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torps puiffe difpenfer un de fes fubordonnés de remplir une portion peu importante de fes devoirs? non, cela ne peut point être vous excufez ces anfgreflions parce qu'elles vous font utiles & agréables; mais qui vous répondra que ce même homme à qui vous venez de permettre d'alléger la loi en votre faveur, ne prendra pas, lui, dans un inftant, le droit de l'aggraver? que direz-vous alors quelles plaintes juftes pourrez-vous former?

Obfervons d'ailleurs que cet acte de clémence que notre cœur follicite, eft quelquefois nuifible à la fociété, fouvent funefte à l'individu envers lequel nous l'exerçons, & toujours un jufte fujet de réclamations & de plaintes.

Si tous les gens de guerre étoient imbus des préceptes de la morale; fi tous maitrifoient leurs pallions; fi tous, en un mot, étoient fages & vertueux, les lois n'auroient point befoin d'être foutenues par des récompenfes ou des peines, & la clémence deviendroit inutile. Mais comme beaucoup d'entre eux font fréquemment écartés de leurs devoirs, ou par l'ignorance ou par des palions fougueufes, il a fallu, pour donner de la force aux lois, établir que toute tranfgreffion de ces mêmes lois entraîneroit néceffairement une peine après elle: or fi la clémence remet cette peine, ou i l'on peut feulement efpérer qu'elle la remettra, tous les hommes qui ne feront pas retenus par des motifs plus nobles que celui de la crainte, donneront certainement un libre cours à leurs paffions: dès lors les lois deviendront vaines, & l'on verra le défordre renaître & régner dans la fociété. La clémence eft donc, fous ce point de vue, un des plus grands fléaux de toute affociation, & par conféquent un vice funefte.

:

La clémence eft de même très-fouvent funeste à celui qui en eft l'objet tel foldat qu'un léger châtiment auroit fait rentrer en lui-même. auroit corrigé, finit, parce qu'il a trouvé jufqu'ici Pimpunité, parce qu'il eft prefque certain de la trouver encore, finit, dis-je par devenir F'objet des punitions les plus févères. Un jour feul ne fait point d'un mortel vertueux, un perfide affafin, a dit le premier de nos tragiques, & il a eu raison: fi l'on eût pani le coupable comme il le méritoit pour fa première faute; fi on l'eût arrêté dès le premier degré, il n'eût point monté les autres. Pour vous convaincre que la clémence est

prefque toujours funefte au foldat qui en eft Pobjet, jetez les yeux fur le contrôle d'une compagnie, cherchez quels font les hommes les plus mal notés, & vous verrez toujours que ce font ceux qui ont eu, dès le moment de leur arrivée au corps, quelque officier pour protecteur; ceux envers lefquels les officiers & les bas-officiers de leur compagnie ont exercé des actes répétés de clémence. Cette obfervation, que j'ai faite trèsSouvent, & qui m'a toujours donné le même

résultat, prouve, ce me femble, d'une manière invincible , que la clémence eft réellement trèsfunefte au foldat qui en eft l'objet. Ce que j'ai dit du foldat eft également applicable au basofficier & même à l'officier; je dis plus, il eft applicable à toutes les claffes de la fociété. Par tout la clémence fait les hommes vicieux du moins les hommes fans talens & fans vertus ; mais c'eft principalement chez les enfans & chez les gens de guerre que les effets de la clémence font le plus fenfibles & le plus funeftes.

, ou

votre

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Suppofons cependant que l'homme envers lequel vous avez exercé un acte de clémence eft touché par votre bonté, & ramené par votre douceur ; dans ce cas, le plus favorable de tous clémence n'en eft pas moins une véritable injustice, ou du moins une fource féconde en dégoûts en réclamations & en plaintes. Que pourrez-vous en effet répondre au foldat à qui vous ferez fuivre la loi dans toute fa rigueur, à qui vous infligerez dans fon entier la peine portée par les ordonnances, lorfqu'il vous objecera qu'il n'eft pas plus coupable que tel ou tel autre de fes camarades en faveur duquel vous avez mitigé la loi? Quelques raifons que vous lui donniez penfez-vous qu'il s'en paye? Son amour propre l'empêchera de goûter toutes celles que vous lui donnerez; il fe croira l'objet de votre haine, fon cœur s'aigrira au fouvenir de vos prétendues injuftices, & bientôt vous compterez dans votre armée un homme de moins, & vos ennemis un défenfeur de plus. Si les officiers avancés en âge se permettoient feuls des actes de clémence, le mal ne feroit pas toujours bien confidérable; ceux qu'ils fe permettent font prefque toujours dictés par la fageffe, ou appuyés fur de bonnes raifons; auffi excitent-ils peu de cris, peu de plaintes: mais ce font ceux des jeunes officiers, & fur-tout ceux des bas-officiers, qui irritent, qui aigriffent le foldat; ils font en effet prefque toujours dictés par le caprice, la prévention, ou de vils intérêts. Que tous les officiers ceffent donc d'être clémens & les bas-officiers ne fe permettront plus des actes de clémence.

La clémence doit-elle donc être à jamais bannie des armées? les militaires doivent-ils donc être toujours auffi févères, auffi durs, auffi inflexibles que la loi? Oui, ils doivent l'être, ou du moins ne doivent-ils que très-rarement fe fendre à la voix de la clémence : ils peuvent pardonner les fautes involontaires, mais encore ne faut-il point que ces fautes puiffent avoir pour la fociété des fuites dangereufes ils peuvent, en faveur d'une longue continuité de bons fervices, fermer les yeux fur quelques fautes, mais il faut que les actions qui parlent en faveur du coupable foient connues de tous; qu'elles foient réellement bonnes, estimables même; & furtout que la faute foit légère & peu dangereufe par fes fuites;

encore dans ce cas ne doivent-ils point remettre la peine entière, mais fe contenter de la rendre plus légère.

Le repentir, les remords ne peuvent-ils donc rien? ils peuvent faire mettre dans l'oubli les fautes qu'on a punies, mais ils ne doivent point faire remettre les peines. L'hypocrite ne feroit jamais puni, car l'homme ne peut lire au fond du cœur de l'homme.

Des foldats qui ne fe font rendu coupables que parce qu'ils ont été entraînés par les exemples de leurs camarades, que parce qu'ils ont été décidés par la crainte ou contraints par la violence, ne méritent-ils pas non plus qu'on ait de l'indulgence pour eux? Ceux-là ont des droits à la clémence, mais c'eft à la clémence de la loi, & non à celle des juges: oui, je le répéterai toujours; vivons, mourons fous le defpotifme de la loi ; il n'eft ni cruel ni honteux, tandis que celui des hommes réunit prefque toujours ce double caractère.

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Si je n'ai point parlé dans cet article de la clémence dont les princes ufent quelquefois envers les déferteurs c'eft que l'auteur de l'article AMNISTIE a prouvé que ces actes de clémence ont le caractère de tous les autres, qu'ils multiplient les coupables. J'en ai vu de ces foldats pervers qui, apres avoir calculé le nombre des années écoulées depuis une amnistie, fixoient prefque l'époque à laquelle ils fe mettroient dans le cas de profiter de celle fur laquelle ils comptoient. Il eft cependant un acte de clémence plus funefte encore qu'une amniftie; je veux parler de la grâce accordée aux déferteurs condamnés; il feroit difficile de calculer les maux que cette efpèce de grace produit. Voyez CONSIGNE, DESERTEURS, & PEINES.

CLIENTS. C'étoit dans les armées francoifes, dit l'auteur du dictionnaire militaire portatif, des gentilshommes qui fervoient fous le pennon du chevalier, ou fous la bannière du banneret leur feigneur, ou fous celle de l'advoué de quelque abbaye, dont ils étoient vaffaux. Guilhaume le Breton, dans la defcription de la bataille de Bovines, en parle d'une manière à ne nous laiffer aucun doute que ce ne fuffent des gentilshommes. Les trois cents clients, dit-il, que l'abbé de Saint-Médard avoient envoyés à l'armée, étoient recommandables par leur grande probité; ils étoient à l'avantage, & armés d'épées & de lances. Tout cela ne convient pas à de fimples foldats, tirés de la populace, mais à des gentilshommes. Quant à nous, nous croyons que ces clients n'étoient que ce que nous avons nommé depuis ban & arrière-ban.

CLOCHE DE RETRAITE. On donne, dans nos villes de guerre, le nom de cloche de retraite, ou de cloche des clefs, à une cloche qu'on fonne

tous les jours une heure avant l'ouverture & la fermeture des portes; qu'on fonne encore vers dix ou onze heures du foir, & toutes les fois qu'une troupe approche de la place. On fonne la cloche de retraite une heure avant la fermeture des portes, pour avertir les habitans & les gens de la campagne qu'ils doivent fe préparer à fortir de la place ou à y entrer, les gardes aux portes, qu'elles doivent dans une demi-heure envoyer chercher les clefs. On fonne chaque matin la même cloche pour les mêmes objets. On la fonne à dix ou onze heures du foir pour prévenir les habitans qu'il ne leur eft plus permis de fortir fans feu. Cette dernière fonnerie eft encore nommée couvre-feu; voyez COUVRE-FEU. On fonne enfin cette cloche toutes les fois qu'il paroît une troupe dans les environs de la ville, pour avertir, pendant la paix l'état-major de la place de fe rendre à la première barrière, & pendant la guerre, pour que les poftes fe tiennent fur leurs gardes. Cette cloche eft ordinairement destinée auffi à fonner le beffroi.

Relativement aux cloches des villes prifes, voyez le dictionnaire de l'artillerie.

COFFRET. On donne ce nom à un petit coffre de bois dans lequel on dépofe la poudre qui doit fervir à faire fauter une fougaffe. Voyez FOUGASSE.

COHORTE. (Divifion d'une légion romaine.) Voyez LEGION dans le dictionnaire militaire, & le mot cohorte dans le dictionnaire des antiquités.

COLÈRE. Tous les écrivains politiques & militaires excluent du commandement des armées, les hommes affez foibles ou aflez vains pour fe laiffer emporter aux mouvemens de la colère : les guerriers, difent-ils unanimement, que la contradiction la plus légère irrite , que le plus petit obftacle rend furieux, qui ne favent point, en un mot, commander à leur coltre, ne font point faits pour commander à des hommes. Avec quel art l'immortel archevêque de Cambrai ne nous prouve-t-il point cette vérité dans le 16 livre de fon Télémaque quelles fautes Neftor & Philoctete ne commettent ils point entraînés

par la colère !

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Pour prouver aux généraux qu'ils doivent chercher à dompter cette paffion des hommes exceffivement foibles, ou ridiculement vains, je me contenterai de leur faire obferver que l'on ne compte parmi les hommes illuftres qu'un très-petit nombre de généraux qui aient été les jouets de la colère; que les chefs des armées qui ont prétendu à l'immortalité ont cherché à réprimer les tranfports de cette paffion; que l'hiftoire n'a pas daigné nous fonferver le nom de ceux qui fe font laiffé maitrifer par elle; qu'elle a terni l'éclat des vertus d'Alexandre, & qu'il a fallu au maréchal de Toiras prefque toutes

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les qualités précieufes qu'on défire dans les chefs. des armées pour qu'on lui pardonnât ce feul vice. On dit, pour s'excufer à fes propres yeux & કે ceux des autres hommes, que la colère étant l'effet d'un fang bouillant d'un tempérament tout de feu, il eft très-difficile de la calmer & impoffible de la réprimer conftamment. Vaine & frivole excufe la colère n'eft point l'effet de la nature, mais de l'éducation : c'est l'éducation qui fait feule les hommes faciles à irriter, violens, terribles dans leurs emportemens : l'antiquité, toujours ingénieufe, nous le montre fous Pembiême de l'impétueux Achille, nourri de la moelle des lions & des tigres; l'antiquité nous fait voir encore par un autre emblême tout auffi ingenieux, que la raifon fait, quand on veut écouter fa voix, prévenir les effets d'une éducation vicieufe c'eft Minerve arrêtant Achille

prêt à fondre fur Agamemnon.

Si, laiffant là la fable nous confultons Phiftoire, nous voyons des peuples entiers à qui une éducation foignée a enfeigné à maitrifer leur colère: tels furent les Lacédémoniens & tels font les Chibois. Voyez dans Plutarque le traité intitulé, Comment il faut retenir sa colère; cet écrivain philofophe nous apprend que les Lacédémoniens étoient fi attentifs à réprimer en eux les élans de cette paffion, qu'ils ne vouloient même pas en fentir les effets au milieu des combats; auffi cherchoient-ils à la diffiper par le fon doux des flûtes; auffi, avant de combattre, facrifioient-ils aux mufes. Voyez auffi la defcription de la Chine par du Halde, tome 2, pag. 75. Laiffant encore ces temps & ces lieux trop reculés du nôtre, j'en appellerai à tous les hommes de bonne foi qui ont cherché à vaincre l'ardeur prétendue de leur tempérament; tous me donneront, je crois en être sûr, la réponse que fit le maréchal de Tavannes à un médecin qui le jugeoit colère, parce qu'il avoit la couleur animée, les cheveux blonds, la barbe rouffe, les fourcils relevés, &c; je le fuis, dit-il, autant qu'il fe peut, mais je le fais vaincre par raison.

COLLIER DE TAMBOUR. On donne le nom de collier à une large banderolle de buffle, dont les tambours fe fervent pour fupporter leur caiffe; c'est encore à ce collier que les baguettes'

font attachées.

COLLIER. (Récompenfe militaire.) Les colliers ont été mis par les romains au rang des récompenfes militaires. Nos rois ont donné auffi quelquefois à des guerriers qu'ils vouloient récompenfer, le collier d'or ou de perles qu'ils portoient eux-mêmes : les révolutions que notre habillement a éprouvées, & la création des ordres de chevaleric pour la récompenfe des militaires, ont rendu les récompenfes de ce genre inutiles; on aime

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cependant leur fimplicité, leur variété, & furtout l'équité avec laquelle elles étoient dif tribuées.

COLONEL. C'eft aux favans voués à l'étude des antiquités militaires françoifes, & à ceux qui s'occupent de l'étymologie des mots à nous indiquer l'origine du mot colonel, & à nous apprendre fi elle eft plus ancienne que celle du mot colonne pour nous " nous nous bornons à dire qu'on appeloit colonel, pendant les 15 & 16e fiècles, l'officier qui, fous les ordres du capitaine, commandoit une troupe d'infanterie; ou, fous les ordres du mestre de camp, an corps de cavalerie. Voyez la page 244 du tome 20 de la collection des mémoires relatifs à l'hiftoire de France. Il y avoit en 1528 deux colonels à la tête de plufieurs bandes réunies un colonel & un fous-colonel le comte Pedro de Navarre étoit colonel des compagnies de gafcons, & M. de Luppé fous colonel; voyez les mémoires de Blaife de Montluc, dans le tome 22 de la collection citée ci-deflus.

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Depuis l'époque de la création des légions par François Ier, jufques vers le milieu du règne de Henri II les chefs des régimens d'infanterie ont été nommés colonels; depuis Henri II jnfques en 1661, fous Louis XIV, ils ont été nommés mestres de camp; depuis 1661 jufqu'en 1721, fous Louis XV, colonels; depuis 1721 jufqu'en 1730, meftres de camp; depuis 1730 jufqu'en 1780, fous Louis XVI, colonels; depuis 1780 jufqu'en 1788 meftres de camp; aujourd'hui enfin on les nomme colonels. Si l'on rapproche les époques où les chefs de régiment ont changé de nom de celles où la charge de colonel général de l'infanterie a été fupprimée, vacante ou rétablie, on voit que ces officiers fupérieurs ont porté le nom de meflres de camp toutes les fois que l'infanterie a eu un colonel général; & celui de colonel, toutes les fois que la charge de colonel général a été vacante ou fupprimée. Il en a été de même des chefs des régimens de cavalerie, de dragons & de huffards.

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Le colonel eft le premier des officiers fupérieurs, le chef immédiat d'un régiment: c'est de lui que doivent émaner tous les ordres, au moins eft-ce par lui qu'ils doivent tous paffer: il a le droit de choisir les perfonnes qu'il croit dignes de remplir les fous-lieutenances vacantes dans fon régiment, & de préfenter, en fuivant le tableau d'ancienneté, les fujets qui doivent occuper les lieutenances & les compagnies : il eft le canal par lequel doivent arriver les récompenfes qu'ont méritées, ou fon régiment en corps, ou quelques-uns des membres qui le compofent: il eft le folliciteur, le médiateur né de toutes les grâces, & il décide prefque toujours de la longueur & de la fevérité des punition's: il eft chargé de l'inftruction, de la difcipline, de la

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police de fon régiment; il le commande le conduit à la guerre comme pendant la paix : c'eft en un mot le colonel qui eft fpécialement chargé de faire obferver à chacun des membres de fon régiment non feulement les loix militaires, mais encore les loix civiles, & même lesconventions fociales non écrites.

S'il eft vrai, comme tout le prouve, qu'on ne peut juger fainement des hommes quand on ne les a pas étudiés avec foin; qu'on ne peut leur enfeigner ce qu'on ne fait pas parfaitement foi-même; qu'on ne peut prononcer fur leurs connoiffances & apprécier leurs talens quand on n'en a point de plus éminens qu'eux; décider de la manière dont ils rempliffent leurs devoirs, quand on ne connoît point les lois qui les leur prefcrivent qu'on ne peut rien fur fes fubordonnés quand on n'a pas l'art de perfuader leur efprit & de gagner leur cœur ; que l'exemple du chef eft le plus grand & le plus sûr encouragement à la vertu il faut que les colonels foient plus inftruits, plus zelés & plus vertueux qu'aucun de leurs fubalternes, & qu'ils poffèdent toutes les connoiffances & toutes les qualités qui conftituent un militaire accompli. Voyez CAPITAINE & GENERAL.) Suppofez en effet qu'un colonel manque de quelques-unes des connoiffances qui font propres aux guerriers, ou de quelques-unes des vertus qu'ils doivent réunir, & vous verrez bientôt ou un grand défordre s'introduire dans fon régiment, ou les abus s'y gliffer avec tant de force & de viteffe, qu'ils entraîneront ce corps bien loin du point de perfection où il devroit être conftamment

retenu.

je

Pour prou ver la vérité de cette affertion n'aurois qu'à dépouiller fucceffivement un colonel des connoiffances & des qualités dont il doit être orné; mais au lieu d'entreprendre cette tâche pénible à mon cœur, je vais rapporter une inftruction que le maréchal de Belle-Ifle avoit composée pour le comte de Gifors fon fils, & qu'il lui donna lors de fa nomination au régiment de Champagne. Je dois prévenir les lecteurs que cette inftruction n'eft point complette, elle ne parle point des obligations que les ordonnances impofent aux colonels; elle ne contient, fi l'on peut s'exprimer ainfi, que leurs devoirs moraux je dois les prévenir encore qu'une partie de ce qu'elle contient a été rédigé de mémoire ce ne fera donc point les expreffions du maréchal de Belle-Ifle qu'on lira toujours, mais ce feront conftamment fes pensées : je tiens les lambeaux de cette inftruction d'un officier qui avoit été intimement lié avec le comte de Gifors, qui avoit fervi dans fon régiment, & qui avoit éprouvé que les troupes françoifes feroient heureufes & l'état militaire floriffant, fi tous nos colonels étoient guidés par les principes fages

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« Colonel prefque au fortir de l'académie l'ayant été pendant un temps affez long, & ayant conftamment vécu entouré de militaires, j'ai été à portée d'apprendre comment un chef de corps peut rendre heureux les hommes qu'il a fous fes ordres, atteindre lui-même au bonheur, mériter l'eftime publique & les grâces de fon maître. Comme je délire vivement,

mon fils que vous jouiffiez de ces biens précieux, je vais vous tracer les principes que vous devez fuivre pour vous en rendre digne & pour les obtenir. Je ne vous dirai point que ces principes ont toujours été les miens; j'ai été jeune, j'ai fait beaucoup de fautes; mais, aidé par mes réflexions & par les avis de quelques hommes fages, je me fuis corrigé; fi je n'ai pas fini par être un colonel parfait, je puis croire au moins que j'étois un bon colonel; c'eft donc afin que vous commenciez comme j'ai fini, que j'ai rédigé ce mémoire: lifez-le avec attention il est le résultat de beaucoup d'années d'expérience.

Le régiment que le roi vient de vous donner eft un des meilleurs de l'armée; fon lieutenantcolonel eft un militaire refpe&table par de longs & d'excellens fervices; tous les capitaines qui le compofent font plus âgés que vous, & il n'eft aucun d'eux qui, fi on n'eût considéré que les fervices perfonnels, n'eût mérité plus que vous d'en être nommé colonel: cependant c'est vous qui allez être leur chef: que cette première réflexion ne forte jamais de votre mémoire.

Je ne vous dirai point, cherchez à mériter l'eftime du corps que vous allez commander, cette maxime eft trop triviale: mais je vous dirai, cherchez à en mériter l'amour. Tout colonel qui s'eft concilié ce fentiment précieux, obtient avec facilité les chofes même les plus difficiles, tandis que celui qui ne l'a point acquis n'obtient qu'avec de grandes difficultés les chofes même les plus aifées. Faites-vous donc aimer, mon fils, & le rôle difficile de colonel deviendra pour Vous un jeu agréable. Vous vous tromperiez groffièrement fi vous imaginiez que, pour obtenir l'amour de votre régiment, vous devez laiffer fléchir la difcipline, ou affecter une complaifance extrême pour les défirs de chacun des officiers qui le compofent: ce moyen ne feroit ni sûr ni glorieux vous vous tromperiez encore fi vous imagintez qu'une feule vertu, quelque heureufe & brillante qu'elle foit, peut vous concilier ce fentiment; comme ce ne font point les yeux feuls d'une femme qui nous captivent l'ensemble, l'accord de fes traits; ce n'eft de même que la réunion des vertus & des connoiffances dont je vous parlerai dans le cours de ce mémoire, qui vous conciliera l'amour de votre régiment.

mais

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cet

Ayez pour votre heutenant-colonel la déférence la plus grande; ne donnez aucun ordre fans le confulter; ne paroiffez être que l'organe de fes defirs: je vous ai fouvent donné ce confeil ordre, je le renouvellerai chaque fois que j'en trouverai Poccafion: fi, à l'exemple de quelques jeunes chefs, vous manquiez d'égards ou de confidération pour votre lieutenant-colonel, vous me feriez concevoir de vous l'opinion la plus défavorable, & vous deviendriez bientôt la victime de votre imprudence; votre régiment, divifé entre Vous & lui, feroit en proie aux partis, aux cabales, & dès-lors vous ne pourriez plus espérer de faire le bien.

Ayer pour les anciens capitaines des égards marqués; confultez les fréquemment, témoignezleur de l'amitié & de la confiance foyez le foutien, l'ami, le père des jeunes officiers: aimez les vieux bas officiers & les anciens foldats; parlez-leur fouvent, & toujours avec bonté; confaltez-les même quelquefois : un chef de corps fe trouve toujours bien de cette efpèce de popularité, elle m'a été fouvent utile.

Etadiez, connoiffez à fond tous les officiers de votre régiment dépourvu de cette connoilfance, vous feriez chaque jour trompé ; vous confondriez la modeftie avec le manque de talens; la confiance que donne la perfuafion de fes forces, avec une vaine fuffifance; le défir du bon ordre, avec une critique maligne; l'amour de la juftice & du bien, avec la délation, l'envie, ou une ambition démesurée; la modération, avec l'apathie ou l'indifférence; & la févérité avec la roideur : Vous prendriez des confeils donnés par la flatterie ou l'intérêt, pour ceux que la vérité dicte ; vous croiriez verfer des récompenfes fur la vertu, elles tomberoient fur l'intrigue; protéger des talens réls, & vous ne prôneriez que des talens apparens ou factices.

Quand après avoir étudié long-temps les officiers de votre régiment vous les connoîtrez tous, vous choifirez parmi les plus anciens deux amis particuliers en qui vous aurez reconnu de la vertu, des connoiffances, l'amour de la vérité & du bon ordre ; vous les attacherez intimement vous par votre amitié ; vous leur confierez T'emploi important de vous parler de vos défauts avec franchife, & de vous montrer vos fautes toutes nues: écoutez ces officiers avec attention', avec docilité gardez - vous cependant de leur accorder une confiance ou exclufive, ou aveugle, & de montrer trop clairement, au refte du corps, la préférence que vous donnerez à ces deux officiers: cette connoiffance pourroit devenir la fource d'inimitiés funeftes.

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J'ai développé devant vous le génie & le caractère de la nation françoife, fes mœurs, fes préjugés; je vous ai fait connoître la meilleure manière de la retenir & de l'animer; de la ré

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compenfer & de la punir; je ne vous répéterai donc point ici les leçons que je vous ai données fur ces objets mais je vous dirai de n'employer jamais avec vos foldats des expreffions dures, des épithètes flétriffantes, & de ne proférer jamais en leur parlant des mots ignobles ou bas le colonel qui fe fert avec fes foldats de quelques-unes de ces expreffions, s'avilit luimême & s'il les adreffe à des officiers, il fe compromet de la manière la plus évidente. N'oubliez jamais que les officiers de votre régiment font hommes, françois, vos égaux, & que vous devez par conféquent, en leur donnant des ordres, prendre un ton & employer des expreffions convenables à des perfonnes dont l'honneur eft le mobile croyez bien, mon fils moyen eft le feul bon; qu'il peut feul faire refpecter les ordres, les rendre agréables, en accélérer l'exécution, & infpirer aux foldats cette confiance en leurs officiers, qui eft la mère d'une bonne difcipline & des fuccès.

, que ce

Ne vous fervez jamais de punitions que la loi réprouve, que l'efprit national condamne : quand vous ferez forcé de punir, qu'on life fur votre figure toute la peine que vous éprouvez d'être obligé d'en venir à cette dure extrémité. Ne laiffez point échapper le moment de rendre de petits fervices aux officiers de votre corps en attendant les grandes occafions de les obliger, vous vous expoferiez à ne les fervir jamais. Comme ce font les petites précautions qui confervent les vertus, ce font les petits fervices qui gagnent les cœurs. Sollicitez avec autant de fuite que d'ardeur toutes les grâces qu'auront méritées les officiers, les bas-officiers & les foldats de votre régiment les miniftres pourront vous refufer l'objet de vos demandes, mais ils vous fauront gré de la chaleur que vous mettrez dans vos follicitations, & votre régiment vous en aimera davantage. Ne faites jamais concevoir à aucun de vos fubordonnés des efpérances que n'êtes point affuré de réalifer; quand les perfonnes qui les auroient conçues les verroient détruites', ils vous accuferoient d'avoir négligé leurs intérêts.

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Je vous ai accoutumé, il y a déja long-temps, à Vous lever des quatre heures du matin; confervez cette habitude heureufe; jamais vous n'aurez un plus, grand befoin de temps, car jamais vous n'aurez autant d'études à faire & de chofes à exécuter. Ayant été fait colonel très - jeune, vous ferez, felon les apparences, de très-bonne heure officier général; il ne fera prefque plus temps alors de vous livrer à l'étude des grandes parties de la guerre c'est donc à préfent que vous devez les apprendre mais ne duffiez-vous point parvenir à un grade plus élevé que celui que vous occupez, croyez, mon fils, que l'emploi de colonel exige les connoiffances les plus variées & les plus étendues. Pourrez-vous juger des

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