruite. On le croira fans peine, afin d'augmenter la confufion néceffairement jettée avoit d'excellens tireurs, de fuivre les éléphants, pour remporter une pareille victoire contre un par ces animaux dans les premiers rangs des général du mérite d'Annibal, Scipion dut déRomains. Et dans le cas où ces animaux feroient ployer des connoiffances militaires, & une manière écartés, les étrangers devoient charger les haftaires de difpofer fes troupes & de les faire manoeuvrer, qui fut inconnue à Annibal, ou fi bien ligne; dès-lors il voyoit les deux autres lignes & être foutenus par les Carthaginois de la feconde mafquée qu'il n'eut ni le tems ni les moyens des Romains venir appuyer la première & éprouver de s'y oppofer. Quoi qu'il en foit, on doit infailliblement quelque défordre: moment où il regarder la bataille de Zama comme la première s'étoit proposé de marcher avec sa troifième ligne, où de part & d'autre les généraux manœuvrèrent comme ils le firent; & à examiner cette action les hommes des deux premières lignes, & comen laiffant quelques intervalles pour faire paffer militairement, Scipion femble devoir refter vain-battre avec fes troupes fraîches, les Romains déjà queur, d'après la manière dont fe comporta Annibal, fi toutefois il eft permis de juger un auffi grand homme, d'après le fimple narré des hiftoriens fi fouvent infidèles (1)..

harraffés de leur combat coutre les deux premières lignes. Les étrangers & les Carthaginois devant fe reformer derrière cette troisième ligne, & marcher pour dépaffer l'ennemi & le prendre en flanc.

Ces difpofitions fi bien raisonnées furent à peu (1) L'armée romaine à Zama étoit à-peu-près près inutiles; dès le premier fignal donné pour égale en nombre à celle des Carthaginois; Scipion combattre, les vélites romains attaquèrent les éléchangea l'ordonnance habituelle de fon infanterie phants; ies cris, le fon des trompettes & le dans fon premier ordre de bataille; il plaça à la cliquetis des armes, redoublés à deffein dans l'armée première ligne les haftaires avec leurs intervallesromaine, épouvantèrent d'abord la partie de ces ordinaires, mais dans la feconde ligne, les mani-animaux qui étoient à la gauche; aulieu d'avancer pules des princes furent rangées derrière celles des ils tournèrent de côté, & fe jettèrent en fureur haftaires, & celle des triaires dans la troifième ligne au milieu des numides de l'armée carthaginoife. derrière celles des princes. Il prépara par ce moyen Maffinia faifit ce moment, les chargea, les emdes paffages aux éléphants; les vélites furent placés pêcha de regagner leur terrein, & après un combat dans les intervalles de la première ligne; ils avoient très-court les rompit entiérement, & les pourordre de fondre fur les éléphants dès qu'ils les verroient fuivit beaucoup au-delà du champ de bataille. avancer, afin de tâcher de les culbuter & de leur Pendant ce premier choc, les vélites entraînoient faire rebrouffer chemin; & dans le cas où ils s'at- le refte des éléphants à travers les intervalles des tacheroient à ceux qui les irriteroient, les vélites manipules, en même tems la cavalerie romaine devoient leur faire prendre les intervalles prati-conduite par Lælius chargea la carthaginoise, la quées entre les manipules. Il mit la cavalerierenverfa & fe mit à fa pourfuite. romaine à la gauche fous les ordres de Lælius, les numides à la droite fous les ordres de Maffiniffa.

Annibal rangea auffi fon infanterie fur trois lignes, mais pleines, & mit devant elles fes quatre vingt éléphants; à la première ligne étoient les troupes érrangères, Gaulois, Liguriens, barbares, &c. La feconde ligne étoit compofée des Carthaginois & des Africains de nouvelle levée; & cent-vingt pas en arrière étoit rangée l'élite de fon armée, ces vieilles bandes dreflées par lui-même, & avec lesquelles il avoit combattu en Italie, elles for

Le front de la bataille débarraffé des éléphants, les douze mille étrangers de l'armée d'Annibal s'avancèrent fièrement jufqu'à la portée du trait, & firent pleuvoir une grele de pierres fur les haltaires qu d abord s'arrétèrent. C'étoit le moment où les Carthaginois de la feconde ligne devoient marcher pour feconder la première ligne, & attaquer les Romains avec plus de force. Cependant les étrangers ne fe fentant point fecondés, & voyant les haftaires marcher à eux, reculèrent en gardant leurs rangs, toujours dans l'efpérance d'etre

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