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Cette bleffure qui fut mortelle empêcha les Thébains de combattre avec le même ordre qu'ils avoient obfervé jufqu'alors. La trifte nouvelle de la bleffure de leur général, étant bientôt fue de tous les foldats, leurs chefs attérrés comme eux de la perte de ce grand homme, firent fonner la retraite.

Ici les tacticiens font divifés; les uns avec le chevalier Folard admirent la manœuvre d'Épaminondas comme une des plus favantes, faifant un très-grand cas de l'attaque fur le centre, au moyen de laquelle on fépare les deux aîles : il reste encore, difent-ils, de grandes reffources à une armée battue dans une de fes aîles ; mais rompue dans fon centte, elle eft fans efpérance de fecours.

D'autres tacticiens blâment Épaminondas de n'avoir pas, comme à Leuctres, pris le parti d'attaquer l'aile gauche des Lacédémoniens, après avoir pris celui de renforcer fa droite, dans l'efpérance où il étoit de voir la cavalerie lacédémonienne ren

verfée par la theffalienne. Ne fe feroit-il pas affuré une victoire plus facile? car on ne peut pas regarder comme une victoire les avantages remportés par les Thébains à Mantinée, & l'on ne doit pas oublier la néceffité où le trouva Épaminondas de fe mettre lui-même à la tête d'une troupe particulière, arracher pour cette victoire incertaine.

encore

croiroit

Ce n'eft pas ici le moment de réfoudre un problème de tactique auffi effentiel; on croirot cependant n'être pas en droit de s'appuyer de la bataille de Mantinée, pour prouver les avantages des attaques fur le centre.

On voit encore ici les Lacédémoniens fe laiffer tromper par Epaminondas, au moment où il fit halte fur les hauteurs; ils crurent qu'il s'arrêtoit pour camper & ils ne furent défabufés qu'au moment où il s'ébranla, & fit exécuter fa manoeuvre pour les attaquer; manœuvre qui dut encore les laiffer quelque tems dans l'incertitude de l'endroit où il vouloit porter les premiers coups.

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on peut juger des nouveaux progrès faits en auffi peu de tems par l'art militaire & la fcience de la guerre. Ce qui peut aider à concevoir un fait aufli furprenant, ce font les Grecs, qui, non contens de s'adonner à tous les exercices du corps propres à former l'homme pour la ticulière, à cultiver la tactique & à la perfec guerre, s'appliquoient encore, d'une façon partionner. Sans ceffe en proie à des divifions intesti es, ou menacés par des voifins puiffans, i's crurent important de faire de cette fcience une partie des obligations d'un bon citoyen, & de la faire entrer fur ce pied dans leur plan d'éducation pour la jeuneffe..

En conféquence, ils avoient établi dans tontes les villes des écoles de tactique, dont les maîtres étoient entretenus aux dépens du public. Pour être admis à y faire fes premières armes, il falloit s'y être nourri l'efprit des principes de l'art; par ce moyen, les difpofitions de ceux qui naifoient avec un génie vraiment militaire, fe développoient plus rapidement, & ils devenoient capables de rendre plus tôt & plus longtems à leur patrie des fervices fignales. Quant aux autres, ils s'inftruifoient de tout ce qui devoit être pratiqué, & connoiffoient, avant d'entrer dans la carrière, toute l'étendue de leurs obligations. On tiroit enfin de ces leçons faites en public, & fous les yeux des plus illuftres membres de l'Etat, l'avantage de fixer une uniformité de méthode & de préceptes, & de ne point abandonner à la fantaisie des particuliers un art devenu malheureufement fi néceffaire.

Après la bataille de Mantinée, Athènes & Sparte fe trouvoient humiliées. Thèbes n'étoit plus. La guerre qui avoit ceflé, laiffoit après elle dans la Grèce tous les maux qui en font les fuites inévitables, & l'impuitfance où fe trouvoient les différentes républiques de commander les unes aux autres, paroiffoit feule affurer à toutes la même liberté : ainfi ne fe redoutant plus entr'elles, elles crurent n'avoir plus rien à redouter, & fe mirent dans l'impuiffance de fe réunir contre une ennemi commun. Chez les Athéniens même, la gloire des armes, portée auparavant jufqu'au fanatifme, n'avoit plus aucun attrait, & les talens militaires, dégradés, y devenoient tous les jours plus rares.

Cependant il fe formoit une puiffance qui,

auffi négligé d'avoir une référve, qui auroit pu leur être utile pour arrêter les progrès de la Dans ce moment elle devoit offrir des guerriers colonne thébaine, lorfqu'elle eut percé le centre. mal en ordre, très-peu ferrés & qui pouvoient être attaqués avec avantage par une réferve arrivant en bon ordre au fecours du corps de la bataille.

voyant les Grecs de très-près, & s'habituant à ne plus les craindre, forma le projet d'envahir la Grèce, & l'envahit.

:

PHILIPPE. Cette puiffance étoit la Macédoine fon roi étoit ce même Philippe, élevé à Thèbes dans la maifon du père d'Epaminondas, où, en y acquérant des connoiflances & de grands talens, il y étoit devenu actif, vigilant, laborieux & infatigable; il s'y étoit inftruit dans le métier des armes, le plus nécessaire à fon ambition, & il y avoit appris à former des foldats, à les conduire & à les faire vaincre.

Imbu de tous les meilleurs principes de la tactique grecque, à peine Philippe etoit-il fur le trone, & déjà il avoit levé un corps de fix mille Macédoniens, auquel il fit prendre le nom de phalange. Il le conferva toujours fur pied, & il s'appliqua à le perfectionner, au moyen de la feverite des lois, de l'éclat des récompenfes, de la pratique conftante des exercices & de la bonté des armes. Ce fut auffi lui qui, ne voulant pas fe borner à l'ordre habituel des phalanges, imagina l'ordre en échiquier, qui préfentoit cinq lignes, au lieu de quatre, & donnoit de plus grandes facilités pour mouvoir les differens corps, en mettant des intervalles entr'eux. (Voyez PHALANGE MACEDONIENNE.)

Cet établiffement de la phalange, qui dut être regardé comme un des perfectionnemens de l'art militaire, fut l'époque de la gloire de Philippe & de celle de la Macédoine. Dans la fuite, ce corps fut augmenté, mais il retint toujours le nom de phalange macédonienne, qui le diftinguoit des autres troupes qui compofoient l'armée ; & nous allons voir ce corps, fous Alexandre, contribuer à fes victoires & aux progrès de la fcience de la guerre, dans cette épo que qui peut être regardee comme la plus brillante de la tactique grecque.

ALEXANDRE. Philippe avoit affervi la Grèce, & projettoit de pouffer fes conquêtes en Afie, lorfqu'il fut affaffiné. Les Grecs crurent voir dans cet événement le moment de fecouer le joug; mais Alexandre, vainqueur des Barbares qui avoient auffi voulu fe fouftraire à fa nouvelle domination, le fut bientôt après des Grecs, & s'occupa uniquement enfuite à exécuter les projets de fon père contre l'empire des Perfes. Pour en venir à bout, il part avec trente mille hommes d'infanterie, cinq mille chevaux, foixante & dix talens, & des vivres pour un mois. Après avoir gagné la bataille d'Iffus, il parcourt, pour ainfi dire, la Syrie, traverfe l'Egypte, y bâtit Alexandrie, & vient en Affyrie pour y combattre Darius qu'il rencontre à Arbelles, où il lui livra cette bataille fi fameufe dans les fastes militaires.

BATAILLE D'ARBELLES. II. DISPOSITION. Des hauteurs où il etoit campé Alexandre examina le terrein, il médita enfuite fes difpofitions, & en inftruifit fes généraux.

Après avoir formé une première ligne de fa phalange & des agirafpides, il en compofa une feconde de l'infanterie étrangère, avec ordre de faire front en queue, au cas que l'on feroit tourné ; la gauche il plaça la cavalerie des alliés & les Theffaliens qui fermoient la ligne. A la droite, il plaça les compagnies royales, renforcées des troupes de fa garde & de quelques autres troupes d'élite. A côté & devant les compagnies royales, il plaça un corps d'infanterie légère; & comme il vouloit attaquer obliquement par la droite, il la renforça de deux corps de cavalerie, placés directement l'un devant l'autre, & en avant du corps d'infanterie légère qui fermoit la ligne; il mit auffi à l'aile gauche, derrière la cavalerie qui la fermoit, un corps de cavalerie en potence, & en avant un corps de cavalerie grecque, afin de s'oppofer aux ennemis qui voudroient le tourner.

Après avoir recommandé à fes généraux dé faire garder aux troupes un profond filence &, de jetter des cris à propos, Alexandre, au lieu d'aller de front aux ennemis, tira vers fa droite en marchant par fon flanc, de façon qu'il avançoit fur la gauche des Perfes, en laiffant la fienne dans l'éloignement. Bientôt l'action fut engagée, & finit par la défaite entière de l'armée de Darius.

Ainfi dans cette journée mémorable Alexandre fut mettre en pratique, &, pour ainsi dire, créer même ce grand art de manoeuvrer devant l'ennemi pour lui donner le change, le dépaffer enfuite brufquement par de grandes évolutions, & embraffer fon flanc par la formation même de l'ordre de bataille ; où les troupes de l'armée macédonienne exécutèrent avec la plus grande regularité ce qui leur fut prefcrit, & firent recueillir à Alexandre le fruit des inftructions qu'il leur avoit données en Macédoine, où, fous fes yeux, les généraux, les officiers & les foldats s'étoient fait une étude des plus favantes

manœuvres.

En effet, toute l'armée fe formant on oblique pour attaquer une partie de la ligne ennemie d'autres obliques à l'extrémité de chaque aîle deftinés à foutenr la cavalerie ou à dépaffer l'en-nemi; des quarts de converfion ordonnés pour prendre l'ennemi en flanc une feconde ligne derrière fa phalinge, afin de s'opposer aux attaques à dos & à flanc qui étoient à craindre ayant affaire à un ennemi autant fupérieur en nombre. Ces déploiemens fublimes, au moyen

defque's cette feconde ligne, dans le cas où l'ennemi eut tour é les ailes, devoit s'ouvrir du centre vers les ailes, pour former un quarré long à centre vide, & oppofer un front à l'ennemi fur chaqne point attaqué. Les différentes manoeuvres des deux corps de cavalerie qui étoient en avant de la droite; celles de l'infanterie légère qui les foutenoit; les nouvemens de la cavalerie commandée par Alexandre pour fe former en ordre de marche & entrer dans les intervalles de la ligne ennemie ; les agirafpides fe formant en colonne, pénétrant auffi dans la ligne, & manoeuvrant enfuite pour plier cette ligne fur elle-même, en la combattant de la droite au centre; les manoeuvres de la cavalerie de la gauche venant fe rallier derrière les Theffaliens; celles de la feconde ligne marchant pour prendre à dos les Perfes qui avoient penétré jufqu'au camp; le mélange favant des troupes légères avec la cavalerie; tout enfin préfente dans cette action, & fous un feul coup d'oeil, l'application des plus grands principes de l'art des batailles.

Sans doute Alexandre dut en partie un fuccès auffi complet aux fautes de Darius, à fes troupes fans reffort, fans difcipline, fans inf truction, à fa manière de fe former, de combattre, &c. Peut-être auffi commit-il lui-même une faute, en n'affurant pas davantage fa gauche. Mais l'art de manoeuvrer devant l'ennemi pour lui donner le change, pour le dépaffer enfuite brufquement par une grande évolution, & embraffer fon flanc par la formation même de l'ordre de bataille, Alexandre feul le créa à Arbelles, & il laiffa aux généraux de tous les tems & de tous les peuples de grandes leçons dans l'art de préparer une bataille, & furtout de la livrer avec des troupes affez manoeuvrières pour leur faire prendre, à fon gré & fuivant les circonftances, toutes les formes & toutes les pofitions les plus avantageuses pour s'aflurer la victoire.

Après ces détails, il feroit affez difficile de douter des progrès qu'avoit faits alors la fcience de la guerre; cependant nous ne furions nous empêcher d'en donner encore quelques nouvelles preuves.

PASSAGE ET BATAILLE DE L'HYDASPE. VI. DISPOSITION. Alexandre venoit de traverser l'In dus, & avoit reçu dans fon alliance quelques rois de ces contrées, il fe décida à s'approcher des bords de l'Hydafpe, où il favoit Porus campé pour en défendre le paffage. Mais ici Alexandre n'avoit plus à fe mefurer avec des monarques efféminés, arrachés de leurs palais par la néceffité de fe défendre; il avoit à combattre un prince valeureux, réfolu de conserver fes Etats

ou de mourir les armes à la main; auffi, en arrivant fur les bords de l'Hydafpe, reconut-il les précautions d'un homme de guerre pour lui empêcher de paffer le fleuve, & fut-il obligé de prendre des moyens plus favans pour tromper, combattre & vaincre Porus.

En effet, combien Alexandre n'employa-t-il pas de fimulacres, de marches fauffes & trompeufes, pour donner le change à Porus ; en inème tems quelle fagacité à faifir le feul endroit où l'on pouvoit paffer le fleuve, & faire les préparatifs néceffaires pour ce paffage, fans être apperçu ni inquiété par l'ennemi. Bientôt le moment de l'exécution eft arrivé: de faux prépa ratifs, exécutés en présence de Porus, doivent l'inquiéter, ou au moins le laiffer dans l'incer titude; mais Alexandre a déjà paffé l'Hydafpe, déjà il a pris les devans avec fa cavalerie, & après avoir renverfé un corps ennemi qui étoit venu à la rencontre, il s'eft trouvé en préfence de l'armée de Porus, & bientôt après, elle a été complettement mife en fuite. Mais ces espèces de prodiges, le héros macédonien les dut tous à fon génie militaire. On ne peut s'empêcher d'admirer fa marche hardie à la tête de fa cavalerie, après avoir paffé l'Hydafpe: arrivé de vant l'armée de Porus, il falloit lui en impofer de manière à s'affurer la victoire, en donnant le tems à l'infanterie macédonienne de le joindre. Dès lors Alexandre envoie une partie de fa cavalerie fe mettre en bataille devant celle de la droite de Porus; devant celle de la gauche, il forme fes archers à cheval, derrière lefquels il place une partie des archers à pied, auxquels il appuie obliquement ce qui lui refte de cavalerie & d'archers à pied, cette ligne s'allongeant fur un petit revers qui la déroboit

à l'ennemi.

Alexandre prenoit une difpofition auffi favante & cachoit ainfi à l'e nemi fes forces & tous fes projets. Sa phalange arrive en colonne ; il l'ar rête, lui ordonne de fe repofer & de fe former pour attaquer Tennemi au moment où il fera ébranlé. Dès-lors il fait commencer l'attaque par fa cavalerie de la droite & de la gauche, & il marche par le flanc avec fes efcadrons, Dour dépaifer l'ennemi; ainfi par des moyens auffi fublimes de manoeuvres & de tactique, Alexan dre s'affure la victoire, & laiffe à tous les géné raux des principes pour combattre en oblique.

PYRRHUS. Alexandre en mourant avoit laiffé de grands généraux; ils fe partagèrent fes conquêtes, & le firent mutuellement la guerre pour foutenir leurs différentes prétentions. Pyrrhus s'étoit formé fous eux, il avoit donné des preuves de fa valeur & de fon intelligence à la bataille d'Ipfus ; & depuis, Annibal, fi excellent

juge en fait de mérite militaire, avoit pris Pyrthus pour modèle, il le regardoit comme le plus grand de tous les capitaines, & le mettoit même au-deffus d'Alexandre. En effet, Pyrrhus en adoptant l'ordre en phalange, en avoit perfectionné les déploiemens, les doublemens & les dédoublemens des files, & s'étoit mis par ce moyen bien plus à même d'en tirer parti dans tous les terreins & toutes les circonftances. Il s'étoit appliqué au grand art de ranger une armée en bataille, & il avoit joint à ces connoiffances celles des rufes & des ftratagêmes de guerre. Il remporta plufieurs victoires toujours contre d'excellens généraux & des troupes exercées, endurcies aux fatigues & très-braves. S'il avoit eu moins d'inquiétude dans l'efprit & plus de fuite dans fes projets, il fe feroit fait une grande puiffance & une bien plus grande répu

tation.

PHILOPEMEN.-Sous ce grand homme, appelé le dernier des Grecs, a fcience des évolutions & des marches fut portée dans la Grèce à fon plus grand point de perfection. Dans le fpectacle f'une revue générale donnée par ce grand offiier à la Grèce affemblée, il fit admirer des volutions dont jufqu'alors on n'avoit point l'idées; les mouvemens des corps entiers dans ous les fens s'y firent avec a tant de célérité & le jufteffe que ceux d'un fimple cavalier ; toute a vie Philopemen avoit étudié cette partie fi fentielle qu'il perfectionna. Dans fes promeades, ou en chaffant, il fe plaifoit à confidéer le local fous tous les différens points de vue, & il s'arrêtoit fouvent dans les pofitions qui lui aroiffoient fingulières, afin de difcuter comnent il devoit arranger ou conduire une troupe, lans le cas où il auroit à fe défendre, à attaquer, ou à faire retraite dans ces lieux dificiles.

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Dans aucune de ces combinaisons, il eft vrai, et habile homme ne fe fuppofoit à la tête d'une rmée de quatre-vingt milie combattans, de cent nille commis, vivandiers ou valets, de cinq rents machines de guerre & de deux cents mille che vaux de monture de charge ou de trait. Philopemen avoit arrêté fes idées fur une armée formée pour la guerre & les combats; étant général, il tenoit à honneur de pouvoir marcher beaucoup à pied,, de coucher au bivac, de manger du pain de munition, enfin, de montrer l'exemple aux officiers & aux foldats, de foutenir la fatigue & de chérir les connoiffances militaires, de-là, cette facilité fi précieuse de pouvoir donner à une armée, foit dans la marche, foit dans la bataille, foit dans la retraite, foit dans le camp, la meilleure forme analogue la meilleure forme analogue au terrein. On croit important d'en donner un exemple bien frappant & bien inftructtif dans la

bataille livrée par Philopemen à Mécanidas dans les plaines de Mantinée; aucune, depuis, n'a offert peut-être des manoeuvres plus favantes, ni en plus grand nombre; aucune ne peut mieux fervir à prouver le point précis des progès de la fcience militaire chez les Grecs.

Au premier avis de la marche de Mécanidas, Philopemen vient fe ranger en bataille fur un terrein dont il avoit fait choix depu's longtens pour y attendre l'ennemi. Il y avoit devant la ville de Mantinée une large plaine, terminée des deux côtés par des montagnes. Du pied de celle qui étoit au couchant, il fortait un ravin plein d'eau en hiver & fec en été, lequel traversoit la plaine jufqu'aux hauteurs qui étoient à l'orient; les pentes de ce ravin étoient fort douces, & le ravin lui-même n'étoit pas apperçu, à moins d'en érre très-près. Philopemen vint occuper les bords, & s'y mettre en bataille.

SECONDE BATAILLE DE MANTINÉE.-L'action ne tarda pas à s'engager, & Philopemen après avoir déployé toutes les reffources de l'art, de fa prefence d'efprit, de fon génie, & après avoir tué de fa propre main le general lacédémonien, remporta la victoire la plus complette.

Dans cette bataille, qui furpaffe en inftruction & en fcience la première de Mantinée, le général Achéen développa toutes les reffources de la fcience fi difficile de la tactique, qui eft une des principales parties de la fcience de la guerre. Cette action, il eft vrai, ne fut précédée ni de marches bien favantes, ni de campemens bien difficiles; mais c'étoit déjà beaucoup de la part du général Achéen d'avoir forcé Mécanidas à venir l'attaquer, dans une pofition dont il connoiffoit tous les avantages, & dont il avoit calculé toutes les reffources. En effet, voyez Philopemen à la nouvelle de la marche de Mecanidas, fortir de Mantinée fur trois colonnes avec des troupes bien repofées, arriver fur le terrein après une marche trèscourte & s'y mettre en bataille; on diroit d'une troupe qui fort de fes quartiers pour faire un exercice. Examinez enfuite les difpofitions de ce général, cette manière fi nouvelle & fi favante de ranger fa phalange fur deux lignes par fections e échiquier; cette partie de fon armée étoit-elle atta uée par la phalange lacédémon enne, la feconde ligne marchoit en avant, rempliffoit les interva les, & le centre fe trouvoit dans un ordre égal en force à celui des ennemis. Cette partie au contraire n'étoitelle pas attaquée à caufe du ravin qui fe trouvoit de vant elle; alors le général avoit fa feconde ligne à fa difpofition, foit pour enforcer fes ailes, foit pour les remplacer. Quel avantage

.

ne devoit-il pas attendre de la manière dont | il avoit formé & difpofé fa gauche! Voyez les difpofitions pour rendre inutiles les machines de jet, fur lefquelles Mécanidas paroiffoit avoir fondé de fi grandes efpérances, fuivez-le dans fes ordres pour faire attaquer la droite de l'ennemi par toute fa gauche, au moment où il s'apperçoit des difpofitions de Mécanidas pour la renforcer. Cependant il eft trompé dans fon attente, fes troupes fe comportent mal, & toute fa gauche eft culbutée; c'eft alors où il mérite encore de plus grands éloges; déjà la première ligne de fa phalange a remplacé fa gauche, la feconde eft devenue fon corps de bataille; & déjà auth, il a renverfé la phalange lacedémonienne en la prenant de front, en flanc & à dos. Voilà certainement de grandes manoeuvres & des mouvemens dictés par le fang-froid & le génie; mais Mécanidas n'eft pas encore vaincu, il est encore à la tête d'une partie de fon armée & cette partie eft victorieufe; il faut donc faire de nouvelles difpofitions, non-feulement pour le combattre, mais encore pour convaincre fes troupes de l'inutilité de leur réfiftance & les décider à fe rendre. Et tels font les moyens développés par le général Achéen, pour terminer cette journée glorieufe. Enfin après une journée auffi penible, il peut refter quelque chofe à faire pour mettre le comble à la gloire du général, & peut-être terminer la campagne & la guerie; Tégée peut ouvrir les portes, fi l'on marche à elle fans différer, & ceft le parti pris par Philopemen & exécuté avec fuccès.

Après ces détails & ces réflexions, on doit

refter convaincu de la difficulté de pouffer plus

loin l'art des manoeuvres & de la bonne conduite à la guerre; auffi, comme nous l'avons dit, Philopemen fut appelé le dernier des Grecs, & peut-on regarder la feconde bataille de Mantinée, comme le dernier exemple de la fcience de la guerre en Grèce. C'eft le pays où nous avons cru voir prendre naiffance à l'art de la guerre; c'eft-là où nous avous vu créer l'ordre en phalange, perfectionner fucceffivement tous les moyens de la fcience de la guerre, & la faire parvenir au point où Philopemen la laiffa, & duquel elle déclina bientôt en Grèce, mais au-delà duquel elle alla chez un autre peuple, & dans d'autres époques dont nous allons nous

occuper.

LES ROMAINS.

Dans les tems où Philippe, Alexandre, Pyrrhus & Philopemen faifoient réputer la phalange comme la première ordonnance de l'univers, il s'établiffoit fur les côtes de l'Aufonie quelques Troyens fugitifs, qui apportoient avec eux les principes de la tactique échappés des ruines de

Troye, & ceux dont ils avoient pu s'inftruire par les peuples qui venoient de les détruire. Ainfi à l'époque où les Grecs fe croyoient le premier peuple militaire du monde, on créoit à deux cents lieues d'eux, des lois, une mil ce, une ordonnance, une tactique totalement oppofée à la leur, & qui devoit les vaincre & les faire oublier.

Les Grecs étoient devenus guerriers par le befoin d'oppofer du courage & des connoiffances militaires aux invafions des Perfes; & chez eux l'art de la guerre s'étoit perfectionné par l'envie mutuelle d'avoir la fupériorité dans les guerres faites entr'eux, & par l'ambition de leur gouvernement; mais ils n'eurent point de modèles à fuivre.

Profitant au contraire des lumières & des fautes de tous les fiècles, mais furtout combattant contre de grands généraux, qui les inftruifoient à force de les vaincre, les Romains guerriers par leur conftitution portèrent Tart militaire au plus haut point de la perfection; & chez eux la fcience de la guerre fit des progrès qui leur affura l'empire de l'univers.

En parcourant cette époque, nous nous convaincrons jufqu'à quel point l'art de la guerre eft fufceptible de modifications différentes ; nous le verrons affurer des victoires aux Romains, en les laiffant fe foumettre à des formes trèspeu femblables à celles adoptées chez les Grecs. Par-là les détails en deviendront plus inftruc tifs, & nous aurons vu, comment fans fe concerter ni fe connoître, deux peuples portèrent la fcience de la guerre à fa plus grande per

fection.

Les Grecs avoient imaginé l'ordre en phalange, les Romains créèrent la légion; (veya LEGION); elle étoit compofée à-peu-près par moitié de foldats nes Romains & de foldats des alliés. Elle s'étoit d'abord mise en bataille fur une ligne continue, mais en perfectionnant la tactique, on imagina trouver de plus grands avantages à la former par manipules; l'infanterie pefante étant compofée de trois ordres de foldats, ils étoient placés fur trois lignes différentes, & l'intervalle laiffé entre ces lignes égaloit le front de l'une des divifions. Ainfi les manipules de la première & de la feconde ligne, pouvoient agir féparément ou remplir mutuellement les intervalls & completter la ligne durant l'action les triaires formoient le corps de réferve; ils foutenoient la ligne & prenoienr la place des manipules enfoncés par

l'ennions Afin de faciliter ces manœuvres, les

divifions d'une ligne fe trouvoient devant les intervalles de l'autre.

Les foldats de la légion avoient pour armes le

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