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que le vôtre. S'ils s'indignoient de ma liberté : pourquoi, leur dirois-je, voulez-vous que j'eftime une profpérité que mille accidens doivent déranger, & qui ne tient qu'à des circonftances qui ne peuvent fubfilter? Sans me laiffer éblouir par la puiflance des Carthaginois, j'attendrai, pour juger de leur profpérité, qu'ils me faffent voir comment ils réfifteront aux entreprises de leurs propres armées, fi elles ont affez de courage pour fe mutiner & fe révolter; j'attendrai qu'ils aient affaire à un ennemi brave, pauvre & exercé à la guerre.

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Si cette république a acquis de grandes provinces, apparemment que les vaincus étoient encore moins braves & moins difciplinés que Les mercenaires; fi elle domine fur fes voifius, fans doute qu'elle a commencé par leur communiquer fes vices. Entre des peuples également vicieux je ne fuis pas étonné que celui qui peut acheter des foldats, ait la fupériorité; mais n'en concluez pas qu'il le gouverne fagement: il eft perdu, fi un de fes voifins fe corrige de quelques-uns de fes défauts. Miferable république, qui ne reuffit & ne fe foutient que par l'imbécillité & la corruption de fes voisins & de fes ennemis Au lieu de ne confulter que les befoins effentiels de la fociété, & de ne chercher que ce qui doit la rendre heureufe dans

toutes les circonstances & dans tous les tems,

l'imprudente politique fe laiffe féduire par des fuecès paffagers; elle ne s'eft prefque jamais fait que de fauffes règles, & de-là ces révolutions dont tant de peuples ont été & feront encore les victimes. Jufqu'à préfent, les richeffes qui corrompent les mœurs, ont toujours été le butin du courage & de la difcipline,

ne

On eft donc bien éloigné des vrais principes de la politique; l'hiftoire de la Gréce, & ce qu'on raconte des révolutions arrivées dans les Etats qui partageoient autrefois l'Afie, prouve que trop la vérité de la doctrine que l'on vient de développer. Accoutumé à entendre dire perpétuellement que l'argent eft le nerf de la guerre, on a de la peine à comprendre qu'elle puiffe fe faire fans occafionner de grandes dépenfes, & on refte convaincu que c'eft la pauvreté qui met dans l'impuiffance d'avoir une flotte & de foudoyer une aimée.

Mais ces belles maximes, inventées par l'avarice, & qu'on entend répéter aujourd'hui par les premiers Grecs vainquirent les Perfes à Mahabitude, on ne les auroit pas entendu quand rathon & à Salamine. Regardant alors la tempérance, l'amour de la gloire & du travail, le courage & la difcipline comme le nerf de la guerre & de la paix, ils méprifoient l'argent, & il leur étoit inutile: ils étoient pauvres, &

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Ce n'eft point la pauvreté qui empêche d'avoir une flotte & une armée; n'en accufez au contraire que les richeffes, qui, en s'augmentant, ont infpiré à une partie des citoyens cette avarice baffe & fordide qui n'ofe jouir, & livre le refte à la volupté, qui ne facrifiera jamais fon luxe & fes plaifirs aux befoins de la république. Les reffources de la vertu font infinies; plus on les emploie, plus elles fe multiplient. Quelqu'immenfes que foient les richeffes, elles s'épuifent. L'amour de la gloire produit des prodiges, parce qu'il remue de grandes ames; l'amour de l'argent ne produit rien que de bas, parce qu'il ne frappe que des ames baffes. Si l'argent étoit auffi puiffant que le difent les Atheniens, que n'achètent-ils un Miltiade, un Thémiftocle un Ariftide, des magiftrats, des citoyens, des héros?

,

Quand Athènes, fous la régence de Périclès, fe fut enrichie des dépouilles des vaincus & où la république parut avoir acquis un nouveau des tributs levés fur fes alliés, il y eut un inftant degré de puiffance & de force: fes nouvelles truire fes anciennes moeurs, on les employa gericheffes n'ayant pas encore eu le tems de dénéreufement à conftruire des vaiffeaux & à ache ter l'amitié de quelques peuples qui commençoient à la vendre, & elle parut l'arbitre de la Gréce. Les magiftrats, trompés par cette apparence de profpérité, crurent fans doute que les mêmes vertus qui honoroient notre pauvreté, & que notre pauvreté feule foutenoit, feroient encore les économes & les difpenfatrices de nos richeffes; ils penfèrent donc que la république ne pourroit jamais être trop riche: erreur grof fière. L'or & l'argent, en rendant avares les Athéniens, éteignirent bientôt chez eux les fentimens de l'honneur & de la générofité, & les livrèrent à tous les vices, en leur faifant aimer le luxe. L'argent devint alors le nerf de la guerre & de la paix, parce que les Athéniens vendirent à la patrie les fervices qu'elle rece voit autrefois fans falaire. A quoi fervirent alors ces richeffes dangereufes? plus on en acquit, plus les moeu.s le dépravèrent; on avoit beau s'enrichir, la cupidité étoit toujours plus grande & leurs injuftices, la république fut pauvre, que la fortune. Les Athéniens, plus appauvris par leurs befoins qu'enrichis par leurs rapines éprouva tous les inconvéniens de la pauvreté, parce que fes citoyens avoiens tous les vices de la richeffe.

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infenfés, qui, pour rendre quelque vigueur à la république expirante, voudroient y attirer tout l'or & tout l'argent du monde entier. Les aveugles! ils entreprennent de raffafier à force d'argent des paffions infatiables. Les fondateurs de la république, avec dix talens, étoient riches, avec deux cent mille, leurs enfans fe trouvent pauvres ; donnez-leur-en encore deux mille, & ils fe croiront encore plus pauvres qu'ils ne le font encore aujourd'hui. On en eft venu au point de confondre le luxe & le fafte des riches avec la profpérité de la république: leur fortune domestique qu'il faut ménager, leurs p'aifirs qu'il ne faut pas troubler: voilà les objets ridicules que la politique, déformais impuiffante, eft obligée de regarder comme les vrais befoins de l'Etat augmentez la corruption avec vos richeffes, & vos maux deviendront encore plus accablans.

conquête de la Syrie ? Un arc, des flèches, des javelots, un grand courage, voilà tout ce qu'ils poffédoient. Contentez-vous donc d'avoir du courage, de la difcipline & des moeurs. Dans une république vertueufe, des magiftrats fenfés ne penferont jamais que fa vertu ne lui fuffife pas; foyez fûr que les citoyens ne feront jamais contens de leur pauvreté quand l'Etat amaffera des richeffes. Suivant que la politique s'occupe plus ou moins de tréfors, d'argent, de richeffes, la république eft plus ou moins éloignée du moment de fa ruine.

GRACES. On définit une grace; faveur que l'on accorde à quelqu'un fans y être obligé II fembleroit que cette définition ne devroit pas convenir aux graces accordées aux militaires pour de belles actions; car la patrie reconnoiffante qui récompenfe le dévoûment d'un de ses enfans, obligée à cet acte, qui doit être regardé comme & qui lui accorde une grace, est véritablement une juftice. Ainsi, Maximilien n'inspiroit point de reconnoiffance, parce qu'il accordoit tout ce qu'on lui demandoit, & qu'il cherchoit bien moins à rendre juftice qu'à ne pas refufer. Auffi jamais ni les retarder ni les faire folliciter; mais pour rendre les graces précieuses, ne faut-il ficile à en accorder. Dix mille livres de rente, d'un autre côté, faut-il être extrêmement difdifoit Turenne; accordées à un officier fans aucun mérite, ne le rendent ni plus brave, ni

La nature n'a point fait les hommes pour pofféder des tréfors: pourquoi des riches? pourquoi des pauvres? ne naiffons-nous pas tous avec les mêmes befoins? Elle répand fes bienfaits avec une libérale économie; ufons-en avec la même fageffe. La loi qui permet qu'il fe forme de grandes fortunes dans une république, condamne une foule de miférables à languir dans l'indigence, & la cité n'eft plus qu'un repaire de tyrans & d'eslaves, jaloux & ennemis les uns des autres: effayer d'y faire germer les vertus qui font le bonheur & la force de la fociété, c'eft le comble de la folie. Voilà cepen-plus éclairé, ni plus capable de commander;

dant ce que tentent les politiques avides d'or & d'argent ; ils jettent des femences d'avarice, de volupté, de molleffe, d'injuftice, de fraude, de haine, &c. & ils s'attendent à en voir naître la juftice, la tempérance, le courage, la générofité & la concorde.

mais ces fortes de graces mal appliquées, déshonorent le prince qui les donne, & abattent le cœur & le courage de ceux qui en font privés, quand ils en font véritablement dignes. La diffembleroit néceffiter l'établiffement des prinficulté qu'on doit mettre à accorder des graces, cipes, d'après lefquels on feroit en droit d'en On ne ceffe de répéter que l'argent eft nécef- folliciter ou d'en accorder. Ces principes fervifaire pour faire une longue guerre, ou la porroient de boucliers aux miniftres & aux autres ter loin de fon territoire ; & voilà encore ce perfonnes chargées de cette diftribution, pour qui prouve combien les richeffes font dange- les défendre des demandes injuftes; & combien reufes. Pourquoi defirer pouvoir étendre & per- n'eft il pas important qu'ils s'en défendent! pour pétuer le fléau le plus rédoutable de l'humanité ? une grace contre règle & raifon, que le miniftre Tant que la Grèce fut pauvre, les guerres de accorde à fes protégés perfonnels & véritables fes républiques furent courtes; dès qu'elle feil eft obligé d'en accorder vingt aux protégés fut enrichie, les guerres ont été affez longues pour allumer des haines éternelles, & rompre tous les liens de cette alliance qui faifait fa sûreté au dedans & au-dehors. Si Lycurgue avoit raifon de dire aux Spartiates voulez-vous être toujours libres & refpectés, foyez toujours pauvres, & ne tentez jainais de faire des couquêtes. On demandera de quelle utilité peuvent être ces entreprises qu'on fait loin de fon territoire. Que vos mœurs & vos befoins foient fimples, & par-tout la terre vous fournira une fubfiftance abondante. Quels tréfors avoient les Scythes, quand ils partirent de leurs forêts pour faire la Art Milit. Suppl. Tome IV.

de fes protecteurs, & des perfonnes auxquelles il n'a rien à refufer. Alors quand on le preffe, il n'a rien à répondre ; s'il refufe aux uns ce qu'il accorde aux autres, il fe fait des tracafferies abominables. Un homme fage en entrant en place, doit s'arranger bien plus pour pouvoir refufer fans fe faire beaucoup de tort, que pour pouvoir tout accorder à la fatitaifie. Car il eft bien für qu'il n'en viendra pas à bout; mais il faut refufer toujours fans humeur, & recevoir même avec douceur les demandes les plus déraisonnables, & furtout ne jamais promettre ce qu'on n'eft pas fûr de pouvoir tenir.

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GRADE. Y a-t-il une inégalité réelle parmi les hommes ? les uns naiffent-ils pour être efclaves & les autres pour être maîtres? les uns font-ils destinés à obéir & les autres à commander? Si nous voulons remonter au-delà de la fociété politique, nous ne voyons d'autre caufe d'iné galité parmi nous, que celle du plus ou du moins de force, d'adrefle & d'agilité; mais quand nous confidérons les hommes réunis, quand nous les voyons enchaînés par les lois, foumis aux préjuges & efclaves de l'habitude alors nous ne pouvons plus douter de l'inégalité qui règne entr'eux. Nous voyons la fociété fe partager en differentes claffes de citoyens; dans chacune de ces claffes les hommes font inégaux entr'eux ; les uns font riches, les autres font pauvres; les uns font puiffans, les autres font foibles: quelques-uns commandent, beaucoup obéiffent. Mais dans aucune claffe les hommes ne font plus liés les uns aux autres, ne font plus foumis, plus dépendants, plus enchaînés à la loi, que dans celle des défenfeurs de l'Etat; on peut tirer, il eft vrai, de cette inégalité même, des moyens très-puiffans pour récompenfer les militaires. Ofez eftimer publiquement vos foldats, diftinguez-les felon leur mérite & les grades qu'ils occuperont, & bientôt vous verrez naître parmi eux cette émulation fi heureufe d'être mieux dans leur état.

Il y a, ce me femble, un principe général & fûr dans tous les gouvernemens, c'eft que chacun 'fe trouve bien dans fon état, & que tout citoyen, fous la protection des lois, s'eftime autant que tout autre. L'émulation d'être mieux dans fon rang, n'est pas la même que celle d'en fortir; P'une peut tout animer, l'autre peut tout confondre.

Mais que feront les grades, fi vous ne mettez auparavant la bafe effentielle de l'eftime pour ces grades, d'abord dans le militaire, enfuite dans la nation?

On peut rappeler ici le mot d'un foldat qui fervoit fous le maréchal de Saxe; on lui demandoit de quel pays il étoit : j'ai l'honneur, répondit-il, d'étre Français; nous étions alors heureux & victorieux, & c'étoit pendant la guerre où les troupes ont toujours une plus grande confidération. Dans une autre circonftance, dans un autre tems, ce même homme avili n'auroit pas fait la même réponse. Il eft donc très-effentiel de faire contribuer la nation

fon eftime pour le foldat, à entretenir chez fui cette fenfibilité pour l'honneur. Si au contraire elle le retient dans une espèce d'aviliffement, il en résultera, aulieu d'un défenfeu: un efclave toujours difpofé à facrifier fes devoirs

à fes intérêts.

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Comment en effet faire envifager l'avancement comme une récompenfe, fi le corps dans lequel on fert, fi les membres de ce corps ne font pas confidérés & refpectés par le public? Comment faire defirer tel ou rel grade, fi la nation n'y a attaché elle-même aucune diftinction, fi l'on n'a pas appris aux hommes qui peuvent les mériter, à les confidérer & à s respecter? Parini nos militaires, quel cas fair-on des fous-officiers? on les laiffe trop fouvent obfcurs & ignorés, & leurs grades mêmes font devenus fi pénibles & fi défagréables, que bien peu de foldats fe foucient de les obtenir. Ils préfèrent leurs devoirs qu'ils connoiffent & qui les bornent à eux feuls, à la pénible charge de conduire les autres & d'en répondre. Un foldat eft exact à remplir fes devoirs, il eft brave, fage & intelligent; veut-on le récompenfer? on le fait caporal & enfuite fergent; mais dèslors fes devoirs deviennent infiniment plus effentiels & plus multipliés, il eft plus expofé à être coupable, parce qu'il eft chargé de la conduite des autres dont on le rend refponsable, & il ne femble être uniquement forti de la foule, que pour être plus en but aux punitions. Peut-on appeler cela des récompenfes ? font-ce là les moyens de faire defirer d'avancer en grade? on auroit bien de la peine à le perfuader, & l'expérience prouveroit le contraire. Combien il feroit néceffaire de prendre une route differente, pour tirer un parti avantageux des grades militaires & faire defirer de les obtenir ! que d'égards, que d'attentions il faudroit avoir pour le foldat que l'on vient d'avancer! combien il faudroit qu'il fe refpectât lui-même & qu'il fût refpecté par les autres ! les marques de fon grade devroient lui mériter dans le public, la conlidération & l'eftime qu'annonceroit la récompenfe qu'on lui a accordée. On devroit y ajouter certaines prérogatives parmi les camarades & fes concitoyens. Enfin il faudroit compenfer les peines par les avantages, & fi bien graduer & proportionner les uns & les autres, que le foldat ne fût continuellement occupé dans toutes les actions, qu'à conferver fon nouveau grade & à en mériter de plus hauts.

Choififfez toujours un fous-officier, à la pluralité des voix des officiers & des fous-officiers; les foldats eux-mêmes doivent concourir à ce choix. Préférez toujours l'homme fage, brave & intelligent; fon grade doit le diftinguer des autres. Faites-le refpecter par fes camarades, & furtout par les officiers; confultez-le fur les chofes dont il a été inftruit par l'expérience; ne le puniffez jamais légérement ni comme fes inférieurs. Si vous voulez le faire rentrer dans la foule d'où il eft forti, faites-lui fon procès & jugez-le publiquement; gardez-vous de l'affervir comme le moindre foldat à toutes les

minuties de la difcipline; il doit s'y foumettre librement pour donner le bon exemple, & il doit pouvoir jouir de cette liberté méritée par fa bonne conduite; dès-lors vous affurerez parmi vos foldats, cette émulation fi néceffaire & toujours fi heureufe, qui maintient la difcipline & difpofe aux grandes actions.

Vous récompenfez un état & les personnes qui l'ont embraffé, en lui donnant de la confidération; vous liez davantage les foldats les uns aux autres, vous affurez l'accompliffement de leurs devoirs, en faifant dépendre l'avance nent de l'approbation mutuelle de chacun d'eux; mais ce qui eft effentiel pour les fousofficiers, l'eft encore peut-être bien davantage pour les officiers. Ce font eux qui font chargés de conduire, de punir, de récompenfer les hommes qu'on leur confie; ce font eux qui doivent donner en même tems l'exemple de l'obeiffance & de l'autorité. Ils doivent être affez foumis pour obéir avec promptitude & remplir exactement leurs devoirs, & affez inftruits pour favoir bien faire exécuter par les autres, les ordres qu'on leur a donnés ou les opérations dont on les a chargés. C'eft de leur intel igence, c'eft de leur fageffe, c'eft de leur bravoure que dépendent fouvent la perte ou le gain d'une bataille. C'eft leur prudence, leur expérience, leur douceur, qui contribuent au bonheur des foldats, maintiennent fans effort la difcipline en vigueur & font faire les plus grandes chofes. Ce font eux enfin qui doivent être l'ame de ce corps fi néceffaire à l'état, & qui en affure la tranquillité.

Mais combien peu reffemblent aux officiers qu'il faudroit avoir, la plus grande partie de ceux que les ci:conftances & les lois trop variables ou trop imparfaites, ont fait nommer daus nos troupes! Comment donc pouvoir s'occuper férieufement d'avancer & de faire eftimer des hommes trop fouvent avilis à leurs propres yeux & à ceux de leurs concitoyens? Voulez-vous avoir des officiers tels qu'on pourroit les defirer? voulezvous les faire eftimer & refpecter de la nation? employez des moyens différens pour vous les procurer, & obligez-les auparavant à aimer leur état & à y refter.

La manière dont on choifit les officiers, cette maladie de la protection & de l'ancienneté, qui fait les deux tiers de l'avancement, eft la cause la plus fenfible de tous les mauvais effets dont on peut avoir à fe plaindre.

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» comme vous feriez un fergent du Châtelet » de Paris; & celui-là fe trouvant à une bataille » vous lui baillerez quelque coin à défendre; » & ce pauvre homme qui ne connoîtra fon » avantage vous fera perdre ce coin, donnera » cœur à l'ennemi & caufera la perte de la » bataille. Prenez donc garde à qui vous donnez » des places de capitaine. »

כל

ce Vous donnez enfuite les charges de capi»taine de gens de pied, à l'appetit d'un mon» fieur ou d'une dame, parce qu'ils veulent toujours avancer quelques-uns des leurs, ou »en obliger d'autres; de ces charges peuvent » en advenir de grands malheurs à une brêche, » ou à quelqu'autre entreprise qui fera de grande importance. Du tems de François Ier., le titre » de capitaine étoit titre d'honneur ; à préfent, » le moindre pique-bœuf fe fait appeler ainfi, » s'il a eu le moindre commandement. Il feroit » bon que tant de capitaineaux retournent » foldats. »

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La nomination aux grades doit donc dépendre du choix qu'il faut faire du fujet qu'il faut y nommer ou y avancer, même les fouspour officiers après un examen rigoureux fur les faits de guerre. Voyez le mot EXAMEN. Supplément. )

« Ce n'eft pas toute la force ( dit le che» valier de la Tour, dans fon Guidon des gens» d'armes ) d'avoir bon vouloir de bien frap»per & de ruer bons coups; mais tout gît à » entendre ce que l'on doit faire & de fecourir » aux inconvéniens qui peuvent fubvenir. Che» valiers doivent avoir fens, force ardemment, >> loyauté & exercice de leur art; fens de che»valier vaut plus d'aucune fois en victoire, que » ne fait multitude de gens, ne que la force » des gens qui fe combattent. »

Etabliffez donc cette règle invariable, que ce foit par les fuffrages feuls que l'on puiffe prétendre à parvenir aux grades & à y avancer. Protection, faveur, ancienneté de fervice, faites tour difparoître devant le mérite unanimement

reconnu.

Vous avez adopté trois modes alternatifs d'avancement, l'ancienneté, la nomination du directoire, le choix par un jury; de ces trois le dernier feul eft fupportable, encore faut-il le rectifier.

Quel danger n'y a-t-il pas en effet de faire

dépendre les places de la nomination du pouvoir exécutif, ou, ce qui eft la même chofe, de la protection & de la faveur, c'est étouffer les talents & l'émulation, c'eft perdre entiérement un état quelconque. Si vous laiffez espérer quelque chofe à la faveur, des-lors les brigues, les intrigues, les menées honteufes, tout le réunit pour cabaler; la vertu refte ignorée & le vice triomphe. Encore fi l'homme récompenfé étoit ifolé, mais la place qu'il vient d'obtenir lui donne du pouvoir fur fes femblables, & elle met entre fes mains le bonheur d'une partie de fes concitoyens & la fûreté de l'état.

Oppofez-vous donc à des moyens auffi nuifibles. Il femble à voir la marche de la protection, qu'on ait eu l'inconféquence de faire des places pour les hommes, & qu'on s'embarraffe peu d'avoir des hommes pour les places. Par quels moyens ces jeunes gens nommés par la faveur, ont-ils appris à commander aux hommes que vous allez leur confier? comment ont-ils pu les connoître ? dans quelle fituation les ont-ils vu? comment pourront-ils diftinguer les talens, les faire naître ou les employer à-propos? Seront ils devenus des hommes nouveaux, parce qu'ils ont de plus grands devoirs à remplir? non fans doute, ils feront jeunes, paffionnés, inconféquens. Un certain efprit répandu dans les corps, les fait aller machinalement, & y foutient la difcipline malgré ces abus; mais ils étouffent ent érement l'émulation & l'envie de fe diftinguer. Une partie des officiers fe livrent pour leur avancement à la cabale, à l'intrigue, à des baffeffes; & l'autre attachée à la routine la plus fervile, attend tout du tems & des évé

nemens.

L'ancienneté eft encore un des préjugés pernicieux, rendu prefque néceffaire dans nos troupes par l'habitude, & que la nonchalance & le peu d'application des officiers ont le plus grand intérêt de foutenir; cependant peut-on attendre d'heureux effets pour la bravoure, l'émulation, l'envie de bien faire & de fe diftinguer, de cet avancement qui s'obtient par l'ancienneté de service? ne femble-t-il, pas quand on y réfléchit, que la claffe des citoyens militaires doit être de toutes celle où il eft le moins effentiel de prendre pour guide les anciens, parce que la force du corps, l'activité, le courage, la préfence d'efprit, le fang-froid, les connoiffances, doivent être des qualités infiniment préférables à la feule expérience requife par le nombre des années? Auffi voit-on, même dès l'origine des nations, les peuples confier d'abord aux anciens le gouver nail du gouvernement, & choifir les plus forts & les plus vigoureux d'entr'eux pour les mener à la guerre. Ainfi, tandis que Neftor, Ulyffe & Agamemnom tiennent confeil dans leur camp,

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Achille, Ajax & d'autres jeunes héros, combattent fous les murs de Troye; ainfi dans les armées & pour faire la guerre avec fuccès il faut avec le fecours des leçons de la fagelle & de l'expérience, augmenter les connoiffances, e génie & la vigueur des jeunes guerriers; mais il y a une hiérarchie militaire & une fucceffion graduelle depuis le dernier foldat jusqu'au général de l'armée. Pour l'emulation, qui eft fouvent la caufe des grandes choles, parce qu'elle flatte notre amour-propre, il faut que chaque individu dans chaque grade, puiffe & doive efpérer d'en fortir au moyen de fes connoiffances & de fes actions, & prétende même arriver du dernier au premier grade. Dans les républiques, le mérite doit être la feule caufe de l'avancement: ce ne peut être que dans un gouvernement où les moeurs font corrompues, que fatigué de chercher le citoyen qui mérite ou flatté de protéger celui qui adule davantage, la faveur donne les premières places, & abandonne celles plus inférieures à l'ancienneté fans aucune diftinction. Nous mourrons dans ce que nous fommes, diront peut-être quelques officiers. Eh! bien, quand cela feroit, illustrez le rang que vous avez, faites qu'on le refpecte, & contentez-vous-en; méritez en un autre, & l'on fe hâtera de vous l'accorder. N'auroit-on pas dû s'appercevoir que cette marche de l'ancienneté donnoit néceffairement des droits trèsjuftes à des gens bien ineptes? Combien de fois les foldats & les officiers eux-mêmes n'en ont-ils pas été la victime!

ce Dans un tems illuftré par la chevalerie, » on ne fongeoit qu'à gagner des rangs, en » ne tentant jamais de les ufurper; & la nécef» fité de les acquérir à force de hauts-faits & » de fervices, leur donnoit un prix inestimable qui redoubloit l'ardeur de les obtenir. >>

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Choififfez donc différemment vos officiers & vos fous-officiers; prenez invariablement parmi les dernières places d'officiers, & ainfi fuccefces derniers les hommes qui doivent remplir fivement. Alors exigez pour vos fous-officiers de l'intelligence, de la bravoure, de la fageffe, quelques connoiffances; procurez-leur enfuite de la modération, du zèle, de la capacité, tous les moyens d'acquérir celles néceffaires aux officiers, (Voyez-en les détails au mot examen, fupplément.) Objet d'autant plus facile à remplir, qu'il eft probable, dans un ordre plus fage, qu'en tems de paix on ne retiendroit guère aux drapeaux que les officiers & les fous-officiers, & le tems pour le procurer les inftructions & les derniers auroient alors tout acquérir les connoiffances néceffaires, & les premiers pour augmenter celles déjà acquises.

que

Mais il feroit injufte de ne pas donner à

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