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le cœur de tous les hommes le défir de leur confervation la crainte de la douleur & l'horreur de la mort. Nier ces vérités, c'est être de mauvaise foi, ou ne point connoître le cœur humain. La bravoure n'étant point un don de la nature, & beaucoup d'hommes étant braves, il faut donc qu'ils acquièrent cette qualité. A qui la doivent-ils ? les uns difent qu'elle eft l'effet de la conftitution phyfique des individus; d'autres ont prétendu qu'elle eft produite par le climat; d'autres, qu'elle doit fa naiffance aux passions ; un grand nombre lui donnent la forme du gouvernement pour fource; d'autres enfin lui affignent l'éducation pour caufe, c'eft à ces derniers que je me rallie.

Avant d'aller plus loin, je dois prévenir mes lecteurs que je ne confidère point uniquement ici la bravoure individuelle, mais encore la bravoure commune à toute une affociation politique, ou à une grande corporation dans cette fociété. Si l'on confondoit la bravoure d'un individu avec celle d'un grand nombre d'hommes, on pourroit faire à mon fyftême quelques objections étrangères à mon fujet. Je ne veux point dire que la bravoure individuelle n'est jamais produite que par l'éducation, mais que tout un peuple n'eft conftamment brave que lorfqu'il reçoit une éducation dans laquelle on s'occupe beaucoup des moyens faits pour le rendre valeu

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Ce n'eft point au climat que les peuples doivent leur bravoure, ce n'eft même point au climat que les individus la doivent. Cette même terre qui produifoit jadis ces Spartiates, ces Romains fi juftement célèbres par leur valeur indomptable, ne porte aujourd'hui que des efclaves foibles & timides. L'hiftoire nous a appris d'ailleurs qu'on a vu le même peuple paffer très-promptement de laboure à la lâcheté, & revenir de la lâcheté à la bravoure. Si le climat étoit la caufe de la bravoure, tous les Spartiates, tous les Athéniens euffent été braves, peut-être également braves, & l'on fait que même parmi eux il y avoit des hommes intrépides, des hommes braves, des foibles, des poltrons & des laches.

Je conçois bien comment un ou plufieurs hommes, deja préparés à la bravoure par la forme de leur gouvernement où par leur éducation, deviennent, quand ils font échauffes par une paffion naturelie très-ardente, plus braves qu'ils ne l'étoient lors du calme de cette même paÑion: mais je ne conçois point qu'une paflion naturelle

puiffe donner de la bravoure à toute une armée, à un peuple entier, car il me paroît impoffible que tous les combattans foient animés contre les ennemis de l'état d'une haine affez forte pour les déterminer à braver la douleur & la mort. Comme il eft d'ailleurs certain que les pallions ont leurs momens de calme & de tourmente, les peuples qui doivent leur bravoure aux pallions doivent avoir une valeur très-inconftante. Ceuxlà font ceux dont on dit : il fut brave un tel jour. Les paffions fadices augmentent la bravoure mais ne la donnent point; voyez Bravouré.

Le cœur du poltron n'a, fi l'on peut s'exprimer ainfi, ni des yeux pour voir les récompenfes brillantes qu'on lui offre, ni des oreilles pour entendre les louanges qu'on lui promet, le blâme qu'on lui annonce. Ce n'est guère que fur les hommes braves que les paffions ont de l'influence & il n'y a peut-être que les hommes qui ont été élevés pour les fentir qui y foient fenfibles.

Parmi les écrivains qui ont traité des caufes de la bravoure des peuples, beaucoup ont cru qu'elle est l'effet du mode de gouvernement, & pour le prouver, ils ont comparé les iujets d'un delpote ou d'un monarque avec les citoyens d'une république. Mais étoit-ce là la marche qu'il falloit tenir pour convaincre? n'auroit-on pas dû comparer enfemble les fajets de deux monarchies, de deux républiques, les membres de deux hordes de fauvages? Si l'on eut trouvé parité de bravoure là où l'on auroit reconnu fimilitude dans le gouvernement, on eût été autorité à conclure que ta conftitution politique des étars eft la fource de la bravoure des peuples. Cependant il auroit fallu, pour ne laiffer aucun doute, aller plus loin encore il auroit fallu comparer chaque peuple à lui-même, & voir fi fa bravoure avoit varié avec les petites modifications que le gouvernement avoit éprouvées. Ce travail très long & très-difficile n'a point été fait & peut-être ne le fera jamais je l'avois entrepris, mais je n'ai pu le terminer. Les grindes lacunes que l'hiftoire préfente, l'inexactitude des hiftoriens, le défaut de livres de temps & de talens, m'ont arrêté : j'ai néanmoins pouffe cet examen affez loin pour affirmer que fi le mode de gouvernement, fi la conftitution des états ont de l'influence fur la bravoure des peuples, il n'en exifte pas moins une autre caufe une caufe bien plus fenfible, bien plus forte que celle-là. Je veux parler de l'éducation. Oui, c'est l'éducation qui eft la véritable & peutêtre la feule caufe de la bravoure des peuples; L'histoire des nations & des hommes le prouve. Ce n'est point en donnant deux rois & des éphores aux Laconiens que Lycurge en fit des Spartiates, mais en ordonnant qu'on habituât les enfans à refter feuls dans l'obicurité; en les

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faifant quelquefois battre de verges pour les façonner à la douleur, en les familiarifant de bonne heure avec l'idée de la mort, en ne mettant fous leurs yeux que des objets faits pour exciter en eux l'amour des combats : tous leurs Dieux & toutes les Deeffes, Vénus même, étoient représentés revétus d'armes. Le refte de leur éducation étoit dirigé vers le même but.

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De toutes les preuves que préfente l'histoire ancienne des effets de l'éducation fur la bravoure, la plus frappante, à mon avis c'est celle des Lidiens; ils furent réputés par leur bravoure jqu'au moment où Cyrus, après les avoir raincus, changea abfolument l'éducation qu'ils etoient accoutumés à recevoir les Perfes euxmées ne devinrent-ils point un peuple des plus bares, dès que le prince que nous venons de Sommer leur eut donné une éducation uniquement militaire. Pyrrhus, ce roi célèbre dans les faftes de la guerre, n'étoit-il pas convaincu des effets de l'éducation fur la bravoure, quand il affuroit qu'il pourroit transformer des Sibarites effeminés, des hommes lâches & corrompus, en foldats valeureux.

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Parmi les peuples fauvages, les plus braves, les plus ardens à la guerre, ce font ceux qui tournent l'éducation de leurs enfans vers l'amour des combats, ceux qui emploient les moyens les plus efficaces pour affoiblir en eux la crainte de la mort, & pour allumer dans leurs ames une haine conítante contre les ennemis. C'eft pour cela que les femmes du Bréfil frottoient leurs enfans avec le fang des captifs, & leur faifoient manger de bonne heure les entrailles de leurs ennemis c'eft pour cela que les Floridiennes bavoient le fang des prifonniers de guerre & en faifoient boire à leurs nourriffons; c'est pour cela que les anciens Irlandois donnoient prefque toujours leurs alimens à leurs fils à la pointe d'une épée. On n'eft plus étonné de la valeur des Germains, des Gaulois, des Normands & des Efpagnols du fixième & feptième siècles quand on connoît l'education qu'ils donnoient à leurs enfans, les préjugés qu'ils leur infpiroient, les principes religieux qu'ils inculquoient dans leurs ames. Il étoit defendu parmi eux de proRoncer le mot peur, même dans les plus grands dangers; on leur répétoit chaque jour que le uprême droit, la fuprême vertu réfident dans la valeur; on les empêchoit de fe rafer jut qu'à ce qu'ils euffent tué un ennemi de l'état ;

pouvoient fe préfenter en public devant leurs pères, avant d'être en état de porter les armes; tous les exercices qu'on leur faifoit faire tendoient à les rendre plus forts, plus légers, plus hardis; toutes les leçons qu'on leur donnoit, à leur faire concevoir le mépris de la mort la généreufe réfolution de braver tous les dangers plutos que de renoncer à l'honneur & à la liberté.

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N'étoit-ce pas auffi à leur éducation que nos preux devoient toute leur bravoure? le gouvernement influoit-il, pouvoit-il influer fur leur valeur? La dernière preuve que je donnerai des effets de l'éducation fur la bravoure je la tirerai de P'Hiftoire de l'Empire Ottoman. Je veux parler de ces Janiffaires qui n'ont été fameux par leur valeur, que pendant le temps où ils ont reçu l'éducation qu'Amurat, leur fondateur, avait prefcrit qu'on leur donnât. De ces obfervations, que j'aurois pu très-aifément rendre plus nombreufes, je conclurai avec Vegèce, Polibe Folard, l'auteur du véritable efprit militaire, & un grand nombre d'autres écrivains, qu'on ne naît point brave, mais qu'on le devient par la force de l'inftitution; que l'opinion malheureufement trop commune que le courage eft un don de la nature, fait que nous nous debarraffons du foin pénible d'en acquérir, & que nous nous confolons d'en manquer, en rejetant la faute de notre couard fe fur la nature.

S'il eft prouvé que la bravoure s'enfeigne comme la geometrie, il est bien mieux prouvé encore que l'humeur belliqueufe fe donne nor feulement aux nations, mais même aux ind vidus. Parcourez l'hiftoire & vous flarez d'a

vance, d'après l'éducation que les jeunes princes auront reçue, s'ils aimeront ou n'aimeront point la guerre; & vous faurez d'avance fi la génration fuivante préfèrera la guerre à la paix ou la paix à la guerre. Je me bonerai aux princes. Comment Alexandre n'auroit-il pas aimé la guerre? Il fut dès fon berceau entouré d'armes, de foldats; les premiers cris qui frappèrent fes regards furent ceux de la victoire. Mais arrivons bien vite à des temps plus modernes. Comment Charles VIII, roi de France, lui qui n'avait rien de ce qui conftitue un conquérant, fut-il entraîné vers l'amour de la guerre : c'eft parce qu'il fut entouré de courtifans qui étant intéreffés à lui faire aimer les combats, échauf fèrent, exaltèrent fon imagination. Comines nous apprend que Louis, duc d'Orléans, qui porta depuis le nom de Louis XII, voulant engager Charles VIII encore très jeune à paffer en Italie, penta qu'il falloit commencer par échauffer fon imagination. En confequence, il drefait tous les jours de nouvelles parties de joutes, de tournois, de combats à la barrière. A chaque coin de rue dans Lyon, il y avoit des perrons & des echafauds pour combattre ; on ne voyoit que chevaliers habillés à la grèque, à la romaine, à la mourefque, à la turque avec belles devifes. Les poètes ne chantoient que la guerre; les dames ne pa loient d'autre chote. Ainfi par ces reffemblances de combats, par ces magnificences, par les fanfares des trompettes, par les chants des poètes, par les enchantemens des dames, il éleva le cœur de ce jeune toi à

de hautes entreprifes, & l'enflamma tellement de l'amour de la gloire, qu'il ne pouvoit dormir jufqu'à ce que le voyage d'Italie fût résolu.

En lifant les mémoires de Fleuranges, on fe convainc que l'éducation de François 1er fut la principale caufe de fon amour pour la guerre, Poferois affirmer que ce gros garçon n'étoit pas né pour tout gâter par l'amour pour la guerre. « Comment, difent les Mémoires que nous venons de citer, M. d'Angouleme & le jeune adventureux, & tout plain de jeunes gentilshommes paffoient le temps à tirer de l'arc vous affurant que c'étoit l'un des plus gentils archers, & des plus forts que l'on n'a point vu de fon temps? comment mondit fieur d'Angoulefme & le jeune adventureux tiroient de la ferpentine avec de petites flèches après un blanc

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une porte, pour voir qui tireroit le plus près comment mondit fieur d'Angoulefme & le jeune adventureux faifoient de petits châteaux ot bastillons, & affailloient l'un l'autre tellement qu'il y en avoit fouvent de bien battus, frottés, & étoit en ce temps le jeune adventureux l'homme de la plus grande jeuneffe que jamais fe viffe; comment mondit fieur d'Angoulefme & le jeune adventureux, & autres jeunes gentilshommes faifoient des baftillons, & les affailloient tous armés pour les prendre & défendre à coups d'épée & entre autres y en eut un auprès du jeu de paulme à Amboife, là où M. de Vendofme, qui étoit venu voir M. d'Angoulefme, cuida être affolé, & tout plain d'autres ». Page 7 & 8.

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« Comment après que mondit Sieur d'Angoulefme & le jeune adventureux & autres gentilshommes devinrent un peu plus grands, commencèrent culx armer, & faire joutes & tournois de toutes les fortes qu'on fe pouvoit advifer, & ne fut qu'à jouter au vent, à la felle deffeinglée ou à la nappe, & crois que jamais prince n'eut plus du paffe-temps qu'avoit mondit Sieur, & être mieux endoctriné, que Madame fa mère l'a toujours nourri ». Page 9.

Si à ces preuves qui me paroiffent inconte tables, on me demandoit d'en ajouter quelques autres, je citerois les trois princes modernes qui ont le plus aimé la guerre Louis XIV, Charles XII, Frédéric II, & je montrerois que leur humeur belliqueufe a été le produit de leur éducation; mais comme il me paroît démontré, même fans le fecours de ces nouveaux faits, que la bravoure s'acquiert & que l'humeur belliqueufe fe donne, je paffe aux moyens que j'emploirois pour produire ce double effet.

Comme les premières impreffions font les plus durables parce qu'elles font les plus profondes, les joujous de mon élève feront des armes, fes magots des foldats, fes habits un uniforme, fes jeux des exercices militaires. Les livres qu'il

ces

lira auront tous, avec l'art de la guerre, une relation plus ou moins directe; les peintures & les gravures qu'il obfervera lui offriront des héros guerriers, & les bas-reliefs des fymboles militaires; il couchera fur un lit de camp & pour alcove il aura une tente. Ces moyens font petits, je le fais, je les donne pour tels, mais ils n'en produiront pas moins de grands effets. Peut-être n'a-t-il fallu que l'une de ces circonftances pour tourner vers l'art de la guerre, le génie de nos généraux les plus illuftres. Mais ce qui produira certainement un effet plus grand & plus certain, c'eft l'extrême attention que j'apporterai à ce que fon oreille ne foit jamais frappée d'aucun de contes puérils dont trop fouvent on berce l'enfance & la jenneffe; de ces hiftoriettes qui fuppofent l'exiftence de quelques êtres chimériques, ou qui donnent à des êtres réels des facultés qu'ils n'ont point. On ne fait point affez combien il est dangereux de faire éprouver aux enfans le fentiment de la terreur. Si la crainte s'eft une fois emparée de leur imagination, impreflions fe gravent fi profondément dans leurs organes encore tendres, qu'il eft prefque impoflible de les effacer; la timidité de beaucoup d'hommes faits n'eft fouvent qu'une habitude machinale contractée dans l'enfance de la jeuneffe. Ne lui préfentons que le plus rarement qu'il nous fera poffible l'image des dangers réels, & jamais celui des dangers imaginaires. Eloignons tout ce qui peut infpirer de faufes craintes; celles là font impoffibles à calmer.

ces

Je veillerai aussi avec un foin égal à ce qu'on ne donne point à mon élève des idées populaires fur la mort. Tout homme qui la craint n'eft point brave, conftamment brave. Je reculerai donc, en conféquence de cette vérité, l'explication phyfique de la mort, & lorique je ferai forcé de la lui faire connoître, je ta lui montrerai comme un terme inévitable; je lui prouverai que l'inftant de fon arrivée est marqué dans le livre des deftinées; que le lache qui la fuit ne peut l'éloigner, & que le brave qui va à fa rencontre ne peut la håter. Ce feroit ici le moment où un inftituteur à qui il feroit permis de créer à fon gré un fylrême religieux tireroit de la fuperftition un parti bien utile. Combien les anciens n'avoient-ils pas à cet égard d'avantages fur nous; combien même les Mufulmans ne font - ils point plus favorablement placés: on s'étonne de leurs fuccès, & moi de ce qu'ils ne font point les maîtres de la terre : comme je pourrai cependant, lorfque je parlerai de l'Etre Suprême, me fervir de quelques expreffions employées dans nos livres faints, comme je pourrai le nommer le Dieu fort, le Dieu des combats; comme je pourrai

PEtre Suprême doit tenir un grand compte de notre dévouement à la patrie, la religion ne laiffera point de me fournir de grands fecours. Ce fera neanmoins fur l'opinion des hommes que je me confierai le plus. Peut

être fi j'élevois un efclave, peut-être fi j'élevois un citoyen paisible, je chercherois, pour fon bonheur, à affoiblir la force de ce. levier; mais avec un homme libre, mais avec un militaire je ferai tout pour le fortifier. Cette difference eft grande, mais elle eft néceffaire. Je lui donnerai donc une vénération extrême pour l'opinion publique; être eftimé de tous, ce fera là l'objet de fes plus ardens défirs; cette eftime fera pour lai es trophées de Miltiade, la gloire de Califte. Je me garderai bien de lui laiffer entrevoir qu'il exifte des hommes foibles ou poltrons; il craindroit moins d'être pufillanime ou lâche il ne verra dans tous les citoyens que des hommes prêts à facrifier leur vie à leur parrie, à leurs devoirs. Cette illufion eft néceffaire à tous les ages, à tous les fexes; elle fait, je le fais bien, quelques dupes, mais la focicté y gagne & c'est là l'effentiel. Qu'ils font inconfequens les hommes qui prétendent inspirer l'horreur du vice & le montrent par-tout! ils ne lavent point qu'il y auroit bien peu d'hommes lashes & de femmes foibles fi l'on difoit qu'il n'en exifte point.

Quoique je fois réfolu à ne point laiffer croire mon elève qu'il eft des hommes lâches, je nen peindrai pas moins la lâcheté, mais elle aura toujours les traits les plus hideux, les couleurs les plus noires; cette peinture me fervira encore à lui perfuader que les honnêtes gens ne font jamais lâches.

Comme je n'oublierai point que j'élève un jeune homme qui doit être au deffus de la crainte des fatigues & de la douleur, je ne laifferai jamais prendre au foin de fa conversation de l'afcendant fur l'accompliffement de fes devoirs. Quelque heure qu'il foit, quel temps qu'il faffe, qu'il foit malade ou bien portant, nous obéirons toutes les fois que le devoir, que la règle commandera. C'eft en accoutumant de bonne heure les enfans à cette foumiffion qu'on en fait des hommes toujours prêts à obéir aux lois. Je ne puis trop recommander aux pères de furmonter à cet égard le craintif empreffement, l'inquiétude ridicule des mères; elle est faite pour donner aux enfans de la foibleffe, de la pufillanimité. Celui-là avoit bien raifon qui difoit les enfans ne deviendront jamais des hommes fi leurs mères reftent femmes. Pour habituer mon élève à méprifer la douleur, je ne le ferai cependant point fouffrir fans néceffité, il faut que je ne me fois point élevé à la hauteur de Lycurgue puifque cette partie de Art. Milit. Suppl. Tome IV.

fon inftitution m'a paru toujours inutile, barbare, abfurde. La force, la vertu ne confifte point à braver la douleur qu'on peut éviter, mais

fupporter avec patience une douleur inévitable, & à n'être point arrêté par la crainte de cette douleur. C'est moins un Stoïcien qu'on doit former, qu'un homme dont les fentimens foient ftoïques.

On imagine bien encore que voulant rendre mon élève impaffible à la douleur & à toute efpèce de crainte phyfique ou fervile, ja bannirai loin de lui tout châtiment corporel; ils font dangereux comme coups, & plus dangereux comme peines. Comme coups, ils peuvent nuire à la fanté, comme peines, ils infpirent la timidité, ils font regarder la douleur comme le mal fuprême, & par conféquent is baffent l'âme, énervent le courage. Le choix des récompenfes ne fera pas fait avec moins de foin: des récompenfes mal choifies donnent aux enfans beaucoup d'idées fauffes; elles les accoutument à attacher un très-haut prix à des objets dont ils devroient faire très-peu de cas, ou qu'ils devroient dédaigner. Je puiferai donc mes récompenfes dans l'opinion & l'eftime des hommes, & dans la jouiffance des objets qu'il devra toute fa vie regarder comme de vrais biens.

Une obfervation qu'on n'a point faite affez fouvent, ou qu'on n'a point affez développée, eft celle qui nous apprend que le gouvernement fous lequel les hommes doivent vivre doit influer fur leur éducation. C'est rendre un fer. vice, un très-grand fervice au fujet d'un defpote, & à l'homme qui doit végéter fous la régime oppreflif de l'ariftocratie féodale, que de le rendre de bonne heure efclave de la volonté arbitraire des autres hommes. Le fentiment de la liberté s'affoiblit peu à peu, & un ferf n'eft abfolument heureux que lorfqu'il eft abfolument éteint. Si vous élevez donc un enfant dévoué au defpotiime, faites en de bonne heure un efclave; obfervez cette antique maxime qui dit qu'on doit dès l'enfance plier la volonté de la jeuneffe à la volonté des autres hommes, affujettir leur humeur au caprice, à la ftupide autorité de tout ce qui l'entoure; que l'on doit en un mot réprimer tous fes défirs, même les plus innocens; contrarier fes volontés, même les plus licites. Quant à moi qui élève un homme libre, & qui n'en veux point élever d'autre, je tiendrai une marche différente. Je ménagerai avec un foin extrême le précieux instinct de la liberté, je cherchorai avec une attention inquiète à reconnoître les bornes de mon autorité afin de ne les dépafler jamais, jamais fur tout je ne chercherai à éteindre ce fentiment généreux d'indépendance qui caractérise toutes les ames fortes, éclairées. Je ferai le rigide obfervateur

PP

on

des lois que j'aurai faites, & jamais je n'exigerai ce qu'elles ne me donneront point le droit de commander. Si notre code n'a point tout prévu, fi je fuis forcé de recourir à l'arbitraire, j'emploierai plutôt la perfuafion que la trainte. N'oublions jamais que fi dans l'enfance on peut quelquefois recourir à l'autorité, ne doit dans l'adolefcence recourir qu'à la raifon & à la loi. En permettant à mon élève tout ce que je ne lui aurai point défendu, j'évi-. terai de grands maux, & je ferai naître de grands bens. Une contrainte fervile rétrécit l'ame, infpire une niaife timidité, habitue à la baffeffe, au menfonge; une jufte liberté donne au contraire aux enfans. une noble confiance, une aimable franchife; elle les rend gais, contens heureux, & quand ma méthode ne feroit qu'ajouter un quart à la fomme du bonheur accordé à chaque homme, ce feroit pour moi. un motif tout-puiffant.

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Avec les moyens que je viens de développer, & un grand nombre d'autres qui en font une conféquence néceffaire, je parviendrai, je n'en doute point, à lui infpirer du goût pour la profeffion militaire, & à lui donner la bravoure néceffaire aux guerriers. Mais ne ferai-je point de mon élève un capitan, un gladiateur, un matamore? non je n'ai point cette crainte. Il eft difficile, je le fais, d'endurcir le cœur contre la douleur & la mort fans émouffer la fenfibilité; rarement celui qui s'eft habitué à fupporter la faim, la foif, la chaleur & le froid, eft ému par le fpectacle d'un homme haletant de chaleur, tranfi de froid, ou exténué par la faim; rarement on voit les hommes qui aiment la guerre la craindre pour les autres; rarement ceux qui la défirent la regardent comme le plus grand des fléaux pour un état; rarement on eft très fenfible à l'opinion des hommes & affez philofophe pour ne pouvoir être offenfé par eux. Mais comme il a été & comme il eft encore fans doute, des hommes qui ont allié dans leur cœur la févérité pour eux-mêmes & l'indulgence pour les autres; le mépris de la mort avec la crainte de la donner aux autres ; l'infenfibilité à fes propres maux avec la compaffion pour les maux d'autrui, en un mot, la bravoure la plus haute avec la morale la plus pure, l'humanité la plus tendre; pourquoi ne réuffirois je point aufli à faire cet heureux alliage dans le cœur de mon pupille? L'inftitution fait tout, & ce fera à ce grand objet que je donnerai mes foins les plus fuivis. Oui, tout inftituteur qui donnera à fon élève des idées. nettes, des vertus, des notions claires fur fes. devoirs & fur leur fubordination, atteindra néceffairement le but défirable que je voulois frapper;, il aura, veux je dire, donné au caractère

fon clève le plus haut degré poffible d'élévaion & de honté..

Telles font les principales vues qu'il m'a pa qu'on devroit fuivre dans la première éducation d'un jeune citoyen qu'on deftine à la profeffion militaire; il m'a fenible qu'elles étoient faites pour le rendre apte à recevoir dans un college l'éducation militaire publique, ou même d'aller la recevoir dans un régiment, fous la furveillance d'un mentor attentif.

§. III.

De Péducation militaire publique.

Comme nous avons prouvé ailleurs que les colléges militaires actuels font inconftitution. nels, qu'ils ne donnent de l'éducation qu'à un petit nombre de citoyens, qu'ils font que l'état paye avant d'avoir reçu, qu'il paye fouvent fans recevoir, & enfin que ce qu'il reçoit vaut rarement ce qu'il a payé; nous avons dé montré que l'éducation militaire publique ne doit point être donnée dans les colléges & les écoles militaires actuelles: comme nous avons prouvé auffi que les examens & les cours dans les régimens font fous tous les afpects préférables aux colléges, & qu'ils peuvent feuls procurer aux citoyens une bonne éducation militaire pu blique, nous nous bornerons dans ce paragraphe à renvoyer nos lecteurs aux articles dans lefquels nous avons développé notre opinion fur ces objets. Voyez ECOLES MILITAIRES, EXAMENS, CAPITAINE & MENTOR.

E F

EFFECTIF. L'effedif eft ce qui exifte en effet quand on a défalqué les hommes qui manquent au complet, ceux qui font aux hôpitaux ou dans les infirmeries , ceux qui font en congé ou fur les derrières, ceux qui font de fervice ou incapables d'en faire. Cet effectif eft fouvent bien peu confidérable eu égard au complet des compagnies ou des régimens. Ce n'eft cependant que fur cet effectif que le général d'une arméo doit calculer fes opérations. Voyez JOURNAL.

E L

ÉLITE, (troupes d'élite). Voyez Troupes.

E. M

EMBAUCHEURS. On ne doit donner le nom d'embaucheur qu'aux hommes qui effaient de: déterminer les foldats à déferter, pour aller s'engager au fervice d'une puiffance étrangère. On a dit, il y a long-temps, s'il n'y avoit point de receleurs il auroit peu Y de voleurs; de même on pourroit dire, s'il n'y avoit poins d'embaucheurs, il y auroit peu de deferteurs..

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