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talens de vos caporaux, fi vous ne connoiffez pas auffi bien que le plus inftruit d'entre eux, quelle eft la progreffion qu'il faut fuivre pour former un homme de recrue &c de l'inftruction & de l'exactitude des fergens, fi vous ne connoiffez pas, dans toute leur étendue, les devoirs dont ils font chargés? Ce que je vous dis du fergent eft également applicable au lieutenant, au capitaine, au major, au lieutenant-colonel; oui, mon fils, ce n'eft qu'en vous rendant capable d'occuper les différentes places qui font au-deffous de la vôtre, que vous pouvez dignement remplir celle qui vous eft confiée, & forcer les autres à s'acquitter de tous leurs devoirs.

Je ne vous recommanderai pas l'étude des ordonnances militaires, vous vous y êtes livré de bonne heure: mais de ne jamais vous écarter de ce qu'elles prefcrivent. Je ferai le premier à vous punir, ou à folliciter votre punition, fi j'apprends jamais que vous vous êtes permis de vous en éloigner. La loi eft aux yeux de tout bon citoyen, de tout bon militaire, l'objet le plus facré on dit, je le fais bien, & dans ma jeuneffe je l'ai dit comme les autres; la lettre tue & l'efprit vivifie; mais comme j'ai toujours vu que fous prétexte de cette vivification on fe permet les écarts les plus grands, je vous ordonne expreffément de vous en tenir à la lettre de la loi. Refpectez auffi les ufages introduits depuis trèslongtemps; fi vous en trouvez cependant quelqu'un d'abufif, il faut l'abolir, mais procédez à fon abolition avec prudence & avec fageffe préparez par votre conduite & par vos difcours les changemens que vous voudrez opérer; faites en fentir les avantages: n'entreprenez jamais de détruire plufieurs abus à la fois : attachez-vous d'abord au plus important, au plus effentiel fi l'on attaque en même temps toutes, les parties d'un édifice qu'on veut rétablir, on l'ebranle toujours, & quelquefois on le renverfe ne démoliffez qu'après avoir préparé ce qui doit être mis à la place de ce que vous voulez renverfer: fouvenez-vous toujours qu'on fait plus de mal que de bien quand on propofe inconfidérément les changemens même les plus avantageux, & quand on emploie la violence pour les faire adopter confultez les anciens officiers fur les réformes que vous voudrez faire; ils entraînent par leur opinion celle du corps

entier.

:

Je ne vous parlerai point ici de l'étude de la guerre, je vous en ai prouvé la néceflité & les avantages dans un mémoire qui a précédé celuici, & je vous ai indiqué le plan que vous deviez uivre pour apprendre cette fcience; je me bornerai à vous redire que Thiftoire eft la fource dans laquelle vous devez puifer fans ceffe: ne lifez pas l'hiftoire pour apprendre l'hiftoire, mais pour apprendre la guerre, la morale, & la poli

tique. L'hiftoire a été dès mon enfance l'objet de mon étude, & c'eft à elle que je dois tout ce que je fais. Ne négligez point les fciences mathématiques; je fuis faché de ne les avoir point affez cultivées; je les ai apprifes de bonne heure; je les aimois; j'y avois fait des progrès; j'ai dû beaucoup au peu que j'en fais.

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Vous êtes brave vous l'avez prouvé, mais gardez-vous de l'être avec excès. Combien de larmes ne m'a point coûté la bravoure excel five de quelqu'un qui m'étoit bien cher ! Que la vôtre ne me foit point aufli cruelle. La bravoure, qui eft la première des qualités pour un foldat, doit, dans le colonel, être fubordonnée à la prudence; j'aimerois cependant mieux avoir à pleurer votre mort, que votre gloire, que votre honneur. Souvenez-vous que les hommes qui vous confeilleront le plus hautement de ménager votre perfonne, feroient les premiers à vous blamer si vous fuiviez leurs confeils.

Aimez votre patrie, aimez votre roi; vous le devez, mon fils, & parce que c'est un devoir impofé à tout citoyen, & parce que les graces dont j'ai été comblé vous en font une loi, ces fentimens font affez profondément gravés dans Votre cœur pour que je puiffe me difpenfer de les approfondir encore en y repaffant le burin.

Aimez la gloire; que le défir de l'obtenir foit toujours ardent. Cette paffion de la gloire m'a foutenu dans la carrière difficile que j'ai parcourue; elle m'a fait oublier que j'étois né avec une fanté délicate, un corps foible.

Je ne vous parlerai point de la probité, mais je vous recommanderai de veiller fur celle de vos gens; on accufe quelques colonels de vendre les emplois de leur régiment; je ne crois pas que cela puiffe être, ils les donnent, mais leurs gens les vendent.

Ayez un régiment meilleur & plus inftruit que les autres; cet amour propre eft permis à un colone!; mais ne cherchez pas à le rendre plus beau, & fur-tout à le furcharger de pompons. Veillez à ce que les compagnies foient toujours complettes en hommes propres à la guerre; qu'une fauffe pitié ne vous engage pas à laiffer les capitaines tirer la paye des foldats qu'ils n'ont point celui qui fe permet cette malverfation trompe le roi & manque de probité. Celui-là en manque encore qui n'apporte pas la plus exacte juftice dans la diftribution des grâces, & qui fur-tout n'empêche point fes fubordonnés de faire fur le foldat des gains illicites. Cette attention eft, mon fils, une des principales que doit avoir un colonel.

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exact, & vos officiers feront ponctuels, attentifs & éles; dans le cas contraire, vous verrez une trifto & froide apathie s'emparer de votre régiment: tout colonel négligent entraîne tout fon corps vers l'oubli de fes devoirs.

Ne vous laiffez jamais emporter par l'impatience ou la colère : on fe repent toujours d'avoir obéi aux premiers mouvemens des palions; voulez-vous faire une jottije, a dit avec raion un de nos poètes, prenez confeil de la colere; c'eft en l'écoutant qu'un chef de corps Compromet quelquefois fon honneur, quelquefois fa vie, & plus fouvent encore celle des hommes qui lui font foumis.

Obéiffez aux lois & aux hommes que le prince a choifis pour en être les organes,; Finfubordination eft le premier, le plus grand des vices militaires : il fe communique avec une rapidité extrême, & il acquiert des forces à meture qu'il fe propage. Tout colonel qui n'obéit point à fes fupérieurs peut-il exiger, peut-il efpérer que fes fubordonnés lui obéiffent?

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comme le

Regardez vous comme le juge cenfeur, comme le magiftrat & comme le père de votre régiment en qualité de magiftrat & de puge, vous veillerez au maintien des lois; en qualité de cenfeur & de père, vous veillerez au maintien des mœurs occupez-vous fur-tout de ce dernier objet, toujours oublié ou trop néglige par les chefs des corps militaires; là où les mœurs regnent on obferve les lois, & ce qui vaut mieux encore, on les aime veillez donc à épurer les mœurs : mais ne penfez pas qu'elles fe commandent; elles fe montrent, elles s'infpirent: l'autorité de l'exemple eft ici, comme prefque partout, plus forte que celle de la volonté, la vigilance nous feroit en vain découvrir, dans les autres, des vices qu'on pourroit nous reprocher à nousmême. Si vos mœurs font pures, celles de votre régiment le feront; votre tempérament fe fortifiera; vous économiferez beaucoup de temps; Vous vous mettrez à l'abri de plufieurs ridicules durables; vous ne ferez jamais le jouet des circonftances, & l'eftime publique vous dédommagera des privations que vous vous ferez impofées.

Fuyez le jeu & fur-tout les jeux de hafard; banniffez-les avec foin de votre régiment, ils perdent la plupart des militaires.

Gardez-vous de contracter le goût du vin, il abrutit; que votre table foit bonne, mais jamais délicate; admettez y les officiers de votre corps de préférence aux officiers-généraux, aux colonels & aux autres chefs : que les rangs foient marqués, chez vous, par le degré d'estime que méri

teront vos convives.

Réduifez vos équipages au pur néceffaire; Tous devez donner l'exemple de la fimplicité, de la modestie, parce que vous êtes Colonel & parce Art. Milit. Suppl. Tome IV.

que vous êtes mon fils; cette modération vous coutera d'autant moins que j'ai eu l'attention de bannir loin de vous cette molleffe voluptueufe qui transforme en femmes délicates la plupart de nos jeunes militaires. Je n'ai point fouffert qu'on mit de l'or ou de l'argent fur vos chevaux, vos mulets, ni fur l'habit de vos gens, j'efpère que vous foutiendrez toujours cette fimplicité précieuse. La magnificence qui fied fi bien à l'homme chargé de repréfenter un fouverain, eft vicieuse dans l'homme de guerre en général, & funefte dans un colonel; fon corps fe fait un devoir, un honneur de l'imiter. Je n'ai jamais vu fans une vive indignation les jeunes chefs de nos régimens traîner après eux dans les camps & dans les garnifons le luxe & la molleffe de la cour; chercher à fe faire diftinguer par la richeffe & le brillant des équipages, la multitude des valets, l'extrême beauté des chevaux, la délicateffe des tables, rivalifer uniquement enfin dans l'art de multiplier les voluptés. Eft-ce bien là l'ambition qui devroit animer les chefs des corps militaires. Je m'arrête; l'aigreur s'empareroit bientôt de moi; mes confeils vous font d'ailleurs moins néceffaires fur cet article que fur beaucoup d'autres.

aux

Vous n'avez jamais vu un être fouffrant fans défirer vivement de faire ceffer fes maux ou de les alléger; confervez, mon fils, cette fenfibilité précieufe: elle pourra bien quelquefois vous caufer des peines, mais elle vous procurera encore plus fouvent des plaifirs vifs & purs. C'eft autant pour votre gloire que pour votre bonheur que je vous recommande de Vous montrer humain & généreux : l'humanité, la libéralité nous gagnent & nous confervent le cœur des hommes avec qui nous vivons, quels nous commandons. Quelque dépenfe que vous fafliez pour foulager Phumanité fouffrante j'y pourvoirai avec joie ; j'aime bien mieux qu'on parle de votre bienfaisance " que de votre habileté dans l'art d'ordonner une fête; que l'on s'étonne du nombre d'heureux que vous aurez faits. , que de celui des grands que vous aurez effayé de défennuyer: le fouvenir d'une fête qu'on a donnée ne laiffe dans l'efprit ni dans le cœur aucune trace agréable, celui d'un malheureux qu'on a confolé en laiffe de délicieutes. Je ne m'oppofe point à ce que vous diftribuiez, dans dans quelque circonftance importante, une gratification générale aux foldats de votre régiment; j'aimerois cependant mieux vous voir verfer le même argent fur ceux qui auront été bleffés, qui auront fait quelque action éclatante, ou qui, en rempliffant leurs devoirs, auront éprouvé quelque perte grande pour eux. Ne laiffez paffer aucune femaine fans vifiter une ou deux fois les malades de votre régiment; parlez à chacun d'eux avec bonté; écoutez leurs plaintes & faites

T

les ceffer; écoutez même le récit de leurs maux ; cette complaifance contribuera autant que les remèdes à hâter leur guérifon. Vifitez fouvent les prifons de votre régiment; l'homme coupable doit être puni, mais non renfermé dans un endroit mal-fain. Je ne vous dirai point de ménager à la guerre le fang & les peines de vos foldats? celui-là eft indigne du nom d'homme, qui, pour fe faire une renommée, les expose à des maux, à des périls fuperflus: fachez d'ailleurs que la gloire qu'on obtient à ce prix n'est ni belle, ni durable.

Les colonels françois font renommés depuis long-temps dans l'Europe entière par leur politeffe; on ne fera jamais pour vous, j'en fuis certain, une exception qui vous feroit injurieufe; loin de refter au-deffous de vos modèles, vous les furpafferez la plupart des colonels ne font polis qu'avec les femmes, leurs fupérieurs & leurs égaux; vous vous le ferez avec vos inférieurs. Vous ne parlerez jamais aux officiers de votre régiment, & jamais vous ne parlerez d'eux avec ce ton impérieux ou léger qu'affectent quelques chefs de corps: fouvenez-vous, je vous le répète, que beaucoup de vos fubalternes ont mieux mérité que vous de commander un régiment; que beaucoup ont une origine plus antique & plus illuftre que la vôtre, & qu'il ne leur a manqué pour être élevés au-deffus de vous, qu'un peu de richeffe ou de bonheur. Soyez donc acceffible, affable, poli, prévenant, mais encore davantage avec vos inférieurs qu'avec vos égaux ; la politeffe avec les égaux n'eft fouvent que l'effet d'une politique adroite; celle dont on use avec fes fubalternes eft une preuve de la bonté du cœur. Les louanges que j'ai reçues pour n'avoir jamais fait fentir le poids de mon autorité doivent vous encourager à imiter ma conduite.

Si jamais vous commettez des fautes, hâtezvous d'en convenir, & fur-tout de les réparer. Quoique cette manière d'agir foit bien naturelle, & quoiqu'elle ne mérite point d'être louée, elle Vous attirera cependant des louanges, gagnera des cœurs, & vous fera pardonner des fautes; je l'ai fouvent éprouvé moi-même.

Vous

Soyez très-attentif dans le choix des jeunesgens destinés à entrer dans votre régiment: autant que vous le pourrez, les fils & prenez, les, parens. des. officiers de votre corps: au défaut de ceux-ci, donnez la préférence aux enfans de militaires, & enfin à la nobleffe qui habite dans fes terres.

Aimez, diftinguez les officiers qui annonceront quelque talent pour la guerre, & ceux qui fans négliger leurs devoirs, s'adonneront à la culture des beaux-arts..

Occupez-vous, beaucoup des. jeunes, officiers de

votre régiment, veillez vous-même fur leur conduite, fur leur inftruction & fur leurs mœurs; foyez, comme je vous l'ai dit, leur père, leur foutien, & s'il faut, leur inftituteur; vous n'aurez un bon régiment qu'autant que vos officiers feront très-inftruits, & que leur zèle pour le fervice fera vif & conftant: croyez bien que vous n'obtiendrez ces précieux avantages qu'en donnant une attention extrême aux jeunes officiers, & qu'en leur faifant contracter de bon heure l'habitude d'une conduite régulière. Faites en forte que les vieux officiers conçoivent pour les jeunes la tendreffe qu'un père a pour fes enfans, ou du moins qu'un Mentor a pour fon pupille; faites que les jeunes officiers aient pour les anciens les égards, la condefcendance & le refpe&t que des enfans tendres & bien élevés ont pour leur père : veillez à faire naître & à maintenir l'union dans votre régiment; hâtez-vous d'étouffer les divifions naiffantes, de déraciner les inimitiés, ou du moins d'en prévenir les effets destructeurs : c'estlà, mon fils, une des premières & des plus effentielles obligations impofees aux colonels.

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Sachez tout ce qui fe paffera dans votre régiment, mais n'employez jamais pour y parvenir le vil moyen de l'efpionnage; celui qui fait le métier de délateur ou d'efpion de fes camarades eft un malhonnête homme, & ne mérite aucune confiance ne recourez à d'autres yeux, à d'autres bras , que lorfqu'il vous fera abiolument impoffible de tout voir, de tout faire par vous-même; defcendez dans tous les détails; on ne fait bien les chofes que lorsqu'on en connoît les plus petites particularités; ce n'eft pas aux colonels à voir en grand ne cherchez cependant point à attirer à vous les détails que la loi confie à vos fubordonnés; contentez-vous de les furveiller tous, & de faire remplir à chacun fes devoirs.

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Voici enfin mon dernier précepte: fouvenezvous fans.ceffe mon fils, que ce n'eft point pour vous que vous avez été fait colonel mais pour le bien du fervice & pour l'avantage du régiment qui vous eft confié; que la gloire de l'état foit donc votre grande étude; & le défir de rendre vos fubordonnés heureux votre grande occupation fi vous réuffiffez à prouver à votre régiment que vous êtes animé par ces motifs, chacun des hommes qui le compofent fe fera un devoir, un plaifir de concourir à vos vues; alors toutes les difficultés difparoitront, vous obtiendrez une gloire pure, parce que vous l'aurez méritée; vous verrez l'eftime publique & les faveurs du roi voler au devant de vous, & vous ferez enfin le bonheur d'un père qui vous aime ».

Occupons-nous à préfent du choix des colonels & des meftres de camp; rapportons ce que les lois. prefcrivent, & ce que les militaires. penfent fur cet objet..

Nos rois fe font refervé dans tous les temps le droit de confier le commandement des régimens aux perfonnes qu'ils ont jugé à propos de choisir. Ce choix tomboit toujours ou presque toujours autrefois fur des enfans de quinze à feize ans ; M. de Choileul retarda un peu l'époque de l'admiffion au grade de colonel; M. de St Germain exigea qu'un mefire de camp commandant eût atteint fa vingt-neuvième année, & eût occupé pendant fix ans une place de mestre de camp en fecond. Il faut aujourd'hui, avant d'être fait colonel, avoir été quatre ans major en fecond; pour être major en fecond, avoir la commiffion de capitaine, & cinq ans de fervice révolus. Les colonels font choifis par le roi, ceux de l'infanterie dans les troupes à pied, ceux des troupes à cheval dans les troupes à cheval. Cet ordre de chofes, qui n'a pour lui que de vieux préjugés fer fans doute bientôt détruit. L'intérêt que la nation a à un meilleur choix ne laiffe point lieu d'en douter.

Les régimens de cavalerie, de dragons & de huffards, ont été donnés de même, pendant trèslong-temps, à de jeunes courtifans,fortis à peine de l'académie; mais on ne les donne aujourd'hui qu'à des militaires qui ont rempli les mêmes conditions que les colonels d'infanterie.

Les régimens d'infanterie, de cavalerie, de huffards & de dragons, fant uniquement réfervés à la premiere nobleffe, à cette nobleffe qui eft appelée plus particulièrement par fa naissance au commandement de ces régimens. Ne croiroit - on pas lire le code militaire d'un peuple qui auroit volontairement confacré l'aristocratie par des lois conflitutionnelles.

Les régimens de grenadiers royaux, les régimens provinciaux attachés à l'artillerie & à l'étatmajor de l'armée, les fix derniers régimens de cavalerie défignés naguère par le nom de chevaux legers, & les fix régimens de chaffeurs, ont été deftinés pendant quelque temps à fervir d'encouragement & de récompenfe aux anciens lieutenans-colonels & aux anciens majors de l'armée: leur destination eft aujourd'hui changée; cour à tout abforbé.

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Lesrégimens d'artillerie ont été prefque toujours nommés par l'ancienneté : c'est auffi l'ancienneté ou un mérite diftingué & reconnu qui jufqu'ici ont procuré aux officiers du corps royal du génie le brevet de colonel.

Les colonels datent du jour de leur brevet pour devenir maréchaux de camp. Ils le deviennent au bout de feize ans de fervice. On comptoit jadis aux officiers élevés par leur mérite au grade de colonel, la moitié du temps qu'ils avoient fervi comme capitaines, en retranchant toutes fois les dix premières années; aujourd'hui le fervice de sapitaine ne compte plus, & deux années de

fervice de major ne comptent que pour une. Les détails que nous confignons ici vont devenir inutiles aux militaires, parce qu'ils vont être renverfés par des lois conftitutionnelles; mais il étoit intéreffant de laiffer dans l'Encyclopédie des preuves de l'excès auquel l'ariftocratie militaire étoit parvenue. Ces traits feront fentir leur bonheur à nos neveux ils leur donneront une jufte indignation contre le pouvoir arbitraire, & les empêcheront ainfi de fe livrer à une aveugle confiance.

Beaucoup d'écrivains & de militaires fe font élevés, comme on l'imagine bien, contre l'ufage où l'on étoit jadis de donner à un régiment un adolefcent pour chef; le marquis de Feuquières s'eft exprimé fur cet objet avec l'énergie qui lui eft propre. « Les jeunes-gens fans expérience à qui on donne des régimens, ont dégoûté, dit-il,· les vieux officiers qui étoient à la tête des vieux corps, parce qu'ils fe font trouvés obligés d'obéir à des enfans. Ces mêmes enfans ont propofe au ministre des fujets incapables de former de bons états-majors, & de là tous les abus qu'on trouve dans l'état militaire, & la plupart des malheurs que la France a éprouvés ». Auli conclut-il qu'il faut que l'on oblige la jeuneffe, de quelque qualité qu'elle foit, de paffer par les degrés, afin que, par l'obéiffance, elle fe rende capable du commandement. M. le maréchal de Saxe a parlé auffi de la manière de choifir les colonels. « En confiant un régiment à un jeune homme de dix-huit ou vingt ans, a-t-il dit, on ôte toute émulation au refte des officiers & à toute la pauvre nobleffe du royaume, qui par là eft certaine de ne pouvoir jamais parvenir a des poftes dont la gloire puiffe les dédommager des fouffrances & des peines d'une vie laborieufe » ; auffi ce grand homme confeilloit-il de ne donner des régimens aux perfonnes d'un rang illuftre, que quand ces marques de préférence font juftifiées par un mérite diftingué, ou quand par là on peut récompenfer un pauvre gentilhomme à qui fes infirmités ne peuvent permettre de continuer fes fervices. Voilà ce qu'ont penfé deux écrivains militaires qui méritent de la part de tout adminiftrateur une confiance bien grande. Joignons à ces deux opinions les principes de l'auteur de P'Examen critique du militaire françois, & ceux de l'écrivain à qui nous devons l'ouvrage intitulé, de T'Esprit militaire : ils font dignes de fixer l'attention de nos lecteurs.

M. de B. avoue que les grades doivent être la récompenfe de la conduite, & principalement du talent de commander à la guerre; il convient qu'accorder des grades à la protection, c'est non feulement commettre une injuftice envers celui qui par fon mérite avoit droit d'y prétendre, mais que c'eft encore mettre en place un homme dont l'état ne peut attendre que des fautes. Il

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M. de L. envisageant la même queftion fous un autre point de vue, dit : c'eft un vice effentiel dans une conftitution militaire de faire redouter les combats aux principaux membres des corps aux chefs de toutes les troupes particulières qui les compofent; or c'eft les leur faire redouter que ne leur offrir aucune perfpective agréable en compenfation de leurs travaux & de leurs dangers, done notre conftitution eft vicieuse; elle ouvre en effet du premier pas la porte des hauts grades à des jeunes gens qui fouvent ne portent d'autre titre que le hafard d'un nom, & elle en ferme inhumainement l'entrée à l'officier couvert de bleffures qui ne fait pas intéreffer en fa faveur les folliciteurs de grâces. A cette première réflexion M. de L. . . . en joint une feconde auffi forte. Un jeune homme de qualité, quelque ftupide qu'il puiffe être, est toujours jugé capable de commander un régiment, d'où il est élevé progreffivement & fans difficulté jufqu'aux plus hauts grades. Pour être admis aux diverfes profeflions de l'ordre civil, il faut au moins faire preuve de quelque capacité. Mais on peut, fans montrer le moindre talent, parvenir aux emplois de la guerre les plus importans & les plus difficiles. A la faveur du nom on a été infcrit fur le tableau; à la faveur du tableau on arrive à tout.

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Ces principes font inconteftables, & ils con-duifent, ce me femble, par une fuite de termes identiques. à cette maxime vraie dans toute bonne conflitution militaire, le commandement des régimens doit être donné, non à la naiffance, mais au mérite. Les deux écrivains que je viens de citer ont certainement tiré de leurs principes cette conclufion naturelle ; mais ni l'un `ni l'autre ne l'a énoncée, car le premier a dit : l'on peut élever au grade de colonel tout homme âgé de vingt-cinq ans & qui a fept années de fervice; & le fecond a laiffé la place de colonel & une de celles de chef de bataillon à la feule naiffance. Ces deux militaires eftimables ont été entraînés fans doute par les préjugés régnans; sar je ne croirai jamais qu'ils aient voulu, fuivant l'expression de l'un d'entre eux, diriger cette partie de leur conftitution militaire non vers Le bien général, mais vers le bien perfonnel d'un petit nombre d'individus; ou, en d'autres termes compter les gens de la cour pour tout & l'état Four rien. M. de B. a exigé, il est vrai

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que les fept années de fervice qu'il demande fuffent bien employées; il admet les lieutenanscolonels & les majors aux places de mestre de camp il fait préfenter au roi cinq fujets par le confeil de guerre; il rend publique la lifte des officiers prefentés, & il veut que tout officier préfenté cinq fois fans avoir été choisi obtienne le brevet de colonel. Mais intrigue ne réuffiroit-elle pas bientôt à exclure de cette lifte les lieutenanscolonels & les majors, ou du moins n'empêcheroit-elle pas qu'ils fuffent préférés ? Eft-ce que le major ou le lieutenant-colonel qui auroit été rejeté cinq fois ne feroit pas plus cruellement bleffé par cinq refus confecutifs, que flatté par un brevet fi long-temps & fi formellement refufé, &c ? Ces colonels à brevet, ces colonels furnuméraires ne feroient-ils pas d'ailleurs des êtres à charge à l'état militaire? Ils n'auroient aucun emploi fixe & cependant on ne pourroit leur refufer des appointemens proportionnés à leurs grades. N'en doutons point, dans la conftitution propofee par M. de B..., tous les colonels feroient bientôt pris parmi les gens de la cour, & aucun n'auroit plus de vingt-cinq ans. S'il étoit permis aux régimens de nommer leur colonel, & fi on leur donnoit à choifir entre un homme de vingt-cinq ans qui auroit rempli les conditions demandées par M. de B..., & un homme de trente ou trente-cinq ans qui auroit été élevé au grade de capitaine par l'ancienneté feule, & qui, après trois ou quatre ans de commillion auroit été nommé d'abord major puis lieutenant, en eft-il un feul qui donnât la préférence à l'homme de vingt-cinq ans ? Si je demandois à M. de B... . . lui - même, étiez-vous, Monfieur Monfieur, auffi capable à l'age de vingt-cinq ans de commander un corps que vous l'êtes aujourd'hui ? non, fans doute, me répondroit ce militaire éclairé; meş connoiffances fe font accrues, mes talens développés & mes qualités heureufes fortifiées: comment pouvezvous croire, repartirois-je alors, que le refte des officiers françois, eux qui, comme vous, point confacré leur jeuneffe à l'étude & à la ré flexion, puiffent dès l'age de vingt-cinq ans être capables de bien commander un corps militaire?

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n'onc

En donnant deux des quatre places de commandant de bataillon aux capitaines les plus anciens, M. de L. . . a rempli, il eft vrai, une des principales conditions de toute bonne conftitution militaire, celle qui veut qu'on accorde aux officiers le prix légitimement dû à leurs fervices; mais ne paroît-il point avoir oublié le principe fage qui nous dit, « le premier chef de chaque corps militaire doit avoir affez d'expérience & de talens pour bien conduire fes fubordonnés dans toutes les circonftances poffibles & affez de force pour maitrifer toujours fes propres paflions?" celui qui nous enfeigne que nous devons offrir

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